Le journaliste est un auteur et un salarié, c’est de cela dont je vais parler maintenant.

Il y a quelques années déjà, un conseiller d’État avait été chargé par le ministre de la Culture et de la Communication de l’époque de répondre à la question : « Qu’est-ce qu’un journaliste ? » Son rapport, heureusement pour nous vite oublié, était hélas gros de toutes les atteintes au statut qui assaillent la profession de journaliste aujourd’hui.

Parmi les préconisations de cet éminent conseiller d’État, la révision du statut d’auteur salarié. Pour l’anecdote, notre surprise a été grande ensuite de retrouver l’auteur de ce fameux rapport comme directeur de cabinet d’une ministre de la Culture et de la Communication, pas l’actuel, la précédente, et surtout de le voir continuer à alimenter le ministère en rapports sur le sujet. Rassurez-vous les rapports étaient tous aussi négatifs pour nous, à défaut de répondre vraiment à la question initiale qui lui avait été posée, à savoir qu’est-ce qu’un journaliste. Sans doute ce brillant conseiller d’État n’avait-il pas lu Robert Desnos, résistant, écrivain, mais aussi journaliste, on l’a peut-être un peu oublié ; un journaliste de talent qui nous a peut-être livré la meilleure définition de ceux qui exercent cette profession : 

Je suis le veilleur du Pont-au-Change

Ne veillant pas seulement cette nuit sur Paris,

Cette nuit de tempête sur Paris seulement dans sa fièvre et sa fatigue,

Mais sur le monde entier qui nous environne et nous presse.

Dans l’air froid tous les fracas de la guerre

Cheminent jusqu’à ce lieu où, depuis si longtemps, vivent les hommes.

Le journaliste est un témoin, mais un témoin engagé. Il est celui qui veille quand les autres dorment, il est celui qui dévoile, celui qui donne la parole à ceux auxquels on tente de confisquer la parole.

Le journaliste, le veilleur du Pont-au-Change donc, signe ses articles, ses photographies et ses images ; en signant ses oeuvres il passe un contrat avec son lecteur, son auditeur, son téléspectateur. Cette conception du journaliste, me dit-on aujourd’hui, serait ringarde. Nous sommes ici de ceux qui pensent au contraire l’inverse et qui revendiquent cette haute conception du journalisme.

Dans ce monde troublé, en plein bouleversement, où les positions s’exacerbent – on le voit aujourd’hui avec les retraites par exemple – les citoyens ont de plus en plus un réel besoin d’informations fiables, recoupées et mises en perspective. Le journaliste a besoin de liberté, de toujours plus de liberté, de moyens de résistance aussi aux pressions énormes de ceux qu’un des nôtres a appelé les nouveaux chiens de garde, ces managers de rédaction idolâtres du libéralisme, ceux qui, de leur plume serve, mènent les plus dures offensives contre les journalistes qui osent encore aujourd’hui vouer leur talent à veiller sur ce lieu où vivent les hommes.

Le code de la propriété intellectuelle est l’un des moyens de défense que les veilleurs ont à leur disposition pour lutter contre l’information aseptisée exigée aujourd’hui par les propriétaires des médias. Alors oui, nous revendiquons d’être des auteurs, bénéficiant d’un droit moral sur ce que nous avons la faiblesse d’appeler des œuvres.

Nous revendiquons le droit à la signature et à l’intégrité de toutes nos œuvres, le droit de retrait aussi, le droit de se repentir. Dans le contexte de déréglementation actuel et de casse des acquis sociaux les plus élémentaires, ces dispositions sont insupportables aux nouveaux maîtres des médias, et en particulier aux Lagardère ou Dassault, mais pas seulement. Ceux-là contrôlent toutes les organisations patronales et sont tous entrés en guerre contre le droit d’auteur. L’information ravalée au rang de simple marchandise n’est pas conciliable avec la liberté que nous revendiquons. Alors, évidemment, comme nous avons affaire à des marchands d’armement, ils envoient qui des missiles, qui des avions de chasse, contre notre statut d’auteur. Et ce n’est pas qu’une image, leur poids est énorme aujourd’hui. 

Heureusement et c’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui, nous continuons à veiller avec détermination et opiniâtreté sur notre statut d’auteur.

On notera que les nouveaux maîtres des médias ne supportent pas plus notre statut de salarié (qui nous garantit contre le licenciement abusif, grâce à des indemnités de licenciement supérieures à celles des autres salariés, et contre les dérives commerciales de l’information grâce, éventuellement, à la clause de conscience et à la clause de cession) que notre statut d’auteur.

Ces mesures indispensables pour assurer notre sécurité matérielle et morale sont considérées comme des entraves à la rentabilité des entreprises de médias.

Oui, nous les veilleurs, nous considérons que ces entreprises ne sont pas des entreprises comme les autres, nous véhiculons un bien trop précieux : l’information. Ceci est tout autant insupportable à ceux qui se réclament du réalisme et de la libre entreprise.

Auteurs et salariés, les journalistes paient parfois très cher le droit à l’information, parce nous avons un devoir absolu, celui d’assurer au citoyen ce droit fondamental contenu dans la déclaration universelle des droits de l’homme. Aujourd’hui, nous devons retrouver le chemin du veilleur du Pont-au-Change, c’est-à-dire l’esprit de la Résistance et l’esprit de résistance.

Intervention lors des Assises de la création salariée, organisées par la SCAM à l’ Assemblée nationale, 20 mai 2003