La Chouette qui hioque

Mois : juillet 2023

James Bond, la nausée !

France 2 fait œuvre d’originalité en diffusant (et rediffusant) toute la série des films de James Bond, à raison, souvent, de deux films par soirée. Question originalité, on peut néanmoins trouver mieux que Bons baisers de Russie sorti sur les écrans en 1963 et vu des dizaines de fois à la télévision et la dernière hier, après Meurs un autre jour (2002) !

Mais le service public a fait le choix des prétendues ‘’demandes’’ du public plutôt que de proposer d’authentiques chefs-d’œuvres. Le film assure l’audience et ne coûte pas cher. La programmation joue sur la notion de rendez-vous, surtout en période estivale.

La chaîne, on peut le supposer, a dû négocier les droits de diffusion à vil prix avec la société EON Productions qui a sorti 25 films de James Bond (alors que l’auteur du roman policier n’a publié, est-on tenté d’écrire, que 11 romans avec 007 comme héros). Les 25 films ont généré 16,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires (record absolu). Les bénéfices sont tels que EON Productions peut céder les droits à France Télévisions à des tarifs dérisoires : la ‘’soirée James Bond’’ a duré 240 minutes et le coût à la minute est donc sans concurrence !

Et, en cette période troublée, montrer que les héros sont des citoyens de l’Ouest et que les méchants sont Russes, Chinois et Nord-Coréens n’est pas innocent. L’idéologie n’est jamais absente des choix de diffusion ! La violence s’étale tout au long de films où le nombre de morts ne se compte plus. Mais, hélas, James Bond a fait école et les séries, où la mort par arme à feu est un ingrédient obligatoire et banal, se multiplient sur toutes les chaînes, au risque de déformer la vie sociale.

Quand André Malraux déclarait que « Le cinéma est un art, et par ailleurs, c’est aussi une industrie », il rejoignait Theodor Adorno pour qui « Les productions de l’esprit dans le style de l’industrie culturelle ne sont plus aussi des marchandises, mais le sont intégralement (…) Le consommateur n’est pas roi, comme l’industrie culturelle le voudrait, il n’est pas le sujet de celle-ci mais son objet ».

Adorno pouvait ajouter (c’était en 1967) que « Les marchandises culturelles de l’industrie se règlent, comme l’ont dit Brecht et [+Suhrkamp], il y a déjà trente ans, sur le principe de leur commercialisation et non sur leur propre contenu, de sa construction exacte. La praxis entière de l’industrie culturelle applique carrément la motivation du profit aux produits autonomes de l’esprit. »

Le service public de la télévision tourne le dos au rôle que ses créateurs souhaitaient le voir jouer. Cette bataille-là est aussi à mener et à gagner pour libérer l’industrie culturelle du poids de l’argent.

Colonialisme

Quelle est la véritable pensée d’Emmanuel Macron sur le colonialisme ?

Celle de son intervention sur le chaîne algérienne Echorouk News le 15 février 2017 ?

« Je pense qu’il est inadmissible de faire la glorification de la colonisation. Certains, il y a un peu plus de dix ans, ont voulu faire ça en France. Jamais vous ne m’entendrez tenir ce genre de propos. J’ai condamné toujours la colonisation comme un acte de barbarie. Je l’ai fait en France, je le fais ici. La colonisation fait partie de l’histoire françaiseC’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »

Celle de son discours de Nouméa le 5 mai 2018 ?

« Il faut mettre des mots sur ce passé lorsqu’il pèse comme un couvercle”“Pendant la période coloniale, la France a souvent perdu le sens même de son histoire et de ses valeurs. Il y a eu des douleurs, des souffrances, des ségrégations, des déportations, des fautes et des crimes. »

Celle de ce même discours de Nouméa ?

« La France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie, parce qu’elle est une part de cette France monde. »

Celle de son discours de Nouméa le 26 juillet 2023 ?

« La Nouvelle-Calédonie est française parce qu’elle a choisi de rester française (…) A l’issue des trois référendums, je ne mésestime pas les aspirations déçues (…) mais nous devons avoir la grandeur d’accepter ces résultats. »

En matière de colonialisme, il est difficile, sinon impossible de se référer à la formule du ‘’en même temps’’.

La colonisation, quels que soient le lieu et les circonstances, reste un crime contre l’humanité, une vraie barbarie !

Vente d’armes

L’information était d’une importance extrême et ne pouvait attendre ; de plus, elle était exclusive : elle valait bien une ‘’alerte’’ en pleine soirée : « Historique, inédit… La France a exporté pour 27 milliards d’euros d’armements en 2022 ».

Comment peut-on se réjouir de voir la France être parmi les agents d’un réarmement mondial de tous les dangers ?

Que Dassault vende 80 Rafale aux petits Emirats arabes unis (EAU) est, selon le ministère des armées, « historique et exceptionnel » mais inquiétant et imbécile pour un citoyen normalement constitué d’un pays où souffle encore l’esprit des Lumières. La Grèce, elle, a acheté 6 de ces avions de combat alors que la foule gronde en voyant le pays livré aux feux et sans moyens suffisants pour lutter contre des incendies qui ravagent tout sur leur passage. Les Rafale n’éteindront pas les feux, mais pourront un jour semer la mort.

Quand le ministre, Sébastien Lecornu, ose déclarer : « l’armement français n’est pas seulement apprécié au travers du Rafale, qui avec ses armements contribue très largement à ce chiffre, il s’impose comme une référence mondiale dans un large spectre capacitaire : missiles, frégates, sous-marins, artillerie, hélicoptères, radars, satellites d’observation », la colère m’envahit. Le mot paix a disparu du dictionnaire et le gouvernement préfère le commerce des armes aux exportations de biens dits de première nécessité quand la pauvreté gagne du terrain chaque jour.

Quand M. Dassault pavoise en affichant ses résultats financiers, c’est que le monde est malade.

Jean Ferrat, reviens et chante comme tu savais si bien le faire : « Nous ne voulons plus de guerre/ Nous ne voulons plus de sang/ Halte aux armes nucléaires/ Halte à la course au néant/ Devant tous les peuples frères/ Qui s’en porteront garants/ Déclarons la paix sur terre/ Unilatéralement. »

Honte aux bellicistes !

Les mots

Ian Brossat, porte-parole du Parti communiste, a qualifié l’interview d’Emmanuel Macron sur TF1 et France 2 de lénifiante et a fustigé son vide sidéral. Lénifiante, certes, mais vide, son discours ne l’était pas. Désolé, camarade !

Enfoncer le clou en ressassant « l’ordre, l’ordre, l’ordre » pour que le peuple des banlieues (sans doute analphabète comme les ouvrières des abattoirs) comprenne bien, puis annoncer que « notre pays a besoin d’un retour à l’autorité à tous les niveaux, et d’abord dans la famille », avant de proclamer que, parmi les chantiers prioritaires, figure « l’autorité parentale » fait programme réactionnaire en faisant porter les problèmes sur les épaules des familles !

S’abstenir de condamner les déclarations du directeur de la police nationale, rendre hommage aux forces de l’ordre et souligner le « travail remarquable en particulier pendant les émeutes » à Darmanin n’est pas vide de sens, ni anodin.

Macron est peut-être à bout de souffle, mais il multiplie les mots vantant l’autorité et la répression. Il prend même, ostensiblement, ses distances avec la devise de la République, Liberté, Egalité, Fraternité, figurant dans le discours de Robespierre en décembre 1790 sur l’organisation des gardes nationales.

Il apparaît désormais que l’héritage de la Révolution lui est aussi insupportable que le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) ; il est plus proche de la devise du régime de Vichy, Travail, Famille, Patrie, quand Pétain écrivait dans la Revue des deux mondes en 1940 : « Lorsque nos jeunes gens (…) entreront dans la vie (…) nous leur dirons (…) que la liberté réelle ne peut s’exercer qu’à l’abri d’une autorité tutélaire, qu’ils doivent respecter, à laquelle ils doivent obéir (…) Nous leur dirons ensuite que l’égalité (doit) s’encadrer dans une hiérarchie, fondée sur la diversité des fonctions et des mérites (…) Nous leur dirons enfin qu’il ne saurait y avoir de fraternité véritable qu’à l’intérieur de ces groupes naturels que sont la famille, la cité, la Patrie. »

La référence n’est pas flatteuse pour un ancien assistant éditorial de Paul Ricoeur et pour un président qui se veut (encore) moderne et décomplexé. La rupture avec les engagements de son maître est totale.

Le glissement vers un régime toujours plus autoritaire se cache aussi dans le choix des mots.

La terre flambe, la France aussi

Le Tour de France (qui n’a plus de Tour que le nom, rentabilité oblige) terminé, les médias pourront peut-être aborder plus longuement les vrais sujets d’actualité quand la terre flambe. Le Tour de France, vaste entreprise capitaliste, a réussi à amener sur les routes des millions de citoyens, criant, vociférant, tendant le poing, courant aux côtés des coureurs dans les cols au risque de les gêner (ou de les faire tomber), en oubliant que les performances des premiers de cordée sont suspectes.

Vous voulez du cirque et oublier l’inflation, le chômage, l’augmentation du prix de l’énergie, allez sur les routes du Tour admirer des cyclistes qui ne marchent pas à l’eau claire ! Mais, chut, on n’en parle pas ; on applaudit et on crie.

La terre brûle sur tout le pourtour méditerranéen, mais pas seulement ; le Canada et les Etats-Unis paient un lourd tribut, eux aussi, à la folie financière qui, par ses excès, modifie le climat outrageusement.

En France, le Tour tombait à pic pour oublier un prétendu remaniement gouvernemental. Des ministres auxquels Macron n’abandonne aucun espace médiatique ont quitté leur ministère ; d’autres valets qui multiplient les problèmes avec la justice ou avec l’éthique (pour cause de conflits d’intérêts) prennent leur place. La vie continue, inchangée, et elle n’est pas plus belle pour les pauvres, toujours plus nombreux et plus pauvres. Eux n’attendaient rien de ce ‘’changement’’.

Les jeunes, eux, se débattent avec Parcousup quand ils ont réussi à aller jusqu’au baccalauréat ou avec la violence quand ils sont enfermés dans leur ghetto de banlieue. Ils continuent à subir contrôles au faciès et à traîner leur mal de vivre.

Quand ils se révoltent, leurs gestes sont inconsidérés et imbéciles ; certains osent même s’en prendre aux écoles ! La répression est féroce ; Darmanin et Dupond-Moretti ne la freinent pas et se gardent de proposer des remèdes à la hauteur de la situation. Et quand la justice ose incarcérer un policier violent, le directeur de la police nationale, rejoint par le préfet de police de Paris, ose s’indigner en s’écriant « qu’avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison ». Ni le président de la République, ni les ministres ne dénoncent ces paroles qui mettent en cause l’indépendance de la justice.

Emmanuel Macron détourne les yeux et va à des milliers de kilomètres de la métropole visiter une colonie, la Kanaky (à laquelle il avait promis l’indépendance), puis des pays de l’espace Pacifique pour tenter de faire croire à la puissance de la France. 

La terre flambe, la France aussi et la République a un président qui rêve de grandeur et de puissance ; un rêve qui ne correspond à aucune réalité politique, mais le président veut !

Le monde du libéralisme est fou. Et il brûle !

Censure

Gérald Darmanin est un ministre de l’intérieur omniprésent ; il s’occupe de tout et même de censurer un livre pour adolescent, Bien trop petit de Manu Causse, paru chez Thierry Magnier, filiale d’Actes Sud.

Le ministre, sans doute inspiré par les milieux du catholicisme intégriste, reproche à cette œuvre une « description complaisante de nombreuses scènes de sexe très explicites ».

Thierry Magnier a vivement réagi en déplorant la multiplication des censures en littérature jeunesse : « Puisqu’il présente des scènes explicites, nous avons pris soin de faire figurer sur la 4e de couverture une mention adressant ce livre à un lectorat averti, à partir de 15 ans (…)Comme tous les titres de la collection L’Ardeur, Bien trop petit explore, à sa manière, les questions de corps et de sexualité ».

Pour Darmanin et les nouvelles grenouilles de bénitier, l’éducation à la sexualité est insupportable.

En Italie aussi, les artistes ont des détracteurs. Le chef d’orchestre Alberto Veronesi qui devait diriger l’opéra de Giacomo Puccini, La Bohème, dans le cadre du Festival de Torre del Lago, est monté sur scène les yeux bandés pour « dénoncer et ne pas voir un Puccini » présenté par le metteur en scène Christophe Gayral dans le Paris de 1968.

Aussitôt, le chef d’orchestre a reçu le soutien du sous-secrétaire d’Etat à la culture, Vittorio Sgarbi, qui a osé parler de blasphème et de désacralisation, trouvant inacceptable d’utiliser la figure de Giacomo Puccini pour faire de la politique ! Il a également menacé d’écrire au président du Festival pour empêcher le spectacle.

Dans les deux cas, il s’agit d’une censure d’Etat.

Que Darmanin se comporte comme un ministre de Giorgia Meloni, dont le parti se réclame du fascisme, faut-il s’en étonner ? A Torre del Lago, on a crié à l’œuvre communiste, à Paris on a dénoncé la pornographie. En empruntant le même vocabulaire à l’extrême droite pour déclencher les réflexes les plus bas.

La culture est en grand danger des deux côtés des Alpes ! Et plus encore la démocratie, la liberté d’expression, la liberté de création et la (vraie) laïcité !

Lutter contre les inégalités

Ils sont plus de 230 économistes de diverses nationalités à avoir signé une déclaration adressée au secrétaire général de l’ONU et au président de la Banque mondiale pour les appeler à « lutter contre les inégalités extrêmes croissantes ». Joseph Stiglitz, prix Nobel, et Jayati Ghosh, professeur à l’université du Massachusetts sont à l’initiative de ce cri d’alarme, considérant que « les inégalités mondiales ont augmenté plus rapidement qu’à n’importe quel moment depuis la seconde guerre mondiale ».

Pour les éminents économistes l’objectif de développement durable pour réduire les inégalités, adopté en 2015 au sein de l’ONU, reste largement ignoré. Est-ce une surprise quand les gouvernements ultralibéraux sont de plus en plus nombreux et quand le gouvernement américain étend son ‘’soft power’’ grâce à la faveur de la guerre en Ukraine et ailleurs, sans se soucier un instant des problèmes climatiques ?

Estimant que « notre monde si divisé a si urgemment besoin aujourd’hui » de réduire les inégalités, ils demandent à leurs deux interlocuteurs se « saisir cette occasion pour soutenir des objectifs plus ambitieux et de meilleurs référentiels, tant pour la richesse que pour le revenu, ainsi que les parts salariales du revenu national (…) Cela enverrait un signal clair de notre ambition collective de forger un monde plus égalitaire ».

Il est encore permis de rêver, mais, hélas, le méprisant Emmanuel Macron, lui, ne rêve pas. Il appliquera son programme de casse des héritages du CNR jusqu’au bout. La déclaration des économistes du monde entier finira dans les panières à papier de l’Elysée, comme le rapport Borloo.

Les pauvres seront toujours plus pauvres et plus nombreux. Sauf si les pauvres, qui n’ont plus rien à perdre, se rebellent pour s’engager dans un nouveau mouvement social, plus déterminé encore que celui du refus de la réforme des retraites.

Copains, coquins ! Ou les affaires (suite)

Les ultra-libéraux voudraient bien supprimer la liberté de la presse. Certes, elle est bien âbimée par les milliardaires qui ont racheté tous les principaux médias. Néanmoins, ils n’ont pas encore réussi à museler tous les titres et tous les journalistes.

C’est ainsi que la correspondante du Monde outre-Atlantique, Corine Lesnes, est allée recueillir des informations à la source, c’est-à-dire aux Etats-Unis à propos de l’embauche de Fiona Scott Morton à la Commission européenne. Elle rapporte son entretien (rapide) avec Matt Stoller, directeur d’un projet baptisé American Enonomic Liberties. Son interlocuteur connaît bien Mme Fiona Scott Morton et son avis pourrait se résumer par : « Elle représente un cheval de Troie pour Big Tech. » Imparable !

L’interviewé a résumé en quelques phrases la pensée économique de l’impétrante : « Elle est bien connue dans le domaine spécialisé de l’économie de la concurrence. La concurrence et les consommateurs sont secondaires dans sa réflexion. Je la connais et j’ai trouvé certains de ses travaux utiles, mais d’autres trop soumis au pouvoir des entreprises. Sa philosophie est que les grandes entreprises sont efficaces et que les experts économiques suffisent à édicter des réglementations pour protéger les consommateurs. C’est pourquoi elle travaille pour Amazon, Apple et Microsoft, entre autres, en tant que consultante. Elle s’oppose à la dissolution des grandes sociétés ou à toute mesure visant à remettre en question leur pouvoir. Cet article de 2019, intitulé ‘’Breaking up Facebook probably won’t work’’ (La dissolution de Facebook ne fonctionnera probablement pas.), offre un bon aperçu de sa pensée. »

Matt Stoller dénonce aussi un (gros) mensonge. Fiona Scott Morton a prétendu être une consultante indépendante, mais la nature de ses liens avec un cabinet de lobbying sont avérés : « Charles River Associates (CRA) est un cabinet de lobbying qui défend les intérêts des monopoles des grandes entreprises technologiques et d’autres grandes entreprises auprès des juges et des régulateurs. Scott Morton travaille pour CRA en tant que responsable des relations publiques pour ce type de sociétés. Par exemple, elle a rédigé un document rendu public soutenant l’acquisition par Microsoft d’Activision, la plus grande fusion technologique de tous les temps. »

La Commission européenne peut-elle ignorer ces quelques ‘’détails’’ du CV de celle qu’elle vient d’embaucher ?

Les affaires, rien que les affaires

Il est curieux que des ministres d’Emmanuel Macron s’étonnent de la nomination d’une lobbyiste américaine en tant que chef économiste de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne.

Fiona Scott Morton a été présentée comme la meilleure des candidats au poste ; le prix Nobel d’économie (ultralibérale), Jean Tirole, avance que c’est une chance pour l’Union européenne de pouvoir recruter quelqu’un de son calibre. 

Quel panégyrique !

L’heureuse recrutée est-elle la petite protégée de la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager ? Cela suffit visiblement pour fouler aux pieds la règle qui veulent que la Commission ne recrute que des hauts fonctionnaires issus des pays de l’Union européenne. Peu importe que Mme Scott Morton soit une lobbyiste très active qui a travaillé pour Apple, Microsoft et Amazon alors que l’Europe est en discussion pour réguler les plateformes numériques. Peu importe qu’elle ait travaillé pour trois cabinets de lobbyistes à Bruxelles : le porte parole de l’UE a affirmé que la décision a été prise et qu’il n’y a pas de raison de la reconsidérer. Circulez, …

En France, il n’y a que quelques ministres pour s’offusquer. Le président de la République qui décore Jeff Bezos de la Légion d’honneur, qui reçoit (souvent) Elon Musk et les autres patrons des géants américains du numérique lors de Viva Tech ou Choose France, qui reçoit des chefs peu fréquentables comme Mohammed ben Salmane ou Narendra Modi pour leur vendre quelques Rafale et autres armements qui coûtent un pognon de dingue, lui, reste très discret.

La position de la Commission (La décision a été prise ; nous ne voyons pas de raison de la reconsidérer) résonne comme une ‘’petite phrase’’ du président de notre République. Qu’a-t-il fait avec sa réforme des retraites ? Ou de l’emploi ? Ou de l’école ?

Le libéralisme, où qu’il règne, n’admet plus les contradictions et, dans une période de crise systémique, il s’affranchit allègrement de toutes les règles qui pourraient entraver les grands groupes et leur pouvoir. C’est sa marque et son dogme. Seuls les quelques élus du système, les ultra-riches savent ce qui est bien pour leur régime, quel que soit le prix à payer pour les peuples. Et il n’y a pas d’alternative !

A Bruxelles, à Paris et ailleurs.

Le cas de Mme Fiona Scott Morton n’est qu’un épisode de plus dans l’expression de l’autoritarisme ambiant. Comme la remise de la Légion d’honneur à M. Pouyanné, le patron de Total. Comme l’enterrement d’un rapport sur le racisme dans la police ou du rapport Borloo sur les banlieues.

Mensonge et autoritarisme favorisent-ils les populismes ? Ils ont les yeux fixés sur les cours de la bourse et s’accommodent de la montée du racisme et du rejet de l’autre. Quoi qu’ils disent !

Notre fête nationale célèbre une émeute !

L’Humanité est aujourd’hui le seul média capable de rappeler que, oui, « notre fête nationale célèbre une émeute » et que « le 14 juillet qui se prépare est une fiction » avec une brillante interview d’Eric Vuillard, prix Goncourt et auteur entre autres de 14 Juillet.

Aujourd’hui, il n’est pas inutile de remettre l’histoire de France à l’endroit parce que la fête nationale est un événement « en quelque façon impossible de commémorer. Le 14 juillet qui se prépare est une fiction (…) Il est tout à fait improbable qu’une seule personne parvienne à entr’apercevoir, serait-ce même une caricature de la Révolution française, à travers une poignée de canons Caesar, un déploiement exceptionnel des forces de l’ordre autour des quartiers populaires, et un discours du chef de l’État. Tout cela fait partie d’une représentation illusoire, postiche. Nous aurons donc un 14 Juillet officiellement contre le peuple, contre les banlieues. Un 14 Juillet pour vendre quelques Rafales supplémentaires à l’Inde, nos fameuses « forces morales ».

Eric Vuillard revient aussi à Victor Hugo qui, dans Les Misérables, « définit l’émeute, réputée aveugle, ignorante de ses causes et de ses désirs, comme le premier pas vers un mouvement révolutionnaire, il se refuse à la disqualifier (…) Il en fait une vérité abrupte, raboteuse, mais impérissable, qui revient sans cesse, contre un impôt scélératou une énième violence de l’ÉtatElle est la réfutation spontanée, récurrente de ce qui opprime, une menace à l’ordre établi. Ainsi, ne peut-on pas voir dans le soulèvement de ceux qu’offusque la mort d’un jeune homme, un chapitre déchirant de cette sourde douleur qui traverse la vie sociale ? Et ne peut-on pas voir dans le fait que la plupart des personnes arrêtées étaient « sans antécédents judiciaires »non seulement un démenti flagrant de ceux qui attisent le mépris social, mais le signe d’une colère qu’il n’est pas indigne de partager ? »

Eric Vuillard dénonce « une époque sans précédent d’accroissement des inégalités, de concentration du pouvoir entre quelques mains, et la domination d’un petit groupe de privilégiés est sur le point de devenir mondiale. Nous assistons à une régression idéologique d’avant les Lumières. C’est pourquoi, dans le contexte où nous sommes, la pensée des Lumières redevient une ligne de défense. Contre les tenants hypocrites de Machiavel, il faut s’en tenir à Montesquieu et à Rousseau. »

Eric Vuillard voit dans la France d’aujourd’hui une guerre civile contre les nuisibles, contre la majorité des gens, avec des Bolloré qui cherchent à « s’approprier toute la chaîne du savoir » pour accélèrer la régression idéologique et nous asservir davantage.

Les paroles d’Eric Vuillard sont d’une grande lucidité et plutôt réconfortante dans le climat qu’on tente d’instaurer en France. Il y a encore des intellectuels pour se rébeller et appeler à la mobilisation contre toutes les régressions, contre le racisme et l’exclusion : « Le discours critique à l’égard des Lumières, qui était jadis émancipateur et souhaitait aller au-delà des exigences trop formelles des philosophes, doit aujourd’hui se raviser ; il faut défendre ces exigences formelles, puisqu’elles sont à présent menacées. »

La mobilisation de tous pour prendre la Bastille d’aujourd’hui est impérieuse pour pouvoir enfin célébrer une émeute émancipatrice.

C’est clair

Pap Ndiaye est le seul ministre à avoir eu le courage de s’exprimer à propos du traitement de l’information dans les médias de Vincent Bolloré. Sur Radio J, il a qualifié le Breton de « personnage manifestement très proche de l’extrême droite la plus radicale ». Il n’a pas hésité à affirmer : « Quand vous regardez CNews, quand vous regardez ce qu’est devenu Europe 1, quand vous regardez cet ensemble-là, la conclusion s’impose. Oui, CNews, c’est très clairement d’extrême droite. Je pense qu’ils font du mal à la démocratie, il n’y a aucun doute », avant d’apporter son soutien aux personnels du Journal du dimanche.

Aussitôt le parti d’Eric Ciotti réagissait en appelant honteusement à « protéger la liberté d’expression », fustigeant « l’esprit étriqué des wokistes », pour qui, selon lui, « la liberté d’expression exclut la liberté de penser. Nous apportons notre soutien inconditionnel aux rédactions de CNews et d’Europe 1 ! »

Ce petit bonhomme coincé et dangereux ne craint pas le ridicule !

Du côté du Rassemblement national, Hélène Laporte, députée et vice-présidente de l’Assemblée nationale, a fait dans la surenchère : « Propos honteux de Pap Ndiaye, qui qualifie CNews et Europe 1 d’extrême droite. Au lieu de s’attaquer au pluralisme des médias, le ministre de l’éducation nationale devrait travailler à enrayer la baisse constante du niveau scolaire ! » 

Au moins, c’est clair. Bolloré a les amis qu’il mérite.

Le lynchage d’Izïa

Les propos d’Izïa sont violents ; la fille de Jacques Higelin et de l’artiste tunisienne Aziza Zakine a du caractère et la fibre sociale. Elle rejette comme beaucoup de jeunes la politique d’Emmanuel Macron et le crie avec ses mots.

Ses propos sont violents mais il s’agit d’une provocation en réponse aux violences de la société vis-à-vis des jeunes des banlieues, des immigrés, des chômeurs mais aussi de tous les salariés précaires et invisibles, des professionnels de santé, des enseignants et même des députés privés de leurs prérogatives de voter les lois, etc. La France de 2023 est violemment autoritaire et les gens de pouvoir ne supportent aucune contestation.

Comme l’écrivait Victor Hugo dans son pamphlet Napoléon le Petit, « le curieux, c’est qu’ils veulent qu’on les respecte. » L’opposant à Napoléon III dresse un tableau sévère d’une prétenue république  : « Donc « le parlementarisme », c’est-à-dire la garantie des citoyens, la liberté de discussion, la liberté de la presse, la liberté individuelle, le contrôle de l’impôt, la clarté dans les recettes et dans les dépenses, la serrure de sûreté du coffre-fort public, le droit de savoir ce qu’on fait de votre argent, la solidité du crédit, la liberté de conscience, la liberté des cultes, le point d’appui de la propriété, le recours contre les confiscations et les spoliations, la sécurité de chacun, le contrepoids à l’arbitraire, la dignité de la nation, l’éclat de la France, les fortes mœurs des peuples libres, l’initiative publique, le mouvement, la vie, tout cela n’est plus. Effacé, anéanti, disparu, évanoui ! » Faut-il changer un seul mot pour parler de la France d’aujourd’hui ?

Izïa a forcé le trait en imaginant Emmanuel Macron accroché à 20 mètres du sol puis jeté à terre, bref lynché par le peuple. On n’imagine pas cet épisode, Izïa a seulement voulu frapper les esprits et appeler au réveil des consciences. D’ailleurs la chute de l’intervention d’Izïa est sans équivoque : « Je vois déjà le gros titre de Nice-Matin demain : Izïa appelle au meurtre de Macron ». Sa diatribe a fait la ‘’une’’ de tous les médias, pas seulement de Nice-Matin. La police et la justice de Macron ont aussitôt tenté d’appréhender la ‘’meurtrière’’.

Les propos d’Izïa sont violents, mais il s’agit d’une provocation en réponse aux violences de la société. Et, on finit toujours par revenir à Victor Hugo : « Oui, on se réveillera ! Oui, on sortira de cette torpeur qui, pour un tel peuple, est la honte ; et quand la France sera réveillée, quand elle ouvrira les yeux, quand elle distinguera, quand elle verra ce qu’elle a devant elle et à côté d’elle, elle reculera, cette France, avec un frémissement terrible, devant ce monstrueux forfait qui a osé l’épouser dans les ténèbres et dont elle a partagé le lit. »

Izïa aura participé à ce réveil !

Pauvre Valérie Pécresse

La comparaison est osée, mais je crois pouvoir écrire que Valérie Pécresse vient d’émettre une fatwa (peu glorieuse) à l’encontre d’Angela Davis. Plus curieux encore, la présidente de la région Île-de-France l’a prononcée au nom de la défense de la laïcité, elle, l’ancienne élève de toutes les écoles catholiques intégristes.

Quelques jours après les obsèques de Nahel, victime du tir d’un policier, Valérie Pécresse a débaptisé le lycée Angela Davis de Saint-Denis pour le renommer Rosa Parks. Autoritairement et de manière antidémocratique, en tentant de montrer ses petits muscles. Une ridicule opération de bas étage, digne d’une petite personne à la recherche d’une notoriété perdue.

L’affaire couvait depuis le mois de mars quand le conseil régional publiait une déclaration affirmant que « les différents propos d’Angela Davis critiquant la laïcité et la législation françaises nous amènent à proposer une modification de la dénomination de cet établissement ». Valérie Pécresse argumentant en déclarant : « Certaines prises de position d’Angela Davis vis-à-vis des lois de la République et de l’Etat français font qu’il ne me semble pas judicieux de donner le nom Angela Davis au lycée (…) j’ai saisi le ministre de l’éducation nationale de cette question mais il a choisi de détourner les yeux des sujets de laïcité » »

Angela Davis avait irrité la présidente de la région en signant une tribune en 2021 avec six cents universitaires de tous les pays dans laquelle on pouvait lire : « Cette mentalité coloniale se manifeste dans les structures de gouvernance de la France, en particulier vis-à-vis des citoyens.ne.s et des immigré.e.s racisé.e.s ».

Les réflexions de Pécresse sont lentes. Le lycée porte le nom d’Angela Davis depuis son ouverture en 2017 ; son conseil d’administration s’est prononcé en vain contre la décision de la présidente de la région. Le ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, a jugé inopportun « de changer le nom du lycée Angela Davis (…) une grande figure du mouvement pour les droits civiques, dont personne n’est obligé de partager tous les points de vue, mais qui peut cependant figurer sur les frontons de nos écoles ».

Valérie Pécresse se joint à Eric Ciotti pour tenter de redonner des couleurs à son parti en fouillant dans les poubelles de l’histoire ; elle tente de se refaire une réputation après son piètre score à l’élection présidentielle. En faisant un clin d’oeil à l’électorat de l’extrême droite. Les bourgeois ne changeront donc jamais ?

C’est une très médiocre opération politicienne. Inutile d’aller plus loin ; c’est vil et bas. Les lycéens, leurs parents et les enseignants du lycée Angela Davis n’en peuvent plus ! 

Besoin urgent !

L’état de santé d’une démocratie se mesure entre autres à l’état de santé de ses médias. En France, les motifs d’inquiétude sont nombreux et nombreux sont ceux qui déplorent le mauvais traitement de l’information.

La profession de journaliste est secouée par de multiples grèves (au Journal du dimanche, à France Télévisions), et par des climats délétères dans les quotidiens de Bernard Arnault (Les Echos et le Parisien), à Radio France et à France Bleu, etc. Le malaise est patent dans presque toutes les rédactions, où les journalistes souffrent des mêmes maux que les enseignants, les soignants, les greffiers dans les tribunaux, etc., qui se voient imposer des décisions contraires à l’intérêt public et se voient intimer l’ordre de se taire ! Et gare aux rebelles !

Si les conditions de travail dans les rédactions sont contestées, elles sont alimentées par les interventions régulières des hiérarchies sur les contenus, mais aussi par les actes de censures plus ou moins discrètes (parfois directes) pratiquées aussi bien par les directions des médias que par les pouvoirs publics à l’encontre de toutes les paroles contestataires.

Le traitement des mouvements sociaux contre la réforme des retraites n’a pas été un modèle d’information complète, vérifiée et mise en perspective malgré le rejet très majoritaire de la mesure, l’unité syndicale et la multiplication de fortes manifestations ; les événements qui ont suivi la mort de Nahel et l’embrasement des banlieues ont donné lieu à des comptes-rendus identiques à ceux de 2005, c’est-à-dire univoques, avec un traitement factuel ne permettant pas aux citoyens de se faire leur propre opinion. Le parti de l’Ordre a une fois encore imposé sa vision des choses.

La concentration des médias limite le pluralisme des idées et pas seulement dans les médias de Vincent Bolloré. L’audiovisuel public aussi est critiquable. Les grands médias sont ‘’colonisés’’ et leurs personnels sont priés d’obéir et de s’en tenir à une vision du monde définie par les propriétaires-actionnaires.

C’est dans ce contexte qu’aucune rédaction n’a voulu remarquer (et rendre compte) d’un Appel pour la jeunesse populaire qui, excusez du peu, a été signée par dix organisations, la CGT, la FSU, Solidaires, Attac, le MRAP, Coudes à coudes, la Fondation Copernic, la Libre pensée, Mémorial 98 et Droit au logement. 

Evidemment, les signataires sont allés plus loin que la dénonciation des violences. Ils ont établi un constat de ce que la jeunesse des banlieues subit au quotidien (racisme, préjugés, discriminations, violences), c’est-à-dire un « climat idéologique d’ensemble qui stigmatise en particulier les musulmans et les musulmanes. »

Après avoir dénoncé « la relégation sociale de la jeunesse populaire (…) résultat de politiques qui ont trop souvent oublié la jeunesse et participé à sa marginalisation » et « les coupures de subvention, et un contrôle de plus en plus renforcé sous prétexte du respect des principes républicains » dont sont victimes les associations, les signataires ont formulé des propositions : besoin de services publics, plan d’investissement pour l’école, les transports, le logement, l’emploi, programmes de prévention et de lutte contre les discriminations dans les établissements scolaires, évaluation et réflexion autour des programmes scolaires, etc.

Les citoyens n’ont rien vu, entendu et lu à propos de cet Appel. Est-ce un hasard quand le pouvoir ne parle que de répression, de fermeté, de confiscation des allocations familiales aux parents de jeunes ‘’émeutiers’’, et joint sa voix aux pires déclarations de Le Pen et Ciotti !

Pour briser ce mur du silence, les citoyens ont besoin d’urgence de médias indépendants des milieux industriels et financiers et de tous les pouvoirs.

La gauche interpellée

La bête immonde s’est emparée des émeutes dans les banlieues et fait dans la surenchère raciste. Deux syndicats de police, Alliance (affilié à la CFE-CGC) et UNSA ont cosigné un communiqué dénonçant les « hordes sauvages » ; pour les deux organisations « l’heure n’est pas à l’action syndicale mais au combat contre ces ‘’nuisibles’’ », ajoutant « se soumettre, capituler et leur faire plaisir en déposant les armes ne sont pas la solution ».

Cet appel à la guerre civile est si odieux que les deux confédérations syndicales ont simplement désavoué leurs syndicats de policiers, quand la seule solution aurait été de les exclure. 

Les racistes, membres ou anciens membres du Front national ou du Rassemblement national, les proches de Zemmour, suivis par les Républicains se lâchent et déversent les insultes les plus infâmes, multipliant leurs slogans simplistes et guerriers (les hordes sauvages, les nuisibles, ne pas déposer les armes). Les chaînes d’information en continu (et, hélas, les autres) raffolent de ces petites phrases et les relaient sans retenue, se refusant de prendre le recul vis-à-vis d’arguments tombant sous le coup de la loi.

Dans cette surenchère politicienne, Jean Messiha a décroché le premier prix en lançant une cagnotte pour les proches du policier qui a tiré sur Nahel et se félicite d’avoir atteint plus de 800 000 euros en quelques heures ; ainsi conforté, il a cru pouvoir ‘’twitter’’ : « Ce soir les gaucho-collabos font une syncope. Tenez-vous bien ; la cagnotte que j’ai lancée pour la famille du policier Florian M. dépasse celle créée en faveur de la mère de Nahel ». Le multi-condamné, faut-il le rappeler, est chroniqueur sur CNews, la chaîne Bolloré !

Dans le contexte, la voix de François Dubet, le sociologue, n’est relayée que par quelques médias. Pour lui, « c’est la répétition des événements qui devrait nous interroger ». Il constate dans Le Monde que les relais (élus, militants associatifs, enseignants, travailleurs sociaux, partis, syndicats, etc.) ont disparu à quelques exceptions près : « Nous sommes passés d’une société dans laquelle les individus étaient définis par leur travail à une société dans laquelle ils le sont par leur niveau d’exclusion » et il ajoute : « Les émeutes des banlieues sont un problème social, mais elles ne débouchent pas sur l’émergence d’un acteur ». Puis, il tire de cette situation une conclusion inquiétante : « Personne ne « fait le jeu » de personne, mais comment ne pas voir que l’extrême droite et une partie de la droite construisent un récit parfaitement raciste dans lequel la question des banlieues est, avant tout, une affaire culturelle et nationale, dans lequel le maintien de l’ordre est la fin de toute politique ? Quand les images de violences passent en boucle sur les réseaux et les écrans, on peut craindre que, sans trop dire et sans rien faire, l’extrême droite tire les marrons du feu. »

La situation est grave. Où est la gauche ? Question récurrente !

A qui la faute ?

La question enflamme le débat. A la droite, qui, pour s’exonérer de ses responsabilités, incrimine les parents et fustige les ‘’étrangers’’ (tous délinquants et voyous), les éducateurs (qui connaissent, eux, les protagonistes), les intellectuels et une partie de la gauche mettent en cause la politique oubliée des banlieues (Où est le rapport Borloo, par exemple ?).

La droite et la minorité présidentielle qui ont la mémoire sélective (et souvent très courte), devraient relire Victor Hugo et plus particulièrement ‘’L’année terrible’’, recueil de 97 poèmes écrits en exil en 1872, peu après la guerre contre la Prusse et l’insurrection de la Commune de Paris. Dans l’un d’eux, ‘’A qui la faute ?’’, le poète a une réponse qui résonne encore aujourd’hui :

« Tu viens d’incendier la Bibliothèque ? — Oui. 
J’ai mis le feu là. — Mais c’est un crime inouï ! 
Crime commis par toi contre toi-même, infâme ! 
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme ! 
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler ! 
Ce que ta rage impie et folle ose brûler, 
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage ! 
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage. 
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi. 
Une bibliothèque est un acte de foi 
Des générations ténébreuses encore 
Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore. 
Quoi ! dans ce vénérable amas des vérités, 
Dans ces chefs-d’œuvre pleins de foudre et de clartés,


Dans ce tombeau des temps devenu répertoire, 
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire, 
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir, 
Dans ce qui commença pour ne jamais finir, 
Dans les poètes ! quoi, dans ce gouffre des bibles, 
Dans le divin monceau des Eschyles terribles, 
Des Homères, des Jobs, debout sur l’horizon, 
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison, 
Tu jettes, misérable, une torche enflammée ! 
De tout l’esprit humain tu fais de la fumée ! 
As-tu donc oublié que ton libérateur, 
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur ; 
Il luit ; parce qu’il brille et qu’il les illumine, 
Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine 
Il parle, plus d’esclave et plus de paria. 
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria. 
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille 
L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ; 
Ebloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ; 
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ; 
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître, 
Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître 
A mesure qu’il plonge en ton cœur plus avant, 
Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ; 
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ; 
Tu te reconnais bon, puis meilleur ; tu sens fondre, 
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs, 
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !


Car la science en l’homme arrive la première. 
Puis vient la liberté. Toute cette lumière, 
C’est à toi, comprends donc, et c’est toi qui l’éteins ! 
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints. 
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle 
Les liens que l’erreur à la vérité mêle, 
Car toute conscience est un nœud gordien. 
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien. 
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte. 
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute ! 
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir, 
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir, 
Le progrès, la raison dissipant tout délire. 
Et tu détruis cela, toi ! 
— Je ne sais pas lire. »