La Chouette qui hioque

Mois : septembre 2023

Pourriture

« Something is rotten in the state of Denmark » (William Shakespeare, Hamlet, I, 4, Marcellus), la citation traduite par Victor Hugo a été souvent reprise et adaptée pour décrire notre propre situation : « Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de France ».

Pourri le ministre des armées déclarant à Kiev : « Néanmoins, si on veut durer, on doit être capable de “brancher” directement les industriels français à l’armée ukrainienne. Cela a un intérêt aussi pour l’avenir parce que si la guerre devait s’arrêter vite, ce que je souhaite, l’armée ukrainienne aura besoin de se reconstruire, aura besoin de se défendre. Et donc, ce sont aussi des opportunités pour les industries françaises. Pardon de le dire comme ça, mais il faut l’assumer ».

Quel cynisme ! Combien de citoyens normalement constitués peuvent-ils assumer les propos d’un ministre marchand de canons. La déclaration est ignoble et pourrie, surtout pour les Ukrainiens qui sont plongés dans un chaos incommensurable.

Le surarmement est florissant partout dans le monde (ou presque) alors que la terre brûle et que la pauvreté fait des ravages considérables. Les choix de l’ultra-libéralisme sont assassins pour les peuples.

Plus honteux, dans ce contexte, le projet de loi, baptisé honteusement ‘’plein-emploi’’ qui va être discuté à l’Assemblée nationale à partir de lundi.

Pour l’occasion, la très sérieuse direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) a publié un recueil intitulé ‘’Minima sociaux et prestation sociale’’ dans lequel on peut lire, froidement, que 1,89 millions de foyers, soit 6,9 millions de personnes étaient couvertes par les minima sociaux en 2021. Et la situation ne s’améliore pas, car les dépenses liées à ces minima ont baissé de 3,1 %.

L’étude nous apprend encore que, en 2018, la moitié de la population vivait avec moins de 1770 euros par mois et que les bénéficiaires d’un minima social vivaient avec 940 euros.

Les chiffres sont froids, certes, mais ils sont terribles : un tel niveau de pauvreté dans un des pays les plus riches de la planète est insupportable, quand les ultra-riches, de plus en plus nombreux, font étalage d’un luxe extravagant.

Qu’en pense le ministre des armées ? Et le président des riches plus sensible à la hauteur des dividendes distribués aux gros actionnaires qu’à la résorption de la pauvreté qui touche des millions de pauvres et des millions de retraités ?

Décidément, oui, il y a quelque chose de pourri au royaume de la Macronie. Et les suppôts des ultra-riches font preuve d’un cynisme sans borne.

Sophie Binet rabroue Mélenchon

Il avait critiqué férocement, outrageusement (et pour tout dire bêtement) Fabien Roussel, Philippe Martinez et la CGT au cours d’une émission de Backseat à la Fête de l’Humanité ; en retour Jean-Luc Mélenchon a reçu une volée de bois vert.

Ce ne sont pas ses invectives qui vont permettre d’apaiser les relations entre les différentes composantes de la Gauche. Ce n’est pas en accusant la CGT de tous les maux à propos de la reforme des retraites que celui qui se considère comme le ‘’lider maximo’’ créer les conditions pour revenir sur la loi de Macron.

Sophie Binet, la nouvelle secrétaire générale de la CGT a tenu à lui rappeler par une lettre cinglante quelques règles de bonne conduite entre organisations politiques et syndicats et comment arriver à la « normalisation des relations » avec sa confédération, tout en réaffirmant que les propos tenus sur Philippe Martinez étaient inacceptables.

Sophie Binet a donc écrit à Mélenchon que « la CGT ne permet à aucune organisation politique de s’ingérer dans le déroulement et le résultat de ses congrès ». Elle a poursuivi en réfutant les affirmations du fondateur de la France insoumise : « Laisser entendre que le résultat du 53e congrès de la CGT pourrait être le résultat d’une stratégie de l a France insoumise est mensonger et insultant pour les délégué.e.s, les syndiqué.e.s et les organisations de la CGT qui ne laissent personne d’autres que les travailleuses et les travailleurs leur dicter leur ligne de conduite. »

« La CGT a toujours dit que la mobilisation sociale contre la réforme des retraites ne pouvait qu’être initiée et menée par les organisations syndicales. Si, comme vous l’aviez souhaité, nous avions appelé pour lancer la mobilisation contre la réforme des retraites à une manifestation nationale un dimanche aux côtés des organisations politiques, rien de ce qui a fait la force de la mobilisation historique que nous avons construite n’aurait existé : ni l’intersyndicale, ni l’ancrage territorial, ni la grève, ni le rassemblement très large du monde du travail autour d’un mot d’ordre clair et syndical. De même, si nous avions accepté la « structure commune » que vous dites avoir proposé. »

La secrétaire générale a tenu à rappeler à Jean-Luc Mélenchon qu’une délégation de la CGT avait rencontré en juillet une « délégation mandatée par votre formation politique, et composée de Manuel Bompard, Aurélie Trouvé et Mathilde Panot. Nous avons eu un échange franc dont vos représentant.e.s se sont félicité.e.s, lors duquel je suis revenue en détail sur ces éléments et sur ce que signifiait concrètement l’indépendance syndicale ».

La délégation de la France insoumise a sans doute oublié de rendre compte à celui qui se considère comme le chef naturel de toute la gauche. A moins qu’il ne s’agisse d’une gesticulation réitérée pour faire porter aux autres les raisons de l’échec de l’union de la gauche.

Jean-Luc Mélenchon vaut sans doute mieux que ses éclats permanents. Avec Sophie Binet il est tombé sur une syndicaliste intègre à qui il n’imposera rien. Qu’il éructe ou pas !

Charline et Emmanuel

Mme Charline Avenel a été rectrice de l’académie de Versailles de 2018 au 13 juillet 2023. Elle est donc signataire de la lettre scandaleuse adressée aux parents de l’adolescent du lycée professionnel de Poissy qui s’est suicidé le 5 septembre dernier.

La rectrice prétend aujourd’hui ne pas avoir été au courant de la lettre, avançant qu’elle était en congés. L’enquête se penchera sur la question ; il est impossible d’en dire plus, sinon que la réaction a été tardive et convenue.

L’épisode permet de rappeler que la carrière de l’ex-rectrice a posé de nombreuses questions. De sa nomination à son départ de l’éducation nationale.

Christine Avenel a partagé les bancs de l’ENA avec Emmanuel Macron. Il ne l’a pas oublié, à tel point qu’il a modifié les règles d’entrée dans la fonction de recteur pour la nommer à la tête de la première académie de France, alors qu’elle ne remplissait pas les conditions. C’est-à-dire justifier de dix ans d’expérience dans l’éducation, ou de trois ans comme directeur d’administration centrale et, surtout, être habilité à diriger des recherches.

Merci Emmanuel ! Un cadeau comme celui-là ne s’oublie pas.

Bref, Charline Avenel n’avait aucune compétence sinon une proximité avec le président de la République et d’avoir été conseillère de Valérie Pécresse, de Laurent Wauquiez et du patron de Sciences Po. Un tel parcours, ça aide.

En outre, son passage au rectorat de Versailles a été jalonné de quelques scandales liés au port du voile par trois mères de famille de Clamart pendant une sortie scolaire ou à l’assassinat de Samuel Paty.

Aujourd’hui, elle a quitté la haute fonction publique pour pantoufler dans le plus grand groupe d’enseignement supérieur privé, le groupe Ionis, sans doute plus lucratif. Plusieurs questions de conflits d’intérêts ont été soulevées à ce propos. Les critiques ont été acerbes (mais justifiées).

Bref, à 45 ans, Charline Avenel a su profiter de toutes ses proximités et les utiliser pour son seul profit.

Son parcours ressemble à celui d’autres fonctionnaires issus de la bonne bourgeoisie, dans une République qui ressemble de plus en plus à une république bananière.

La messe est dite

Quand l’extrême droite éructe et s’indigne, c’est plutôt le signe que son idéologie est en mauvaise posture. On peut s’en réjouir.

Le pape François n’a pas parlé immigration à Marseille par hasard, en France, sur les bords de la Méditerranée ; il a déploré que « cette mer magnifique (…) soit aujourd’hui, un immense cimetière où de nombreux frères et sœurs se trouvent même privés du droit à une tombe (…) où seule est ensevelie la dignité humaine ». Il s’adressait directement à ceux qui font de la politique anti-immigration leur fonds de commerce honteux, au prétexte infâme que les immigrés seraient tous des délinquants. Il aurait pu ajouter avec l’ironie qu’il revendique : « Merde à Darmanin », sur l’air de « Merde à Vauban ». Il a préféré rester sur un mode sérieux exigé par la situation catastrophique des immigrés traversant la Méditerranée. 

Les réactions des Zemmour, Marion Maréchal et de sa nauséabonde tante Marine Le Pen,ou encore Bardella et Ciotti étaient attendues ; leurs mots sont toujours aussi abominables. Macron et Darmanin sont restés étrangement muets ; mal à l’aise ? Même pas ; quelles que soient les exhortations papales, ils poursuivent immuablement leur politique malsaine et indigne.  

Après avoir dénoncé l’indifférence, le pape a appelé à la culture de l’humanité et à ne pas se résigner « à voir des êtres humains traités somme des monnaies d’échange (…) nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par des trafics odieux et le fanatisme de l’indifférence ».

Il s’agit là d’une condamnation sans réserve de la politique de ceux qui dirigent actuellement la France et qui défigurent le pays des droits de l’homme.

Les catholiques de notre pays sont divisés ; certains approuvent le pape, d’autres s’interrogent et quelques-uns qui sèment la haine condamnent cette intrusion du chef de l’Eglise dans la politique, en empruntant la logorrhée d’un Zemmour qui a atteint l’ignoble en déclarant : « Que veut le pape ? Il veut que l’Europe chrétienne, berceau du christianisme, devienne une terre islamique ? »

On aimerait que le pape François soit clair sur d’autres sujets comme l’avortement, par exemple, mais surtout qu’il appelle à l’action contre la pauvreté et la misère. Qu’il condamne aussi celui qui, comme lui, a été l’élève des Jésuites.  Les disciples d’Ignace de Loyola se distinguent par leur remise en cause du système de production aliénant et par leur dévouement aux services des immigrés, incarnation de la figure du pauvre. C’est-à-dire l’exact opposé de la politique de Macron et de l’extrême droite.

François a dit la messe à Marseille et après ?

Bonnet d’âne !

Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, est peu sympathique, mais, malgré son allure bonhomme, il a la répartie acerbe. 

Interrogé sur RMC à propos du projet gouvernemental d’autoriser l            a vente à perte du carburant, il a été cinglant : « Vous vendez souvent à perte vous ? Un peu de bon sens ! »

TotalEnergies, gérant un tiers des stations-service sur le territoire, rejoint ainsi les groupes de grandes surfaces, Carrefour, Leclerc, Intermarché ou encore Système U, peu enthousiastes à l’idée de vendre à perte et d’abandonner des millions d’euros.

Le gouvernement a semble-t-il oublié que TotalEnergies n’est pas qu’un distributeur, mais aussi un raffineur, vers lequel les groupes de grandes surfaces vont s’approvisionner.

A ce point d’incompétence, on doit se poser la question de savoir quel énarque a eu cette idée saugrenue d’avance la solution de la vente à perte du carburant pour redonner du pouvoir d’achat aux citoyens. L’idée n’est ni lumineuse, ni fondée économiquement.

A tergiverser plutôt qu’à rechercher de vraies solutions à l’inflation comme les augmentations de salaires, l’indexation de ceux-ci sur le coût de la vie, sur l’abaissement des taux de TVA, l’augmentation des taxations sur les dividendes et des impôts sur les riches, les brillants ultra-libéraux qui occupent les postes de commandement se sont pris les pieds dans le tapis. Ils ont décroché le bonnet d’âne !

Leur communication a fait un flop retentissant et il est réjouissant d’entendre Patrick Pouyanné, le plus ardent défenseur du système, dénoncer son ineptie et de mettre le doigt sur les impasses du libéralisme en crise profonde.

Emmanuel Macron tentera de se remettre de l’affront en recevant un monarque dévalorisé et désuet à Versailles, puis à la messe papale à Marseille ! Avec des airs d’Ancien Régime, éloignés de la ‘’start-up nation’’.

Le temps des Croisades !

La lettre quotidienne de Charlie Hebdo d’hier soir débute un article par une interpellation ébouriffante et qui m’a interloquée : « Bienvenue à ‘’l’école du diable’’ ».

Les faits rapportés par l’article sont pour le moins étonnants : « À Ploërmel, dans le Morbihan, le premier lycée public vient enfin d’ouvrir… après une lutte de cinq décennies mené par les piliers de l’enseignement catholique dans la ville. À Mona Ozouf, 220 élèves de seconde et de première ont effectué leur première rentrée, le 4 septembre. Jusqu’ici, l’offre scolaire dans la ville était uniquement privée ; un monopole étonnant pour une ville de 10 000 habitants. »

Puissance de l’Eglise catholique ou plutôt démission des institutions d’un Etat laïc ?

Il est difficile de trancher quand Charlie Hebdo nous apprend également que Béatrice Le Marre, maire de la ville de 2014 à 2020 avait dû batailler aussi pour obtenir le retrait d’un crucifix de la salle des mariages et la tenue du conseil municipal dans les bâtiments municipaux plutôt que dans le collège privé du Sacré-Cœur. Cette enseignante, socialiste, a néanmoins réussi à obtenir l’ouverture d’un lycée laïc avant d’être battue en 2020 par un réactionnaire. Sa victoire (pour l’école de la République) a un goût amer ! La calotte a gagné une bataille.

Mais le combat de Mme Le Marre n’a pas été vain : « Nous sommes dans un secteur très ouvrier, où les salaires sont bas et les personnels peu qualifiés. Il y avait un vrai enjeu à offrir la possibilité d’une éducation gratuite. » La preuve ? A la rentrée, la présence de 220 élèves de classe de seconde sur les bancs du nouveau lycée !

La guerre de religion a connu des moments cocasses, dont l’un est rapporté par Charlie Hebdo : « Nombre d’habitants s’étonnent qu’on donne au nouveau lycée public un ‘’nom arabe’’, sans savoir que Mona Ozouf est…bretonne. »

Les agités de la calotte ont avalé leur hostie de travers ; l’obscurantisme et le dogmatisme ont reculé. Mais les crucifix sont toujours là. Avec des défenseurs comme Bolloré ou de Villiers qui ont pris la tête d’une nouvelle croisade au nom de la défense des valeurs de l’Occident. Comme au Moyen-Âge.

A propos de Vincent Bolloré, il est à croire que sa puissance est telle que les institutions de la République se courbent devant lui et ses ouailles. Avec beaucoup de déférence (qu’ils ne méritent pas).

Dimanche, l’émission de France 5 ‘’C médiatique’’, animée par Mélanie Taravant, a osé inviter Cyril Hanouna, qui, sans aucune retenue, s’est livré à une nouvelle attaque contre le service public et, notamment, l’émission Complément d’enquête consacrée au Puy du Fou. Evidemment, il jubilait : « Cette émission sera ma dernière avant un bon bout de temps et je suis venu parce que ce sont des amis, et ça me faisait marrer d’être le premier invité de C médiatique ! » Il en rit encore.

Comment une telle invitation a-t-elle été possible ?

On peut supposer que les grenouilles de bénitier Bolloré et de Villiers ont dû féliciter chaudement l’ignoble Hanouna. Mais tout esprit normalement constitué s’étonne d’une telle faute déontologique en laissant le micro ouvert à un faussaire, adversaire du service public, de l’information complète et vérifiée, condamné de nombreuses fois par l’ARCOM pour ses ‘’dérapages’’ très contrôlés et ignobles.

Les affaires de Ploërmel et de C Médiatique en disent beaucoup sur les compromissions des dirigeants du pays des droits de l’homme avec les forces obscurantistes et réactionnaires. Ont-ils conscience qu’ils labourent le terrain pour le Rassemblement national et ses idées lugubres et inquiétantes ?

Raisins de la colère

Jeremy Corbyn, l’ex-leader du Parti travailliste britannique a lu Les Raisins de la colère, admirable roman de John Steinbeck (et sans doute vu aussi le film non moins admirable de John Ford). 

C’est ce qu’on peut imaginer quand, interrogé sur le site Investig’Action, sur les récents coups d’état survenus en Afrique centrale et de l’Ouest francophone, il a une réponse à la fois malicieuse et pleine de gravité : 

« Je suis très intéressé par ce qui se passe en Afrique de l’Ouest ! Et je me souviens d’une brillante vidéo de 30 secondes sur Youtube dans laquelle on posait une question à un homme marchant dans les rues de Paris. « Désolé Monsieur, puis-je vous poser une question ? », lui dit l’intervieweur. « Quelles sont les ressources naturelles du Niger ? » L’homme répond : « Uranium ». Deuxième question : « Quelles sont les ressources naturelles de la France ? » Il répond : « Niger ! » Cette spontanéité en dit tellement long… »

Les raisins de la colère étaient mûrs au Gabon et au Niger ! Il n’y a que Macron et les néo-colonialistes pour ne pas l’avoir vu.

Sensitivity Readers

Kevin Lambert est un jeune (30 ans) auteur québécois dont le troisième roman, Que notre joie demeure, vient de déclencher une petite polémique littéraire.

L’éditeur de Kevin Lambert, donc, s’est vanté d’avoir eu recours à une ‘’sensitive reader’’, Chloé Savoie-Bernard, poète et professeure de littérature, canadienne elle aussi et d’origine haïtienne.

‘’Sensitive reader’’, ‘’sensitivity readers’’ ? Comment traduire cette expression ? Mot à mot par ‘’lecteur se sensibilité’’ ou, comme le propose Wikipédia par ‘’démineur éditorial’’. Il s’agit d’une personne chargée par un éditeur de relire une œuvre pour en détecter les passages problématiques, touchant à la représentation des minorités, des genres, des groupes religieux etc. Il ne s’agit donc pas d’un correcteur qui, lui, n’intervient pas sur les contenus, mais plutôt du directeur de conscience des auteurs. 

Ecrivain reconnu, lui, Nicolas Mathieu s’est levé contre le recours aux ‘’sensitivity readers’’ dans un texte fulgurant : 

« L’espace d’expression dont nous jouissons aujourd’hui n’est pas un dû, un état de fait, une permanence. C’est une conquête et un immense progrès, notre legs et le résultat d’au moins deux siècles de bataille esthétique et politique. Qu’il faille, lorsqu’on traite un sujet, le faire avec précaution et vigilance, cela va de soi. Le pouvoir de tout dire (ou presque) suppose de ne pas le faire n’importe comment. Un auteur, une autrice, a des responsabilités morales, quant à son point de vue, par rapport à la manière dont il ou elle traite des personnages, des situations, l’histoire, ses protagonistes, a fortiori quand ces derniers ont été éclipsés, ignorés, maltraités par une civilisation toute entière. Effectivement, on n’écrit pas à la légère. Et l’on peut en dépit de ses scrupules, des éditeurs qui se succèdent sur un manuscrit, des amis qui vous relisent, se planter. Les lecteurs alors ne se privent pas de le dire, et d’autres, surtout, peuvent alors écrire d’autres textes, d’autres livres, qui par leur vérité, leur clairvoyance, feront honte au vôtre. C’est le jeu, celui des rapports de force dans le champ artistique. Mais faire de professionnels des sensibilités, d’experts des stéréotypes, de spécialistes de ce qui s’accepte et s’ose à un moment donné la boussole de notre travail, voilà qui nous laisse pour le moins circonspect. Qu’on s’en vante, voilà qui est au mieux amusant, à la vérité pitoyable. Qu’on discrédite d’un mot ceux qui pensent que la littérature n’a rien à faire avec ces douanes d’un nouveau genre, et sous-entendre qu’ils font le jeu des oppressions en cours, c’est tout bonnement une saloperie. Ce type de sorties navrent autant par leur autosatisfaction que par leur malhonnêteté intellectuelle. Et que dire d’auteurs et autrices qui se gargarisent d’être à ce point en adéquation avec l’esprit de leur temps. Ecrivains, écrivaines, nous nous devons de bosser, et de prendre notre risque, sans tutelle, ni police. C’est bien là la moindre des choses. »

A la lumière de ces très belles lignes de Nicolas Mathieu, les ‘’sensitivity readers’’ sont plutôt une façon (inélégante) pour les éditeurs de couler les œuvres dans un moule idéologique. La littérature n’a rien à gagner à une mise au pas des auteurs et autrices. Imagine-t-on Voltaire, Victor Hugo, Baudelaire, Zola accepter de confier leurs œuvres à des censeurs garants des dogmes ultralibéraux ? Imagine-t-on les ravages des ‘’sensitivity readers’’ de Bolloré dans les maisons d’édition d’Hachette ?

Les auteurs, les autrices ont toujours refusé les tutelles et la police de l’esprit. Ils et elles ont besoin de toujours plus de liberté, et, en cette période d’ultralibéralisme triomphant, le temps n’est pas venu d’en céder la moindre parcelle. 

Reconversion

J’imagine que l’embauche de Laurent Berger, désormais ex-secrétaire général de la CFDT, par le Crédit Mutuel va susciter des remarques acerbes dans les milieux syndicaux et politiques.

Dans un monde où les leviers politiques sont sous la dépendance des dogmes des milieux financiers, ce recrutement est incongru, même si le Crédit Mutuel se gausse d’être mutualiste (ce qu’il n’est pas réellement). A qui fera-ton croire que Laurent Berger aura le pouvoir d’influencer le prétendu ‘’virage stratégique’’ d’un établissement qui est encore aux côtés des industriels des énergies fossiles et ne consacre que 15 % de son résultat net à des projets ‘’verts’’.

Les exemples des prédécesseurs de Laurent Berger ne manquent pas d’interroger. Edmond Maire (président des VVF), Nicole Notat (et son agence de notation) et François Chérèque (recasé comme inspecteur général des affaires sociales) ont-ils fait émerger un seul problème sociétal ?

Les illusions se paient très cher. Les journalistes et les ouvriers du Livre de la dizaine de titres de quotidiens régionaux du groupe EBRA, contrôlés par le Crédit Mutuel, eux, ne se bercent plus d’illusions. Ils ont déjà payé.

Cela dit, la reconversion de Laurent Berger met au grand jour un problème du syndicalisme aujourd’hui. Il est évidemment souhaitable d’avoir des dirigeants jeunes, ne consacrant qu’une partie de leur carrière à la chose syndicale. Il est clair que de hauts dirigeants qui ont eu d’énormes responsabilités et acquis des connaissances indéniables ne doivent pas se retrouver sans emploi à la fin de leur mandat.

Faute d’un statut de l’élu syndical, les anciens syndicalistes sont-ils condamnés à retourner dans leur ancien emploi ou, s’ils ont démissionné pour militer, à attendre une offre, qui sera, on s’en doute, toujours interprétée comme une récompense pour services rendus ou comme un alibi ?

Il ne semble pas que l’ultralibéralisme soit prêt à négocier sur le sujet ; on en veut pour preuve une mise à l’écart de plus en plus prononcée des syndicats par une politique autoritaire et verticale.

La reconversion des syndicalistes par la voie de la validation des acquis n’est pas inscrite à l’agenda du capitalisme.

11 septembre

Le 11 septembre 1973 Augusto Pinochet bombardait le palais de la Moneda à Santiago et renversait le président Allende. Il ne s’agissait que d’un épisode d’une vaste opération, baptisée Operacion Condor, menée par la CIA pour amener des dictateurs au pouvoir en remplacement de gouvernements élus démocratiquement, au Chili, en Argentine, en Bolivie, au Brésil, au Paraguay et en Uruguay.

Combien d’assassinats, d’enlèvements, de tortures, de disparitions ont été perpétrés par Pinochet, Videla, Stroessner, Bordaberry, Banzer et Geisel ? Des milliers.

Leurs régimes ont confisqué les libertés et engendrés la misère des peuples.

José Saramago relevait à juste titre dans son Cahier, en 2008, que « souvent, sous l’horreur, il y a des intérêts économiques, des délits clairement identifiés perpétrés par des personnes et des groupes concrets qui ne peuvent être ignorés dans des Etats qui se proclament de droit ».

Salvador Allende et son ami Augusto Olivarès se sont suicidés le 11 septembre sous les bombes des putschistes ; Pablo Neruda a été assassiné quelques jours plus tard, comme Orlando Letelier, ministre de la défense (victime d’un attentat à la voiture piégée à Washington où il s’était réfugié). Pinochet a permis les assassinats de plus de 3200 opposants et disparus ; le nombre de personnes torturées est estimé à plus de 38 000 et plus de 250 000 Chiliens se sont exilés ou ont été expulsés. 

Des tortionnaires français ont participé à alimenter le bilan terrible de ces crimes contre l’humanité.

On ne doit rien oublier de cet épisode horrible. En France, les partis d’extrême droite (et parfois ceux de droite) ont eu des sympathies affirmées pour les dictateurs d’Amérique du Sud. Ils partagent les mêmes idéologies, même si, aujourd’hui, ils sont dédiabolisés par des médias aux mains des milliardaires illuminés et menant une croisade pour les valeurs de la France qu’ils qualifient d’éternelle.

Nous ne pouvons pas dire que nous ne savions pas. En France, les vrais démocrates n’ont pas envie de mesurer les conséquences de l’arrivée au pouvoir d’ultralibéraux qui, sous couvert, de lutter contre l’envahissement du pays par des ‘’immigrés-délinquants’’, visent à imposer un régime autoritaire où leurs affaires pourront prospérer sans entrave.

Le 11 septembre 1973 ? C’était hier. Nous devons commémorer cette date et apprendre de l’histoire pour éviter de plonger dans la même terreur.

Pauvres Marocains

Quand la terre se déchire apparaissent au grand jour les inégalités dans les pays touchés par les séismes.

Le peuple marocain souffre et ne cesse de dénombrer ses victimes ; les moins riches comme en Turquie en février dernier sont les premières victimes.

On connaît les causes du bilan terrifiant : habitat vétuste à base de mâchefer ou de terre, absence de normes antisismiques, mais pas seulement. Quand les pauvres n’ont plus rien à espérer de leurs lopins de terre, ils se tournent vers une auto-construction avec des matériaux sommaires dans des zones d’urbanisation rapides où ils espèrent trouver un petit emploi qui leur permettra de vivre moins mal.

Certes, des riads et des villas pour classes aisées et touristes ont été anéanties, elles aussi, mais les pauvres paient le plus lourd tribut. Comme en Turquie, comme partout.

Les régimes libéraux ou archaïques (comme le Maroc) sont responsables de toutes les tragédies en fermant les yeux devant les inégalités assumées au nom du Marché.

On ne peut pas dire qu’on ne savait pas ; un rapport de la Banque mondiale publié en 2020 notait que : « La persistance d’un habitat non-réglementaire etvétuste, la littoralisation accentuée de l’urbanisation, le changement climatique, la fragilisation du patrimoine bâti ancien, constituent autant de facteur de vulnérabilité. » Le roi Mohamed VI l’a-t-il lu ? Et s’il l’a lu qu’a-t-il fait ?

Autoritaire et répressif, vautré dans le luxe, le monarque despotique d’un autre âge a des comptes à rendre.

Des Français ont faim

Le Secours populaire vient de publier la 17e édition du baromètre de la pauvreté et de la précarité. Il fait le constat que les privations atteignent des niveaux record.

Selon le rapport, « Presqu’un Français sur deux (45%, +6 points) assure s’être retrouvé dans l’incapacité, absolue ou partielle, de payer certains actes médicaux ; et un sur trois (32%) n’est pas en capacité de se procurer tous les jours une alimentation saine en quantité suffisante pour manger trois repas par jour. »

Une situation que l’on retrouve dans toute l’Europe !

En 2023, dans l’un des pays les plus riches de la planète, des gens ont faim.

En 2023, des enfants scolarisés couchent dehors.

En 2023, des gens n’ont plus accès aux soins les plus élémentaires.

Ce n’est pas plus acceptable aujourd’hui qu’hier et bien moins que demain.

Les Restos du cœur ont lancé un cri d’alarme. Il a été repris par les autres associations, Secours populaire, la Croix-Rouge. L’argent manque. Les bénévoles sont moins nombreux et les gens crèvent de faim ou faute de soins.

Emmanuel Macron et son gouvernement ont fait un petit geste aux seuls Restos du cœur ; laissant le terrain au mécénat des ultra-riches, genre Bernard Arnault et François Pinault, qui, eux, ne manquent de rien, assis sur une fortune considérable.

En 1954, l’abbé Pierre avait déjà lancé un cri d’alarme. Coluche a lancé ses Restos du cœur en 1986. Et la pauvreté s’étend toujours et gagne du terrain jusqu’en direction des classes moyennes. Faisant mentir les paroles de la chanson des Restos du cœur : « Aujourd’hui, on n’a plus le droit ni d’avoir faim, ni d’avoir froid. » Paroles écrites il y a 37 ans. Hélas.

« Dépassé le chacun pour soi », chantait encore Coluche.

Il faut agir vite pour ne plus avoir honte de la situation et  pour que la 18e édition du baromètre du Secours populaire nous redonne espoir que tous les Français n’auront bientôt plus faim.

Un pays en manque

Quelle rentrée ! Jamais notre pays n’aura eu un président et un gouvernement aussi éloignés des préoccupations des citoyens.

Plutôt que de dresser l’inventaire des problèmes qui assaillent le quotidien et apporter des solutions, ceux qui prétendent gouverner détournent la tête et évitent le débat en sortant les épouvantails, toujours les mêmes.

Il manque des professeurs dans toutes les écoles, collèges et lycées, on ressort l’abaya.

Il manque des conducteurs de bus pour assurer le ramassage scolaire, on évite d’en parler. Silence. Circulez, il n’y a rien à dire et rien à voir.

Il manque, au bas mot, plus de 200 000 places de crèche, Elisabeth Borne assure que 100 000 lits seront créés d’ici à 2027. A ce rythme-là, le déficit ne sera jamais comblé. Elle oublie de préciser que ce sont essentiellement les grands groupes spécialisés dans la petite enfance, mais tous adossés à des fonds d’investissement qui assureront l’essentiel avec des subventions généreusement attribuées. Les dirigeants de Babilou Family, les petits chaperons rouges (groupe Grandir), People et Baby ou La Maison bleue calculent déjà leurs dividendes, comme les groupes du grand âge. Et le cash qui leur permettront de continuer à racheter les petites structures.

Pendant le même temps, les jeunes couples hésitent à faire des enfants et la France vieillit ! Le capitalisme est fou et le service public laissé en jachère. Pour le plus grand bonheur des fonds d’investissement.

Crèches, écoles, hôpitaux, EHPAD, notre vie, de notre naissance à notre mort, est entre les mains du privé.

En revanche, la France ne manque pas de pauvres ; les associations doivent suppléer les carences de l’Etat pour éviter une famine, comme au Moyen-Âge. Mais tous les relais de solidarité croulent sous le poids de l’expansion vertigineuse de l’extrême pauvreté. L’Etat répond chichement et compte sur les ‘’généreux mécènes’’, ceux qui multiplient les bénéfices et ne paient pas d’impôts (ou si peu).

La planète brûle et Emmanuel Macron tourne la tête pour ne rien voir et éviter de mettre en place une véritable politique environnementale digne de ce nom. Pendant la canicule, les affaires continuent.

Pour occuper néanmoins l’espace médiatique, il avance une idée lumineuse et très écologique : que chaque élève des classes de 6e plante un arbre. L’idée est à la fois saugrenue et implique des enfants qui ne sont nullement responsables de la situation catastrophique de la planète Terre. Macron a ‘’oublié’’, semble-t-il, un petit détail : où qu’ils soient plantés (rien n’est précisé), les jeunes arbres auront besoin d’arrosage.

Nous sommes vraiment dans un pays en manque. Manque de services publics à la hauteur des enjeux sociétaux. Manque d’idées d’avenir.

Les résultats financiers immédiats sont la seule boussole des patrons et des politiques. L’immédiateté, ennemi de l’avenir.

Grandes dames (modestes)

Le hasard a voulu que deux publications du même groupe publient les interviews de deux grandes dames d’exception.

Télérama a conversé longuement avec Esther Duflo, la plus jeune lauréate du prix Nobel d’économie. Elle consacre toute sa vie à la lutte contre l’extrême pauvreté. Le Monde, lui, a rencontre Henriette Steinberg, la secrétaire générale du Secours populaire, dans le cadre de la rubrique « Je ne serais pas arrivée là si… ». Elle aussi participe à la lutte contre la pauvreté. Depuis l’enfance. De tout son être !

Deux engagements totaux, profonds, de conviction. Les deux trajectoires sont parallèles au fond et finissent par se ressembler, même si l’une est enseignante-chercheuse et l’autre bénévole.

Les deux entretiens sont passionnants.

Mais il existe une différence essentielle entre ces deux femmes. Quand Télérama demande à Esther Duflo s’il faudrait remettre en question le système capitaliste, elle réponde très franchement : « Je ne sais pas. C’est très bien que des gens réfléchissent au système, mais ce n’est pas mon sujet. » Henriette Steinberg, elle, milite au Parti communiste et veut changer le système qui secrète la pauvreté. En revanche, elle ne voit pas de contradiction dans son action d’aider les pauvres : « Avant de faire la révolution, il faut savoir ce qu’on va manger le lendemain ». Et, pour se faire bien comprendre, elle ajoute : « Quand quelqu’un se noie, on ne lui demande pas pourquoi il n’a pas appris à nager, on lui jette une gaffe ou on plonge pour le sortir de l’eau. J’ai toujours adhéré à cette démarche. » 

Une chose est sûre, ces deux grandes dames (modestes) ont, hélas, des motifs de lutter. A la question de savoir si la situation s’est améliorée sur le front de la pauvreté, Henriette Steinberg est catégorique : « Non, c’est de pire en pire. Et ça se dégrade de plus en plus vite. La casse profonde du service public est une véritable catastrophe pour le pays, notamment dans l’éducation nationale. »

Esther Duflo la rejoint quand elle déclare : « Moi, ce que j’essaye de dire, c’est que dans le monde actuel tel qu’il est, il existe énormément de marges d’action. À condition d’adopter la bonne attitude — c’est-à-dire à la fois de ne pas compter sur le système capitaliste pour naturellement prendre soin des plus vulnérables, mais aussi de ne pas compter sur nos intuitions pour comprendre ce dont les gens ont besoin et ce qui va marcher pour résoudre leurs problèmes —, quel que soit le système dans lequel on vit, on se rend compte qu’il y a déjà énormément à faire là, tout de suite, maintenant, sans attendre le grand soir d’une révolution. »

Leur détermination est totale ; malgré de telles femmes, la pauvreté gagne du terrain. Saloperie de système capitaliste.

La confusion comme programme

Le moteur politique d’Emmanuel Macron, c’est la « destruction créatrice », la théorie de Joseph Schumpeter. Selon le philosophe allemand, des processus de mutation industrielle se créent continuellement, « appâtées par le profit (…) il se produit une réorganisation complète de l’industrie, avec hausse de la production, concurrence acharnée, disparition des entreprises obsolètes, licenciements éventuels ».

Emmanuel Macron ne dit rien d’autre ; la société numérique est l’avenir et, en même temps, porteuse de nouveaux profits pour les premiers de cordée qui ont investi dans les nouvelles technologies. Au diable, les laissés pour compte, victimes de la prétendue obsolescence des industries traditionnelles.

Le président de la République n’éprouve aucun regret de voir les fonderies disparaître ; il ne vole pas au secours de leurs salariés, malgré leurs longues années de dur labeur !

La destruction créatrice est l’idéologie assumée des ultra-libéraux comme Macron, qui n’hésitent pas à se complaire dans le confusionnisme.

Il prétend apaiser les soignants et annonce une revalorisation des primes de nuit et du dimanche, quand ils réclament des emplois et des augmentations de salaires ; il avait fait applaudir les mêmes soignants tout en faisant fermer des lits. Il dénonce les violences policières, mais il permet l’expulsion des prétendues familles d’émeutiers de leur logement social. Il dit que le colonialisme est un crime contre l’humanité, mais il condamne les coups d’Etat chassant les dictateurs suppôts du néo-colonialisme. Il annonce une revalorisation des pensions des retraités les plus modestes, mais le coup de pouce ne sera pas pour tous, la Caisse d’assurance vieillesse étant dans l’incapacité de reconstituer toutes les carrières.

On pourrait continuer à énumérer les confusions de Macron. On s’en tiendra à ces quelques exemples de la confusion entretenue par des effets d’annonces confrontés à la réalité.

C’est toute la politique des ultra-libéraux dont Emmanuel Macron est le porte-drapeau le plus caricatural.