Quelle responsabilité d’informer ! Une responsabilité sociale historique, qui suppose de préserver la liberté réelle du journaliste vis-à-vis de tous les pouvoirs.
Notre métier, une fonction sociale hautement responsable, est de plus en plus soumis à des contraintes, politiques, commerciales, technologiques, voire d’intérêts particuliers.
Certes, nous venons d’origines différentes ; nous avons aussi des divergences, mais ce qui doit nous réunir, et en premier lieu notre commune responsabilité d’informer, doit être plus fort que ce qui nous a divisé et nous divise encore.
Dans un monde bouleversé, où la corruption de l’argent est quotidienne, où la commercialisation de l’information est une grave atteinte à la liberté du journaliste et où, enfin, la concentration des entreprises de médias entrave le pluralisme, la seule réponse de la profession est son unité, dans le syndicalisme.
C’est ensemble que les journalistes imposeront le respect d’une information honnête et sincère, vérifiée et mise en perspective. Notre lutte doit aussi s’accompagner de l’amélioration des conditions matérielles et morales de tous les membres de notre belle et exigeante profession.
Ensemble signifie, dans un monde de plus en plus ‘’mondialisé’’ et dans lequel les médias sont de plus en plus entre les mains d’oligarques, de réunir les journalistes de tous les continents et de dépasser certaines divisions. Celles-ci, parfois artificiellement entretenues, ne visent qu’à imposer une information partisane. Ensemble signifie d’être encore plus solidaires.
Aujourd’hui, la FIJ est notre commune organisation, celle qui nous réunit, celle qui peut et doit nous permettre de faire respecter le journalisme partout dans le monde. Sans concession. Et d’affirmer notre solidarité en toutes occasions.
Ensemble ? Cela ne faut pas toujours le cas. Longtemps, le mouvement international des journalistes a été divisé en deux organisations tellement rivales qu’elles ne se parlaient pas.
Les syndicats français, dont le pluralisme surprend toujours leurs interlocuteurs, ont été les témoins de ces déchirements, deux d’entre eux étant adhérents de la FIJ (SNJ et USJF-CFDT) et un autre de l’OIJ (SNJ-CGT). Si FIJ et OIJ s’ignoraient, les syndicats français, eux, luttaient côte à côte pour satisfaire les légitimes revendications des journalistes. Et ils ont occupé une place importante dans la recherche d’une réunification des deux organisations internationales.
Il n’est pas superflu de réviser l’Histoire pour comprendre le rôle des syndicats français et je me permettrai d’insister sur le rôle considérable d’un homme, Jean-Maurice Hermann, même s’il ne fut pas le seul à rechercher l’unité.
Jean-Maurice Hermann, donc, né en 1905 et entré dans le journalisme en 1928, a consacré toute sa vie à notre profession. En 1932, il entre à l’organe central du Parti socialiste, le Populaire, pour lequel il effectue des reportages aux côtés des combattants de l’Espagne républicaine.
Ce pourfendeur infatigable du fascisme, ne conçoit pas l’exercice de sa profession sans un engagement syndical. Il adhère au seul syndicat de l’époque, le SNJ qui remarque très vite les qualités et l’élit au poste de secrétaire général.
Il participe alors à l’élaboration du statut professionnel des journalistes (qui deviendra la loi du 29 mars 1935), puis à la première convention collective nationale de travail des journalistes ; deux textes, uniques en Europe.
Jean-Maurice Hermann et d’autres journalistes comme Daniel Mayer (qui deviendra ministre du travail et président du Conseil constitutionnel après la guerre) et Eugène Morel (journaliste au quotidien de la CGT, Le Peuple) militent pour que le SNJ rejoigne les autres salariés au sein de la CGT ; la majorité des adhérents refusant cette option, ils seront quelques-uns à l’origine de la création du SNJ-CGT en 1937, tout en conservant leur adhésion au SNJ, qui adopte le principe de la double affiliation.
Jean-Maurice Hermann occupera de hautes fonctions dans la Résistance française ; responsable d’un réseau dénommé Brutus et membre d’une commission spéciale des mouvements de Résistance chargée de préparer un nouveau statut démocratique de la presse.
Arrêté par la Gestapo en novembre 1943 et déporté au camp de concentration de Neuengamme, il s’échappera lors de son transfert vers Ravensbrück le 2 mai 1945.
A la Libération, il occupe diverses fonctions, dans l’Assemblée constitutive provisoire, puis comme directeur du cabinet du ministre, socialiste, de l’information Gaston Defferre. Mais très vite, il reprend son activité journalistique et syndicale.
Eugène Morel, proche de Jean-Maurice Hermann, travaille dès fin 1944 à la reconstitution d’un syndicat de journalistes ; en 1945, le SNJ est à nouveau opérationnel et celui-ci décide d’adhérer à la CGT. Eugène Morel en est élu secrétaire général. En mars de la même année, les membres de l’International Federation of Journalist of Allied or Free Countries (qui avait vu le jour à Londres en décembre 1941) décident la convocation d’un congrès mondial des journalistes pour mettre en place une nouvelle organisation internationale.
Le congrès, convoqué du 3 au 9 juin 1946 à Copenhague et présidé par le Britannique Archibald Kenyon, crée l’Organisation internationale des journalistes (OIJ). Eugène Morel, lui, est élu vice-président.
Deux événements vont douloureusement blesser Jean-Maurice Hermann. En 1947, le mouvement syndical français connaît une scission avec la création de FO. La majorité des 4000 adhérents du SNJ-CGT décident alors de retourner dans l’autonomie et recréent le SNJ ; Eugène Morel en est élu président. La minorité décide de maintenir le SNJ-CGT, dont Jean-Maurice Hermann devient le secrétaire général. Les deux amis sont portés à la direction des deux syndicats.
L’OIJ, elle, se disloque en octobre 1949 et la FIJ se reconstitue en mai 1952 à Bruxelles, l’OIJ tient un congrès en septembre 1950 à Helsinki et décide de se maintenir ; elle porte Jean-Marice Hermann à sa présidence, un poste qu’il occupera pendant 26 ans.
Jean-Maurice Hermann militera avec opiniâtreté pour la réunification de toutes les organisations syndicales de journalistes, en France comme au niveau international. Il travaillera notamment et inlassablement à établir une coopération entre la FIJ et l’OIJ.
A l’occasion d’une Assemblée mondiale des journalistes en novembre 1954, les participants lancent un appel à la FIJ et à l’OIJ de créer une seule organisation. Puis la deuxième assemblée mondiale (du 10 au 15 juin 1956 à Otaniemi en Finlande), Jean-Maurice Hermann propose de « démanteler l’OIJ » dans l’intérêt de l’unité ; la délégation brésilienne reprenant la proposition demande la création d’un Comité de coopération des journalistes.
Les efforts de Jean-Maurice Hermann ne seront pas totalement vains puisque, lors de la 2e Rencontre mondiale des journalistes (du 18 au 22 octobre 1960 à Baden), si la FIJ est absente, certaines de ses organisations membres sont présentes.
Les organisations de l’Amérique latine et la FNSI vont tenter de jouer, elles aussi, les médiateurs ; le syndicat italien va proposer d’organiser des rencontres en terrain neutre en 1956 pour réunir enfin FIJ et OIJ. Sans succès. Il faudra attendre octobre 1966 pour voir la FIJ répondre favorablement à l’invitation à d’assister au 6econgrès de l’OIJ à Berlin.
Parallèlement, en France en mai 1967, quatre syndicats (SNJ, SNJ-CGT, USJF-CFDT, SGJ-FO) vont créer une structure unique, l’Union nationale des syndicats de journalistes (UNSJ) pour élaborer en commun les revendications et parler d’une seule voix devant les employeurs.
Puis les deux organisations participent en 1971 à une conférence à Munich à l’invitation du Deutscher Journalisten-Verband, qui rédige une déclaration des droits et devoirs des journalistes, connue sous le nom de Charte de Munich, sur la base d’un projet élaboré par les syndicats français regroupés au sein de l’Union nationale des syndicats de journalistes (UNSJ).
Néanmoins, les relations formelles entre les deux organisations ne seront officialisées qu’en 1973.
Les syndicats de quatre pays (Finlande, Grande-Bretagne, Italie et France) vont alors jouer un rôle majeur dans ce rapprochement. Et en 1975 la FNSI pourra s’enorgueillir de pouvoir organiser les « Rencontres de Capri » sur la base d’une plateforme informelle qu’elle a rédigée avec les syndicats finlandais et autrichiens.
Dans toutes ces initiatives, Jean-Maurice Hermann (avec le SNJ-CGT qu’il dirigea jusqu’en 1968 et l’OIJ qu’il a présidé jusqu’en 1976) aura joué un rôle important sinon décisif. Lui qui a consacré sa vie militante à réunir FIJ et OIJ n’aura pas eu la joie de voir son grand dessein se réaliser, mais il serait sans doute fier d’assister au congrès d’un mouvement international des journalistes unique.
Publié dans la revue-programme du congrès de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), Angers, 7-10 juin 2016