Le site de Middle East Eye (middleeasteye.net) publie une longue interview de Rony Brauman, l’ancien président de Médecins sans frontière (MSF), directeur de recherche à la Fondation MSF et professeur à l’université de Manchester.

Il réagit aux propos d’Emmanuel Macron au dîner du CRIF et il estime que l’assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme est extrêmement dangereuse.

En premier lieu, Rony Brauman « constate mais ne peux expliquer les volte-face et hésitations successives d’Emmanuel Macron sur cette question de l’antisionisme désormais assimilé à l’antisémitisme. C’est là un sujet délicat qui se frotte à plusieurs possibilités. Ce sont probablement les hésitations du pouvoir qui se retrouvent dans ces atermoiements. »

Rony Brauman dévoile ensuite la perversité de l’assimilation de l‘antisionisme à l’antisémitisme et en mesure tous les dangers : « Emmanuel Macron n’a pas annoncé vouloir introduire l’antisionisme dans le code pénal. Mais sa décision de lier antisémitisme et antisionisme va fournir, de façon détournée, un cadre d’interprétation juridique et judiciaire applicable contre la campagne BDS [Boycott, Désinvestissement, Sanctions]. Cela pourrait servir aussi contre des gens qui soutiennent ce boycott, qui pourraient être alors inquiétés. Par ce biais, il s’agit de criminaliser des positions critiques sans toutefois faire de l’antisionisme un délit d’opinion de façon claire. Mais in fine, cela reviendra au même, car ce délit d’opinion sera de toute façon mis en place de façon détournée, et il ne vaut que pour certains propos, ceux qui concernent les juifs. Ce faisant, on jette de l’huile sur le feu qu’on prétendait éteindre. Car comment mieux suggérer implicitement que les juifs doivent bénéficier d’un statut particulier, que les sionistes seraient mis par le pouvoir à l’abri de la critique et qu’Israël serait ainsi sanctuarisé contre les critiques sévères ? Comment mieux nourrir les théories complotistes qu’en se livrant à ce genre de manœuvres ? Il y a là un cheminement intellectuel qui m’échappe. C’est désastreux. »

Rony Brauman voit dans l’attitude de Macron une instrumentalisation : « Il y a là une instrumentalisation perverse de l’antisémitisme qui sert en l’occurrence à disqualifier un mouvement social, celui des Gilets jaunes. Cette instrumentalisation a pour effet pervers de placer les juifs dans le cercle fantasmé des puissants, des dominants, de ceux qui maîtrisent les discours et les médias. Ils seraient ceux qui imposent leur vérité et leur description des situations au détriment de tout le reste. C’est là un jeu extrêmement dangereux. »

En conclusion, Rony Brauman dénonce le comportement dangereux du président de la République : « L’antisémitisme n’a attendu ni le sionisme ni la création d’Israël pour s’alimenter. Mais on ne peut que constater que de tels comportements et déclarations le nourrissent, l’amplifient, en élargissent la portée. Tout cela est très dangereux. »

Cette interview est remarquable de lucidité et d’intelligence. Elle mérite d’être lue dans son intégralité tant elle apporte des réponses aux interrogations que chacun a pu avoir après avoir pris connaissance des déclarations d’Emmanuel Macron. Apprenti sorcier ? Ou chasseur d’électeurs ? Ou les deux à la fois ?