En préambule, il s’agit de définir ce qu’on entend par pluralisme. En effet, la France ne vit pas sous le régime du journal unique ; au contraire, il y a une pluralité de médias d’information (presse écrite quotidienne, hebdomadaire, magazine, radios, chaines de télévision, sites Internet) au niveau national et même dans les régions où malgré la concentration des titres de presse écrite, on peut s’informer par d’autres canaux, notamment grâce au service public de la radio et de la télévision.

S’il y a bien pluralité de médias, peut-on prétendre qu’il y a pluralisme d’expression des divers courants de pensée politique, économique, syndicale, associative, etc.

S’il y a bien pluralité de médias, on ne peut que déplorer un conformisme de traitement de l’information, une recherche continuelle de la petite phrase ou du sensationnel, une priorité donnée au fait divers (traité de façon très factuelle, en ignorant toutes les dimensions sociales et/ou économiques), bref une hiérarchisation qui ne permet plus de discerner l’essentiel de l’accessoire et qui brouille les pistes. Au bout du compte, le citoyen est submergé d’informations, mais sans pouvoir se forger une opinion sur les enjeux de société.

On pourrait multiplier les exemples de traitement de l’information ne permettant pas une expression reflétant la diversité de la société française.

Certes, une information différente est disponible, essentiellement sur Internet, mais les citoyens sont-ils tous mis sur un pied d’égalité pour savoir où et comment trouver cette information dont ils ont besoin? Poser la question c’est déjà y répondre !

Le problème ne sera pas réglé seulement par la pluralité des titres, des chaines (radio et télévision), mais bien par un traitement vraiment pluraliste de l’information.

Les conditions pour aboutir à cette belle ambition démocratique sont nombreuses.

La conseil constitutionnel, saisi à trois reprises à propos de contestations des lois du 27 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, du 10 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme de la presse et du 29 juillet 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, a planté le décor en déclarant :

« Considérant que le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale auquel sont consacrées les dispositions du titre II de la loi est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; qu’en effet la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’était pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ; qu’en définitive l’objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu’on puisse en faire l’objet d’un marché. »

Le Conseil a réitéré le 27 juillet 2000 en affirmant que « la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression » doit être reconnu comme l’un des « objectifs de valeur constitutionnelle ».

Le Conseil constitutionnel, dont on ne peut pas soutenir qu’il est révolutionnaire, n’a jamais vu ses avis suivis d’effets, notamment législatifs.

Les exemples de manquement à l’expression des différents courants d’expression sont hélas quotidiens. De plus en plus. Nous sommes sous le règne de l’information – spectacle et de la pensée unique, qui sclérosent la vie politique et, on peut le soutenir, toute la vie de la cité.

Ces dérives de l’information ont fait le lit du populisme et notamment du Front national.

Des mesures immédiates

En premier lieu, il convient d’inscrire le droit à l’information (comme le droit à la communication) dans la constitution. Ensuite, il conviendrait de réviser l’ensemble des lois sur la presse pour s’assurer que ce droit sera effectif.

En second lieu, il conviendra de mettre l’information à l’abri des puissances d’argent (jamais autant présentes qu’aujourd’hui dans les médias, tous les médias), comme le préconisait le Conseil national de la résistance (CNR). Notamment en assurant l’indépendance des rédactions confrontées à des actionnaires de plus en plus gourmands en dividendes mais aussi en matière de contrôle des contenus rédactionnels, réservés à des directeurs de rédaction directement nommés par eux (et non plus à des rédacteurs en chefs jugés trop proches des journalistes).

Si la censure n’est plus quotidienne, en revanche l’encadrement de l’information est bien réel, par divers subterfuges. Dire aujourd’hui que les journalistes sont libres est une escroquerie intellectuelle.

En troisième lieu, il s’agit de réformer la formation des journalistes. Les centres de formation étant accusés, à juste titre, de « formater » les étudiants.

Pour remédier à cette critique, il est nécessaire non seulement de revoir les contenus de la formation, mais aussi et surtout de diversifier les recrutements d’étudiants (vaste problème qui ne concerne pas seulement les filières d’enseignement du journalisme) en multipliant les bourses d’études et en abaissant les droits d’inscription.

Dans le même ordre d’idée, il serait sans doute utile de mener une réflexion sur la nature même des centres de formation au journalisme : dans un souci de démocratisation et d’indépendance des sources de financement, il apparaît souhaitable de privilégier la formation au journalisme à l’université.

Deux écoles privées viennent d’ailleurs de se rapprocher de l’université, l’IPJ de Paris (avec Paris-Dauphine) et l’ESJ de Lille (avec Lille 3 et Science Po Lille), faute d’avoir trouvé un modèle économique. Les deux exemples devraient inciter à poser la question du rapprochement des deux autres écoles privées reconnues par la profession de l’université, CFJ (Paris) et Ecole de journalisme de Toulouse (EJT). L’insertion de la formation des journalistes dans l’université devrait alors s’appuyer sur des laboratoires de recherche de haut niveau (à créer dans toutes les unités) et sur des enseignants et intervenants (journalistes ayant reçu une formation à l’enseignement) aux qualités et sensibilités diversifiées, bannissant ainsi le « copinage », principale source du formatage tant décrié.

En quatrième lieu, il serait également utile de prévoir des mesures visant à éradiquer la précarité dans les rédactions et ainsi d’éliminer les pressions de caractère économique sur les pigistes et autres journalistes en contrat à durée déterminée, ou encore en limitant drastiquement le recours aux correspondants locaux de presse (en révisant leur prétendu statut, indigne). La dépendance économique affaiblit les possibilités de résistance des journalistes qui y sont soumis ; elle entraine trop souvent un traitement banalisé et aseptisé de l’information. Les directions imposent ainsi une idéologie de révérence.

En limitant le recours aux statuts précaires, l’embauche des jeunes diplômés sera facilitée (sans, pour autant, leur réserver un quelconque monopole, la profession de journaliste devant rester « ouverte » à tous, diplômés ou non pour assurer la diversité dans les rédactions). Les années d’études devront être reconnues dans la carrière pour le calcul des pensions de retraite et dans des grilles de salaires revalorisées (aujourd’hui, plusieurs grilles salariales débutent sous le SMIC).

Des pistes de réflexion

Les mesures énumérées ci-dessus (non limitatives) ne permettront sans doute pas le retour à une information « vertueuse », c’est-à-dire pluraliste, critique, privilégiant le débat, hiérarchisée, complète, vérifiée et mettant le citoyen en capacité de juger par lui-même.

La campagne pour l’élection présidentielle a démontré l’appétit des Français pour la chose politique, alors que le discours dominant dans les médias était que «  la politique, ça fait ch… tout le monde».

On en veut pour preuve, les records d’audience de France 2 qui a distancié TF1 tout au long de la campagne de la présidentielle.

En revanche, les élections législatives ont été marquées par une absence de véritable débat, notamment dans les médias audiovisuels. Cette attitude a accrédité l’idée que seule l’élection présidentielle avait de l’importance et a sans doute contribué à l’élévation du niveau d’abstention. Elle a aussi renforcé la « présidentialisation » du régime et accentué le glissement vers le bipartisme.

Comment revenir, alors, à un authentique pluralisme en matière d’information politique, économique et sociale ?

Le sujet est vaste et compliqué dans un système libéral comme celui qui règne dans toutes les nations européennes actuellement. Les mesures d’urgence vont à contre-courant de la pensée libérale et vont même heurter les dogmes qui sont considérés comme autant d’évidence et sans alternative.

Pour esquisser des pistes de réflexion, il apparaît nécessaire de distinguer l’audiovisuel et la presse écrite, tant les mesures devront être distinctes.

Le financement de l’audiovisuel public doit être inscrit dans la constitution pour le mettre à l’abri des aléas politiques et le rendre pérenne. Les différentes chaines (radio et télévision) doivent être exemplaires en matière d’expression pluraliste des diversités, mais aussi en matière de complémentarité des programmes (et non être soumises à la concurrence et à l’Audimat).

L’accès des différents courants de pensée doit être inscrite dans le cahier des charges (non dans des cases ghetto, mais au quotidien dans toutes les émissions traitant de l’information, sans s’arrêter aux journaux ou aux magazines d’information) et soumis au contrôle d’une autorité démocratique, associant les représentants de ces diversités.

Le service public doit donner le « ton » à un audiovisuel privé totalement débridé et soumis aux seules puissances d’argent et de la publicité (ces deux mondes se rejoignant). Le cahiers des charges des chaines privées doit, lui aussi, être contraignant en matière de pluralisme.

De même le statut de l’AFP doit être conforté et son mode de financement lui aussi pérennisé ; son conseil d’administration doit être « démocratisé » et faire une place prépondérante à la fois aux personnels et aux usagers (et non aux représentants des seuls groupes de presse).

En matière de presse écrite, les politiques publiques doivent être totalement repensées : cela va de la révision de l’article 39 bis du code général des impôts (qui exclut de l’impôt les bénéfices mis en réserve pour investissement), qui  favorise de matière outrancière les seuls groupes qui font effectivement des bénéfices, à la réorientation des aides à la presse, qui doivent aller vers la seule presse d’information générale et politique et, notamment, vers la presse d’opinion et à la réforme du fonds d’aide à la modernisation de la presse.

Ces diverses réformes seront à l’opposé des préconisations du rapport Cardoso.

Ensuite, le système de distribution devra être confié à une structure publique pour revenir à un réel système de péréquation.

La question la plus sensible et délicate est le retour à un réel pluralisme des titres. Aujourd’hui, il est impossible à un groupe de pensée de pouvoir espérer se doter d’un journal, les coûts de lancement d’un quotidien étant hors de leur portée. Cela suppose que les aides à la presse doivent prévoir le financement de projets de création de titres dans les régions pour faire revivre un pluralisme que les concentrations ont laminé (aides à la création et au fonctionnement, aides à la diffusion).

Mais les aides au lancement s’avéreront inutiles si on ne donne pas à ces nouveaux titres les moyens d’être imprimés. Le parc de rotatives en France s’est appauvri, les groupes actuels ayant fermé de nombreux centres d’impression pour les concentrer sur un seul site (ce qui entraine des heures de « bouclage » de plus en plus tôt et un appauvrissement de l’information dite chaude).

Il est donc nécessaire de lancer un plan de reconquête du pluralisme par la mise en place d’un service public d’impression, permettant la renaissance d’une presse plurielle de proximité et de groupe (médias de groupe par opposition aux médias de masse).

Des mesures positives

Il reste à envisager une révision de la loi sur les seuils de concentration de la presse écrite et sur la fameuse règle du « 2 sur 3 », interdisant à un groupe de posséder trois médias d’audience nationale (presse écrite, radio et télévision).

Le retour à un pluralisme authentique doit bannir la constitution de grands groupes multimédias, mais surtout la prise de contrôle des médias par les puissances d’argent et les industriels. Par exemple, il devrait être interdit à une banque comme le Crédit Mutuel de posséder une dizaine de quotidiens régionaux et leurs filiales (radio, télévision, informatique, communication, publicité, etc.) ou au groupe Bouygues de posséder le groupe TF1.

Sans doute faut-il aussi interdire aux banques et aux groupes industriels de détenir des participations dans les groupes de médias.

Faudra-t-il démanteler les groupes existants ou plutôt permettre la création de concurrents dans les régions soumises au régime du quotidien unique (même avec des titres différents) ?

La question devra être débattue, notamment, si les mesures visant à revivifier le pluralisme devaient s’avérer insuffisantes.

La mise en place d’un organisme de contrôle démocratique des médias, les droits nouveaux à confier aux entités rédactionnelles, la réforme de la formation des journalistes, la réorientation des aides à la presse, le retour à un système de distribution public, etc., sont autant de mesures qui doivent redonner une crédibilité aux médias et permettre une meilleure information du public.

Un quinquennat sera nécessaire au minimum pour mettre en place un tel programme et ce n’est qu’à l’issue de cette période que le bilan devra être tiré pour examiner si d’autres mesures doivent être envisagées.

Des mesures « positives » apparaissent préférables dans le contexte actuel pour reconquérir le pluralisme. Elles ne seront possibles que si les citoyens s’investissent dans cette vaste ambition aux côtés des professionnels dans un élan de renouveau démocratique dans l’ensemble de la société.

Contribution au débat de la commission Médias du Front de Gauche, 15 juin 2012