Le SNJ-CGT tiendra son congrès les 14, 15 et 16 juin prochains à Lille. Son documentation est intitulé ‘‘Face à un journalisme sous contraintes, un syndicalisme de combat’’.

Il décline curieusement 7 types de contraintes : étatiques, économiques, patronales, discriminatoires, capitalistes, éditoriales et dans le monde entier.

J’ai fait parvenir la contribution ci-dessous au congrès.

Si le titre du document est juste (Face à un journalisme sous contraintes, un syndicalisme de combat), encore que l’expression syndicalisme de combat est superfétatoire (c’est la marque de la CGT en opposition à celle de la CFDT qui revendique un syndicalisme d’accompagnement) le découpage déclinant 7 formes de contraintes est surprenant et redondant.

A la CGT, nous savons mieux que d’autres, justement, que c’est le capitalisme qui place l’ensemble des salariés sous contraintes ; les autres contraintes déclinées par le document n’étant que des conséquences de l’exploitation des salariés.

Aucune des contraintes listées dans le document n’est ‘’chimiquement pure’’, mais toutes s’interpénètrent à partir des effets d’un même système capitaliste, ou ultralibéral comme on le dit aujourd’hui.

En tant que ‘’travailleurs intellectuels’’, les journalistes sont soumis à des pressions diverses et leur liberté de conscience est sous la pression du code du travail qui, faut-il le rappeler, les place dans la même situation que les autres salariés, soumis aux règles dictées par les employeurs : les journalistes sont assujettis à l’entreprise et à l’employeur, avec un système de sanctions et des procédures de rupture du contrat de travail.

Le combat des journalistes a permis d’obtenir quelques avancées comme la clause de conscience et la clause de cession, d’une part, et la convention collective nationale, d’autre part, enfin la reconnaissance du statut d’auteur (et donc d’un droit moral sur nos œuvres pour, en quelque sorte, rendre l’assujettissement un peu moins rigide ; mais on sait que ces avancées sont limitées, voire illusoires (notamment les clauses de conscience et de cession, sont de plus en plus difficiles à invoquer quand les médias sont aussi concentrés qu’aujourd’hui) et c’est la raison pour laquelle les syndicats ont été à l’initiative d’une revendication intersyndicale sur l’indépendance des rédactions par rapport au poids de plus en plus pesant des actionnaires.

Nous savons, aussi, que le travail en miettes (un contenu demandé à plusieurs journalistes et mis en forme par la hiérarchie) et la précarité (sous toutes ses formes) imposent des limites au droit moral. Mais cette tendance se vérifie dans toutes les formes d’activité dites intellectuelles et de travail en conscience. Nous ne faisons pas exception.

Les nouvelles formes de travail imposées aux journalistes sont le résultat des politiques patronales de recherche du profit immédiat et d’encadrement de l’information, deux caractéristiques du capitalisme qui sont intimement liées. Elles sont confortées et codifiées par les nouvelles réglementations dictées aux gouvernants et aux élus du Parlement par un système économique (actionnaires et acteurs financiers) qui multiplie les actions de lobbying en direction d’un gouvernement français et d’une Commission européenne qui, de plus en plus, précèdent les revendications patronales. Distinguer ‘’contraintes capitalistes’’, ‘’contraintes patronales’’, ‘’contraintes économiques’’, ‘’contraintes étatiques’’, ‘’contraintes éditoriales’’et ‘’contraintes discriminatoires’’(l’ordre de classement est important) n’est donc pas pertinent.

En revanche, le document pourrait mettre utilement en exergue quelques exemples du nouveau processus de fabrique de l’information. Comme celui du journaliste ‘’couteau suisse’’, appelé à remplir le journal papier ou audiovisuel et le site, mais aussi de produire des vidéos, tout en respectant les règles de la course à l’audience et au ‘’clic’’.

Le document ne met pas assez en exergue le processus de concentration en cours actuellement, non seulement dans l’information, mais plus largement dans le domaine de la communication et du divertissement sous l’influence de quelques groupes et surtout des GAFAMN (aujourd’hui, il faut ajouter Netflix à l’acronyme).

Et là, le document passe à côté de l’évolution majeure qui est en cours : les GAFAMN (toutes d’origine américaine) sont en train d’imposer des normes à l’information écrite et audiovisuelle avec leurs algorithmes.

Le document ne relève pas que la tendance est confortée par les gouvernements néolibéraux occidentaux, dont celui d’une France ‘’startup nation’’. On l’a vu clairement avec l’adoption d’un droit voisin pour les éditeurs qui renforce les pouvoirs des énormes plateformes qui ont réussi à faire éclater l’APIG et la solidarité entre éditeurs (les GAFAMN ont choisi leurs interlocuteurs) et spolié les droits d’auteurs des journalistes.

Patronat et gouvernement ont fait allégeance aux GAFAMN et à leurs plateformes à deux reprises en quelques années, d’abord avec l’accord Google de l’Elysée du 1erfévrier 2013, ensuite avec l’adoption du droit voisin des éditeurs par l’Union européenne le 26 mars 2019 et sa transposition ultrarapide par le Parlement le 24 juillet 2019.

C’est une absence majeure dans le texte qui peut donner à penser que le SNJ-CGT a ‘’une guerre de retard’’.

On regrettera vivement aussi quelques lacunes comme l’absence d’analyse sur la situation du média des médias, l’AFP, et celle des médias encore indépendants, mais en grande difficulté, notamment L’Humanité, tenant compte des conditions scandaleuses dans lesquelles se perpétuent les aides à la presse qui vont majoritairement vers les grands groupes. De même, il est impératif de développer la situation du service public de l’audiovisuel, notamment en proposant la sanctuarisation de son budget, des mesures de renforcement de son indépendance, le retrait des décrets Tasca, etc.

Les évolutions du processus de fabrication de l’information ont des conséquences sur nos pratiques syndicales et sur l’organisation du SNJ-CGT. Elles sont relevées.

Mais, compte tenu de l’inclusion de l’information dans des groupes multimédias et, surtout, des plateformes qui vendent de l’information comme elles vendent des produits de consommation courante et des produits informatiques (Amazon, plateforme de distribution à son origine, et Bolloré, papetier puis transporteur, sont-ils si différents dans leur approche de l’industrie des médias et de l’information pur produit de consommation quand elle privilégie le sensationnel, le people et le fait divers ?), il est de plus en plus urgent d’envisager le rapprochement des différentes Fédérations CGT recouvrant les domaines de l’information, de la communication et de la culture, contrôlés par quelques groupes oligarchiques de plus en plus puissants et financiarisés et par les GAFAMN.

Il est donc dommageable de considérer que les conditions d’un tel rapprochement ne sont pas réunies (pour quelles raisons ?), alors qu’il y a urgence à organiser des ripostes à la hauteur des dangers pour la qualité et le crédibilité de l’information, à réduire la culture à du divertissement offrant du temps de cerveau disponible aux annonceurs, autant de moyens de provoquer l’endormissement de la conscience des citoyens.

Dans ce contexte, c’est toute la CGT qui doit se mettre en ordre de bataille et le SNJ-CGT doit en être un acteur déterminé pour libérer l’information et la culture de leurs carcans grâce à la création d’une nouvelle Fédération des industries de la culture, de l’information et de la communication, tissant des liens en tant que de besoin avec les autres Fédérations comme celle de la Poste et des télécommunications, de l’éducation, etc.