La Chouette qui hioque

Mois : août 2024

Gentils enfants de la misère

Pour l’UNICEF et la Fédération des acteurs de la solidarité, plus de 2000 enfants dorment à la rue en France en 2024. Les deux institutions parlent d’une tragédie alarmante, dont le bilan est largement sous-évalué et d’une « violation flagrante des principes de la Convention internationale des droits de l’enfant ». Un rapport est toujours un peu froid ; celui-ci ne mâche pas ses mots.

Le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre n’est pas étonné par les chiffres effroyables ainsi révélés ; il accuse sans retenue : « On est face à un gouvernement démissionnaire qui n’a pas fait grand-chose et qui n’a même pas fait semblant de faire quelque chose (…) Il faut agir sans attendre sur les situations les plus graves. Si vous débloquez 100 ou 200 millions d’euros, ça permet de faire en sorte que les enfants dont on parle soient hébergés. On parle de 2 000 enfants, la France a les moyens de le faire, tout est question de volonté politique. »

La situation n’est pas nouvelle, hélas. Rappelons-nous. En 1945, Eli Lotar et Jacques Prévert réalisaient un formidable court métrage, commande du maire communiste d’Aubervilliers. Il s’agissait de dénoncer les logements insalubres dans cette banlieue laborieuse, mais bien au-delà. Le film avait marqué les esprits des bonnes âmes de l’époque ; sans rien changer, hélas.

Ce film est resté dans les mémoires grâce à la très belle chanson de Jacques Prévert en forme de coup de gueule, mais d’une grande pudeur et de beaucoup de poésie. L’auteur des commentaires et scénariste, toujours prêt à voler au secours des démunis, avait frappé fort :

« Gentils enfants d’ Aubervilliers / Vous plongez la tête la première / Dans les eaux grasses de la misère / Où flottent les vieux morceaux de liège / Avec les pauvres vieux chats crevés / Mais votre jeunesse vous protège / Et vous êtes les privilégiés / D’un monde hostile et sans pitié / Le triste monde d’ Aubervilliers / Où sans cesse vos pères et mères / Ont toujours travaillé / Pour échapper à la misère / A la misère d’ Aubervilliers / A la misère du monde entier / Gentils enfants d’ Aubervilliers / Gentils enfants des prolétaires / Gentils enfants de la misère / Gentils enfants du monde entier / Gentils enfants d’ Aubervilliers / C’est les vacances et c’est l’été / Mais pour vous le bord de la mer / La Côte d’Azur et le Grand Air / C’est la poussière d’Aubervilliers / Et vous jetez sur le pavé / Les pauvres dés de la misère / Et de l’enfance désœuvrée / Et qui pourrait vous blâmer »

C’était en 1945, au sortir d’une guerre terrible. En 1924, la situation d’un pays dit développé, n’a pas changé ; le gouvernement a abandonné la politique du logement. S’arc-boute pour ne pas augmenter les salaires, soucieux, avant tout, de défaire les acquis du Conseil national de la Résistance.

Quand le président de la République préfère aller vendre 12 avions de mort pour près de 7 milliards d’euros à la Serbie, petit pays de moins de 7 millions d’habitants, pour le plus grand bonheur des actionnaires de Dassault, plutôt que de nommer un premier ministre de gauche, il affiche ses choix de classe.

« Je ne veux plus, d’ici à la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus. C’est une question de dignité, c’est une question d’humanité et d’efficacité là aussi. » C’est ce que déclarait le tout nouveau président de la République le 27 juillet 2017 à Orléans. Aujourd’hui, l’UNICEF n’a pas osé rappeler son engagement à Macron.

Les gentils enfants de la misère, d’Aubervilliers et d’ailleurs, ne sont plus une priorité. Leur dignité non plus.

Le ouf de Seux

Dominique Seux, l’homme lige de Bernard Arnault, a poussé un ouf de soulagement aujourd’hui dans les colonnes des Echos. Je n’invente rien, c’est le titre de son billet : « Gouvernement : un ouf de soulagement ».

Il écrit : « Le pire est évité. C’est ce que les milieux économiques peuvent logiquement se dire après la décision d’Emmanuel Macron de refuser d’installer un gouvernement du Nouveau Front populaire (NFP) à Matignon. Exit Lucie Castets. Mais surtout exit un programme qui donnait de légitimes sueurs froides aux entreprises et à ceux qui connaissent l’économie. »

On appréciera la modestie du personnage qui se range du côté de ceux qui « connaissent l’économie », ce qui lui a valu de devenir éditorialiste chaque matin sur France Inter à une heure de grande écoute.

Avec un tel connaisseur, et une telle profondeur d’analyse, les patrons (et particulièrement Bernard Arnault, le roi du luxe) respirent en observant que Macron a opposé son veto à Lucie Castets et au programme de la gauche.

Dominique Seux est soulagé ; les Français qui ont voté contre l’accession de Marine Le Pen au pouvoir le sont moins.

Macron a besoin de s’attirer la bienveillance des députés d’extrême droite pour ne pas censurer une coalition de droite (Ensemble et Républicains) et ainsi maintenir et poursuivre sa politique antisociale, austéritaire et anti-immigration. C’est-à-dire tout ce que les électeurs ont sanctionné en juillet en éliminant de nombreux sortants macronistes et autant de sortants Républicains.

Coup de force ? Coup d’état ? Peu importe le qualificatif, la situation est grave et la riposte du peuple doit être à la hauteur du déni de Macron.

Dominique Seux, soulagé par la mise à l’écart de Lucie Castets, ne dit pas un mot d’une situation qui place le Rassemblement national en arbitre. Son patron est également soulagé et s’accommode de ce flirt de la droite avec le tandem Le Pen – Bardella, couple tragique. 

Tous, de Macron à Bernard Arnault, en passant par Attal et Ciotti, Dati et Wauquiez, Xavier Bertrand et Marine Le Pen montrent leur vrai visage, celui de la France réactionnaire, prête à toutes les compromissions pour sauver le libéralisme ravageur.

Le ouf de Seux en est le symbole.

Le vice et la vertu

Allah comme prétexte à l’obscurantisme ; la charia comme agent de la répression de la vingtaine de millions de femmes afghanes ; le Coran comme justification d’une loi de 114 pages pour « la prévention du vice et la promotion de la vertu ».

Les talibans osent tout pour légitimer un régime de terreur ; la charia n’est évoquée que dans un seul verset sur plus de 6600 dans le Coran et son acception intégriste ne se retrouve pas dans les textes révélés, c’est-à-dire que le code appelé aujourd’hui charia n’est qu’un construit récent et un instrument entre les mains des fondamentalistes politiques, variable d’un pays à l’autre. Ils se sentent investis d’une mission divine pour réécrire les textes fondamentaux de l’islam en détruisant les droits de la moitié des habitants de la terre. Au nom d’un prophète qui ne leur a rien demandé !

Si Allah existe, que doit-il penser des talibans ?

Les femmes afghanes n’ont plus le droit de chanter, de lire, de se parfumer, de se maquiller, doivent se voiler entièrement le corps en public en couvrant le visage pour éviter de tenter les hommes, ne peuvent plus se déplacer sans être accompagnées d’un homme avec lequel elles sont liées par le sang ou le mariage, ne peuvent plus étudier après 12 ans, etc.

Au nom d’un code promulgué par le chef suprême, Haibatullah Akhundzada, et rédigé par le « ministre de la promotion de la vertu et de la prévention du vice », Sheikh Muhammad Khalid Hanafi. Au nom de la haine des femmes, réduites à une forme d’esclavage, asservies à des barbus innommables.

Qu’on le veuille ou non, le Dieu que les hommes ont inventé, qu’il soit chrétien, juif ou musulman, est un problème. Il fait des hommes des ennemis irréductibles, alors que les civilisations chrétiennes, juives et musulmanes devraient s’allier pour la concorde universelle au lieu de nous en éloigner.

La prévention du vice et la promotion de la vertu ne se décrètent pas et ne se résolvent pas par des lois. Les talibans le savent, alors, pourquoi ?

Oracles

Les Etats-Unis ont eu leur oracle Donald, celui qui annonçait le bonheur retrouvé sur la terre US : « Make America Great again ».

La France aussi ; Emmanuel, qui, lui aussi, prédisait des jours heureux, si le bon peuple le suivait dans sa Révolution.

Les deux grands hommes pratiquent volontiers la divination, avec une connaissance de ce qui est bon pour le peuple et pour l’avenir.

Mais, Donald Trump et Emmanuel Macron sont assurément des usurpateurs ; leur idéologie s’inscrit dans une dérive totalitaire et réactionnaire, inégalitaire et liberticide, c’est-à-dire à l’opposé de ce qu’ils annoncent. Comme Merlin l’enchanteur, ils endorment le peuple en prétendant dicter ce qui est bien à la masse ignare, celle qui est incapable de traverser la rue pour trouver du travail, des citoyens qui ne sont rien et qui sont, pour beaucoup, illettrés.

A l’image de Trump, qu’il s’était empressé de rencontrer dès les lendemains de son élection, Emmanuel Macron a une haute idée de sa personne ; elle lui interdit de nommer une représentante du Nouveau Front populaire comme première ministre. Au nom de dogmes ultralibéraux qu’il sert avec persévérance. 

Le conflit est d’une intensité dramatique telle qu’on n’en avait jamais connu ; l’épisode est inédit. Mais Macron reste figé, sans s’apercevoir que la vie des citoyens qui ont du mal à boucler les fins de mois ne s’est pas mise entre parenthèses. La colère qui s’est traduite par le nombre de voix recueillies par les candidats du NFP, est toujours là.

Le peuple (ce n’est pas un gros mot !) veut faire de la politique autrement et il a trouvé en Lucie Castets une représentante qui a la tête bien faite et les idées claires. Il lui fait confiance pour mettre un terme à la crise économique, financière, politique, environnementale, éducative, énergétique, sociale, discriminatoire, xénophobe qui mine l’avenir.

Le capitalisme nous entraîne dans un désastre que Macron ne veut pas voir, ne veut pas combattre pour préserver les délinquants qui en ont tiré un bénéfice colossal.

Le peuple ne veut plus d’oracles mais des politiques, femmes et hommes, au seul service du bien commun.

Jeux interdits

Quand France 2 magnifie l’information ‘’people’’, elle consacre la totalité de ses journaux télévisés de dimanche à la disparition d’Alain Delon. Le chaîne publique récidive ce lundi. Alain Delon jusqu’à la nausée.

L’information permet d’éluder les centaines de morts de Gaza ou du conflit russo-ukrainien, les incendies de forêt dans l’Hérault, mais surtout le déni de démocratie d’Emmanuel Macron, peu pressé de nommer un nouveau gouvernement.

Les hiérarques du service public ont perdu la raison et surtout les principes professionnels concernant la hiérarchisation de l’information.

Heureusement, la presse écrite reste plus mesurée pour aborder le décès du très réactionnaire Alain Delon. Elle respecte encore ses lecteurs en réserve une place à la critique de la politique non moins réactionnaire du président de la République.

Le Monde consacre son éditorial à la crise institutionnelle, sous le titre « Emmanuel Macron doit cesser de jouer la montre », et écrit : « Pareille situation a des conséquences graves : sous prétexte d’expédier les affaires courantes, le gouvernement démissionnaire, dénué de toute légitimité, prend des décisions d’importance, comme la signature des ‘’lettres plafonds’’ préparatoires au budget 2025. Cette léthargie, inédite sous la Ve République, ne saurait perdurer. »

De son côté, L’Humanité fustige un président qui « n’est pas au-dessus de la Constitution, dont la raison d’être est de faire reculer l’absolutisme des pouvoirs ». Le quotidien du progrès dénonce « la méthode même choisie par Emmanuel Macron (qui) montre l’insincérité de sa démarche : le président n’a aucunement l’intention de s’en remettre au verdict des urnes, et travaille à une issue qui en est l’exact opposé. Une sorte d’alliance des battu de droite et du centre, ripolinée en coalition gagnante. »

Le président avait décrété la trêve olympique ; aujourd’hui, les médias à sa solde ont décrété un deuil national pour Alain Delon.

En multipliant les coups de force, Emmanuel Macron joue, certes, avec le feu, mais il s’agit d’un jeu dangereux auquel les citoyens ne sont pas contraints d’adhérer et adhèrent de moins en moins.

Alain Delon

C’était un homme profondément anticommuniste et il a fait du cinéma un peu par hasard. Il est devenu une star ou une icône, comme on veut. 

Il a fait quatre-vingts dix films, mais il doit tout à des cinéastes communistes. Luchino Visconti qui, en 1960, lui donne son premier grand rôle dans Rocco et ses frères en déclarant dans les Cahiers du cinéma : « Alain Delon est Rocco. Si on m’obligeait à prendre un autre acteur, je renoncerais à faire le film. J’ai écrit ce rôle pour lui, il est le personnage central de l’histoire ». Joseph Losey qui, en 1976, lui fait endosser le personnage de Monsieur Klein. Du grand cinéma d’auteur.

Entre les deux dates, René Clément (Plein soleil puis Paris brûle-t-il ?), Michelangelo Antonioni (L’éclipse), Henri Verneuil (Mélodie en sous-sol et Le clan des Siciliens), Robert Enrico (Les aventuriers), Jean-Pierre Melville (Le Samouraï et Le cercle rouge) et Jacques Deray (La piscine et Borsalino) ont su utiliser ses talents d’acteur.

L’homme était narcissique, parlant de lui à la troisième personne. A force de se regarder dans un miroir, il s’est perdu en répétant à l’envi : « Je m’appelle Alain Delon ». Son miroir renvoya une autre image, celle d’un homme boursouflé d’orgueil, ne doutant pas de lui. Il s’éloigna ostensiblement du cinéma qui l’avait fait. Comme Jean Gabin avant lui, Alain Delon a sombré en voulant jouer du Delon, moins grand que le précédent.

Proche de Jean-Marie Le Pen, il soutiendra aussi Giscard d’Estaing, Sarkozy, Raymond Barre et même Philippe de Villiers pour qui il fournit des prestations au Puy du Fou. Sa personnalité était détestable ; il finira par être naturalisé suisse. Le citoyen Delon s’est fourvoyé.

Alain Delon, l’acteur, a été brillant de 1960 à 1976 tant qu’il a été dirigé par de grands cinéastes. C’est ce qu’on retiendra de lui ; le reste est peu glorieux.

Il avait deux bébés

Caitlin Johnstone était une journaliste australienne. C’était hier ; elle a abandonné son métier au prétexte qu’elle s’est « vite rendue compte que travailler dans la grande presse équivaut à la resucée des dépêches de Reuters et d’Associated Press, à passer les plats des think-tanks et des communicants ». Alors, elle a ouvert un blog et écrit des livres ; son seul financement est la participation volontaire de ses lecteurs.

Caitlin Johnstone est une militante ; elle vient de publier un très beau texte, repris par l’excellent site du journaliste belge Michel Collon, Investig’Action. A mon tour de le publier en hommage aux victimes palestiniennes (ou d’ailleurs). 

« Il avait deux bébés. Des jumeaux. Aysal et Aser, un garçon et une fille.

Mohammad Abu Al Qumsan avait deux bébés et une femme aimante.

Aujourd’hui, il n’a plus personne.

Une frappe aérienne israélienne a tué ses deux bébés, ainsi que leur mère et leur grand-mère, alors qu’il était allé chercher leurs certificats de naissance.

Ils venaient de naître.

Une vidéo le montre en train de crier, de crier comme n’importe lequel d’entre nous crierait. Les cris d’un homme qui a soudainement perdu tout ce qu’un homme peut perdre. Les cris de Gaza.

Je trouve parfois étrange que nous ne criions pas tous comme cet homme, tout le temps, tant que nous partageons notre monde avec ce cauchemar. Parfois, j’en ai un peu envie.

Après l’auto-immolation d’Aaron Bushnell en signe de protestation contre ce génocide, je me souviens avoir lu quelqu’un écrire quelque chose comme « Je comprends d’autant plus l’homme qui s’est immolé que je ne comprends les gens de ma propre communauté qui font comme si de rien n’était ». Les cris d’Al Qumsan me rappellent ces mots aujourd’hui.

J’ai souvent l’impression qu’il relève de l’odieux sacrilège que notre civilisation ne se soit pas stoppée net alors que cela se produit jour après jour, mois après mois, avec le soutien inconditionnel de nos propres gouvernements occidentaux. Nous continuons à aller au cinéma et au restaurant, à rire et à plaisanter alors que des cris à glacer le sang retentissent à Gaza. On a l’impression de valser devant un camp d’extermination et d’essayer d’ignorer l’odeur de la fumée noire qui s’échappe des cheminées.

Nous avons l’air de fous. Nous sommes aussi fous que quelqu’un qui siffle et danse au milieu d’une maison en feu. Il serait certainement beaucoup plus sain de crier tout le temps que de suivre notre petit bonhomme de chemin comme si l’horreur n’existait pas.

Mais ce serait socialement inapproprié. Cela mettrait les gens mal à l’aise. Ici, dans cette civilisation dystopique, il est inconvenant d’en parler.

En Australie, l’orchestre symphonique de Melbourne (MSO) a annulé la représentation du célèbre pianiste Jayson Gillham. Il avait dédié un morceau aux journalistes tués à Gaza depuis un octobre – un bilan sans précédent. Le MSO a qualifié cette dédicace « d’intrusion d’opinions politiques personnelles dans ce qui aurait dû être une matinée consacrée à un programme d’œuvres pour piano solo », ajoutant que « le MSO comprend que ses remarques ont causé offense et désarroi et présente des excuses sincères ».

« Offense et désarroi ». Pour d’une dédicace à des journalistes assassinés. Dans une salle de concert.

Oubliez « l’offense et le désarroi » de Mohammad Abu Al Qumsan. Après tout, il n’a perdu que ses bébés, sa femme et sa belle-mère lors d’une frappe aérienne israélienne. Il n’a pas dû subir l’offense de quelqu’un évoquant les mauvaises actions d’Israël dans une salle raffinée de musique classique.

Oubliez Al Qumsan, et oubliez les deux millions de personnes qui, comme lui, poussent les mêmes cris et vivent le même cauchemar. Ce qui compte, c’est notre confort émotionnel et notre capacité à cloisonner psychologiquement nos convictions politiques dominantes pour les soustraire aux réalités de leurs conséquences.

Personne ne devrait s’immoler par le feu. Mais je peux comprendre pourquoi quelqu’un l’a fait.

Ici, dans cette fausse civilisation frauduleuse, nous ignorons les cris.

Nous ignorons les cris et nous allons dans les salles de concert, parés de nos plus belles robes et de nos plus beaux bijoux. Et nous exigeons des excuses si quelqu’un nous met mal à l’aise en raison de notre soutien à un État d’apartheid meurtrier qui mène actuellement un génocide.

Nous ignorons les cris tout en mourant lentement à l’intérieur, coupés de la vérité, de l’authenticité et d’une connexion sincère avec nos semblables.

Nous ignorons les cris tout en aspirant à la sincérité, comme un Palestinien piégé sous un immeuble détruit aspire à l’air libre et à une bouteille d’eau.

Nous ignorons les cris à l’extérieur de nous-mêmes. Et nous ignorons les cris en nous.

Mohammad Abu Al Qumsan, je suis avec toi ce soir.

Aaron Bushnell, je suis avec toi ce soir.

Je crie jusqu’à ce que ma voix s’éteigne.

Ce soir, je n’ai rien d’autre à offrir que ceci. »

Les mots

Quels mots utiliser pour dire l’effroyable tragédie palestinienne sans être qualifié aussitôt d’antisémite ? Peut-être dans la réaction du président israélien Isaac Herzog qui vient de déclarer après l’attaque de colons juifs contre la localité de Jit, localité entre Naplouse et Qalqilya en Cisjordanie occupée :

« Je condamne fermement les émeutes de la soirée en Samarie. Il s’agit d’une minorité extrême qui porte atteinte à la communauté des colons respectueux de la loi et à la colonie dans son ensemble, ainsi qu’au nom et au statut d’Israël dans le monde au cours d’une période particulièrement sensible et difficile. Ce n’est pas notre façon de faire et certainement pas celle de la Torah et du judaïsme. Les responsables de l’application de la loi doivent agir immédiatement contre ce phénomène grave et traduire les contrevenants en justice. »

Un jeune palestinien de 23 ans a été tué et un autre a été blessé grièvement. Selon l’AFP, depuis le 7 octobre et l’odieuse attaque du Hamas en Israël (indéfendable crime), au moins 633 Palestiniens ont été assassinés par des colons ou l’armée. Ils viennent grossir le nombre de victimes de la riposte israélienne qui a fait plus de 40 000 morts dans la seule bande Gaza.

Les mots du président israélien sont faibles au regard de la gravité des faits. Comment Isaac Herzog peut-il affirmer que ce n’est pas la façon de faire de son pays et qu’il ne s’agit que d’une minorité extrême ? Cette façon de faire est revendiquée par Benyamin Netanyahu et son gouvernement.

En revanche, il a raison de dire que ce n’est pas la façon de faire de la Torah et du judaïsme, mais c’est au nom d’une vision messianique que Netanyahu et la clique d’extrême droite justifient répressions inhumaines, assassinats, crimes contre l’humanité et occupations illégales de territoires palestiniens en Cisjordanie.

Quant aux colons respectueux de la loi, ils sont si peu nombreux ! D’ailleurs, ils sont aussitôt dénoncés par les fous d’une religion pervertie.

Serait-ce trop demander aux Israéliens de se conduire humainement en ne cherchant pas à imiter les esprits rétrogrades et sanguinaires de Téhéran ?

Les dieux d’ici et d’ailleurs sont convoqués par des intégristes sadiques et haineux, trop souvent corrompus ; il est urgent de leur contester les mots qu’ils utilisent dans leurs prêches pour le malheur de l’humanité.

Les Jeux de Macron

Les Jeux olympiques sont terminés. De beaux moments de sport, de beaux moments de partage d’émotions devant les prouesses de femmes et d’hommes toujours prêts à dépasser leurs limites et les limites humaines.

On a pu admirer de belles championnes et de beaux champions. Qui, le plus souvent, ne doivent rien à la politique sportive de leur pays. En France, on se gausse des 64 médailles conquises par nos athlètes et Emmanuel Macron en revendique quasiment la paternité, mettant en avant sa politique en matière d’éducation physique et sportive. Il ne manque pas de culot, quand on sait que les clubs qui forment les futurs champions sont constamment à la recherche de bénévoles, d’argent et d’installations adaptées pour permettre aux plus jeunes de prendre du plaisir et, éventuellement, de parvenir au plus haut niveau.

Les clubs sportifs français manquent de tout s’ils ne sont pas médiatisés, s’ils ne sont pas la propriété de fonds d’investissement et à la merci de sponsors recherchant, eux, les retombées, les profits toujours plus élevés. La financiarisation du sport gangrène tout et pourtant les sportifs savent garder leur fraîcheur et leurs valeurs.

Dans ce domaine, l’omniprésence des marques du groupe LVMH de Bernard Arnault, dès la cérémonie d’ouverture puis pour la remise des breloques, a atteint l’indécence.

On a longtemps douté, pourtant l’organisation fut quasi parfaite, à l’image des transports qui n’ont pas connu de ratés. Maintenant ce qui a été possible durant les Jeux olympiques doit devenir l’habitude pour les innombrables salariés qui connaissent les galères du métro et de la SNCF au quotidien.

Les cérémonies d’ouverture et de clôture ont été de grands moments festifs, intelligents, qui ont fait éructer la droite et l’extrême droite à l’unisson. Là, Macron n’y est pour rien, mais ces deux moments apportent la preuve que les artistes et créateurs ne demandent qu’à exprimer leur talent pour peu qu’on leur en donne les moyens. La culture est aussi malmenée que le sport !

Bref, les Jeux olympiques sont terminés. Et maintenant ? Macron doit apporter des réponses au peuple qui a voté pour la gauche. La trêve olympique est terminée et Lucie Castets doit être nommée première ministre. Ne lui en déplaise.

Macron ne gagnera pas le 100 mètres ; il a décidé, au contraire, de se lancer dans une course de lenteur pour tenter de contourner le verdict des urnes. Si Thomas Jolly a innové pour les cérémonies, Macron, lui, est décidé à ce que rien ne change. Son ministre de l’économie continue à prôner une politique de rigueur et à préparer un budget insensé, d’une rare orthodoxie libérale alors qu’il n’a plus aucun mandat.

Quand les Jeux olympiques, millénaires, s’adaptent au changement du monde, Macron, lui, reste inflexible. Malgré ses discours lénifiants et mensongers pour tenter de nous faire croire en sa modernité.

Les Jeux de Macron sont insupportables.

Honte à lui !

Un maire a voulu fermer un local associatif abritant une bibliothèque. Le local est sauvé, mais les bibliothécaires, bénévoles, ont abandonné le travail éducatif qu’elles menaient depuis de nombreuses années avec les trois écoles du quartier et avec les adultes.

Laisser fermer une des entités du réseau Bibliothèque pour tous, c’est amputer le réseau de lecture publique de proximité. C’est aussi une grave faute pour un maire, quand les idées obscurantistes ont failli porter l’extrême droite au pouvoir ; c’est étouffer les idées, l’imagination, la pensée, la liberté.

La lecture est d’abord le décryptage des mots et des phrases puis la compréhension critique de ce qu’on lit. Georges Séguy, l’ancien secrétaire général de la CGT avait eu des mots forts et pertinents pour encourager à la lecture : « Rien ne peut remplacer le livre comme instrument de l’intelligence globale de la réalité en transformation. Il nous faut veiller à privilégier le livre, tout simplement parce qu’il reste aujourd’hui pour beaucoup de travailleurs le passeport obligatoire pour accéder à d’autres activités culturelles. » Aujourd’hui, l’acte de lecture doit commencer dès le plus jeune âge. Or, trop d’enfants n’ont pas de livres entre les mains. 

Dans un poème (A qui la faute ?), Victor Hugo écrit quelques vers merveilleux qui portent encore aujourd’hui : « Une bibliothèque est un acte de foi / Des générations ténébreuses encore / Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore (…) Le livre est là sur la hauteur / Il luit ; parce qu’il brille et qu’il les illumine / Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine / Il parle, plus d’esclave et plus de paria. »

Le vieil Hugo a raison, la lecture est un acte de résistance et un acte d’émancipation, pour penser par soi-même. Bertrand Poirot-Delpech, de son côté, alertait déjà dans un article du Monde, ‘’Alerte à la barbarie’’ : « Rien ne remplacera jamais l’immersion silencieuse dans les caractères d’imprimerie de tous les temps, réservoir inépuisable de sens constamment renouvelés, des pensées les plus élaborées, des rêves les plus vertigineux. Faute de ce recours, oui, une forme insidieuse de régression barbare peut se produire, par disparition de tout recul philosophique et moral, par abêtissement du débat public, par exaltation de l’instinct – dont les plus sournois, le grégaire – et par effacement de la jubilation verbale, voie royale de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. »

Avec le Rassemblement national et d’autres, très proches, la régression barbare, on y est. Alors, laisser fermer une bibliothèque pour quelques euros d’économies, c’est se placer aux côtés des barbares.

Le maire dont il est question, c’est celui d’Elancourt. Honte à lui !

José Saramago, si actuel

J’ai beaucoup d’admiration et d’affection pour un géant de la littérature, José Saramago. Communiste jusqu’à son dernier souffle, mais sachant garder son libre arbitre et sa liberté de pensée, il a ferraillé tout au long de sa vie et de son œuvre contre l’injustice sociale, sans mâcher ses mots.

Il a laissé des livres merveilleux.

Militant de l’athéisme, il a écrit dans le quotidien italien La Repubblica en 2001 :

« Aucune religion, sans exception, ne servira jamais à rapprocher et à réconcilier les hommes, au contraire, elles ont été et son toujours la cause de souffrances inénarrables, de massacres, de monstrueuses violences physiques et spirituelles qui constituent un des plus ténébreux chapitres de la misérable histoire de l’homme. » 

José Saramago avait toutes les raisons de s’indigner et il faut replacer ses livres dans ce positionnement idéologique. Car, au-delà de son analyse du quotidien, il a su être un homme engagé pour tenter d’installer sur notre vieille terre commune un espoir de concorde.

Aujourd’hui, près de 25 ans après son article dans La Repubblica, les guerres de religion font encore des milliers de victimes. José Saramago serait fou de rage en voyant ce qui se passe à Gaza, au Yémen, en Inde, en Afghanistan, au Pakistan, en Syrie, en Turquie, au Nigeria, au Mail et ailleurs. Il serait fou de rage et dans une colère noire en entendant Trump, Orban, Darmanin, Meloni, Modi et tant d’autres.

C’est pour toutes ces raisons que je conserve un enthousiasme sans faille en lisant  et relisant José Saramago.

Basses besognes

Aurélien Véron était sans doute en mission quand il a adressé une lettre au Parquet national financier, s’appuyant sur un article du Canard enchaîné, ‘’révélant’’ que Lucie Castets, haute-fonctionnaire, ne se serait pas mise en disponibilité auprès de la municipalité de Paris pour mener campagne de premier ministre.

Le Canard enchaîné est souvent mal inspiré, lui dont la direction n’est pas au-dessus de tout soupçon en matière d’éthique.

Aurélien Véron, conseiller Républicains de Paris, n’est pas mieux inspiré. La tête de liste de son groupe, Rachida Dati, ne cumule-t-elle pas actuellement les fonctions de conseillère de Paris et de ministre de la culture d’un gouvernement démissionnaire pour avoir été battu dans les urnes par les citoyens ?

Lucie Castets multiplie les déplacements et les entretiens. Et c’est bien cela qui est reproché par la droite et par l’entourage de Macron, curieusement relayés par quelques plumes du célèbre volatile. Elle va à la rencontre des Français quand le président de la République et les ministres se montrent aux Jeux olympiques.

Quand Aurélien Véron ose affirmer dans sa lettre que « cette situation amène à s’interroger sur l’existence d’un possible manquement à son devoir de réserve de la part de madame Castets, ainsi que d’un potentiel détournement de fonds publics à des fins de promouvoir sa candidature et, plus largement, les activités du NFP », Lucie Castets répond vertement et intelligemment :

« Je suis actuellement en congés […] payés » ; elle ajoute qu’elle est « libre de l’usage [qu’elle] fait de [ses] congés »« Je me suis assurée que tout était en ordre. J’ai le droit d’avoir des opinions et activités politiques, en tant que fonctionnaire », puis de préciser que « s’il le faut, le moment venu, je me mettrai en disponibilité ».

Elle a en outre précisé que les forces du Nouveau Front populaire payaient les frais de déplacements et d’organisation de réunions.

Quand la droite voit un potentiel détournement de fonds publics de la part de Lucie Castets, c’est Nicolas Sarkozy qui est poursuivi dans de multiples affaires. Quand elle porte une accusation sur un possible manquement au devoir de réserve des fonctionnaires, ce sont les membres du gouvernement démissionnaires et pour certains, siégeant à l’Assemblée nationale qui risquent d’avoir quelques démêlés avec la justice.

La droite, alliée de Macron dans l’opération, cherche à priver les Français d’un gouvernement issu du Nouveau Font populaire. Ce n’est pas grandiose et cela ne ramènera pas les électeurs vers ce parti dit Républicain.

S’appuyer sur un article du Canard enchaîné pour redorer le blason d’un parti aux abois, bonjour les basses besognes.