La Chouette qui hioque

Mois : janvier 2022

Salut Hélios

Aujourd’hui (et depuis hier), j’ai du vague à l’âme ; un vieux copain nous a quitté et quel copain.

On s’était connu dans la rédaction du journal de mes débuts, Les Dépêches, à Dijon. Lui avait débuté dans la carrière quelques années plus tôt.

Il avait une coquetterie, se faire appeler Hélios et non Jean-Hélios. Mais en toute modestie. Il était un véritable homme de culture, ami de Pierre Debauche, le fondateur du Théâtre des Amandiers à Nanterre ; ils avaient créé ensemble un festival de théâtre à Pontarlier.

Hélios était un fervent défenseur de l’éducation populaire et, sans doute, était-ce cela qui l’avait orienté vers le journalisme.

Ensemble, nous avions fondé une section syndicale CGT dans la rédaction des Dépêches. Forcément, cela crée des liens d’amitié forte et sincère.

Ensuite, la folie concentrationnaire de la presse régionale nous avait séparé, mais on ne s’était jamais perdu de vue. Il y a quelques mois, il m’avait envoyé un recueil de nouvelles qu’il avait éditées à compte d’auteur. Elles valaient bien mieux, mais quel éditeur aurait osé publier les nouvelles d’un inconnu des milieux littéraires, très éloigné des boursouflures comme Houellebecq ou Musso. Il avait également commis un livre sur la guerre d’Algérie, cette saloperie de guerre qui a marqué notre jeunesse et nous a poussé à nous engager dans la construction d’un monde de paix et de bonheur.

Le bonheur, c’était ce qu’Hélios poursuivait ; un mot qu’on retrouve dans le titre de son recueil de nouvelles, L’Utopie du Bonheur. Il avait explicité ce titre par une citation de Voltaire : « Un jour tout sera bien : voilà notre espérance ; tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion. »

Un cancer a emporté mon ami Hélios, refusant une deuxième chimiothérapie. Et je suis profondément attristé.

Salut Hélios.

La FIAC et la manifestation

La France qui lutte, celle qui manifeste aujourd’hui (malgré les entraves du préfet Lallemant) ne commentera pas l’information : Art Basel remplace la FIAC.

La FIAC est la Foire international de l’art contemporain et seuls les riches et les ultra-riches y font leur marché, comme Bernard Arnault et François Pinault. Pour les citoyens, la FIAC, c’est seulement une exposition d’œuvres dans les jardins des Tuileries et quelques rares autres lieux à Paris. 

La FIAC, c’est le moyen mis à dispotion des galeries d’arts de montrer aux riches et ultra-riches des artistes confirmés et d’autres, inconnus, mais dont on estime qu’ils seront reconnus dans quelques années (autrement dit, dont il faut acquérir des œuvres aujourd’hui quand les prix sont bas pour faire une belle opération financière ensuite).

Le citoyen est étranger à cette foire du fric. Il est tenu à l’écart de l’art contemporain, domaine réservé aux riches et aux ultra-riches.

Alors, pourquoi parler de l’information : Art Basel remplace la FIAC ?

La Réunion des musées nationaux (RMN-Grand Palais) avait lancé un appel d’offres pour l’organisation d’une foire de l’art contemporain ; autrement dit pour la vendre au plus offrant, estimant sans doute que l’actuel propriétaire, le groupe Reed, n’était plus à la hauteur de ses attentes.

Et, par un pur hasard, c’est James Murdoch, le fils du sulfureux magnat des médias, Rupert Murdoch, déjà en charge d’Art Basel et d’autres foires à Miami et Hongkong qui emporté la FIAC.

La morale de cette information est double : la RMN, dont les subventions sont régulièrement en baisse, n’a pas eu d’autre solution que de se vendre la FIAC à celui qui lui rapportera encore plus. Au royaume de l’art contemporain, ce sont les ultra-riches qui sont à la fête. Au grand désespoir des ‘’petits’’ riches.

De nombreux galeristes, ceux qui recherchent les nouveaux talents, s’inquiètent en effet de cette privatisation de ‘’leur’’ foire : les tarifs des stands risquent de s’envoler et, disent-ils, de porter atteinte à la diversité des œuvres présentées, donc à la création. Ils redoutent également la perte d’identité de la foire parisienne.

Quand le fric-roi investit tous les domaines de la vie…

Les manifestations d’aujourd’hui ne sont pas tellement étrangères à l’attribution de la FIAC à Murdoch.

Le combat pour l’émancipation

Emmanuel Macron aura ‘’abîmé la démocratie’’ au cours de son quinquennat par une politique antisociale et liberticide, mais aussi en insultant les citoyens et en exacerbant les tensions à coups de petites phrases, longuement réfléchies. Le prétendu homme jeune, bousculant les vieilles habitudes et les clivages droite-gauche n’aura fait illusion qu’un bref instant.

Vouloir emmerder les anti-vaccins n’était qu’une formule politicienne. Le résultat est catastrophique : la vieille France, rance et fascisante, catholique traditionnaliste et anti-républicaine a puisé de nouvelles forces dans cette provocation d’un président de la République aux abois.

Cette France, héritière des ligues nationalistes, pétainiste, s’exprime ouvertement et de façon inquiétante. Des affiches ont été placardées sur les murs de bibliothèques parisiennes, baptisées ‘’Certificat de Collaboration’’ sur lesquels on peut lire :

« Certificat de Collaboration délivré à Bibliothèque … Pour vous remercier d’avoir collaboré avec l’Etat Français et avoir appliqué l’apartheid sanitaire avec obéissance et docilité. Sans craindre de violer l’article 1 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 : ‘’Tous les êtres humains naissent libres et égaux en droit et en dignité’’. Quel courage ! »

Ces affiches, faussement signée de la préfecture de Paris, sont anonymes, comme les lettres qui, en 1942, dénonçaient des juifs.

Cette référence à l’Occupation nazie et aux vrais collabos des troupes allemandes est scandaleuse ; on mesure là l’impact des idées de Le Pen et Zemmour sur une frange de citoyens.

Accuser les bibliothécaires de collaboration quand ils et elles font un travail admirable pour éradiquer l’ignorance en encourageant les citoyens à lire, nous replonge dans les années les plus sombres de l’Inquisition, puis de la barbarie nazie. Macron, l’imposteur et le provocateur, participe à un recul de civilisation, tout en feignant de combattre Le Pen et Zemmour.

Retrouver l’esprit de la France des Lumières est d’une urgence vitale aujourd’hui, dans ce climat délétère qui s’est installé dans le débat public.

On ne peut se satisfaire d’un état de fait, dénoncé, dans Télérama, par l’historien Gérard Noiriel à propos de l’immigration (mais la formule s’applique aussi bien ici) :

« Vu l’état du discours public, on ne peut que constater l’échec de tous ceux qui espèrent apaiser le sujet par la connaissance. »

Apaiser le sujet par la connaissance ? Un beau programme, qui ne vaut pas que pour la situation sanitaire. Gérard Noiriel en a fait un combat au quotidien pour « faire évoluer les regards et les mentalités » à propos de l’immigration :

« La tradition française gomme les origines au profit de l’appartenance à la nation. Peu de gens savent que plus de 25 % des Français ont des origines étrangères, ou que nous étions, en 1930, le pays du monde comptant le plus d’immigrés, davantage que les États-Unis. La France s’est construite avec et grâce à eux. »

Retrouver l’esprit des Lumières, mais également celui de la Résistance. S’engager dans le combat pour l’émancipation. Ne pas se complaire dans la dénonciation des idées les plus réactionnaires. Retrouver l’esprit des Hussards noirs de la République. Quel beau combat d’aujourd’hui pour demain ?

Toute honte bue…

Toute honte bue, l’avocat sulfureux Gilbert Collard trahit Marine Le Pen et se rallie à Eric Zemmour. 

Toute honte bue, Eric Zemmour tresse des louanges à Vincent Bolloré (on n’en attendait pas moins, tant il lui est redevable) et lui rend un hommage qui laisse pantois :

« Je sais que, pour en avoir discuté avec lui, Vincent Bolloré est très conscient du danger de civilisation qui nous guette, de remplacement de civilisation (…) Il veut léguer à ses enfants et à ses petits-enfants la France qu’on lui a léguée (…) Il a un sentiment de mission, absolument. C’est très noble chez lui (…) Il y en a d’autres qui ne comptent que leur argent, qui s’installent à l’étranger, qui considèrent qu’ils ne sont plus vraiment Français. Moi, je préfère quelqu’un de patriote qui veut défendre la France. Et je lui rends hommage. »

Toute honte bue, les cadres du Rassemblement national crachent désormais sur Collard.

Toute honte bue, Vincent Bolloré a humilié les membres de la commission sénatoriale d’enquête sur les concentrations dans les médias.

Toute honte bue, Bernard Arnault a menti devant la même commission prétendant n’avoir jamais fait d’offre de rachat de Paris Match et du Journal du dimanche à Arnaud Lagardère, avant de se raviser et de faire porter le lendemain un démenti. Suffisant pour le président de la commission pour ne pas poursuivre l’homme le plus riche de France qui avait prêté serment.

Pauvre monde, celui des ultra-riches, pauvre monde celui de l’extrême droite (si proche l’un de l’autre) ; leur arrogance, leur mépris et leurs mensonges, le citoyen n’en veut plus. Il crie assez et seule la gauche ne l’entend pas.

Mirko Sabatino

Je viens de découvrir le premier roman d’un (encore) jeune éditeur italien et j’avoue avoir été enthousiasmé à sa lecture.

L’auteur s’appelle Mirko Sabatino et son livre a pour titre ‘’L’été meurt jeune’’.

Il s’agit de la chronique d’un village des Pouilles, pauvre et très conservateur, comme il y en a sans doute beaucoup d’autres, avec « une place, une église, une épicerie, une boucherie, un café, une boulangerie, une école primaire, un collège, un kiosque à journaux, un dispensaire, un centre vétérinaire, un magasin de vêtements et de chaussures bon marché, les maisons blanches et basses. Et les ruelles. »

Et, surtout, trois jeunes enfants d’une douzaine d’années (on est en 1963), Mimmo, Damiano et Primo, le narrateur, liés par une balle amitié et par un pacte. L’espace d’un été, ils vont passer brusquement à l’âge adulte, sans passer par l’adolescence, au gré d’incidents et de drames, au cours desquels ils décident d’assumer leurs responsabilités d’hommes face aux turpitudes de voyous, d’un curé pédophile et d’une société foncièrement patriarcale, avec ses secrets de famille lourds à porter.

Mirko Sabatino a un formidable talent de conteur et si, en exergue de son roman, il rend hommage à ses maîtres, c’est surtout le style d’Ernest Hemingway dont il est le plus proche. L’écriture est fluide et tous les mots sont justes.

Il y a quelques années, j’avais découvert avec la même ferveur Silvia Avallone et son premier roman, ‘’D’acier’’. On y retrouve le même engagement social pour les petites gens et le même attachement à sa terre natale.

Les romanciers italiens n’ont pas fini de nous faire adorer la lecture.

Hedge Fund

La lecture des publications comme Les Echos ou La Tribune requiert d’avoir un dictionnaire économique à portée de main et quelques solides connaissances en langue anglaise.

Un titre, ce matin, m’a interpellé : « Le hedge fund TCI est le nouveau leader de l’activisme mondial » et le chapeau de l’article m’a encore davantage plongé dans le « plus profond abyme que les gouttes d’eau de la mer » (Victor Hugo) : « TCI, le hedge fund activiste de Chris Hohn, a généré 9,5 milliards de dollars de profits pour ses clients en 2021, un record mondial pour le secteur des fonds alternatifs. Il détient un portefeuille concentré de participations dans les géants de la tech, le chemin de fer et les agences de notation. »

Heureusement Internet est venu à mon secours.

D’abord, qu’est-ce qu’un hedge fund ? Rien de plus simple : il s’agit d’un fonds d’investissement soumis, scandaleusement, à moins de régulation que les autres fonds, réservé aux plus riches (le ticket d’entrée est en général d’au moins 500 000 dollars), sur une période d’au moins deux ans. Les hedge fund sont très rentables car ils prennent des participations dans des groupes à risque ; à la suite de quoi, ils imposent des mesures drastiques pour générer des dividendes monstrueux.

Ils bénéficient donc de l’absence de règles ; c’est un pur produit de l’ultralibéralisme.

Ensuite, que signifie TCI ?

The Children’s Investment Fund a été créé par un Britannique, Sir Christopher Anthony Hohn ; il réalise des profits énormes pour la 13e année consécutive : 23,3 % en 2020, soit 9,5 milliards de dollars.

On ne s’étonnera pas que les Echos restent muets sur les raisons de tels gains, à savoir, réorganisations des groupes, licenciements, dénonciation des droits sociaux, délocalisations, etc. Rien de très original, donc. Mais rien de très moral.

Alors, pour se donner bonne conscience, Sir Chris Hohn fait dans le caritatif et se proclame philanthrope en créant la Children’s Investment Fund Foundation, pour l’amélioration de la vie des enfants vivant dans la pauvreté dans les pays en développement (sic).

La philanthropie est très tendance chez les milliardaires, histoire de faire oublier les mauvais coups portés aux pauvres salariés licenciés sous la pression des ‘’hedge fund’’. Sir Chris Hohn ne déroge pas à cette tendance en consacrant des miettes, c’est-à-dire un pourcentage minime de ses gigantesques dividendes.

C’est sans doute à ce type d’action que faisait allusion Emmanuel Macron quand il prétendait que les fortunes des ultra-riches ruisselaient ou quand il s’essayait à justifier la baisse de l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur la fortune.

Pour comprendre les articles vantant les insolents profits des hedge fund, en revanche, il n’y a pas besoin de dictionnaire. On connait parfaitement le mécanisme du capitalisme, depuis deux siècles maintenant. Il est toujours le même, exploiter les hommes et appauvrir encore plus les dominés pour s’enrichir chaque jour davantage.

Relire Bourdieu

Pierre Bourdieu est décédé il y a vingt ans et telerama.fr a publié un entretien de François Granon avec le sociologue paru dans l’hebdomadaire le 15 février 1995. Fort opportunément.

Je reprends un court extrait du dialogue entre le chercheur et le journaliste pour son étonnante actualité.

« La politique policière du gouvernement français menace la démocratie, jusqu’ici protégée par le civisme républicain, et instaure des mœurs racistes à l’égard de tous ceux qui n’ont pas une tête, ou un patronyme, ou des ancêtres bien français. Les mesures prises à l’égard des étrangers menacent les traditions universalistes et internationalistes de la France. Elles réveillent, dans certaines catégories sociales, les dispositions latentes au racisme. Ce n’est même pas la peine de dire aux policiers « Contrôlez les gens en fonction du faciès » : il suffit de ne rien leur dire pour qu’ils le fassent. »

C’est toute l’œuvre de Pierre Bourdieu qu’il faut reprendre et reprendre, lire et relire pour s’imprégner de ses méthodes d’analyse du temps présent.

Les recueils de ses interventions et articles parus sous les titres de ‘’Sur la télévision’’, ‘’Contre-feux’’ et ‘’Contre-feux 2’’, par exemple, sont toujours d’une rare pertinence, même si à cette époque les réseaux dits sociaux n’existaient pas encore, pour comprendre la fabrique de l’information.

Panique électorale

Un vent de panique souffle autour du palais de l’Elysée à quelques semaines de l’élection présidentielle.

Entre le président qui veut emmerder les non vaccinés, le ministre de l’éducation nationale qui a réussi à mobiliser très fortement tous les enseignants, l’inflation qui ne faiblit pas et ravive les revendications salariales, les obstacles qui se dressent devant Emmanuel Macron sont de plus en plus incontrôlables. Le président et son gouvernement ne savent plus comment les contourner.

Ils ont pris conscience de la gravité de la situation (on peut au moins le croire et l’espérer), mais ils ne semblent pas en avoir pris toute la mesure.

Ils ont répondu à quelques revendications du corps enseignant (petitement), mais le compte n’y est pas. Ils ont également allégé les restrictions sanitaires pour répondre aux inquiétudes de l’ensemble des Français qui ne savent plus ce qui est interdit ou autorisé. En revanche, les négociations salariales ne sont pas à la hauteur des attentes des salariés, dont le pouvoir d’achat est gravement amputé, notamment par la flambée des cours de l’énergie, mais aussi de l’alimentation. Les hôpitaux sont saturés et les soignants au bord de l’asphyxie.

La France s’enlise dans une grave crise économique et sociale. Et c’est panique à bord !

Emmanuel Macron ne sait plus quelle mesure prendre pour apaiser les Français, à défaut de remettre la France à l’endroit.

Sa dernière trouvaille est d’une rare imbécillité : imposer à EDF, dont l’Etat est encore actionnaire, à vendre d’avantage d’électricité nucléaire à prix réduit à ses concurrents. Ou quand l’ultralibéralisme est devenu d’une sottise inouïe.

L’économiste Christophe Ramaux fait remarquer que les concurrents d’EDF « bénéficient de la rente accumulée par les investissements publics réalisés ces cinquante dernières années. Il s’agit d’une aberration complète. »

Le quotidien économique La Tribune annonce, lui, que la mesure imaginée par Bruno Le Maire va coûter au bas mot 8 milliards d’euros à EDF, dont le cours de l’action a chuté de 25 % à l’ouverture, 15 % à la clôture.

La ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, qui ne manque aucune occasion d’étaler sa bêtise, a osé remercier « EDF de faire cet effort pour l’intérêt général. Nous serons à leur côté pour les aider à passer cette difficulté. »

Ne croirons à cet engagement que ceux qui veulent bien y croire !

Le spectacle du grand bazar est d’une tristesse infinie.

Un monde de fous (2)

L’année 2021 a été un millésime d’anthologie pour les banquiers d’affaires, selon Le Monde. « Tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin (Voltaire, Candide). » Dans le monde de la finance, il n’y a pas de fin. L’année d’anthologie à peine effacée, le cabinet d’analyse et d’information économique IHS Markit (qui a fusionné avec Standard & Poor’s en 2020) annonce que l’année 2022 sera encore un bien meilleur millésime.

Pour IHS Markit donc, la distribution de dividendes devrait dépasser les 2000 milliards de dollars cette année et retrouver les niveaux d’avant la crise de 2008 (2094 milliards).

Les grands d’investissement comme Vanguard ou BlackRock sont ravis et tous les boursicoteurs du monde entier font la fête ; une fête permanente en somme.

Le monde de la finance n’arrête pas de battre des records : 1460 milliards de dividendes ont été distribués distribués en 2021, l’augmentation en 2022 sera dingue : environ 37 %.

La finance et les riches sont en extase, imperméable à la situation de milliards de femmes, d’hommes et d’enfants qui crèvent de faim sur la planète. La situation des pauvres n’est pas dans leurs préoccupations.

Les pauvres aussi battent des records : ils sont de plus en plus nombreux. Et les résultats extraordinaires ne ruissellent toujours pas !

Les dividendes vont couler à flot en raison des profits records des grands groupes et des grandes entreprises, au détriment des salaires et des conditions de travail. La finance dicte la loi du fric aux politiques, n’hésitant pas à délocaliser dans des pays à bas coûts et les pressant à réduire le statut social des salariés, etc. Je ne détaillerai pas ce qui est de mieux en mieux perçu par ceux qui n’ont rien.

L’information sur le nouveau record attendu des dividendes est connue le jour où sur les écrans français sort le film d’Emmanuel Carrère, Ouistreham, adapté du livre formidable de Florence Aubenas (Le Quai de Ouistreham), qui s’était travestie en femme de ménage, travailleuse précaire, sur les ferries du port de la cité du Calvados.

Il y a un monde entre ces femmes surexploitées, harassées, usées précocement, mais admirables et les financiers inhumains ; un monde fou et scandaleux.

Un monde de fous

La rubrique économie du quotidien vespéral, Le Monde, exulte :

« L’année 2021 restera un millésime d’anthologie pour les banquiers d’affaires. Pour la première fois, le marché mondial des fusions-acquisitions a passé la barre des 5 000 milliards de dollars (4 410 milliards d’euros), atteignant un montant total de 5 650 milliards de dollars selon Dealogic. Le précédent record de 4 550 milliards de dollars datait de 2007, année funeste. »

La France n’est pas restée en marge de cette fièvre concentrationnaire :

« Les ‘’deals’’ impliquant des entreprises tricolores ont atteint 133,6 milliards d’euros (+ 19 %), un record depuis 2006. »

Les fonds d’investissement sont les principaux acteurs du phénomène ; ils ont participé à 27 % des fusions-acquisitions, selon Dealogic, cité par Le Monde. Ils sont à la recherche permanente de dividendes importants au point d’être à la tête de sommes colossales qu’ils ne savent pas où investir. Ces sommes dormantes, appelées ‘’poudre sèche’’ (non investies elles ne rapportent pas), ont atteint plus de 2500 milliards de dollars ; ce qui fait dire à Florence Haas du cabinet Bredin Prat :

« Les fonds d’investissement ont réalisé des levées record et ont absolument besoin d’investir. Même si quelques actifs ont été retirés de la vente ces derniers mois car les valorisations proposées ont été jugées insuffisantes par les vendeurs dont les attentes de prix sont très élevées, un rythme soutenu de transactions devrait être maintenu en 2022. De nombreux processus vont d’ailleurs commencer en tout début d’année. »

Les grands groupes, les investisseurs et, donc, les riches ont traversé la pandémie du Covid19 sans encombre. Les affaires continuent. Très allègrement.

Imagine-t-on ce qu’on pourrait réaliser dans le monde avec une ‘’poudre sèche’’ de 2500 milliards de dollars ? Eradiquer la pauvreté, investir dans les pays émergents pour éviter l’exil de masse, vacciner dans tous les pays en libérant les brevets, etc.

Loin de tout cela, notre président de la République (qui, rappelons-le, ne voulait plus voir de sans-abri dès la première année de son quinquennat) préfère insulter les citoyens et les emmerder, s’en prendre aux libertés fondamentales, privatiser les services publics ou en réduire les budgets. Bref, assumer son ultra-libéralisme.

Le monde de la finance est fou ; citant toujours Dealogic, on apprend que « les recettes perçues pour conseiller un rachat ou garantir une augmentation de capital ont atteint un montant record de 128 milliards de dollars, en hausse de 39 %. »

Le système financier de l’ultra-libéralisme opère en boucle. Pour le bonheur de quelques milliardaires seulement. Scandaleux !

La gifle belge

Alexander De Croo, le premier ministre belge, est un libéral revendiqué ; au fond, son positionnement est proche de celui d’Emmanuel Macron. Cela ne l’a pas empêché d’adresser un camouflet au président de la République française.

Dans une interview donnée au quotidien Le Soir, il a exprimé son profond désaccord avec celui qui veut emmerder les non-vaccinés.

« Clairement, ce n’est pas mon vocabulaire », a-t-il déclaré. Puis il a ajouté : « Je pense pour ma part qu’il faut embêter le virus et pas embêter les gens (…) Je continue à penser qu’il vaut mieux convaincre des gens que les obliger. »

Pan, sur le bec, comme l’écrirait le Canard enchaîné !

A la tête d’une coalition de sept partis, le premier ministre belge marque effectivement et clairement son opposition à la politique de l’emmerdeur français ; il a même osé donner un conseil au petit Emmanuel en estimant qu’une « politique de division qui consisterait à aller embêter une partie de la population » pouvait être dangereuse et irresponsable.

Le président jupitérien de la France feindra sans doute d’ignorer les déclarations de ce présomptueux dirigeant belge, un petit pays d’un peu plus de 11 millions d’habitants au moment où, lui, du haut de sa grandeur occupe, pour six mois, la présidence du conseil des ministres de l’Europe.

Il n’empêche, ce petit pays a un premier ministre libéral, certes, mais digne et dont le bon sens vaut mieux que la prétendue super-intelligence de notre politicien gonflé d’orgueil et de vanité.

La France (en fait son président, seul) prétend donner la leçon à l’Europe entière, et même au monde ; les réflexions du premier ministre belge sont bien le signe de la perte de grandeur et d’influence de notre pays.

La flamme de la Liberté d’Auguste Bartholdi renvoie aux Lumières, mais aujourd’hui elle n’éclaire plus le monde !

Souvenir de Sidney Poitier

J’ai déjà évoqué le formidable foyer de culture du lycée Carnot à Dijon et, notamment, ce que je dois au ciné-club animé par un professeur de littérature (on disait français), Michel Cégretin.

J’avais ressenti une forte émotion à la projection du film Graine de violence de Richard Brooks (la programmation ne devait rien au hasard !). Pas seulement en entendant la musique de Bill Haley, Rock Around the Clock, dont a dit qu’il s’agissait de l’année zéro du rock, mais surtout en étant émerveillé par la performance d’un jeune acteur noir, Sidney Poitier (le lycéen), face à Glenn Ford (le professeur).

Graine de violence a contribué à forger ma prise de conscience politique ; comment ne pas être révolté devant le spectacle du racisme exacerbé d’une partie des enseignants, de la lutte de classe débouchant sur l’affrontement physique entre blancs et noirs dans un pays à la limite de l’apartheid.

Sidney Poitier m’avait alors fasciné ; il jouait juste, il jouait vrai. Il avait une présence lumineuse.

Graine de violence l’avait consacré et son autorité ne l’avait plus jamais quittée.

Il allait devenir un symbole de la lutte du peuple noir et pauvre des Etats-Unis ; son combat allait bientôt rejoindre celui du mouvement des droits civiques aux côtés de Martin Luther King. Il n’a jamais cessé la lutte pour l’égalité entre tous les hommes, quelle que soit la couleur de leur peau, en se servant de sa notoriété de façon intelligente mais déterminée.

J’ai alors suivi sa carrière avec attention. Car, il est de ces hommes qui ne laissent personne indifférent.

Graine de violence et Sidney Poitier sont restés gravés dans ma mémoire. Aujourd’hui, je suis triste en apprenant le décès du premier acteur noir oscarisé.

L’emmerdeur

Emmanuel Macron dit vouloir emmerder les non-vaccinés et il se prend les pieds dans le tapis. Car, ne manie pas l’injure qui veut.

Avec le ci-devant président de la République l’injure est de la basse politique politicienne, une basse manœuvre à mettre au compte de sa stratégie pour l’élection présidentielle. Aussi minable que celle de Trump ; la violence physique en moins, la violence symbolique des mots en plus.

S’il débute sa campagne de la sorte, c’est qu’il est à bout de souffle et tente de détourner l’attention des électeurs. Pari réussi dans un premier temps avec la complicité de la majorité des éditorialistes : ils n’ont retenu que cette petite phrase et alimenté la polémique dans laquelle se complaisent ses adversaires de droite. 

Car, dans le journal de son ami Bernard Arnault, Macron s’en prend aux non-vaccinés, exonérant les désinformateurs patentés mais aussi la politique tortueuse d’un président qui tente ainsi d’évacuer ses énormes responsabilités. Qui a désorganisé l’hôpital ? Qui s’est opposé à la levée des brevets sur les vaccins ? La liste est longue des méfaits de son ultra-libéralisme.

Macron veut emmerder les non-vaccinés, mais dans son interview de complaisance, ils ne sont pas les seuls à devoir s’attendre à être emmerdés, comme les enseignants, dont il prétend vouloir repenser la fonction, le temps de travail et les obligations de service, au nom d’un système qu’il juge trop rigide.

Il veut encore s’en prendre aux retraités, aux chômeurs, aux chercheurs, aux services publics, etc. La liste est très longue de ceux qui, demain, s’il est réélu, seront emmerdés.

Macron, abandonnant sa posture jupitérienne, a utilisé pour la première fois l’injure scatologique, après s’être essayé à d’autres registres d’injures, ciblant toujours les gueux qualifiés tour à tour d’analphabètes, de fainéants, de manifestants irresponsables, de Gaulois réfractaires aux réformes, de régicides ; arrêtons-là la litanie des insultes qui en disent long sur le mépris de classe du président des riches. Une posture qui sied bien à un emmerdeur.

Emmanuel Macron l’emmerdeur !

Les Tontons flinguent toujours

Le Corniaud, La Grande vadrouille, Les Tontons flingueurs, on ne compte plus le nombre de leurs rediffusions sur les différentes chaînes de télévision. Obnubilés par l’Audimat, les programmateurs tombent dans la facilité et s’assurent une confortable ‘’part de marché’’, quand d’excellents films ne sont jamais diffusés. Ainsi va la (pauvre) télévision soumise à la course à l’audience.

On a donc vu Les tontons flingueurs et sa désopilante scène de beuverie une nouvelle fois hier soir sur France 2. Le film de Georges Lautner doit beaucoup aux acteurs (Lino Ventura, Bernard Blier, Francis Blanche, entre autres) et aux dialogues de Michel Audiard, au meilleur de sa forme. Confessons-le, la parodie du film policier est digne d’une certaine idée du cinéma français.

Sa sortie en 1963 avait été boudée par le public (qui s’est bien rattrapé depuis en assurant son succès à la télévision !) et par les Cahiers du cinéma. Jacques Doniol-Valcroze, Jean-Luc Godard, François Truffaut ou Jacques Rivette en étaient encore les principaux collaborateurs et dédaignaient le cinéma de Lautner (et de bien d’autres). Les réalisateurs de la Nouvelle vague avait un talent fou ; ils ont dépoussiéré le cinéma, mais, diable, qu’ils étaient sectaires !

Néanmoins, dans le numéro 152 des Cahiers à la couverture jaune, ils n’avaient pas eu de mots trop durs pour les Tontons flingueurs, même s’ils ne lui avaient consacré que deux lignes dans la rubrique ‘’Films sortis à Paris du 27 novembre 1963 au 7 janvier 1964’’, à la fin de la revue :

« Sympathique mise en boîte de films pantouflards enfilés en série par Gabin (Audiard s’est défoulé…). Travail rôdé, acteurs au poil, mais Lautner abuse du ton parodique mis au point depuis Le Monocle. Des éclairs de méchanceté bien venus indiquent, peut-être, sa vraie voie. »

On a connu Les Cahiers plus méchants et plus caustiques ; dans le même numéro, ils n’ont, par exemple, que mépris pour La Cuisine au beurre de Gilles Grangier :

« Dans la tradition du chef : le ménage à trois, sauce Pagnol. Mais le beurre est rance. »

Le public, lui, a fini par faire un triomphe aux Tontons flingueurs. Au fond, il a bien raison. Ce n’est pas du mauvais cinéma ; les acteurs sont épatants, les dialogues hilarants et on passe un bon moment devant son petit écran.

On aimerait que les chaînes fassent preuve de plus d’audace dans le choix des films, même si les Tontons flinguent toujours.

Progrès social

Où l’on reparle d’un télétravail bien encadré… Non, ce n’est pas en France, mais au Portugal.

Le Parlement a voté un projet de loi gouvernemental encadrant le travail en distanciel, comme on le dit aussi. Au Portugal donc, il est fait interdiction pour l’encadrement et l’employeur de contacter les salariés hors de heures légales. Les salariés se voient reconnaître le droit à la déconnexion et au respect de la vie privée. Sauf en cas de force majeure. Les salariés en télétravail se voient néanmoins dans l’obligation de prendre contact avec l’entreprise tous les deux mois ; il s’agit ainsi de lutter contre l’isolement et de conserver des liens avec les collègues de travail.  

La loi prévoit également la compensation des frais engagés par les salariés (facture d’électricité, d’entretien du matériel et de connexion) et l’égalité salariale entre salariés en présentiel et en distanciel.

Les infractions constatées pourront donner lieu à des amendes pouvant aller jusqu’à 9 600 euros.

Quels candidats à la présidentielle française oseront reprendre à leur compte la loi portugaise ? Le droit du travail peut encore évoluer dans le sens du progrès social, n’en déplaise au Medef et aux suppôts de l’ultra-libéralisme.

Robert Walser, l’écouteur

« La musique est pour moi ce qu’il y a de plus délicieux au monde » ; la phrase a été écrite par l’un des plus délicieux écrivains suisses de langue allemande. Pour moi aussi la musique est ce qu’il y a de plus délicieux. Il était donc fatal que son recueil de courts textes réunis sous le titre « Ce que je peux dire de mieux sur la musique » finisse dans ma bibliothèque.

Les éditions Zoé ont sélectionné une soixantaine de textes et poèmes délicieux (au risque assumé de la répétition), évidemment, qui nous emmènent dans le monde musical de Robert Walser, Mozart, bien sûr, mais aussi Rameau, Chopin, Paganini, Satie, à l’opéra ou sur les pas d’un accordéoniste ou d’un jeune joueur de luth.

La magie opère et Robert Walser nous enchante avec des mots justes et beaux, doux et émouvants. Les initiateurs du livre disent de Robert Walser qu’il était le ‘’plus doué des écouteurs’’ et que la musicalité de son style frappait déjà ses contemporains.

Je me replonge dans le livre après avoir écouté le concert du nouvel an à la Fenice sur Arte. Et je me reprends à goûter des moments délicieux (encore). Ceux de l’écoute et ceux de la lecture.

Je relis de très belles phrases dans un des textes de Walser, daté de 1901, intitulé Luth, où l’écrivain parle d’un jeune garçon qui joue de cet instrument avec grâce : « Le petit garçon est artiste, le souvenir est son instrument, la nuit, son espace, le rêve, son temps ; et les sons auxquels il donne vie sont ses ardents serviteurs, qui parlent de lui à toutes les oreilles ouvertes en ce monde. Je suis tout oreilles. Je ne suis plus que cela, une oreille indiciblement émue. »

Il y a donc encore de la place pour la beauté et l’émotion pure en ce monde si cruel !