La Chouette qui hioque

Mois : décembre 2022 (Page 1 of 2)

La mort de Pelé

Tout a été dit à propos du footballeur de génie qu’était Pelé, un joueur qui illuminait les stades.  Il était de cette génération qui a porté haut l’art de la passe, du jeu collectif, du geste imprévisible qui déséquilibrait l’adversaire. Il fut celui qui a fait du numéro 10 un maillot mythique.

Il restera à jamais le joueur qui a remporté trois fois la coupe du monde ; la première à tout juste 17 ans.

En revanche, je ne le qualifierai jamais de Roi ; s’il était au sommet de l’art du football, il avait autour de lui d’autres joueurs de génie, comme Garrincha, Didi, Zagallo, Nilton Santos, Gilmar (le gardien de but), Vava, puis Carlos Alberto, Cloaldo, Jairzinho, Rivelino, Paulo Cesar, etc. Sans eux, qu’aurait fait Pelé ? Le football reste un sport collectif.

Pelé inoubliable, sans doute, mais quoi dire de Edson Arantes do Nascimento, le petit garçon né dans une famille pauvre de Tres Coraçoes, petite ville du Minas Gerais ?

Oubliant ses origines et son numéro 10, Pelé s’était rapproché du pouvoir et de la dictature militaire, devenant même ministre des sports dans un gouvernement de droite, acceptant d’être manipulé politiquement, quand d’autres luttaient pour la démocratie.

Reste le footballeur. Incontestablement l’un des meilleurs de toute l’histoire d’un jeu populaire. Et tout est dit.

Requiem pour une ville perdue

J’ai déjà vanté toutes les qualités d’Asli Erdogan, écrivaine remarquable ; mais on ne dira jamais assez que cette physicienne talentueuse et précoce (elle avait rejoint le CERN à Genève à 24 ans seulement) est moralement détruite.

Son dernier livre, Requiem pour une ville perdue, témoigne de toutes les souffrances engendrées par l’exil pour fuir le régime dictatorial de Recep Tayyip Erdogan ; Asli pleure la ville perdue de son enfance et de ses études, Istanbul et son quartier de Galata. Elle ne supporte pas la solitude de l’exilée ; elle parle alors de la « solitude du corps mortel » et du « tombeau vide que je fabrique avec les mots ». Elle crie son désespoir avec une rage incroyable et veut jeter à la face du monde comment le régime obscurantiste a voulu la bâillonner et faire taire sa foi dans le droit à la vie, à l’humanisme et à la liberté.

Requiem pour une ville perdue, œuvre d’une écorchée vive, est bouleversant, écrit avec des mots qui reviennent de façon répétitive pour mieux enfoncer le clou.

Asli Erdogan est une révoltée, qui n’aspire qu’à rentrer dans on pays, mais qui doit vivre un exil tellement douloureux. 

Elle a trouvé un exutoire dans l’écriture (acceptant de disparaître en laissant une trace) et elle le fait autant avec son intelligence (énorme) et son aisance dans l’utilisation des mots qu’avec ses tripes ; elle a réussi ainsi à surmonter les accusations de terrorisme, l’emprisonnement et, finalement l’exil en Allemagne : « Pourquoi écrivons-nous ? parce que nous somems perdus, que nous avons l’habitude de croire aux mots (…) Nous écrivons pour courir après le monde qui s’enfuit à toute allure, pour retourner ce vide qui est en nous… »

Son livre est beau, exigeant pour le lecteur et, finalement, dérangeant ; elle écrit : « La plupart du temps, les blessures sont silencieuses, mais lorsqu’elles parlent, leurs voix sont terrifiantes. Elles ne savent pas mentir. »

La vie d’Asli Erdogan est une tragédie et ses livres des chefs-d’œuvre.

Il faut lire Requiem pour une ville perdue.

Les révolutions à faire !

Emmanuel Macron s’est placé dans le sillon de Denis Kessler qui, en octobre 2007, dans l’hebdomadaire Challenges, osait écrire : « La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

Ces phrases sont d’une rare violence ; elles révèlent le sentiment profond de tous les ultra-riches et des politiciens ultra-libéraux (dont Macron et son gouvernement ne sont que les vassaux) vis-à-vis de ceux qui n’ont rien. 

Le peuple, lui, tente de résister, de plus en plus difficilement compte tenu de l’affaiblissement du droit du travail et de l’accaparement de toutes les instances représentatives issues d’élections anti-démocratiques malgré les apparences.

Ambroise Croizat, le ministre-citoyen à l’origine de la création de la Sécurité sociale avait répondu par avance à Kessler : « Jamais nous ne tolérerons que soit renié un seul des avantages de la Sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie, cette loi humaine et de progrès. »

Maximilien Robespierre, lui aussi, dans son discours sur les subsistances le 2 décembre 1792 (il y a 230 ans) devant la Convention, avait (déjà) appelé à la résistance et dénoncé les élus toujours prompts à voler au secours des riches comme ceux du parti du président de la République, Renaissance : « Citoyens, c’est à vous qu’est réservée la gloire de faire triompher les vrais principes, et de donner au monde des lois justes. Vous n’êtes point faits pour vous traîner servilement dans l’ornière des préjugés tyranniques, tracée par vos devanciers, ou plutôt vous commencez une nouvelle carrière où personne ne vous a devancés (…) Et vous, législateurs, souvenez-vous que vous n’êtes point les représentants d’une caste privilégiée, mais ceux du peuple français ; n’oubliez pas que la source de l’ordre, c’est la justice ; que le plus sûr garant de la tranquillité publique, c’est le bonheur des citoyens, et que les longues convulsions qui déchirent les États ne sont que le combat des préjugés contre les principes, de l’égoïsme contre l’intérêt général, de l’orgueil et des passions des hommes puissants contre les droits et contre les besoins des faibles. »

Emmanuel Macron a placé le Parlement sous sa tutelle et gouverne à coup de 49-3 ; il renie ses engagements du 24 avril dernier et multiplie les prétendues concertations quand il délègue les décisions à des cabinets de conseils en stratégie comme McKinsey. Fidèle aux vœux de Denis Kessler, il est le digne représentant de cette « caste privilégiée » que dénonçait Robespierre.

Aujourd’hui, comme hier, il y a encore des révolutions à faire !

Le monde est malade (très), le monde est fou (très)

Quelle triste fin d’année ! De partout nous proviennent des informations d’une infinie tristesse qui ne grandissent pas l’homme, surtout les hommes car les femmes sont, elles, les victimes de systèmes patriarcaux entretenus.

En Iran, les manifestations des femmes courageuses ne font pas bouger les ayatollahs. En Afghanistan, les femmes se sont vu interdire l’accès à l’université, puis de collaborer avec les ONG. En Turquie, un courageux journaliste du quotidien d’opposition Birgün vient de révéler le mariage forcé d’une fillette de 6 ans, dont le père est lié à une confrérie religieuse proche du dictateur Erdogan. Le père et le mari ont bénéficié de la complaisance d’un régime atroce pour les femmes, les opposants et notamment les Kurdes.

C’est au nom de dieu que les hommes peuvent humilier les femmes et les tenir dans un état de sujétion incroyablement dégradant et humiliant

Le monde est également malade de la guerre, en Ukraine et ailleurs. Quand toutes les sociétés sont en crise, l’industrie de l’armement triomphe. Les hommes ne peuvent pas se passer de guerre en 2022 ? Faut-il qu’ils n’aient pas encore compris qu’aucun contentieux ne se règle avec des armes, comme au Moyen Âge ?

Le monde est entré dans une ère de dérèglement climatique majeure et les dirigeants se réunissent pour ne rien décider ; ils sont responsables de la mort de centaines de personnes de froid ou de chaleur, de famine ou d’absence de soins.

A Paris, un raciste qu’on voudrait faire passer pour fou assassine des militants kurdes et l’enquête démontre que la justice avait fait preuve de mansuétude envers lui dans une précédente attaque au sabre dans un camp (de la honte) de migrants.

En France, les médecins sont en grève ajoutant un élément de plus à l’état de catastrophe dans lequel est plongé notre système de santé. Comme le système éducatif d’ailleurs. Et c’est le moment choisi par le gouvernement pour sortir un décret réformant l’indemnisation du chômage ; une véritable usine à gaz pour punir les fainéants qui ne traversent pas la rue pour trouver du travail. Les pauvres devraient se résigner à devenir encore plus pauvre, car il est dit qu’ils sont de perpétuels assistés, coûtant un pognon de dingue à la collectivité.

La destruction de la planète se conjugue avec la destruction de la société et de ses normes sociales, pour faire le bonheur des seuls ultra-riches reclus dans de somptueuses demeures, voyageant en jets privés, se gavant de caviar et buvant du champagne, collectionnant les œuvres d’art, se mariant entre eux pour défendre leur patrimoine et leurs privilèges.

Alors, oui ; décidément le monde est très malade et très fou. En 2022 plus qu’en 2021, et sans doute bien moins qu’en 2023 !

Ils ont brûlé le père Noël

Le 23 décembre 1951, à 15 heures, le Père Noël était brûlé sur le parvis de la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon avec l’accord du clergé et devant 250 enfants des patronages.

Le curé à l’origine de l’autodafé, Jacques Nourissat, a publié un communiqué dans lequel on pouvait lire : « Pour nous, chrétiens, la fête de Noël doit rester la fête anniversaire de la naissance du Sauveur (…) Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. A la vérité le mensonge ne peut éveiller le sentiment religieux chez l’enfant. »

Le clergé de Dijon recevait le renfort de l’épiscopat : « Le Père Noël et le sapin se sont introduits dans les écoles publiques alors qu’ils sont la réminiscence de cérémonies païennes qui n’ont rien de chrétiennes tandis que, au nom d’une laïcité outrancière, la crèche est scrupuleusement bannie des mêmes écoles. »

Le Père Noël considéré « comme usurpateur et hérétique », Claude Lévy-Strauss s’en était offusqué dans un essai intitulé ‘’Le Père Noël supplicié’’ et le chanoine Kir, maire de Dijon, s’était désolidarisé du clergé local et mis en œuvre une contre-manifestation : dès le lendemain, le 24 décembre, le « vieux magicien barbu » comme l’appelait René Barjavel, descendait en rappel depuis la tour Philippe-le-Bon du palais des ducs de Bourgogne devenu le siège de la mairie.

Cette bataille-là, les agités de la calotte ne l’ont pas gagnée ; mais, à Rambouillet, par exemple, ils sont toujours aussi ennemis irréductibles de la laïcité. Les bigots sont de moins en moins nombreux (de plus en plus virulents), enfermés dans leurs dogmes moyenâgeux. Ce qui doit inquiéter, c’est leur proximité avec les lieux de décision politique. Le Père Noël, lui, résiste bien ; ils l’ont brûlé mais il continue à alimenter le commerce. 

Mon Aragon

Mon Aragon ? J’avoue que j’ai découvert l’immense poète, l’admirable écrivain, avec Jean Ferrat. Je ne suis pas le seul, sans doute. L’interprète formidable qu’il était a réussi de sa voix chaude à briser le mur du silence dressé autour de Louis Aragon, censuré parce que communiste.

Ferrat, de sa voix chaude, m’a fait aimer Aragon, dès 1961 avec J’entends J’entends, puis Nous dormirons ensemble, Que serais-je sans toi, Au bout de mon âge, Aimer à perdre la raison, jusqu’au sublime et cependant dramatique Epilogue.

La beauté des mots explose ; les vers et les rimes retiennent l’attention ; l’intelligence et la chaleur humaine éclaboussent tout. Ferrat avouait ne pas chanter pour tuer le temps et Aragon écrivait pour la vie, les joies et les traumatismes, mais aussi les tragédies politiques.

Combien de consciences politiques Aragon a-t-il forgé ? Combien de sentiments a-t-il permis de s’exprimer ?

Quand on a découvert Aragon, on peut plus s’en défaire. On y revient toujours pour en savourer les mots, les vers et la pensée ; pour prolonger ses réflexions politiques après avoir écouté Epilogue et se départir des illusions de ceux qui nous ont fait croire à « la victoire des anges ».

Aragon était plus fort que le désespoir ; il a contribué à m’aider à surmonter le drame pour continuer à lutter :

« Songez qu’on n’arrête jamais de se battre et qu’avoir vaincu n’est trois fois rien

Et que tout est remise en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable

Nous avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d’épouvantables

Car il n’est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien »

Mon Aragon ? Un inséparable ami !

Et pour cet anniversaire de son départ, je relis ces vers admirables :

« C’est une chose étrange à la fin que le monde

Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit

Ces moments de bonheur ces midis d’incendie

La nuit immense et noire aux déchirures blondes

Rien n’est si précieux peut-être qu’on le croit

D’autres viennent Ils ont le cœur que j’ai moi-même

Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime

Et rêver dans le soir où s’éteignent les voix

Il y aura toujours un couple frémissant

Pour qui ce matin-là sera l’aube première

Il y aura toujours l’eau le vent la lumière

Rien ne passe après tout si ce n’est le passant

C’est une chose au fond que je ne puis comprendre

Cette peur de mourir que les gens ont chez eux

Comme si ce n’était pas assez merveilleux

Que le ciel un moment nous ait paru si tendre…

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle

Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici

N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci

Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. »

La calotte de Rambouillet

Joël-Peter Witkin est un artiste américain travaillant à partir de photographies et présentant surtout des êtres difformes. On peut aimer ou pas ses œuvres ; on peut aussi aller voir ses expositions ou s’abstenir : une quarantaine de ses œuvres sont actuellement accrochées dans les salles du palais du roi de Rome à Rambouillet.

Voilà qui dérange l’Association familiale catholique de Rambouillet qui a dénoncé dans des mails à la mairie un « étalage de fantasmes lubriques », dans une « ville caractérisée par son sens du respect, de l’éducation et son civisme (et où) la foi catholique rayonne aussi ».

La mairie, bien-pensante, a hésité mais n’a pas accédé aux demandes des bigots ultra-traditionnalistes à la suite des réactions notamment du galeriste de l’artiste, mais l’affiche a été censurée dans la ville et sur le site de la mairie.

Les intégristes cathos de Rambouillet sont d’infâmes imbéciles, mais ils sont diablement implantés : l’association est présidée par un proche de la Fondation Jérôme Lejeune, une école et un collège privés, hors contrat, revendiquent 200 élèves qui ont un conseiller spirituel, l’abbé Sébastien Damaggio, dépêché par la Fraternité Saint-Pierre. Même la maire a été adhérente du Parti chrétien démocrate de Christine Boutin, avant de s’en éloigner. Bref, la calotte intégriste règne à Rambouillet ; elle est à l’offensive, veillant comme elle l’écrit au « rayonnement de la foi catholique » la plus rétrograde.

Mais avec sa dénonciation de l’exposition de Witkin, il semble qu’elle se soit prise les pieds dans le tapis ; en effet, l’artiste a confié à Télérama : « Mon père était juif et ma mère catholique. Je suis, et j’ai toujours été, un fervent catholique. J’ai été élevé dans la foi catholique, et dans des écoles catholiques où j’ai reçu un enseignement religieux dispensé par des sœurs. La foi catholique guide mes pensées et mon art. Elle est le pilier de mon existence et, sans elle, je serais totalement perdu. »

La tempête souffle dans le bénitier !

Les catholiques intégristes et réactionnaires ne changent pas depuis des centaines d’années ; ils sont et restent obscurantistes et intolérants. Ils s’affichent et font un prosélytisme de plus en plus effréné, profitant du marasme de la société.

Witkin, guidé par la foi catholique et dénoncé par l’Association familiale catholique de Rambouillet, quelle erreur grotesque ! Les artistes sont toujours l’objet des sarcasmes des tenants d’un monde soumis à des dogmes moyenâgeux capables d’envoyer ceux qu’ils considèrent comme sacrilèges au bûcher ou de mettre les livres à l’index.

Dans les années 1960, un cinéaste génial, Luis Bunuel, auteur de trois films, Nazarin, Viridiana (palme d’or à Cannes) et L’ange exterminateur, dans lesquels il dénonçait avec force l’hypocrisie de la sainte Eglise catholique, avait reçu le prestigieux prix de la presse catholique (FIPRESCI) avant d’être dénoncé comme sacrilège et blasphématoire par le Vatican. Pour les traditionnalistes, l’histoire bafouille.

Si l’exposition Witkin a pu se poursuivre à Rambouillet, on peut être inquiet de l’enseignement dispensé dans les deux établissements hors contrat.

Mise à jour:

Les bigots montent à l’assaut de la laïcité: une vingtaine de sénateurs LR ont déposé une proposition de loi modifiant l’article 28 de la loi de 1905. Celui-ci stipule que les signes ou emblème religieux sont interdits dans les emplacements publics; les fous de dieu estiment que les crèches sont des  »symboles culturels et non cultuels », en conséquence, ils veulent ajouter à l’article en question des « cas d’exception en lien avec les traditions immémoriales de la nation française« .

Etat-providence

Dominique Méda, professeur de sociologie et directrice de l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales à l’université Paris-Dauphine, tient une chronique dans le Monde. Récemment, elle y a rendu compte d’un rapport réalisé par des économistes du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé) sur les aides aux entreprises. Travail particulièrement difficile, car « comme il n’existe aucun document administratif qui unifie l’ensemble de ces aides aux entreprises, aucun cadre harmonisé unifié permettant de suivre leur évolution dans le tempsles chercheurs ont dû reconstituer cette information. »Ou l’art de dissimuler les cadeaux somptuaires aux patrons !

Le rapport, relève Mme Méda, estime ces aides à plus de 157 milliards d’euros en 2019, soit 30 % du budget de l’Etat. Suffocant ! Mme >Méda note qu’on peut parler d’un « Etat-providence caché en faveur des entreprises ». Personne n’en doutait.

La sociologue note encore que « Le rapport distingue trois types d’aides publiques : les dépenses fiscales, consistant pour l’Etat à renoncer à un prélèvement qui lui est dû (61 milliards en 2019) ; les dépenses socio-fiscales, représentant les recettes auxquelles la Sécurité sociale doit renoncer (65 milliards) ; et enfin les dépenses budgétaires (32 milliards). Il met en évidence quatre résultats essentiels : la diminution des prélèvements sur les entreprises – le plus souvent justifiée par la volonté de renforcer leur compétitivité – a été compensée par un accroissement de ceux opérés sur les ménages ; l’efficacité de ces dépenses est très loin d’être prouvée ; ces aides sont la plupart du temps distribuées sans aucune condition, notamment environnementale ; il existe des moyens beaucoup plus intéressants pour l’Etat d’aider les entreprises. »

Les économistes lillois ont mis au jour un scandale d’Etat ; ils ont également émis des doutes sur l’efficacité de ces aides qui ont surtout permis « de renforcer les marges des entreprises en ne créant que très peu d’emplois, mais qui a pourtant été transformée en baisse pérenne de cotisations sociales. » Et parmi les suggestions du rapport, Dominique Méda a retenu que l’Etat pourrait utiliser plus efficacement la commande publique et accélérer la relocalisation d’activités et la reconversion de notre économie.

Juste l’inverse de ce que prévoit le budget pour 2023, adopté sans vote, mais avec dix recours au 49-3 ! Le rapport n’a sans doute pas été lu, ni à l’Elysée, ni à Bercy !

Le bilan

Muriel Pénicaud ? On l’avait presque oubliée malgré tout le mal qu’elle a pu faire au cours de son passage au ministère du travail et sa pitoyable candidature à la direction de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Elle vient de réapparaître par la grâce du Journal du dimanche, le journal officiel de la droite (de Macron à Ciotti). Sans doute rancunière, elle s’en prend aux réformes du gouvernement à propos de la réforme du Compte personnel de formation (CPF) qu’elle avait mis en place.

Vouloir instaurer une participation financière des salariés désirant mettre en œuvre ce CPF est « un contresens par rapport au projet ». Sans blague ! Elle ose affirmer : « Instaurer un reste à charge, quel que soit le coût de la formation, est une erreur sociale et économique, donc politique (…) Imaginez quand vous êtes au SMIC ! Même 50 euros, c’est 50 euros de trop ! (…) Les plus modestes et les plus précaires, ceux qui ont le plus besoin de se former, ne pourront pas payer ; un reste à charge de 20 à 30 % est évoqué, c’est énorme ! »

Ah, la belle âme ! La CGT pourrait presque s’apitoyer sur son sort et lui proposer uen carte d’adhérent. Enfin, presque. Car c’est quand même la même Muriel Pénicaud qui a affaibli le code du travail en supprimant les comités d’entreprise, réduit le nombre de mandats d’élus du personnel et le nombre d’heures de délégation, mis un terme aux contrats aidés, inversé la hiérarchie des normes et introduit ce CPF en lieu et place du Congé individuel de formation (CIF) calculé en heures et non en euros, ouvrant ainsi la voie à une réforme qu’elle critique aujourd’hui. Un triste bilan d’une politique de casse du système social français. Que personne n’oublie. Sauf elle ?

Le football aux footballeurs

Les médias se félicitent de la réussite du Mondial de football organisé au Qatar et parlent de la plus belle finale de l’histoire de la Coupe du monde. Tous les superlatifs sont utilisés !

Il est incontestable que le Qatar a réussi à masquer son régime féodal, l’exploitation des travailleurs étrangers, les morts sur les chantiers, le bilan écologique désastreux de ses stades climatisés, etc. Le président de la FIFA (et Noël Le Graet pour ce qui concerne l’équipe de France), a bien aidé l’émir : seules quelques équipes ont osé braver les interdits d’afficher la moindre critique. On en a même ‘’oublié’’ de rappeler les conditions scandaleuses de l’attribution de la compétition à ce bout de désert gorgé de gaz, alors que des instructions judiciaires sont ouvertes.

Le Qatar a gagné. Aujourd’hui, mais demain ? 

Qui osera poser la question du sort des travailleurs immigrés après la finale de la compétition ? Les esclaves du XXIe siècle sont bien seuls à poser la question de leur avenir !

Quant à la compétition, elle n’a pas été un grand cru, malgré les prestations de quelques grands joueurs. Les techniciens comme Didier Deschamps, égaux à eux-mêmes, ont muselé les talents par des choix tactiques craintifs et peu favorables à l’extériorisation des magiciens du ballon rond.

L’équipe de France joue contre nature, un football pauvre, mièvre et sans génie, alors que des joueurs comme Kylian Mbappé, Dembelé, Coman, Kolo Muani, Koundé et d’autres sont d’authentiques artistes quand ils ont le ballon dans les pieds.

Didier Deschamps était un joueur sans génie et besogneux, mais un gagneur, courant beaucoup, sans se ménager. A vouloir revoir le joueur qu’il était en confiant le même rôle à Antoine Griezmann, il a privé l’équipe de France d’un créateur. Tout au long de la compétition, le petit Antoine s’est usé au point d’être complètement absent de la finale. Il a ainsi privé Kylian Mbappé, Dembelé et Giroud d’occasions de but contre une équipe d’Argentine, qui, malgré Lionel Messi, est loin d’être la grande équipe méritant de remporter le trophée pour la troisième fois de son histoire.

Les joueurs de l’équipe de France doivent parler pour imposer les choix tactiques qui correspondent à leurs qualités, un football joyeux, offensif, créatif, multipliant les occasions de but, et abandonner ce football en bleu de chauffe. Il y a des précédents ; en 1966, en Angleterre, les joueurs s’étaient rebellés contre la tactique prônée par Henri Guérin. Plus près de nous, Eric Cantona s’était insurgé contre les choix tactique d’Henri Michel puis de Raymond Domenech.

Didier Deschamps pourra toujours arguer qu’il a dû se priver de nombreux joueurs, parmi les meilleurs, au tout dernier moment. Mauvaise excuse, le football français est riche de talents, comme ceux de Markus Thuram ou Randal Kolo Muani, délaissés avant de démontrer toute la palette de leur football, trop tard !

Didier Deschamps a le soutien de Noël Le Graet, objet de beaucoup de critiques et même d’une enquête diligentée par le ministère des sports. Le tandem en sortira vainqueur ou sera-t-il contraint à la démission ?

Ce Mondial 2022 aura marqué : il est le symptôme d’un football-business triomphant, prêt à tout pour dégager du fric, toujours plus. D’ailleurs le président de la FIFA envisage une compétition à 48 équipes en 2026 (contre 32 auparavant), pour multiplier les recettes des droits de retransmission télévisées et de publicité, et, au passage, pour assurer sa réélection en donnant satisfaction à un plus grand nombre de pays. La santé des joueurs n’est pas son principal souci.Il est temps que le football revienne aux footballeurs et que les bouches s’ouvrent

Silence, Israël expulse

La ministre de l’intérieur israélien, Mme Ayelet Shaked est censée expédier les affaires courantes dans l’attente de la composition du nouveau gouvernement de Benyamin Netanyahou. Elle veut laisser une empreinte et elle a expulsé l’avocat Salah Hamouri en France ; la date n’a pas été choisie par hasard : le jour de la finale de Coupe du monde de football qui a retenu l’attention de tous les médias dans l’Hexagone.

Salah Hamouri était retenu depuis le mois de mars en détention administrative, c’est-à-dire sans accusations formelles et sans qu’il puisse avoir connaissance de l’acte d’accusation, sinon que la justice israélienne le soupçonne d’avoir pris part à un projet d’assassinat visant le grand-rabbin Ovadia Yosef, chef du parti religieux Shass. L’avocat a toujours nié.

Salah est né à Jérusalem-Est, terre annexée, d’un père palestinien et d’une mère française ; il a grandi, scolarisé l’école privée catholique De La Salle, étudiant à l’université de Bethléem, avant de devenir avocat. Il a la double nationalité, mais il a une carte d’identité israélienne et le droit de vote.

La ministre a voulu ce dernier geste radical et s’en vante : « C’est un formidable accomplissement d’avoir pu provoquer, juste avant la fin de mon mandat, son expulsion ». A quoi, Amnesty International a rétorqué dans un communiqué : « Cette expulsion est une manœuvre visant à entraver le travail de Salah Hamouri en faveur des droits humains, mais aussi l’expression de l’objectif politique à long terme des autorités israéliennes, qui est de diminuer l’importance de la population palestinienne à Jérusalem-est ». La président de l’association humanitaire, Jean-Claude Samouiller a ajouté : « C’est une déportation. Les expulsions forcées et les détentions forcées sans charges, la séparation des familles participent au crime d’apartheid que nous dénonçons. Il y a une volonté d’hégémonie sur Jérusalem-Est. On expulse les gens qui ne font pas allégeance à Israël alors qu’en droit international, une population occupée n’a pas à faire allégeance à une population occupante. »

Salah Hamouri a déclaré de son côté : « Je n’ai pas souhaité ce moment. J’ai été extrait contre mon gré de mon lieu de détention et envoyé en exil. Je retrouve ma famille, mes proches. Mais c’est dur d’être arraché à ma patrie. A travers ma personne, c’est un processus de nettoyage ethnique dont il s’agit. L’Etat israélien utilise tous les moyens pour qu’il y ait le moins de Palestiniens sur la terre qu’il occupe. »

La situation a été jugée suffisamment grave pour que Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’Onu sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 fasse remarquer récemment dans L’Humanité que « le cas de Salah Hamouri est exceptionnel parce qu’il est susceptible de créer un précédent juridique très dangereux par lequel la résidence d’un Palestinien de Jérusalem serait révoquée sur la base d’éléments à charge ou accusations secrètes. Le test (et le défi) est le suivant : si les autorités israéliennes venaient à agir impunément avec un individu de nationalité européenne, il n’y aurait plus rien qui pourrait les empêcher de continuer à dépeupler Jérusalem de sa population arabe. Et c’est sur cela, permettez-moi de le souligner, que le silence de la France est assourdissant. »

Les avions de Salah Hamouri et d’Emmanuel Macron se sont croisés au-dessus de la Méditerranée. Le président de la République n’a rien vu !

Elle a osé !

Imaginons un pays où le budget de l’Etat est adopté sans vote du Parlement ; comment le qualifierions-nous ?

Quand ce pays est la France, pays prétendument démocratique, dont le président, brillant énarque et fier de l’être, donne des leçons à longueur de journée à ses semblables au cours de ses nombreuses visites à l’étranger et dans tous ses discours, il n’y a pas de quoi être fier !

Sa première ministre, simple collaboratrice comme Fillon était le collaborateur de Sarkozy, a souffert à l’Assemblée nationale, mais, ne manquant pas de culot, elle a osé déclarer ce samedi, en s’adressant aux députés de la NUPES :

« À 10 reprises, vous avez tenté de faire tomber le gouvernement ; à 10 reprises, vous avez échoué ; et à 10 reprises vous avez fait l’éclatante démonstration de ce que nous savions tous : vous n’avez pas la majorité. »

Faut-il rappeler à Elisabeth Borne que si elle a eu à subir dix motions de censure, c’était en réponse à ses dix recours à l’article 49-3 de la Constitution en quelques semaines pour faire adopter son budget et que si les députés de gauche ne sont pas majoritaires, la droite ripolinée qui soutient son gouvernement ne l’est pas plus. C’est également prouvé à dix reprises.

Pourquoi cette invective imbécile, complètement inappropriée, fait-elle penser à une réplique du film culte, Les Tontons flingueurs, dans la bouche de Lino Ventura ?

Une Elisabeth Borne, ça ose tout, c’est même à ça qu’on la reconnaît !

Merci Michel Audiard ; mais, avouons-le, le film de Lautner était plus drôle que les séances du Parlement.

Quand la dette enfle

Un esprit cartésien s’étonnera : les grandes entreprises affichent des résultats insolents, supérieurs à ceux d’avant la pandémie du Covid19, mais la dette publique bat des records.

Au troisième trimestre, elle a augmenté de 40 milliards d’euros (contre 6,2 au seconde trimestre). Un détail ? Certes pas !

La dette totale a atteint 2 956,8 milliards, un montant que le citoyen a du mal à concrétiser tant il dépasse nos facultés d’imagination. Surtout quand on gagne le SMIC (voire moins quand on est salarié à temps partiel) ou quand on a une pension de retraite de moins de 1000 euros.

L’INSEE nous apprend que les administrations publiques locales, elles, sont de meilleures élèves que l’Etat puisqu’elle se désendettent. En revanche, SNCF Réseau continue à creuser le trou, tout comme les Universités. A qui la faute ? A l’Etat qui, par ses choix politiques, diminue fortement les crédits de ces éléments importants de la vie quotidienne et sociale.

La situation est inquiétante ; cependant le gouvernement persévère dans sa gestion des finances du pays à la hussarde tout en préservant les superprofits des oligopoles et les dividendes des actionnaires, permettant, par exemple, à Bernard Arnault à redevenir l’homme le plus riche de la planète.

Le budget pour 2023 va continuer à gonfler la dette, quoi qu’il arrive, et Emmanuel Macron reste droit dans ses Louboutin, autorisant sa première ministre à s’affranchir du vote du Parlement à coups de 49-3 !

Quel mépris pour ceux qui n’ont rien !

Le paradis sur terre

Quand le plus grand nombre des habitants de la planète vit un enfer, quelques privilégiés ont découvert le paradis.

Quand les pauvres sont contraints à vivre entassés dans des logements insalubres, voire dans la rue, les millionnaires s’entassent dans les micro-paradis fiscaux européens !

C’est ce que nous confirme Alexandre Mirlicourtois, le directeur de la conjoncture et de la prévision du cabinet Xerfi aujourd’hui.

Xerfi nous apprend que la Principauté de Monaco, peuplée d’à peine 40 000 habitants, recense 12 000 millionnaires ; le Grand-Duché de Luxembourg (650 000 habitants) en abrite 15 000. On retrouve aussi ces nantis au Lichtenstein, à Guernesey, à Jersey, sur l’île de Man et dans les Caraïbes.

Evidemment, pour détourner l’attention, on ne parle pas de paradis fiscaux entre soi, mais de ‘’centres financiers off-shore’’. Dans quelques-uns d’entre eux, les millionnaires se jettent avec avidité sur les plus belles demeures. Et les prix de l’immobilier flambent. A Monaco, nous dit Alexandre Mirlicourtois, l’ancien a dépassé les 50 000 euros le mètre carré, soit une hausse de près de 75 % en 10 ans.

Ces paradis ont un prix pour les pays d’origine des millionnaires : « En proposant une imposition personnelle au rabais, voire nulle, une taxation des entreprises plus faible qu’ailleurs, ils continuent de s’enrichir en siphonnant la matière fiscale des autres. » On estime ce qu’on doit bien appeler de la fraude fiscale atteint le chiffre vertigineux de 80 milliards par an.

Les dirigeants européens, y compris Emmanuel Macron, ont tous déclarés vouloir lutter contre l’évasion fiscale. Une directive a été adoptée, mais aussitôt désavouée ; le quotidien économique de Bernard Arnault (épinglé dans les révélations des ‘’Paradise Papers en 2017), Les Echos, s’en félicite : « Il y a trop de transparence financière. C’est ce qu’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans une décision explosive rendue le 22 novembre. Dans une affaire concernant le Luxembourg, le juge européen a estimé que l’accès du grand public aux informations sur les personnes figurant dans le registre des bénéficiaires effectifs représentait ‘’une ingérence grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée’’. Le bénéficiaire effectif est celui qui détient plus de 25 % du capital ou des droits de vote d’une société ou qui exerce le contrôle sur les organes de gestion, d’administration ou de direction. Résultat : la Commission européenne va être contrainte de revoir cette disposition de la directive européenne anti-blanchiment de capitaux et financement du terrorisme de 2018. »

Conclusion d’Alexandre Mirlicourtois : « L’opacité financière demeure. Le succès de ces micro-paradis fiscaux aussi. » Le paradis existe ; il est sur terre. Seulement pour les plus fortunés !

Malversations en tous genres

Le Qatar Gate jette l’opprobre sur le Parlement européen, mais surtout sur le fonctionnement d’un édifice communautaire qui admet un nombre époustouflant de lobbyistes à Bruxelles ouvrant les portes à toutes les magouilles.

Et si le Qatar Gate n’était que la face émergée de tout un système de prévarication ?

Aujourd’hui, les faits et méfaits du genre finissent par être dénoncés et étalés, mais sans qu’ils ne cessent. L’actualité en découvre de nouveaux chaque jour ou presque. Les hommes (et femmes) politiques poursuivis par la justice et condamnés sont de plus en plus nombreux ; cependant beaucoup peuvent continuer à siéger, à être élus (parfois triomphalement). Serait-ce que les citoyens s’habituent aux comportements délictueux de leurs représentants ?

Nicolas Sarkozy, ex-président de la République, défraie chaque jour la chronique judiciaire et accumule les condamnations. Ses ‘’amis’’, Balkany, Fillon, Woerth, Balladur, etc., figurent aussi au tableau des délinquants. La droite détient un triste record.

L’actuel locataire de l’Elysée, lui aussi, a vu nombre de ses ministres et conseillers cités dans des affaires peu glorieuses : d’Alexis Kohler à Nicolas Hulot en passant par Richard Ferrand, Muriel Pénicaud, Laura Flessel, Françoise Nyssen, Agnès Buzyn, Jean-Paul Delevoye, Eric Dupond-Moretti, Thierry Solère ou encore François de Rugy.

Tous leurs démêlés n’ont pas le même niveau de gravité, mais tous alimentent les suspicions et les accusations du ‘’tous pourris’’, dont l’extrême droite se régale, malgré des poursuites du même ordre.

Bref, les partis politiques auraient tout intérêt à adopter des codes de conduite plus vertueux et de se débarrasser de leurs moutons noirs, plutôt que de les représenter à chaque élection.

L’argent corrompt tout, on le sait ; aujourd’hui ça se voit. Quand on examine de près tous les dossiers, on en tire la conclusion que c’est le capitalisme qui est le corrupteur avec ceux qui lui ont fait allégeance.

La corruption érigée en système par des pays comme le Qatar est hautement condamnable, bien sûr, mais la France peut-elle donner des leçons quand l’affaire des frégates d’Arabie saoudite et des sous-marins du Pakistan et de leurs rétro-commissions a abouti à la mort de 11 salariés français le 8 mai 2002 à Karachi ?

L’homme engagé

J’ai déjà parlé d’un recueil des écrits journalistiques de Gabriel Garcia Marquez récemment paru, Le scandale du siècle. Témoignage du grand journaliste que fut l’auteur de Cent ans de solitude, prix Nobel en 1982.

Aucun des articles ne laisse indifférent. Dans une chronique parue le 2 décembre 1980 dans le quotidien madrilène El Pais sous le titre Le nouveau plus vieux métier du monde, il dénonce le proxénétisme, « cette apothéose du machisme » contraignant « des femmes de location » (formule terrible) exerçant « leur métier de routine dans les ruelles de Pigalle ». Il dénonce encore « l’irruption des travestis dans ce monde d’exploitation et de mort » qu’il qualifie avec justesse de sordide.

Dans une autre chronique, parue le 29 décembre 1982, c’est-à-dire après son prix Nobel, sous le titre De Paris, avec amour, il chante sa passion pour « la plus belle ville du monde ». Un amour qui n’allait pas de soi quand, pour sa première visite en décembre 1955 (« C’étaient les temps obscurs de la guerre d’Algérie »), il découvre une ville où « la répression était un spectre insatiable » : « Brusquement, la police bloquait la sortie d’un café ou d’une de ces gargotes arabes du boulevard Saint-Michel, raflait en les matraquant tous ceux qui n’avaient pas faciès chrétien. J’étais immanquablement un de ceux-là. Toute explication était vaine : comme leurs traits, l’accent des Latino-Américains était motif de perdition. »

Les Algériens se défiaient de Gabo, puis « cependant, comme eux et moi avons continué d’être d’assidus visiteurs nocturnes de commissariats, nous avons fini par nous entendre. Une nuit, l’un d’eux me dit que tant qu’à être un prisonnier, mieux valait être coupable qu’innocent, et il me fit travailler pour le Font de libération nationale. Il s’agissait du médecin Hamed Tebbal, qui devint alors l’un de mes plus grands amis à Paris. »

Où il est démontré que Gabriel Garcia Marquez était non seulement un des plus grands écrivains du XXe siècle et un des plus grands journalistes, mais aussi un homme engagé, dénonçant, prenant parti et luttant pour un monde meilleur. Un exemple bien plus convaincant qu’Albert Londres.

Que dirait-il aujourd’hui de la situation quand la chasse à ceux qui n’ont pas le ‘’faciès chrétien’’ est devenu le sport préféré d’un ministre de l’intérieur et de politiciens odieux.

Fait divers ?

Il y a des faits divers anodins et d’autres sordides, interpellant la société ; celui qui a été rappelé devant la cour de révision du palais de justice de Paris est trop sordide pour laisser indifférent.

Il se déroule dans le Nord, une terre de souffrance après la fermeture des mines et des usines de l’industrie textile et débute en 1998 : une jeune fille de 15 ans accuse un jeune garçon de 17 ans de l’avoir violée.

Il se trouve que le jeune garçon est Arabe et s’appelle Farid ; il a arrêté l’école à 16 ans et a déjà eu de petits problèmes avec la justice. Il est nécessairement coupable ; il est même un coupable idéal. 

La sanction tombe à l’issue d’un procès devant le tribunal de Douai : cinq ans d’emprisonnement, dont quatre ans et deux mois avec sursis pour couvrir la prison préventive et ses parents sont condamnés à 17 000 euros de dommages et intérêts à la jeune accusatrice.

En octobre 2017, il est marqué par un rebondissement stupéfiant : la jeune accusatrice, âgée de 34 ans, adresse une lettre au procureur de la République de Douai dans laquelle elle reconnaît avoir menti ; elle n’a pas été violée, mais avoue l’avoir été par son frère aîné pendant quatre ans, entre 1991 et 1995. Une expérience qu’elle a tu à la famille mais qui lui a permis de donner des détails rendant son récit crédible. 

Farid a dû attendre cinq longues années pour comparaître, en 2022, devant la cour de révision et entendre une avocate générale demander l’annulation, sans renvoi devant une nouvelle juridiction, de sa condamnation, l’effacement de la mention de son casier judiciaire et de la suppression de son nom dans le fichier des délinquants sexuels. La justice ne peut pas être expéditive, mais quand même, cinq ans pour réhabiliter un innocent semble un délai beaucoup trop long. Farid n’a prononcé que quelques mots devant les juges pour dire : « Je vais arrêter là parce que je ne me sens pas bien. »

Farid retrouvera-t-il une vie simple de citoyen innocent ? On peut en douter, tant le traumatisme est profond. Mais, au moins, son innocence sera reconnue.

Le fait divers pose de multiples questions, comme le poids de la famille dans le déni d’inceste (pour protéger la famille, a déclaré la jeune fille dans sa lettre de dénonciation), comme le poids de la parole de l’enfant dans les affaires de viol, comme l’enquête qu’on peut qualifier aujourd’hui de bâclée, etc. Mais, surtout, l’enquête n’aurait-elle pas été différente si l’accusé n’avait pas été Arabe ?

On ne parlera pas de racisme ordinaire, mais, pour le moins, de préjugés tenaces, comme ceux qui valent aux jeunes des banlieues s’ils sont basanés ou noirs, d’être systématiquement contrôlés par les policiers.

Farid ou l’exemple parmi tant d’autres du banal destin des jeunes de banlieues déclarées sensibles par les tenants de l’ordre !

Mélange des genres et copinage

La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a publié les déclarations d’intérêts et de patrimoine des ministres du gouvernement d’Elisabeth Borne. On y découvre, par exemple, que Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, et Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, possèdent respectivement 519 et 418 actions de Vivendi. Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports, était, elle, actionnaire de Lagardère, racheté par Vivendi, avec 150 actions avant son entrée dans le gouvernement.

Vincent Bolloré n’a sans doute pas besoin du soutien de ces ministres ; mais sait-on jamais !

Claire Chazal, elle, n’est pas ministre ; elle vient d’apprendre l’arrêt de l’émission Passage des arts, dont elle était la présentatrice sur France 2. Curieusement la case ainsi ‘’libérée’’ échoit à Pierre Lescure et à un nouveau magazine consacré au cinéma.

Pierre Lescure, 77 ans quand même, a été, rappelons-le, l’un des fondateurs de Canal+, président du Festival de Cannes, directeur du théâtre Marigny, administrateurs de nombreuses entreprises, dont Havas, propriété de Bolloré, etc. Un bien beau CV ! Encore un homme se jugeant sans doute indispensable et qui, assurément, ne défendra pas la retraite à 60 ans !

Pierre Lescure est aussi le demi-frère de Roland Lescure, député du parti d’Emmanuel Macron, La République en marche, nommé ministre délégué chargé de l’industrie.

Curieuses coïncidences dans ce monde où les dîners en ville entretiennent les petites et les grandes amitiés !

Anti-Bolloré

Christian Bruel est peu connu, notamment de ce qu’on appelle le grand public. Il est éditeur et lui-même auteur d’une cinquantaine de livres pour enfants. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne défraie pas les chroniques, comme Alain Serres, l’éditeur de Rue du Monde : la littérature jeunesse est maltraitée dans les médias.

Christian Bruel, donc, avait créé Sourire qui mord, un éditeur qui, vingt ans plus tard avait dû stopper ses activités en 1996 ; mais notre éditeur est têtu, il créait aussitôt Être, avec la même philosophie et la même recherche de livres de qualité.

A l’occasion du Salon du livre jeunesse de Montreuil, il a accordé une interview à Télérama, de laquelle j’ai extrait quelques lignes réconfortantes :

« Il est très important de montrer aux enfants des livres qui incarnent une résistance idéologique ou artistique, et qui sortent de la littérature de marché. Mais, au risque de paraître provocateur, j’ajouterais qu’intoxiquer les mômes en les gavant uniquement de chefs-d’œuvre n’est pas la meilleure idée. Sans crier ‘’Vive la médiocrité !’’, il faut savoir aussi aborder les enfants avec des livres qu’ils aiment et qu’on n’aime pas. Leur dire : ‘’Je n’ai pas la vérité éternelle, mais moi, adulte, voilà pourquoi ce livre-là ne me plaît pas’’. »

« Je crois beaucoup à la nécessité d’un enseignement littéraire de qualité, qui conduise à être capable d’interpréter, de discuter, de comparer, d’actualiser. Comme l’a si bien observé le théoricien Jean-Louis Dumortier, le cours de français est le seul endroit, à l’école, où il est possible de parler d’émotions, d’affects, d’esthétique, le tout mélangé… Toutefois, il y a dans la lecture quelque chose de l’ordre de l’intime, qui n’est pas du ressort de l’école. Un enseignant ne peut pas se mêler de la manière dont un enfant va ‘’faire son miel’’ ».

« Le mot ‘’politique’’ est ce que j’appelle ‘’le grand méchant mot’’. Les enfants ont toujours été maintenus hors-sol, vis-à-vis de la politique. On ne les forme pas à se forger des opinions. Pourtant, le mot ‘’ politique’’, au sens de ‘’manière d’être au monde ensemble’’, les concerne au premier chef. En 1945, la fameuse Tante Jacqueline, rédactrice en chef du journal La Semaine de Suzette, s’adressait ainsi à ses lectrices : ‘’Mes chères petites nièces (comme elle les appelait, elle aurait plutôt dû dire ‘’Mes chères petites niaises’’ !), vous n’entendez rien à la politique et je vous en félicite !’’ »

C’est elle qui écrivait les histoires de Bécassine. J’en ai retrouvé récemment deux épisodes méconnus, particulièrement édifiants : Bécassine fait de la politique (1912) et Bécassine suffragette (1913). Dans le premier, Tante Jacqueline y explique que ‘’sans Dieu ni maître’’, la politique va toujours mal. À la fin, la pauvre Bécassine est conduite à s’exclamer : ‘’Pourvu que ce ne soit pas la révolution !’’  Dans le second, on lit que les suffragettes sont ‘’des dames qui veulent se mêler de tout ce qui se passe dans le pays. Il ne leur suffit pas d’être maîtresses chez elle, elles veulent l’être aussi chez les autres’’. C’est vraiment la grosse artillerie au service de l’idéologie ! »

Il y a un éditeur qui, aujourd’hui, rêve de rééditer des histoires de Bécassine, pour la jeunesse mais aussi pour les adultes. C’est Vincent Bolloré. Mais tant qu’il y aura Christian Bruel et Alain Serres (et d’autres), l’obscurantisme ne triomphera pas. En revanche, il est absolument nécessaire que ces deux éditeurs-là puissent continuer à sortir la jeunesse de la niaiserie et les adultes de Cyril Hanouna.

Ce n’est pas gagné d’avance, mais c’est un beau combat à mener !

PS : Merci à Télérama et Martine Landrot, sa journaliste.

La patrie en danger

Il se passe assurément des choses importantes dans la France d’Emmanuel Macron aujourd’hui. Dans un communiqué commun inédit, 13 organisations syndicales se déclarent, dans un langage guerrier, ‘’prêtes à la mobilisation’’ pour les retraites.

Il faut croire que la situation est grave pour retrouver le sigle de la CFDT (plutôt conciliante avec le libéralisme) aux côtés de ceux de la CGT, FO, CGC, CFTC, UNSA, Solidaires, FSU, des deux syndicats étudiants, UNEF et FAGE, et de trois syndicats lycéens, VL, FIDL et MNL.

Le communiqué est sobre, court, mais il démontre néanmoins tous les ravages que pourrait engendrer le projet de loi sur les retraites et ajoute : « Les organisations syndicales réaffirment qu’elles sont, comme la très grande majorité de la population, fermement opposées à tout recul de l’âge légal de départ en retraite comme à toute augmentation de la durée de cotisation. La jeunesse, déjà fortement touchée par la précarité, serait fortement impactée par ce projet. Pour l’intersyndicale, des alternatives, y compris financières, existent pour améliorer les fins de carrière et les montants des pensions tout en faisant reculer les inégalités touchant particulièrement les femmes. »

La loi se fait à l’Assemblée nationale et non à l’Elysée ; c’est pourtant dans les bureaux du palais présidentiel que le gouvernement et la première ministre, simple exécutante, ont reçu l’ordre d’avoir recours à l’article 49-3 de la constitution à 7 reprises pour adopter sans vote les budgets de l’Etat et de la Sécurité sociale.

Emmanuel Macron s’est essuyé les pieds sur les costumes des députés ; il n’est pas sûr qu’il pourra agir de la même façon, honteuse et antidémocratique, avec les organisations syndicales.

Leur appel à la mobilisation pour des grèves et manifestations en janvier sera entendu par leurs adhérents, si Emmanuel Macron, lui, ne veut rien entendre.

Après avoir perdu la majorité absolue à l’Assemblée nationale, le président autoritaire et hautain, qui décide de tout (pour le plus grand bonheur des riches et de leurs patrimoines), a déjà perdu la bataille de l’opinion, malgré une campagne de communication relayant de fausses informations alarmistes sur l’état réel des caisses de retraites, notamment ; les syndicats s’affirment en faux contre les arguments présidentiels : « Le système par répartition n’est pas en danger, y compris pour les jeunes générations. Le gouvernement instrumentalise la situation financière du système de retraites et affirme, à tort, que le recul de l’âge légal de la retraite est un impératif. »

Mais il ne perdra la guerre des retraites que si (et seulement si) le front uni des syndicats ne se fissure pas, victime de stratagèmes élaborés secrètement, de nuit, entre quelques félons et les sbires de Macron.

La mobilisation se décrète quand la patrie est en danger ; aujourd’hui, ce n’est pas la patrie qui est en danger, mais le système social imaginé par le Conseil national de la Résistance et élaboré au sortir de la guerre par un gouvernement d’union, présidé par De Gaulle. Macron, lui, veut effacer tout ce qui en reste et enfoncer le pays dans un régime de précarité absolue.

Finalement, la patrie, une et solidaire, est bien en danger.

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