Chers amis, chers camarades,

Jean-Maurice Hermann a été successivement secrétaire général du SNJ, puis du SNJ-CGT et président de l’OIJ pendant 26 ans (de 1950 à 1976). Pour vous brosser son portrait, j’ai choisi de vous parler de ce que j’ai appris de lui, professionnellement et syndicalement. Mais, surtout, de vous parler de l’actualité de ses engagements.

Revendiquer la vérification des informations et les recouper ;

Refuser de traiter une information en 140 signes ;

Ce serait archaïque.

Revendiquer l’indépendance des rédactions vis-à-vis des actionnaires ;

Refuser d’écrire sans s’occuper du contenu ;

Ce serait archaïque.

Revendiquer le droit de publier une information même si elle met en cause les dirigeants et actionnaires de son média ;

Refuser de dévoiler ses sources d’information ;

Ce serait archaïque.

Revendiquer des conditions de travail permettant une meilleure qualité de l’information ;

Refuser les contrats précaires qui affaiblissent la défense de la communauté rédactionnelle ;

Ce serait archaïque.

Revendiquer de pouvoir travailler dans un média dont on ne partage pas tous les points de vue mais en conservant sa liberté de jugement ;

Refuser de voir les conglomérats industriels faire main basse sur tous les médias pour alimenter les tuyaux de communication sur lesquels ils ont fait main basse ;

Ce serait archaïque.

Revendiquer de pouvoir maîtriser les technologies numériques sans en être esclave ;

Refuser un arrosage d’information permanente, immédiate, générale et unilatérale sans recul, ni mise en perspective ;

Ce serait archaïque.

Etre journaliste, tout simplement, serait terriblement archaïque !

Et je pourrais continuer à égrener comme une litanie les archaïsmes décrétés par les tenants d’une pensée politique qui a abdiqué devant le monde de la finance.

Mais revenons à Jean-Maurice Hermann.

Jean-Maurice Hermann, un homme passionné par son métier de journaliste, d’une rigueur absolue vis-à-vis de sa responsabilité sociale, un homme qui a lutté pour la liberté tout au long de sa vie, Jean-Maurice Hermann, donc, m’a appris qu’il ne fallait pas faire du passé table rase en matière de journalisme.

J’ai gardé devant mon bureau, ces phrases de lui :

« Le journalisme est un métier qui ne peut pas être exercé de façon irresponsable. Ce n’est pas porter atteinte à la liberté des journalistes que de la défendre dans ce travail qui est un travail dangereux pour l’humanité entière et pour la liberté d’abord. »

Jean-Maurice Hermann a eu tout au long de son existence de journaliste et de syndicaliste la conviction que tout ce qui nous réunit, et avant tout notre commune responsabilité, est plus fort que tout ce qu’on a pu faire pour nous diviser.

Sa pensée n’a pas pris une ride, comme en témoignent ces quelques lignes qui résonnent encore aujourd’hui :

« Comment des hommes et des femmes auxquels leur métier impose plus qu’à d’autres de vivre les yeux grands ouverts sur le monde qui nous entoure aujourd’hui pourraient-ils ne pas être frappés par le fait évident que nous vivons une époque sans précédent dans l’histoire millénaire de l’humanité ! Une époque magnifique et terrible à la fois ! »

Le journalisme est une fonction sociale parmi les plus élevées, où on ne peut pas se contenter de produire ce qu’on nous commande.

Dans un monde de plus en plus dérégulé, être journaliste c’est refuser de se soumettre à je ne sais quel ordre, moderne, obligatoirement moderne, dicté par la Finance et où l’humain n’a plus sa place.

Fidèle aux leçons de Jean-Maurice Hermann que j’ai retenues, je crois utile de rappeler que la résistance au nouvel ordre économique des fonds d’investissement, des banquiers et des capitaines d’industries à la recherche des profits immédiats les plus élevés possibles, n’est pas archaïque ; elle est plus moderne que jamais. 

Homme de culture, humaniste, imprégné des idéaux des Lumières (Voltaire, Rousseau, Descartes, Diderot, mais je pourrais ajouter Goethe, Schiller, Byron, José Marti, Sarmiento et bien d’autres), Jean-Maurice Hermann a été un Résistant au nazisme (cela lui a valu d’être blessé puis d’être interné au camps de concentration de Neuengamme).

Résistant, il l’avait été avant, pendant et après la guerre. Pour la dignité de notre profession.

Et aujourd’hui, comme lui hier, fidèles à ses engagements et à ses enseignements, nous ne devons rien lâcher !

Je vous remercie.

Prononcé à Angers le 7 juin 2016 lors de la pré-conférence du 29e congrès de la Fédération Internationale des Journalistes