France 2 fait œuvre d’originalité en diffusant (et rediffusant) toute la série des films de James Bond, à raison, souvent, de deux films par soirée. Question originalité, on peut néanmoins trouver mieux que Bons baisers de Russie sorti sur les écrans en 1963 et vu des dizaines de fois à la télévision et la dernière hier, après Meurs un autre jour (2002) !
Mais le service public a fait le choix des prétendues ‘’demandes’’ du public plutôt que de proposer d’authentiques chefs-d’œuvres. Le film assure l’audience et ne coûte pas cher. La programmation joue sur la notion de rendez-vous, surtout en période estivale.
La chaîne, on peut le supposer, a dû négocier les droits de diffusion à vil prix avec la société EON Productions qui a sorti 25 films de James Bond (alors que l’auteur du roman policier n’a publié, est-on tenté d’écrire, que 11 romans avec 007 comme héros). Les 25 films ont généré 16,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires (record absolu). Les bénéfices sont tels que EON Productions peut céder les droits à France Télévisions à des tarifs dérisoires : la ‘’soirée James Bond’’ a duré 240 minutes et le coût à la minute est donc sans concurrence !
Et, en cette période troublée, montrer que les héros sont des citoyens de l’Ouest et que les méchants sont Russes, Chinois et Nord-Coréens n’est pas innocent. L’idéologie n’est jamais absente des choix de diffusion ! La violence s’étale tout au long de films où le nombre de morts ne se compte plus. Mais, hélas, James Bond a fait école et les séries, où la mort par arme à feu est un ingrédient obligatoire et banal, se multiplient sur toutes les chaînes, au risque de déformer la vie sociale.
Quand André Malraux déclarait que « Le cinéma est un art, et par ailleurs, c’est aussi une industrie », il rejoignait Theodor Adorno pour qui « Les productions de l’esprit dans le style de l’industrie culturelle ne sont plus aussi des marchandises, mais le sont intégralement (…) Le consommateur n’est pas roi, comme l’industrie culturelle le voudrait, il n’est pas le sujet de celle-ci mais son objet ».
Adorno pouvait ajouter (c’était en 1967) que « Les marchandises culturelles de l’industrie se règlent, comme l’ont dit Brecht et [+Suhrkamp], il y a déjà trente ans, sur le principe de leur commercialisation et non sur leur propre contenu, de sa construction exacte. La praxis entière de l’industrie culturelle applique carrément la motivation du profit aux produits autonomes de l’esprit. »
Le service public de la télévision tourne le dos au rôle que ses créateurs souhaitaient le voir jouer. Cette bataille-là est aussi à mener et à gagner pour libérer l’industrie culturelle du poids de l’argent.