J’ai déjà vanté toutes les qualités d’Asli Erdogan, écrivaine remarquable ; mais on ne dira jamais assez que cette physicienne talentueuse et précoce (elle avait rejoint le CERN à Genève à 24 ans seulement) est moralement détruite.

Son dernier livre, Requiem pour une ville perdue, témoigne de toutes les souffrances engendrées par l’exil pour fuir le régime dictatorial de Recep Tayyip Erdogan ; Asli pleure la ville perdue de son enfance et de ses études, Istanbul et son quartier de Galata. Elle ne supporte pas la solitude de l’exilée ; elle parle alors de la « solitude du corps mortel » et du « tombeau vide que je fabrique avec les mots ». Elle crie son désespoir avec une rage incroyable et veut jeter à la face du monde comment le régime obscurantiste a voulu la bâillonner et faire taire sa foi dans le droit à la vie, à l’humanisme et à la liberté.

Requiem pour une ville perdue, œuvre d’une écorchée vive, est bouleversant, écrit avec des mots qui reviennent de façon répétitive pour mieux enfoncer le clou.

Asli Erdogan est une révoltée, qui n’aspire qu’à rentrer dans on pays, mais qui doit vivre un exil tellement douloureux. 

Elle a trouvé un exutoire dans l’écriture (acceptant de disparaître en laissant une trace) et elle le fait autant avec son intelligence (énorme) et son aisance dans l’utilisation des mots qu’avec ses tripes ; elle a réussi ainsi à surmonter les accusations de terrorisme, l’emprisonnement et, finalement l’exil en Allemagne : « Pourquoi écrivons-nous ? parce que nous somems perdus, que nous avons l’habitude de croire aux mots (…) Nous écrivons pour courir après le monde qui s’enfuit à toute allure, pour retourner ce vide qui est en nous… »

Son livre est beau, exigeant pour le lecteur et, finalement, dérangeant ; elle écrit : « La plupart du temps, les blessures sont silencieuses, mais lorsqu’elles parlent, leurs voix sont terrifiantes. Elles ne savent pas mentir. »

La vie d’Asli Erdogan est une tragédie et ses livres des chefs-d’œuvre.

Il faut lire Requiem pour une ville perdue.