Pour l’UNICEF et la Fédération des acteurs de la solidarité, plus de 2000 enfants dorment à la rue en France en 2024. Les deux institutions parlent d’une tragédie alarmante, dont le bilan est largement sous-évalué et d’une « violation flagrante des principes de la Convention internationale des droits de l’enfant ». Un rapport est toujours un peu froid ; celui-ci ne mâche pas ses mots.
Le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre n’est pas étonné par les chiffres effroyables ainsi révélés ; il accuse sans retenue : « On est face à un gouvernement démissionnaire qui n’a pas fait grand-chose et qui n’a même pas fait semblant de faire quelque chose (…) Il faut agir sans attendre sur les situations les plus graves. Si vous débloquez 100 ou 200 millions d’euros, ça permet de faire en sorte que les enfants dont on parle soient hébergés. On parle de 2 000 enfants, la France a les moyens de le faire, tout est question de volonté politique. »
La situation n’est pas nouvelle, hélas. Rappelons-nous. En 1945, Eli Lotar et Jacques Prévert réalisaient un formidable court métrage, commande du maire communiste d’Aubervilliers. Il s’agissait de dénoncer les logements insalubres dans cette banlieue laborieuse, mais bien au-delà. Le film avait marqué les esprits des bonnes âmes de l’époque ; sans rien changer, hélas.
Ce film est resté dans les mémoires grâce à la très belle chanson de Jacques Prévert en forme de coup de gueule, mais d’une grande pudeur et de beaucoup de poésie. L’auteur des commentaires et scénariste, toujours prêt à voler au secours des démunis, avait frappé fort :
« Gentils enfants d’ Aubervilliers / Vous plongez la tête la première / Dans les eaux grasses de la misère / Où flottent les vieux morceaux de liège / Avec les pauvres vieux chats crevés / Mais votre jeunesse vous protège / Et vous êtes les privilégiés / D’un monde hostile et sans pitié / Le triste monde d’ Aubervilliers / Où sans cesse vos pères et mères / Ont toujours travaillé / Pour échapper à la misère / A la misère d’ Aubervilliers / A la misère du monde entier / Gentils enfants d’ Aubervilliers / Gentils enfants des prolétaires / Gentils enfants de la misère / Gentils enfants du monde entier / Gentils enfants d’ Aubervilliers / C’est les vacances et c’est l’été / Mais pour vous le bord de la mer / La Côte d’Azur et le Grand Air / C’est la poussière d’Aubervilliers / Et vous jetez sur le pavé / Les pauvres dés de la misère / Et de l’enfance désœuvrée / Et qui pourrait vous blâmer »
C’était en 1945, au sortir d’une guerre terrible. En 1924, la situation d’un pays dit développé, n’a pas changé ; le gouvernement a abandonné la politique du logement. S’arc-boute pour ne pas augmenter les salaires, soucieux, avant tout, de défaire les acquis du Conseil national de la Résistance.
Quand le président de la République préfère aller vendre 12 avions de mort pour près de 7 milliards d’euros à la Serbie, petit pays de moins de 7 millions d’habitants, pour le plus grand bonheur des actionnaires de Dassault, plutôt que de nommer un premier ministre de gauche, il affiche ses choix de classe.
« Je ne veux plus, d’ici à la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus. C’est une question de dignité, c’est une question d’humanité et d’efficacité là aussi. » C’est ce que déclarait le tout nouveau président de la République le 27 juillet 2017 à Orléans. Aujourd’hui, l’UNICEF n’a pas osé rappeler son engagement à Macron.
Les gentils enfants de la misère, d’Aubervilliers et d’ailleurs, ne sont plus une priorité. Leur dignité non plus.