La Chouette qui hioque

Mois : avril 2020

La phrase qui tue

Je ne connaissais pas Agnès Pannier-Runacher jusqu’à récemment. Elle n’est que secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie et des finances ; Emmanuel Macron faisant beaucoup d’ombre à ses ministres, les détenteurs d’un sous-maroquin sont confinés dans un rôle subalterne et appelés à rester dans l’anonymat absolu.

Son ministre de tutelle, Bruno Le Maire, qui frétille et se démène comme un beau diable pour gravir un échelon et prendre la place d’Edouard Philippe, ne fait rien pour lui laisser apercevoir un rayon de lumière.

Et, patatras, la pauvre (au figuré) Agnès Pannier-Runacher tient conférence de presse sur les masques (dont on sait que la France en a privé soignants et citoyens en liquidant stocks et fabricants) et lâche la phrase qui tue : « Un masque peut avoir différentes caractéristiques, qu’il s’agisse du nombre d’utilisations, de marques éventuellement. Pour ces raisons, l’approche qui consiste à dire ‘’il y a un prix maximum’’ risquerait de freiner l’innovation. »

Les Français n’ont pas attendu la secrétaire d’Etat pour faire preuve d’innovation ; devant l’incurie des gouvernants successifs, ils se sont mis à la couture et ont fabriqué des masques eux-mêmes.

Quant au frein à l’innovation (expression sans doute une réminiscence de cours à HEC et à l’ENA fréquentées par la pauvre sous-ministre), n’est-il pas plutôt à rechercher du côté de ceux qui ont fermé les usines, amputés les services publics, réduits les crédits pour l’enseignement et la recherche, etc.

Agnès Pannier-Runacher est sortie de l’ombre ; qu’elle y retourne nous laissera insensible. Elle peut même aller pantoufler chez Faurecia ou à la Compagnie des Alpes, comme elle l’a déjà fait, mais qu’elle se taise et laisse la place à de vrais ministres ayant le sens des communs, du service public au service du public et non celui des fonds américains comme BlackRock.

Un acte d’accusation terrible

La situation du président de la République est chancelante, malgré le changement de ton très visible dans les discours officiels. Il n’a pas rassuré les Français et les critiques portées par les scientifiques alimentent l’acte d’accusation.

Les quelques 600 médecins qui ont porté plainte au pénal contre le premier ministre, Edouard Philippe, et la ministre de la santé, Agnès Buzyn, le 19 mars au motif qu’ils « avaient conscience du péril et disposaient des moyens d’action, qu’ils ont toutefois choisi de ne pas exercer », ont reçu des renforts incontestables.

Un chercheur du CNRS, Pascal Marichalar, a publié un article sur le site du Collège de France sous le titre « Première chronologie de l’émergence du Covid-19 ». Pour l’établir il s’est appuyé sur un rapport d’une quarantaine de pages de l’OMS et sur les articles parus dans la revue Science.

Le chercheur porte une attaque terrible au gouvernement :

« On se souviendra sans doute longtemps du fait que (…) le samedi 29 février (…) le premier ministre Édouard Philippe a décidé de détourner un conseil des ministres « exceptionnel dédié au Covid-19 » pour annoncer l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution afin d’adopter sans vote la réforme des retraites. Alors que l’OMS démontrait l’urgence de l’action collective et solidaire face à une pandémie bientôt incontrôlable, le gouvernement s’est dit que le plus urgent était de profiter de la dernière fenêtre de tir pour faire passer son projet de loi tant décrié. »

Autre document à verser à l’acte d’accusation, l’interview d’un historien spécialiste de l’Allemagne, Johann Chapoutot, parue le 24 avril sur le site de Médiapart. On peut y lire :

« Les Allemands, c’est-à-dire le gouvernement fédéral mais aussi les exécutifs régionaux des Länder, ont fait de la médecine. Ils ont fait ce que la médecine prescrit en cas de pandémie. Non pas un confinement de masse, qui n’a pas eu lieu en tant que tel en Allemagne, mais du dépistage : des tests systématiques ont été pratiqués en cas de symptômes légers ou graves, et les personnes malades ont été isolées et traitées. Pourquoi l’Allemagne l’a fait, et pas la France ? Parce que l’Allemagne a les capacités industrielles de produire des tests. Les tests les plus rapides ont été élaborés par des scientifiques et industriels allemands, dès la fin du mois de janvier. Et la production a été possible grâce aux capacités de production dans le pays : alors que la France a connu une désindustrialisation de masse, il persiste en Allemagne un tissu industriel de PME, qui a été sacrifié en France. L’Allemagne a donc fait, dès fin janvier, ce que l’on nous promet de faire en France après le 11 mai : dépister, isoler et traiter. Sachant que l’on n’est même pas sûr, en France, de pouvoir le faire. »

Après avoir fait le constat que la démission de la ministre de la santé, Agnès Buzyn, le 16 janvier, aurait été « impensable en Allemagne », Johann Chapoutot dénonce la posture de Macron et de son gouvernement et la comparaison avec l’Allemagne est terrible :

« Merkel comme Steinmeier parlent à des adultes, à des citoyens rationnels. Le contraste est net avec la France, où l’on nous parle comme à des enfants. Comme l’avait dit Sibeth Ndiaye, on assume de mentir pour « protéger le président ». Je me demande d’ailleurs comment il a été possible de nommer porte-parole du gouvernement une femme qui avait fait cette déclaration quelques mois plus tôt. En France, on nous ment. On nous félicite, on nous enguirlande, on nous gronde, on nous récompense, à l’instar de Macron dans ses interventions ; ou l’on nous tance ou nous insulte, comme le déplorable préfet de police de Paris, Didier Lallement. En France, on masque l’impuissance concrète, réelle, du gouvernement par des rodomontades ridicules. « Nous sommes en guerre », avait dit Macron, auquel répond Steinmeier, calmement et fermement : « Non, ceci n’est pas une guerre. »

Enfin, le Conseil scientifique Covid-19, mis en place par Emmanuel Macron lui-même, a publié un avis n°6 le 20 avril (mais rendu public le 25 avril à 22h seulement) ayant « pour objectif d’indiquer les conditions minimales nécessaires pour préparer de façon cohérente et efficace une levée progressive et contrôlée du confinement ».

Les prérequis en matière de contrôle et de surveillance, de tests sérologiques, d’organisation des hôpitaux, d’isolement des porteurs du virus, de protection pour l’ensemble de la population sont tels que la date du 11 mai avancée par Emmanuel Macron apparaît totalement irréaliste.

Il est incontestable, en creux, que le conseil met en cause les insuffisances d’anticipation du gouvernement.

Parmi les scénarios de sortie du confinement, le conseil propose « de maintenir les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités fermés jusqu’au mois de septembre ». Le gouvernement ayant pris la décision de rouvrir les établissements scolaires à partir du 11 mai, il a une note dans laquelle il recense « les conditions sanitaires minimales d’accueil » concernant élèves, parents, enseignants et autres agents appartenant à la communauté éducative » ; il estime « essentiel que les personnels de direction, les enseignants et les associations de parents d’élèves soient associés tout au long du processus de réouverture des écoles » ; c’est-à-dire l’inverse de la démarche engagée par le ministre Jean-Michel Blanquer.

Il n’y a rien à ajouter ; Emmanuel Macron et son gouvernement ont failli, tout préoccupés qu’ils étaient et sont à satisfaire les patrons. Ils sont discrédités et ils doivent partir, en attendant leur procès au pénal.

Le remède de Trump

Prenez un malade contaminé par ce funeste coronavirus, exposez-le aux rayons UV ; puis, s’il ne guérit pas, administrez lui une injection de désinfectant. Donald Trump qui a réponse à tout et qui ose tout, a trouvé le remède miracle pour éradiquer le Covid-19.

La destinée de l’homme étant la mort, on peut mourir du remède Trump. Simplement. Le président de la première puissance du monde se disait satisfait si son pays arrivait à limiter le nombre de victimes entre 100 et 200 000 morts. Son remède ne ferait que grossir son bilan !

La question est grave : comment peut-il se permettre de préconiser un remède à base d’UV et de désinfectant ? Affligeant !

Dans ce cerveau atrophié, n’a-t-il pas voulu éviter à ses pauvres la mort d’un coup de feu tiré d’un de ses soutiens surarmés ou dans une de ces prisons où ils sont des milliers à croupir, ou encore de faim, dans la rue où des millions de chômeurs ont trouvé un refuge ? Le nombre de morts aux Etats-Unis se compte par millier chaque jour, victimes des armes à feu jusque dans les établissements scolaires, de la pauvreté dans les rues, de l’absence de soins faute de sécurité sociale, dans des geôles inhumaines…

Les Américains ont élu un fou doublé d’un imbécile de la pire espèce. On ne le découvre pas. Mais on découvre qu’ils sont encore nombreux à la soutenir et à manifester pour faire lever le confinement dans certains Etats de l’Union, par exemple.

Ils seront hélas encore aussi nombreux à le soutenir après l’avoir entendu proposer son remède. L’Amérique profonde ne s’étonne même plus d’entendre les insanités absolues, toujours plus affligeantes que les précédentes, d’un milliardaire atteint d’une maladie relevant de la psychiatrie.

Les démocrates n’ont pas réussi à le destituer ; après l’avoir entendu, on se dit que les motifs d’une nouvelle procédure en destitution sont largement remplis.

Mais, à regarder de près, on se dit que Trump a des sosies un peu partout sur la planète. Et c’est inquiétant.

Qu’ils crèvent !

On savait que l’éditorialiste à écharpe rouge est un parfait imbécile ; mais on n’avait pas vraiment mesuré l’énormité de son cynisme.

C’est sur la chaîne de Patrick Drahi (ni voyez aucun hasard) que Christophe Barbier a pu exprimer le fond de sa pensée :

« Pour sauver quelques personnes âgées, on va mettre des milliers de gens au chômage ? »

Le fond de la pensée de l’imbécilité absolue est, hélas, largement partagé. Avec les patrons qui veulent relancer l’économie en rouvrant sur le champ les entreprises et les commerces « quel qu’en soit le prix » pour les salariés, leurs familles et les personnes âgées. Avec Emmanuel Macron et son gouvernement qui veulent rouvrir les écoles, collèges et lycées à partir du 11 mai. Et  avec quelques-uns comme le prétendu philosophe André Comte-Sponville qui a pu éructer sur France Inter dans l’émission ‘’Grand Bien Vous Fasse’’ :

« Je me demande ce que c’est que cette société qui est en train de faire de ses vieux la priorité des priorités. Bien sûr que la dépendance est un problème majeur, mais nos écoles, nos banlieues, le chômage des jeunes, sont des problèmes, à mon avis encore plus grave que le coronavirus, de même que le réchauffement climatique, la planète que nous allons laisser à nos enfants. »

Il a réitéré dans une interview donnée au quotidien suisse Le Temps :

« Ce qui m’inquiète, ce n’est pas ma santé, c’est le sort des jeunes. Avec la récession économique qui découle du confinement, ce sont les jeunes qui vont payer le plus lourd tribut, que ce soit sous forme de chômage ou d’endettement. Sacrifier les jeunes à la santé des vieux, c’est une aberration. Cela me donne envie de pleurer. »

Il terminait son tour des médias sur Europe 1 :

« On est en train de créer des millions de chômeurs. (…) Je ne peux pas considérer sereinement le fait qu’on est en train d’endetter massivement nos enfants, de refaire du chômage alors qu’ils commençaient à reculer pour s’occuper de notre santé, de vieux. »

Je dirais, en paraphrasant François Morel, comment peut-on être intelligent et aussi con. Comment la pensée dite néolibérale qui met l’économie au-dessus de tout (et même de la vie) a-t-elle pu gangréner à ce point ces intellectuels pervers.

Ils ne peuvent pas imaginer une société solidaire, dans laquelle les jeunes ont toutes leurs places, travaillent tous en étant bien rémunérés, sans sacrifier les aînés, ceux qui ont trimé toute leur vie durant et finissent dans des EHPAD privés dont les actionnaires ont fait un marché lucratif.

Il est affligeant de laisser micros et colonnes de journaux à de tels individus.

Déclarer la paix

Le porte-avions Charles De Gaulle est à quai. Encore. Depuis son lancement en 2001, il a multiplié les retours dans les ateliers pour des avaries plus ou moins importantes, mais toujours onéreuses.

La dernière en date a duré 18 mois et a coûté 1,3 milliards d’euros. Un détail.

Il était reparti le 21 janvier pour une mission, baptisée Foch, en Méditerranée puis en Atlantique. Une mission éminemment politique, semble-t-il : il repassait le détroit de Gibraltar pour la première fois depuis dix ans ; Le Monde, citant un ancien du porte-avions, révèle que « L’escale à Brest relève d’abord de la politique. Cela fait dix ans que le Charles De Gaulle n’y était pas passé, c’était trop important pour les élus de la région. Ensuite, il s’exerce toujours une énorme pression politique et diplomatique sur le porte-avions. Il fallait qu’il navigue, point ! »

La navigation de notre « navire emblématique » a tourné court ; aujourd’hui il se retrouve sans équipage et au cœur d’un scandale à cause du coronavirus.

Le Monde y consacre une pleine page, très argumentée, mais, hélas, l’article devient vite franchouillard :

« L’heure est grave, car la France n’a provisoirement plus d’équipage pour son navire amiral, qui est considéré comme l’outil politique de la puissance nationale, dans la main du président, avec toute la pression que cela suppose pour ceux qui le servent. »

L’heure est peut-être grave pour notre président jupitérien, mais, franchement, il y a actuellement plus grave qu’un porte-avions à quai. Un jouet qui coûte 225 millions d’euros pendant vingt ans, soit 4,5 milliards. On imagine le nombre de lits d’hôpitaux, de soignants, de masques et de gel que représente une telle somme !

Si, au moins, cette mise à quai pouvait permettre à Emmanuel Macron d’admettre enfin que, comme le disait Prévert, « quelle connerie la guerre » et qu’il est préférable d’œuvrer pour la paix. Tiens, en quittant l’OTAN, par exemple. En réduisant le budget des armées au profit des écoles, de la recherche, de la culture, de la santé. Le coronavirus aurait un effet tellement bénéfique pour tous.

Mais une telle hypothèse dans les colonnes du Monde n’est qu’un rêve, car la chute de l’article est désespérante :

« Une enquête de commandement, interne, a été ordonnée. Tandis qu’un ancien commandant de porte-hélicoptères assure, formel : ‘’Si la guerre éclate demain et que le président veut le porte-avions, on va reprendre tout le monde, malade ou pas, et le bateau repartira.’’ »

C’est lui, le militaire qui est malade. Le coronavirus n’a donc pas servi à s’interroger sur l’état de notre planète. La guerre doit être éradiquée, partout. Et la France devrait donner l’exemple en déclarant la paix à tous les pays.

Tant qu’il y aura des présidents qui se prennent pour Jupiter et des militaires qui ne rêvent que de guerres, le chemin sera long pour abolir les guerres…

Tout n’est pas perdu

Les grands éditorialistes ont peur ; la crise du coronavirus fait trembler le capitalisme et sa forme moderne, le néolibéralisme, et leur sinécure est menacée.

La crise agit comme un puissant révélateur de tous les maux de ce système inégalitaire, qui sème la pauvreté partout pour que quelques privilégiés s’approprient toutes les richesses produites par ceux qui sont condamnés à ne rien avoir ; jamais.

Les éditorialistes, donc, ont peur de la révolte des gueux ; immodestes, orgueilleux gourmands, paresseux (ils ne sont, en fait, que les porte-parole de ceux qui les ont fait pour leur docilité plutôt que pour leur intelligence), un peu nantis (ils sont mieux payés que beaucoup de chercheurs, de médecins, d’enseignants), reconnus (de façon temporaire) à force de déverser leurs mensonges dans tous les médias, ils ont peur de sombrer avec un système qui les a fait rois.

Alors ils éructent, ils maugréent, ils insultent ceux qui souhaitent ouvrir une nouvelle voie, le jour d’après.

Arnaud Leparmentier, du Monde, a ressassé les mêmes inepties durant toute sa carrière (le SMIC est trop élevé, les salaires progressent trop vite, l’allocation chômage est trop généreuse et trop longue, il faut pouvoir licencier plus facilement) a trouvé un nouveau point d’attaque. Sa pensée, toujours aussi courte, tient dans les quelques caractères d’un Tweet : « Au XIXe siècle, Guéret (Creuse) a refusé le chemin de fer. Au XXIe siècle, en pleine pandémie, la France refuse Amazon. »

La pensée esclavagiste du journaliste du Monde n’a pas de limite.

Autre spécimen intéressant de grand éditorialiste, David Barroux, des Echos : « Il serait, paraît-il, indécent de demander aux Français de travailler plus pour tenter de commencer à rembourser la colossale addition du coronavirus. Mais pourrons-nous au moins leur demander de travailler un peu ? »

Oserait-il aller répéter ce Tweet devant des éboueurs, des femmes de ménage, des magasiniers, des soignants, et bien d’autres ?

Nicolas Beytout, lui, est un patron. Après avoir hérité des Echos et l’avoir revendu, il a créé L’Opinion. Où il relaie les revendications de Geoffroy Roux de Bézieux. Sur son compte Twitter, il fait la promotion des éditoriaux de son journal. Le 14 avril, c’est Rémi Godeau qui s’est évertué à ‘’tartiner’’ sur « Le débat interdit : Travailler plus pour gagner tous. »

Gagner tous, vraiment ?

Le 8 avril, c’est lui-même, Nicolas Beytout, qui officie. Le titre de son éditorial est tout un programme : « Coronavirus ou pas, la CGT ne change rien. »

J’ai la faiblesse de penser que la CGT change beaucoup de chose : en empêchant les actionnaires de L’Opinion de tout casser.

Ces larbins du capital, on les connaît ; mais ils nous étonnent encore chaque jour. Pour aller jouer au golf avec leurs patrons ou aller dîner au club du Siècle, ils sont prêts à tout, surtout à se prosterner devant le marché. Mais aujourd’hui, s’ils sont aussi virulents et s’ils ont peur, c’est que tout n’est perdu.

Luis Sepulveda, trop vite parti

Gaspard Koenig, philosophe et écrivain, a répondu à la sollicitation de la très belle collection Tracts de crise de Gallimard. Toujours très affairé, cette ‘’assignation à résidence’’ lui a fait éprouver un sentiment de libération. Son texte, intitulé Ralentir, est une réflexion sur « l’accélération perpétuelle, épuisante, destructrice » de notre société. Le coronavirus, comme révélateur ! Qui l’eut cru ?

Gaspard Koenig confesse etre un privilégié et reconnaît volontiers que « Pour prendre son temps, encore faut-il en avoir les moyens ». Dont acte de cette prise de conscience.

Gaspard Koenig m’a rappelé aussitôt une superbe fable de Luis Sepulveda, Histoire d’un escargot qui découvrit l’importance de la lenteur (Métailié) que mon fils m’avait offerte. J’ai rouvert son livre quand j’appris que Luis Sepulveda venait d’être emporté par le coronavirus ; le combattant de toujours a perdu son dernier combat. Lui qui avait connu les prisons de Pinochet pour ses idées communistes, puis l’exil, la révolution sandiniste, lui qui avait partagé la vie des Indiens Shuars au Nicaragua et étudié ‘’l’impact de la colonisation sur les populations amazoniennes’’ à la demande de l’UNESCO, lui qui avait rejoint les combats de la Fédération internationale des droits de l’homme, lui qui avait été à l’initiative du salon du livre ibéro-américain, lui qui avait également embrassé la profession de journaliste, laisse une œuvre à part. Sepulveda était un merveilleux conteur.

Son Histoire d’un escargot qui découvrit l’importance de la lenteur était née d’une question de son petit-fils, Daniel : « Pourquoi l’escargot est-il si lent ? » Son court livre « essaye de répondre à cette question », comme il le confesse en guise de prologue.

Mais cette fable n’est pas seulement un livre pour enfant. C’est une profonde réflexion sur le temps qui passe, trop vite pour voir ce qui se passe autour de soi, dans la nature. Ses escargots vont de découverte en découverte, du hibou aux tortues, en passant par les fourmis et s’émerveillent de la beauté de la nature. Sepulveda s’interroge aussi sur l’importance de la mémoire.

A moins qu’il ne soit une fable pour les jeunes de 7 à 77 ans, son livre s’adresse aux adultes qui sont emportés dans un tourbillon et ne prennent plus le temps de vivre.

Sepulveda écrit avec humour et ironie, dans une très belle langue. Il a beaucoup utilisé la parabole des animaux pour s’évader (nous évader), nous ramener à l’essentiel de la vie et à la lutte, toujours la lutte contre toutes les oppressions. L’escargot de Sepulveda voulait connaître les raisons de la lenteur et avoir un nom. La tortue rencontrée sur le chemin l’appela Rebelle, parce que « quand un être humain posait des questions embarrassantes du genre ‘’Est-il nécessaire d’aller si vite ?’’ ou ‘’A-t-on vraiment besoin de tant de choses pour être heureux ?’’, ils l’appelaient rebelle. »

Rebelle, comme Luis Sepulveda !

La littérature perd un grand conteur, la nature un grand défenseur et les hommes opprimés une boussole pour se libérer.

Le coronavirus a trop vite emporté celui qui nous avait appelé à prendre conscience de l’importance de la lenteur (qui n’est pas à confondre avec l’inaction) pour vivre, regarder, aimer, lutter.

Critique du cinéma et critique du journalisme

Les Cahiers du cinéma, ceux de ses fondateurs, sont sans doute morts ; place aux milliardaires Xavier Niel, Alain Weill et à la dizaine de producteurs qui ont fait main basse sur la revue du cinéma (en fait la seule).

L’équipe de rédaction a refusé de collaborer avec les nouveaux propriétaires dont on s’apercevra très vite qu’ils ont une certaine conception du cinéma et de la presse. La rédaction a voulu laisser un superbe testament, le numéro 765, consacré à une question qui ne trompe pas sur les intentions : « Qu’est-ce que la critique ? » Hommage à ceux qui avaient déjà consacré un numéro à la critique en décembre 1961, dans lequel on trouvait, au sommaire, Rivette, Rohmer, Sadoul, Douchet, ou encore Samuel Lachize.

Le numéro est un événement, comme le fut le texte de François Truffaut publié dans le numéro 31 de janvier 1954, « Une certaine tendance du cinéma français ».

En une trentaine de pages, écrites collectivement, les réponses sont sans ambiguïté. Et les Cahiers du cinéma des Bazin, Truffaut, Godard, Doniol-Valcroze, Douchet, etc. tournent la page pour ne pas collaborer avec le fric.

Le vieux lecteur (depuis le numéro 1) est orphelin et attend avec effroi la prochaine livraison d’une revue désormais contrôlée par des financiers et des producteurs.

Le vieux journaliste est d’autant plus triste après la lecture d’une revue irremplaçable. Que les collègues des Cahiers me pardonnent de publier deux longs extraits de leur testament, puisés dans les paragraphes traitant de ‘’Journalisme et critique’’ et dont je partage le contenu, preuve qu’il reste encore de vrais journalistes :

« Pas de polémique !

‘’Polémique a remplacé le terme ‘’critique. On peut difficilement dire : « Pas de critique !’, ce que révèlerait un esprit arrogant ou peureux. Mais ‘’pas de polémique’’, ça on l’entend à longueur de journée. Coronavirus ? Union sacrée ! Pas de polémique ! Variante : « Ce n’est pas le moment de polémiquer. » Et ce moment bien sûr ne viendra jamais. Impayable comme toujours, Le Monde, journal de grands bourgeois pour grands bourgeois, a osé titrer le lendemain des révélations d’Agnès Buzyn sur le coronavirus (en gros : je savais mais on m’a empêché de parler) : « Les révélations d’Agnès Buzyn suscitent la polémique ». Un journal digne de ce nom aurait titré en une : « Mensonge d’Etat ». Mais non. 1. On se retire, devoir de neutralité, on regarde les partis adverses s’affronter en sifflant la fin de la récré le temps voulu (quand le sujet ne fera plus de vague ni assez de clics sur Internet). 2. On efface sciemment toute la charge explosive de ces révélations, qui ont tout de même mené 600 médecins à porter plainte contre le gouvernement. Le mot polémique sert à réduire tout et s’en laver les mains, n’être pas concerné, ‘’ne pas entrer dans la polémique’’. Un autre mot a disparu, dont on était friand dans les années 80-90 : ‘’scandale’’. Plus de scandale, plus de polémiques. Le pouvoir a la main, et la presse en bon petit chien-chien lèche la main qui la nourrit. »

Autre morceau de bravoure du testament de la rédaction sacrifiée au profit, les éditorialistes :

« Editorialistes méritants et militants

On a vu avec quelle méfiance les ‘’vrais’’ journalistes, avec écharpe et carte de presse, ont regardé les journalistes de terrain, ancrés à gauche, qui couvraient coûte que coûte les manifestations alors même que la brutalité policière faisait rage avec l’aval du pouvoir. Tout à coup, ces journalistes devenaient des ‘’militants’’ comme si eux, assis dans leurs sièges confortables, regardant de loin la foule déchaînée de ces provinciaux hirsutes de gilets jaunes, ou de pompiers, ou de médecins ou de professeurs en colère, comme si, minimisant la gravité de la situation, ils n’étaient pas eux aussi des journalistes militants. Militants de l’ordre, de l’ordre à tout prix. De l’autre bord, tout simplement. Dans ce lot il y a une espèce nouvelle : les éditorialistes. De journaux en chaîne d’info, ils font du militantisme effréné, sans l’appeler ainsi évidemment. Les éditorialistes sont devenus l’aristocratie de la bourgeoisie journalistique. Dans un contexte où la presse doit ‘’garder son devoir de neutralité’’ (en réalité un devoir de neutralisation), eux seuls semblent avoir le droit de dire leur opinion. Les éditorialistes sont des bourgeois nantis de la presse, alors que les journalistes sont de plus en plus des précaires, souvent stagiaires ou apprentis envoyés au front, au milieu de rédactions dévastées par des vagues de plans de départ. »

Il faut lire et faire lire le numéro 765 des Cahiers du cinéma. Et, au besoin, polémiquer, critiquer. Ce testament ne doit pas rester entre les mains de quelques lecteurs assidus seulement. Après sa lecture (réconfortante), on comprend les raisons du départ collectif de la rédaction ; jamais les nouveaux propriétaires n’accepteront désormais de publier des textes qui font la part belle à cette intelligence-là.

En revanche, nous, lecteurs fidèles des Cahiers du cinéma, nous sommes dévastés d’assister à cette nouvelle victoire du fric alors que nous sommes de plus en plus nombreux à rêver au jour d’après, prélude à des Jours heureux.

Nouveaux éléments de langage d’un discours

Ses conseillers en communication ont changé ses éléments de langage : on a noté un changement de mots et de ton dans le discours du président de la République. On a noté aussi que nous n’étions plus en guerre, mais on n’a pas signé d’armistice pour autant avec le Covid19.

Emmanuel Macron a rendu hommage à ceux qui n’ont rien (« Il faudra nous souvenir que notre pays aujourd’hui tient tout entier sur des femmes sur des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.»). Il a osé faire référence à la Révolution !

Faut-il croire à une brusque prise de conscience ou ne s’agit-il pas plutôt d’une tentative pour remonter dans des sondages qui ont enregistré une défiance sans précédent d’un peuple meurtri et confiné envers le premier de cordée ?

Philippe Martinez, de la CGT, l’a immédiatement interpellé : « Pourquoi ne pas avoir augmenté le SMIC dès décembre ? Il faut renforcer toutes les mesures sociales. » Et, au passage il a également demandé l’annulation de la réforme de l’assurance chômage, pour le moment suspendue, seulement suspendue.

En relisant son long discours, on perçoit que, sur le fond, Macron n’a pas changé, même s’il a laissé son caractère hautain au vestiaire. La pandémie était imprévisible et les premières mesures prises étaient bonnes. Oubliés les cafouillages dans la communication, le manque de masques, de tests, de lits, de respirateurs, de personnels, etc. Un changement de ton ne fait pas un changement de politique.

Le MEDEF ne s’est d’ailleurs pas trompé en déclarant : « Nous sommes satisfaits que le président ait fixé un cap pour remettre le pays en marche, parce que c’est le signe que l’épidémie recule grâce au confinement, et cela permet aux entreprises de bien préparer la reprise, et aux enfants de retrouver le chemin de l’école. »

Sur les masques et les tests, Emmanuel Macron a modifié une fois encore le discours officiel (« Dépister tout le monde n’aurait aucun sens. ») ; voilà une façon de réitérer le discours d’hier : tant que nous n’avons pas assez de masques par manque de stock et de bévues dans les commandes, le masque reste inutile. Les experts doivent avoir le sentiment d’être manipulés.

Pour les tests, Emmanuel Macron tente encore de nous tromper (« Le 11 mai, nous serons en capacité de tester toute personne présentant des symptômes. »). Qu’advient-il des malades asymptomatiques ? Le président de la République semble avoir oublié l’exemple allemand de son amie Angela Merkel.

Nous avons retenu aussi que le confinement débuterait le 11 mai. Les écoliers, collégiens et lycéens retourneront dans leurs établissements respectifs ; en revanche on ne sait rien des conditions de cette rentrée. Est-ce bien raisonnable d’envisager de faire rentrer de jeunes élèves, alors que les étudiants, eux, ne rentreront qu’en septembre, et que le Portugal, par exemple, a fermé tous ses établissements scolaires également jusqu’en septembre.

S’agit-il de rassurer le MEDEF qui pousse à remettre tout le monde au travail (pour travailler plus), en premier lieu les parents confinés pour garder leurs enfants ?

La décision annoncée a-t-elle été dictée seulement par les intérêts des élèves ou plutôt par les seuls intérêts du patronat et de Geoffroy Roux de Bézieux, son président, pressant les technocrates de l’entourage élyséen de répondre à ses exhortations ?

La réouverture des établissements scolaires ne fait pas l’unanimité, notamment parmi les enseignants et, ô surprise, même au sein du gouvernement puisque le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, qui voulait faire rentrer les élèves le 4 mai, a tempéré les impatiences de Macron. 

Un historien, enseignant-chercheur à l’université de Saint-Quentin-en-Yvelines, Christian Delporte, a décrit les dangers d’une rentrée le 11 mai de façon ironique :

« Le petit Léo, cas asymptomatique, était content de retourner à l’école. Il a vu plein de monde, le chauffeur du car, la maîtresse, les personnels de service, les copains, qui sont tous revenus avec des petits virus. Le soir, il a raconté sa belle journée à ses grands-parents. »

Le Tweet n’a pas été dicté par les nouveaux éléments de langage d’Emmanuel Macron, mais il en dit plus long que son discours.

Macron, s’il a changé de ton, reste à la tête d’un exécutif qui tangue comme un bateau ivre…

Eléments de langage

Quand Emmanuel Macron martèle que ‘’nous sommes en guerre’’ et utilise le mot à maintes reprises, ce n’est pas le fruit du hasard. Parmi les nombreux conseillers des politiques, on trouve désormais des conseillers en éléments de langage aux responsabilités de plus en plus décisives : le choix des mots est destiné à influencer l’inconscient collectif et à endormir le peuple.

Toutes les petites phrases ou tous les mots, comme guerre, sont destinés à être repris en chœur par les journalistes. Pris séparément ou dans leur ensemble, ils disent tout des choix de gouvernement ; ils font système.

Emmanuel Macron est sur ses gardes et il contrôle de très près les éléments de langage élaborés par ses conseillers. Cela n’empêche pas les ratés ; Sibeth Ndiaye les accumule, à chaque prise de parole, bien que son attachée de presse ait également la fonction (officielle) de ‘’conseillère presse et éléments de langage’’.

Il ne suffit donc pas de maîtriser les mots pour faire avaler à ceux qui n’ont rien la pire politique antisociale qui soit.

La secrétaire d’Etat à l’économie, Agnès Pannier-Runacher, s’est exprimée sur franceinfo après avoir reçu les fameux éléments de langage dicté par l’Elysée. En toute logique on peut estimer qu’elle a exprimé la politique du pouvoir et la pensée du premier de cordée.

Or qu’a-t-elle dit ?

« Il faudra probablement travailler plus que nous ne l’avons fait avant (…) L’enjeu est de reprendre le travail plein pot (…) L’enjeu est de donner de l’oxygène aux entreprises pour qu’elles survivent et passent le cap, mais derrière, il faudra mettre les bouchées doubles pour créer de la richesse collective. »

Curieusement, ces éléments de langage ont été entendu et lu la veille ; à quelques mots près. Il suffit de se reporter au Figaro ou à Ouest-France pour savoir qui a utilisé les mêmes éléments de langage.

« Bon dieu ! Mais c’est… Bien sûr ! » Comme s’exclamait le commissaire Bourrel, le héros de la série ‘’Les cinq dernières minutes’’ de ma jeunesse : Agnès Pannier-Runacher a copié ses éléments de langage en lisant dans Le Figaro l’interview de Geoffroy Roux de Bézieux ! A moins, inversement, que ce ne soit le patron du MEDEF qui a copié les notes de l’Elysée.

Au fond, peu importe qui a copié qui ; le résultat est là : Emmanuel Macron et Geoffroy Roux de Bézieux sont synchrones, comme on dit. Ils partagent les mêmes valeurs, la même vision de la société et ils cultivent le même mépris pour les pauvres salariés. 

Faire payer les riches, réguler le marché, faire appel au peuple pour élaborer une politique pour le peuple ne sont pas dans leurs éléments de langage. Il faudrait être pervers (ou cynique) pour penser qu’il revient au peuple d’administrer le pouvoir. Pour Macron, Roux de Bézieux et Agnès Pannier-Runacher, qui ont fréquenté les meilleures écoles, le peuple les a choisi pour conduire une France soumise au marché.

S’il faut travailler plus, demain, après le confinement, c’est pour répondre aux lois du marché, au pouvoir économique et financier, le seul vrai pouvoir, celui qui se fout de la démocratie et du peuple.

Car, dans leurs éléments de langage, tout se résume en une formule simple : « There is no alternative ».

L’autre guerre

Une autre guerre a débuté, celle du jour d’après ; pour le jour d’après la pandémie, les patrons peaufinent les arguments pour préserver les acquis de la politique de Macron et pour rajouter encore plus d’austérité, alors que les remises en cause de leur système sont de plus en plus partagées.

Geoffroy Roux de Bézieux, le président du MEDEF, avait convoqué le journal officiel de la vieille France, Le Figaro, pour proclamer : « Il faudra bien se poser la question tôt ou tard du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise. »

Dans la même interview, il appelait les entrepreneurs à relancer leur activité : « La reprise, c’est maintenant. » L’argument de solidarité avec les soignants est imparable : on a besoin de tous les salariés pour « nourrir les soignants ».

Une si sunite compassion pour les soignants en détresse est suspecte.

Geoffroy Roux de Bézieux, issu d’une famille anoblie peu avant la Révolution, élevé à l’Institution Notre-Dame de Sainte-Croix à Neuilly, étudiant à Dauphine et ancien commando de marine, est un premier de cordée ; il manifeste habituellement peu d’empathie pour le bas peuple, ceux qui n’ont rien.

Réfugié dans son manoir de Pornic pour échapper au confinement, il ne se soucie guère des conditions de reprise et des nécessaires protections à apporter aux salariés convoqués pour redresser le pays. Sa solidarité a des limites ; n’a-t-il pas donné un piètre exemple aux 200 000 Parisiens qui ont fui la capitale comme tous les nobles et bourgeois qui, en 1791, avaient été 30 000 à quitter Paris après la fuite ratée de Louis XVI à Varenne et la prise des Tuileries ?

Son interview dans Le Figaro est très politique ; il exhorte Emmanuel Macron de décréter, lui aussi, que « la reprise, c’est maintenant » pour les salariés, pas pour les patrons et les actionnaires. Ceux-ci conserveront leurs salaires exorbitants, leurs retraites chapeau, leurs dividendes.

Agnès Verdier-Molinié, le perroquet des libéraux de tout poil, est venu renforcer l’appel à Macron :

« Que la BCE demande aux banques de reporter le versement de leurs dividendes se comprend tout à fait. Que l’État lui-même renonce à ses dividendes aussi. Qu’il pense à priver de tout ou partie de leurs dividendes les actionnaires des grandes entreprises, qu’ils soient investisseurs institutionnels, assureurs vie, investisseurs industriels, petits porteurs et/ou retraités est proprement incroyable. Qu’il le fasse alors que toute la pédagogie de ce quinquennat a été depuis 2017 d’appeler à financer au maximum nos entreprises (y compris par l’assurance vie, y compris par les retraites supplémentaires) est incompréhensible. Qu’il en fasse une ligne de sa gestion de crise alors que toutes ses actions tendent à favoriser la circulation du cash est une hérésie. Pourquoi priver l’économie d’une irrigation de plus de 50 milliards d’euros ? A-t-on comme objectif de renforcer le choc de demande dont nous souffrons déjà énormément ? »

Ah ! Les vertus du ruissellement, cher au président de la République… Mais que de bêtises en si peu de lignes.

Geoffroy Roux de Bézieux est écouté et entendu à l’Elysée et ailleurs ; cela a été largement prouvé avant la pandémie. Mais il est insatiable. Il en veut toujours plus. Il peut compter sur les ministres qui occupent actuellement Bercy pour traduire ses demandes en textes de lois ; Le Maire et Darmanin ont compris le message et préparent déjà décrets et ordonnances supervisés par la directrice des affaires juridiques des ministères de l’économie, des finances, de l’action et des comptes publics. La directrice en question, Laure Bédier, n’est autre que la sœur cadette de Geoffroy Roux de Bézieux et l’épouse de l’ancien directeur de Carrefour ; celle-ci a été la directrice de l’AP-HP pendant plus de 6 ans. Les cures d’amaigrissement des hôpitaux, elle connaît.

A ceux qui auraient l’audace de s’offusquer de sa proximité avec le patron du MEDEF, le grand frère répond : « Absolument pas, il n’y a aucun conflit d’intérêts ! ».

On veut bien le croire, mais l’entre soi ne relève plus du hasard. Il fait système.

La guerre du jour d’après est donc engagée ; libéraux, nobles, bourgeois, patrons (grands et moins grands), leurs affidés, au premier rang desquels les éditorialistes, ont débuté les grandes manœuvres. L’ancien commando de marine prépare ses troupes. Depuis Pornic, où il a replié l’état-major. Ou depuis Paris, où les lieutenants font le travail.

Drôle de guerre

Emmanuel Macron est en guerre. Il le répète à chacun de ses discours aux Français (Nous prend-il pour des demeurés pour ressasser ce ‘’Nous sommes en guerre’’ ?).

Le président jupitérien s’imagine tenant la foudre comme le dieu vindicatif de l’Olympe ; il s’oblige à utiliser le langage guerrier et même à aller au-delà avec une posture altière et hautaine. L’armée française, enfin 30 000 hommes et femmes portant l’uniforme, est présente sur de nombreux conflits en Afrique, au Moyen-Orient, notamment en Syrie, etc. Il faut reconnaître qu’elle fait souvent de la figuration ; mais l’addition pour l’entretien de ce qu’on appelle les forces extérieures, est salée.

La foudre du président jupitérien est passablement déchargée ; ses armes sont souvent à bout de souffle, à l’image de son seul porte-avion régulièrement contraint de rentrer à Toulon et aujourd’hui, il n’est pas en panne mais rattrapé par le coronavirus. Cela n’empêche pas la France de se glorifier d’être devenue le troisième marchand d’armes dans le monde derrière les Etats-Unis de Trump et la Russie de Poutine ; Emmanuel Macron est en charmante compagnie sur le podium des fauteurs de guerre, vendeurs de mort !

Le pays des droits de l’homme (paraît-il) a vendu des avions Rafale (de Dassault) pour un montant de 7,8 milliards d’euros à l’Inde de Modi, qui est en train d’affamer un peuple de 1,3 milliards d’habitants. Emmanuel Macron, le compagnon de pensée de Ricoeur, aurait pu proposer d’annuler les livraisons pour permettre à Modi d’acheter de quoi alimenter son peuple… Pendant la crise, les affaires du premier de cordée doivent continuer.

Emmanuel Macron est donc en guerre, mais il fait chaque jour la démonstration de son impréparation, comme en 1914 ; il se voyait en Clémenceau, le feutre en bataille sur le front avec les poilus ou déclarant à la tribune de l’Assemblée nationale : « Ma formule est la même partout. Politique intérieure ? Je fais la guerre. Politique étrangère ? Je fais la guerre. Je fais la guerre partout. » Il n’est au mieux qu’un Joffre ou un Louis Malvy, les défaitistes. Il ne veut pas reconnaître ses erreurs et envoie les scientifiques en première ligne pour masquer son incurie.

Il évacue ainsi tout ce qui témoigne des faiblesses de son armée : la pénurie de lits dans les hôpitaux, de soignants, de masques, de tests, que ne cessaient de lui réclamer les braves soldats des hôpitaux. Ces braves soldats des services publics tiennent bon avec leur Chassepot du début du XIXe siècle face à un ennemi du XXIe siècle et de l’ère numérique, qualifié d’invisible. Ils sont désarmés, nos pioupious, mais ils tiennent (mieux que la ligne Maginot) et le public les applaudit spontanément pour exorciser le cauchemar. 

Avant de limoger le général Macron et de lui confisquer sa foudre jupitérienne, avant de l’envoyer en exil sur l’île de Ré, où il retrouvera ses semblables qui ont fui le front.

Drôle de guerre.

France 5 privatisé ?

Le titre de ce billet est provocateur. Un peu seulement, juste un peu. Les programmes de la chaîne du service public laissent cependant planer un doute sur ma mauvaise foi. L’avis que je porte sur la situation dans laquelle se complaît France Télévisions aujourd’hui, est, je crois est partagé par nombre de citoyens.

Je m’autorise à affirmer que la droite a déjà colonisé le service public avant même l’adoption de la réforme de l’audiovisuel. C’était déjà le cas depuis des années ? Certes, mais la colonisation se répand à la vitesse d’une pandémie. Démonstration par les programmes de France 5.

A 18h, Caroline Roux envoie le générique de C dans l’air, une émission produite par Maximal Production, filiale du groupe Lagardère. La présentatrice est l’épouse de Laurent Solly, l’ancien chef de cabinet de Nicolas Sarkozy, aujourd’hui patron de Facebook Europe du Sud. Un très beau pédigrée.

Ce soir, elle n’a invité sur son plateau que des spécialistes fréquentables, les inévitables Dominique Seux (Les Echos de Bernard Arnault) et Christophe Barbier (éditorialiste à L’Express, du groupe de Patrick Drahi), l’omniprésent Elie Cohen (économiste libéral revendiqué) ; Sophie Fay de L’Obs était sans doute là comme la caution de gauche (caviar) ?

Aussitôt après, l’antenne est laissée à Anne-Elisabeth Lemoine pour C à vous, produite par 3e œil Productions appartenant à Pierre-Antoine Capton, le copain de Xavier Niel, avec lequel il a créé Mediawan, un fonds pour racheter médias et sociétés de production.

Anne-Elisabeth Lemoine, flanquée de Patrick Cohen, a invité Roselyne Bachelot et Christophe Castaner. La présentatrice est la fille de Brigitte Lemoine, dame patronnesse de sa paroisse puis maire (UMP) de Champagne-sur-Oise.

Il n’aura pas échappé au lecteur éclairé que les deux sociétés productrices sont privées. France 5 paie avec la redevance et diffuse. Et s’abstient d’intervenir sur le contenu. Vive la liberté de création grâce aux décrets de la ministre socialiste Catherine Tasca ! Tout cela est donc légal, à défaut d’être moral.

Je ne peux pas m’empêcher de voir dans les deux émissions l’exemple parfait du pluralisme foulé au pied dans une société de plus en plus inégalitaire, dans toute sa splendeur. Dans les deux émissions de débats sur des sujets d’actualité, comment ne pas voir la manifestation l’entre soi des beaux quartiers, celui que Monique Pinçon-Charlot a si bien décrit avec son mari Michel Pinçon ?

Je ne voudrais pas qu’on croie à une mauvaise foi qui ne m’habite pas. Caroline et Anne-Elisabeth ne doivent pas être jugées sur les choix de son mari pour l’une et de sa parentèle pour l’autre. Ce sont des citoyennes, libres et elles assument leurs propres choix.

Mais quand même, quand l’entre soi est porté à un tel niveau, comment ne pas ressentir un malaise ?

Et de s’écrier, pauvre service public !

Les dangers du virus libéral

Philippe Escande se penche dans Le Monde sur le ‘’retour de l’Etat’’ ; le quotidien de référence lui a laissé deux pleines pages. Le journaliste (passé par Les Echos) peut s’épancher largement sur les mérites du libéralisme.

Il relaie les grands chantres du marché, tels l’économiste Philippe Aghion qui exclut tout changement radical, mais ose assurer qu’il y a « d’autres modèles d’Etat social ouvert qui fonctionnent mieux que le nôtre, comme en Scandinavie ou en Allemagne ». Avec les petits boulots, la précarité, les retraites par point et le recul de l’âge de départ. Autant de solutions que les Français rejettent, semble-t-il.

Mais Philippe Escande va plus loin encore en convoquant un certain Nicolas Colin, présenté comme essayiste et cofondateur de la firme d’investissement The Family, qui n’hésite pas à dire : « Avec tous les leviers dont il va disposer, il faut que l’Etat relance la croissance en faisant prendre à la France le virage numériqueInvestir massivement dans la télé­médecine et réfléchir à la réorganisation de l’hôpital, en adaptant la réglementation pour rendre cela compatible avec le numérique. Et faire la même chose dans l’éducation, les médias, le commerce, les paiements. »

Investir de l’argent public dans l’hôpital public ? Une horreur pour ces grands penseurs de l’économie libérale !

Guère étonnant quand on saura que The Family, dont Nicolas Colin a été l’un des fondateurs, lève des fonds pour investir dans les startups du numérique. Il ne propose rien d’autre que la télémédecine gérée par les firmes privées, sans doute les compagnies d’assurance, mais le journaliste ne l’écrit pas ; pas encore. Guère étonnant que la Caisse des Dépôts aille dans la même direction en préconisant de privatiser davantage le service public de santé dans une note adressée à Emmanuel Macron.

Les capitalistes se préparent déjà au jour d’après et Philippe Escande leur ouvre les colonnes du quotidien de révérence. Sans vergogne. C’est-à-dire en appelant Emmanuel Macron à redéfinir le rôle de l’Etat pour sauver le capitalisme néolibéral, tout en essayant de rassurer les citoyens. Au fond, c’est Margaret Thatcher qui est rappelée avec son fameux TINA (There is no alternative, ou, en bon français, il n’y a pas d’autre choix).

Pour faire avaler la couleuvre aux citoyens, rien de tel qu’un régime autoritaire, gouvernant par ordonnances et décrets, bâillonnant le Parlement et toutes les institutions de contrôle du gouvernement.

La Ligue des droits de l’homme a d’ailleurs dénoncé la situation après la récente décision du Conseil constitutionnel de se confiner lui aussi (jusqu’au 30 juin) refusant d’examiner si, en droit, l’état d’urgence sanitaire et les ordonnances respectent la loi fondamentale de la République. La LDH écrit donc :

« Par sa décision, qui valide une violation évidente de la Constitution et conduit à lui permettre de reporter l’examen des Ordonnances prises par le gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le Conseil constitutionnel accepte que les libertés publiques soient drastiquement restreintes tout en en différant le contrôle.

Rien ne justifie une telle décision. On ne sache pas, en effet, que les membres du Conseil constitutionnel souffrent d’une incapacité à travailler en visioconférence alors qu’en même temps, ces Ordonnances valident le recours immodéré à ce moyen, souvent au préjudice des libertés et des droits de la défense.

Alors que le respect de l’Etat de droit doit prévaloir en toutes circonstances, la protection des libertés individuelles et collectives ne devrait souffrir d’aucun retard ni d’aucun empêchement.

Le Conseil constitutionnel crée ainsi une jurisprudence qui ouvre la voie à toutes les exceptions et donc à tous les renoncements. »

Le Conseil constitutionnel n’entend pas entraver la stratégie du chef de guerre Emmanuel Macron, entouré de conseillers tous atteints d’un virus libéral, lui aussi mortifère. Le Monde est son agence de communication.

Ceux qui disaient que…

L’exquis, le délicieux François Morel a ‘’emprunté’’ sa chronique de vendredi sur France Inter à un poète, Jacques Prévert, avec lequel il partage beaucoup de choses, l’intelligence et la perspicacité, le goût des mots et d’une douce ironie. Cela donne un moment (trop) rare de radio. Pendant le confinement, un moment de communion avec des esprits qui ne pardonnent rien à la bêtise, des esprits très subversifs, sans jamais tomber dans la méchanceté.

« Ceux qui pieusement, ceux qui copieusement, ceux qui disaient « C’est rien qu’une grippe ! », « C’est un virus de plus ». 

Ceux qui disaient « faudrait pas qu’ils en profitent pour annuler les élections ». Ceux qui disaient « ce serait un déni de démocratie ». Ceux qui disaient « ce serait un coup d’Etat ». Ceux qui disaient ni plus ni moins. Ceux qui disaient « il n’y a pas de risque dans les bureaux de vote ». Ceux qui disaient « ils en font un peu trop quand même ». 

Ceux qui disaient « le masque ne sert à rien ». Ceux qui disaient « et puis de toute façon, c’est pas facile à mettre ». 

Ceux qui parlaient fort. Ceux qui péroraient. Ceux qui disaient « c’est le moment de faire des bonnes affaires en Bourse aujourd’hui ». Ceux qui disaient qu’il fallait faire des économies. Ceux qui ne savaient pas mais qui parlaient quand même. Ceux qui parlaient quand même sans savoir, mais qui en plus à la télévision, étaient payés. Ceux qui jamais ne disent « je ne sais pas ». Ceux qui n’arrivent jamais à se taire. Ceux qui continuent de l’ouvrir en ne sachant pas plus. 

Ceux qui, après s’être rapidement excusés, avoir fait leur mea culpa sommaire parlent à nouveau, parlent toujours, parleront encore pour faire marcher le grand commerce de la machine à bavardage qui ne coûte pas cher et rapporte gros,

Ceux qui pieusement, ceux qui copieusement, ceux qui benoitement reléguaient les directives d’un libéralisme assumé,

Ceux qui disaient que l’hôpital était une entreprise comme une autre, ceux qui enjoignaient l’ensemble des établissements hospitaliers à résorber le déficit, ceux qui d’un revers de main balayaient l’argumentation du personnel quand il alertait les responsables en disant « nous sommes déjà en sous effectifs », ceux qui disaient aux infirmières en colère « si la situation vous insupporte vous n’avez qu’à rendre vos tabliers », ceux qui devaient pleurer de honte dans les tabliers des infirmières, ceux qui étaient sourds face à la détresse du personnel hospitalier, ceux qui osaient dire que le suicide d’un cadre hospitalier sur son lieu de travail n’avait rien avoir avec la gestion d’un hôpital, ceux qui demain seront peut-être les mêmes pour diriger les hôpitaux et la politique de santé, 

Ceux qui ont du travail, ceux qui n’en n’ont pas, ceux qui en cherchent, ceux qui n’en cherchent pas, 

Ceux qui l’hiver se chauffent dans les églises, ceux qui regardent leur chiens mourir, ceux qui croupissent, ceux qui voudraient manger pour vivre, ceux qui n’ont jamais vu la mer, 

Ceux qui profitent du confinement pour lire Prévert. »

Ceux qui profitent du confinement pour lire Prévert sortiront, sans doute, meilleurs, plus humains, plus solidaires, avec l’envie de voir la ‘’bêtise calculante’’ laisser la place à une société plus juste.

Incapacité et désinformation

La situation est grave et ceux qui ont pour mission de la gérer ont une attitude insupportable. Leur formatage est tel que leur incurie congénitale éclate au grand jour.

Le président de la République et son gouvernement se contredisent à l’image de leur porte-parole, Sibeth Ndiaye dont les expressions en conférence de presse ou sur les réseaux dits sociaux sont exemplaires des cafouillages quotidiens dans les prises de décision pour tenter de sauver la vie de milliers de Français.

Emmanuel Macron se rend au théâtre avec son épouse le 6 mars avant de décréter quelques jours plus tard la fermeture des établissements d’enseignement. Il ose déclarer le pays en guerre pour justifier des mesures liberticides. Il maintient les élections municipales le lendemain de l’annonce du confinement généralisé. On ne compte plus les petites phrases fustigeant ceux qui avaient prévu tous les éléments de la crise une fois qu’elle a eu lieu, alors que lui, Emmanuel Macron a été à l’Elysée, à Bercy et à nouveau à l’Elysée depuis 2007 et qu’il a été à l’origine de toutes les décisions mettant l’hôpital en crise permanente (et pas seulement en période de pandémie) ?

Les regrets d’Agnès Buzyn, larmes de crocodile ! L’appel aux dons de Gérald Darmanin quand le gouvernement a fait des cadeaux somptuaires aux grosses entreprises et aux riches, sa gardant de rétablir l’impôt sur la fortune, insupportable ! Jean-Michel Blanquer désavoué dès qu’il fait une annonce en matière d’enseignement, grotesque ! La morgue de Muriel Pénicaud envoyant ‘’ceux qui n’ont rien’’ au travail, les mains nues, sans protection, insultant !

Quant au préfet de Paris, si adulé par le ministre de l’intérieur et si ‘’performant’’ durant les manifestations, il a exprimé au fond tout le mépris de ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui.

Quand les personnels hospitaliers dénoncent les conditions qui leur sont faites pour soigner des milliers de contaminés, quand le professeur Philippe Juvin et l’urgentiste Christophe Prudhomme dénoncent les responsabilités, ils ne récoltent, au mieux, que des promesses de primes et de répliques honteuses.

Les absences de lits, de masques, de tests et de personnels ? Ce n’est pas le gouvernement d’aujourd’hui, c’est les autres ; on ne sait plus bien qui est responsable et ce n’est pas le moment d’en débattre. Affligeant !

Emmanuel Macron et son gouvernement devront rendre des comptes, un jour qu’on espère le plus proche possible. La comédie du pouvoir a assez duré : nous ne laisserons pas ces voyous de la République continuer à nous humilier, à nous mépriser, à jouer avec notre santé, avec notre travail, avec notre protection sociale, avec notre enseignement, avec notre recherche, avec notre production pour le plus grand bonheur que de quelques-uns. Ses amis, les riches.

Wadjda

L’ironie et l’humour sont très délicats à manier, surtout quand on est Saoudienne et qu’on s’attaque par le cinéma aux interdits d’une société moyenâgeuse et cruelle, dans un pays qui, à l’époque du tournage, ne possédait aucune salle, le cinéma étant considéré comme impur.

Haifaa al-Mansour, seule femme réalisatrice du royaume, a traité avec une rare ironie et un humour dévastateur tous les interdits et obstacles (elle a du, par exemple, se cacher dans une camionnette pour tourner certaines scènes, dirigeant ‘équipe d’hommes par talkie-walkie) pour réaliser un très grand film, Wadjda. 

Wadjda est une petite fille malicieuse et rebelle de 12 ans, qui découvre elle aussi les interdits comme celui de faire du vélo. Il faut du courage (et donc de l’humour) pour faire dire à la directrice de l’école coranique de Wadjda qu’une femme devient stérile en montant sur une bicyclette.

Wadjda (formidable et pétillante Waad Mohammed) découvre sa condition de femme dans un pays patriarcal et déjoue tous les pièges de la société saoudienne. Elle n’est pas naïve (elle comprend toutes les situations avec une rapidité surprenante) et, avec beaucoup d’aplomb et d’intelligence, elle tourne en dérision les interdits dictés par les intégristes au pouvoir.

Le film prend les allures d’une fable féministe ; derrière l’ironie qui déclenche des rires Haifaa al-Mansour dresse un réquisitoire, feutré mais mordant des mœurs de son pays. Elle condamne en fait tous ses tabous et son conservatisme. Wadjda est un formidable hymne à la liberté et à l’égalité femme/homme. Tout se cache dans des détails, innombrables, tout est traité par petites touches. Le film devient vite jubilatoire.

Le succès mérité de son film à l’étranger (à Venise, il a été ovationné) a sans doute permis de desserrer (trop peu) les interdits de la société saoudienne, qui reste (avec d’autres émirats) l’une des plus rétrogrades.

Arte a eu le courage de le programmer en début se soirée et de le faire suivre d’un documentaire allemand de Nadja Frenz, L’islam au féminin, dans lequel des chercheuses, pratiquantes ou encore militantes ont permis de mieux comprendre, par exemple, que l’islam du Coran n’est pas celui des intégristes.

Faouzia Charfi, physicienne tunisienne, explique, par exemple, que la charia n’est pas la loi coranique, que la lapidation de la femme adultère et l’apostasie, c’est-à-dire la condamnation à mort de celui qui renie la religion, n’existent pas dans les textes coraniques.

Une soirée qui fait appel à l’intelligence, c’était bien évidemment sur Arte. La chaîne franco-allemande a donné une leçon de programmation respectant le triptyque information, éducation et divertissement au service public France Télévisions. Mais est-ce surprenant, Arte n’est-elle pas la bonne conscience de la télévision de service public ?