La Chouette qui hioque

Mois : octobre 2022

De Bolsonaro à Hanouna

La réélection de Lula à la présidence du Brésil est réconfortante, mais le résultat de Bolsonaro est inquiétant : plus de 50 millions de Brésiliens ont encore voté pour un imbécile qu’on ne peut comparer qu’à un autre imbécile, Donald Trump. La gouvernance du pays va être rude. D’autres résultats électoraux font monter l’inquiétude comme la victoire de Giorgia Meloni, promue première ministre d’un autre grand pays, l’Italie.

Comme cela est-il advenu ?

Chaque pays a ses particularités, certes, mais il faut remarquer qu’au Brésil, en Italie, comme auparavant aux Etats-Unis, les campagnes électorales ont été marquées par le poids grandissant des églises évangéliques ou des catholiques intégristes, de prétendus bien-pensants accusant leurs adversaires de sacrilège et de tous les péchés inventés par les fous de dieu, quel que soit leur dieu.

On a vu des Brésiliens, quasiment en transe, prier pour la réélection de Bolsonaro, comme les Américains évangélistes priant pour Trump. Le dieu des Israéliens ou des Iraniens déchaîne les mêmes outrances verbales et les mêmes rejets de l’athée ou de l’impie. Trop souvent ces outrances se transforment en actes barbares, au cri de ‘’Mort aux infidèles’’, avec des méthodes expéditives. La campagne de Bolsonaro a fait des victimes au seul prétexte qu’elles aspiraient à un monde meilleur, sans haine à l’encontre de l’autre.

Dans un climat délétère et dans un monde qui souffre des politiques économiques et sociales rétrogrades, on aimerait que les plus hautes autorités religieuses élèvent la voix pour condamner les inégalités, mais aussi et surtout les violences au nom de leur dieu, pour prôner la tolérance et apaiser les tensions mondiales. Partout, il faut faire reculer le politiquement correct et les manipulations des foules, dans des églises ou ailleurs. Partout, il faut redonner aux femmes le droit de disposer de leur corps, de s’affranchir d’un voile ou de choisir d’avoir ou non un enfant. Partout, il faut donner à manger aux pauvres et éduquer leurs enfants pour les sortir de la barbarie.

Ramener la paix sur terre ne consiste pas seulement à interdire l’utilisation de la bombe atomique ou à condamner les guerres ; la communion de tous les hommes suppose la condamnation des autodafés et de toutes les formes d’Inquisition.

Ramener la tranquillité dans les esprits suppose une information s’adressant à des citoyens en faisant le pari de l’intelligence plutôt qu’en attisant leurs émotions avec des faits dénaturés. En écrivant cela, je pense à un animateur de télévision, digne de Trump et de Bolsonaro, auquel Vincent Bolloré a donné carte blanche pour abêtir le peuple. Commes les évangélistes ont amené Trump et Bolsonaro au pouvoir, comme Bepe Grillo a facilité l’ascension de Giorgia Meloni, Hanouna prépare le règne de l’extrême droite en France, avec la bénédiction non pas de gourous évangélistes, mais du président de la République lui-même qui n’hésite pas à lui téléphoner en direct au cours de son émission.

Il suffit d’un rien (surtout s’il se répète) pour désorienter des citoyens, agressés en permanence par des questions de survie, de sécurité collective, de travail, de salaire, de logement, bref de tout ce qui fait la vie quotidienne. Les prêches des évangélistes ou les émissions telles que celles de Hanouna sont des bombes à retardement qu’une petite étincelle peut mettre à feu.

Et donc, Macron parla (suite)

Si les deux interventions d’Emmanuel Macron sur France 2 sont une idée de Frédéric Michel, son nouveau communiquant, le contenu des discours-fleuves du président de la République seraient du ‘’Sarkozy dans le texte’’. C’est ce que révèle un nouvel article du Monde sous la plume de Solenn de Royer.

Pour la journaliste, il n’y a rien d’étonnant à cela ; elle écrit que l’ex-président séchement remercié par les électeurs en 2012, « veut tenter de peser sur celui que certains se plaisent à décrire comme « chiraquisé ». Il a déjà pu mesurer son influence sur ce jeune président, en pleine crise des « gilets jaunes » : lors d’un tête-à-tête, il l’avait aidé à « remonter sur son cheval », selon un ami des deux hommes. Deux jours plus tard, M. Macron annonçait des heures supplémentaires sans charges sociales et défiscalisées, soit le grand retour du ‘’travailler plus pour gagner plus’’ ».

Solenn de Royer parle de ‘’copié-collé’’ à propos des phrases prononcées par Macron, « employant les mêmes mots, les mêmes gimmicks, et déclinant les mêmes obsessions ».

Quand Sarkozy croit « au parti de l’ordre, à celui qui récompense le travail et le mérite », la journaliste relève que Macron croit, lui, en « une France du travail et du mérite ». Puis, elle a remarqué que Macron a plaidé pour une « France forte », la défiscalisation des heures supplémentaires, le durcissement des règles « pour mieux lutter contre l’immigration illégale », pour la réforme de l’âge du départ à la retraite, autant de thèmes qui ont marqué le quinquennat de Sarkozy.

Pour Le Monde, « ces emprunts rhétoriques et idéologiques ne doivent rien au hasard. Selon nos informations, M. Sarkozy et M. Macron ont discrètement déjeuné mardi à l’Elysée, à la veille de l’intervention télévisée de ce dernier. »

Quand un président de la République aussi imbu de sa petite personne en est réduit à faire appel à un communicant sulfureux et à aller chercher l’inspiration de sa ligne politique chez un ex-président multi-poursuivi par la justice, c’est le signe d’un grand malaise. Macron n’est ni désorienté, ni ‘’chiraquisé’’, mais il se rapproche encore un peu plus de sa vraie famille, la droite dure, celle qui enrichit les plus riches et appauvrit les plus pauvres (et même les classes moyennes).

L’article du Monde, au fond, ne révèle rien ; il y a longtemps que je dénonce la politique de ce grand ambitieux aux idées courtes et puisées dans les bibliothèques des vieux réactionnaires de la droite éternelle. Néanmoins, il faut reconnaître que le moment est peu glorieux pour celui qui voulait réinventer la politique en bousculant l’ordre établi en prétendant n’être ni de droite, ni de gauche. Mais ce moment est chaque jour plus douloureux pour les classes laborieuses, quand les richesses de quelques-uns s’étalent outrageusement et les bénéfices des grands groupes battent des records.

Et donc, Macron parla

Emmanuel Macron a des tics de langage ; il use et abuse de ‘’Et donc…’’  Ce tic est amplifié par la fatigue. Il mélange allègrement la conjonction donc avec l’adverbe donc, même s’il utilise le plus souvent la conjonction pour conclure un raisonnement, à la fin duquel ses propositions sont indiscutables et évidentes.

Son ‘’et donc…’’ est plus qu’un tic, c’est un trait de sa personnalité, l’affirmation que le président de la République autoritaire maîtrise tous les sujets et détient ‘’la’’ vérité. Comme le pape autrefois, il est infaillible. Du moins le croit-il !

Et donc, Macron parla pendant 75 minutes, pour la deuxième fois en deux semaines. Longuement, parfaitement relancé par une journaliste, Caroline Roux, peu pugnace. L’épouse de Laurent Solly partage beaucoup de valeurs avec Emmanuel Macron ; elle est au fond une de ces journalistes de connivence qui encombrent les chaînes de radio et de télévision et affichent leur parti pris, au détriment de l’éthique des journalistes.

Si Emmanuel Macron a pu nous gratifier d’un discours ponctué d’innombrables ‘’et donc’’, ce n’est pas par la volonté de France 2, mais par la volonté d’un homme, son nouveau communicant, Frédéric Michel. C’est Le Monde qui nous l’apprend grâce à un article plus digne du journalisme que celui de Caroline Roux.

Le titre intrigue : « Frédéric Michel, le monde des affaires à l’Elysée », car, avec Macron (et même avant lui), il y a longtemps que le monde des affaires a loué le palais présidentiel avec un bail emphytéotique de 99 ans reconductible.

On apprend dans les colonnes du quotidien vespéral (une pleine page) que Frédéric Michel est « l’ancien lobbyiste en chef des Murdoch » et que c’est lui qui est « à l’origine de l’interview télévisée d’Emmanuel Macron sur France 2. »

Frédéric Michel « était, il y a quelques semaines encore, l’associé du fonds de James Murdoch, Lupa Systems, qui investit dans l’art et les médias ».

Il a été recommandé à Macron par des hommes d’affaires comme Xavier Niel, son associé dans Mediawan Pierre-Antoine Capton ou encore Jean-Charles Tréhan, le patron des relations extérieures de LVMH, Matthieu Pigasse, etc.

Le Monde avoue que « politique, business, amitiés : avec Frédéric Michel, souvent tout se mêle ». On s’en serait douté. Le nouveau communicant a, paraît-il, expliqué : « Je suis là pour faire le legacy du président(traduction de legacy : héritage) (…) son ‘’chief adviser’’ » (conseiller en chef) », en toute modestie. Peu importe que notre homme ait quitté la France pour Londres depuis 1995, le lobbying n’a apparemment pas de frontière. Le quotidien nous apprend que « Sur son réseau LinkedIn, il annonce qu’il fera « [his] very best » pour aider le président Macron à mener ses réformes et à porter sa voix en Europe et au-delà. », mais aussi que « après l’interview d’Emmanuel Macron sur France 2, qui, le 12 octobre, a attiré 5,4 millions de téléspectateurs, Frédéric Michel textote à des journalistes qu’« il faut parler » du succès d’audience de « ce nouveau format à la “60 Minutes” », le show culte de CBS, dont il a « eu l’idée », ou encore que « A Rome, dimanche, il était absent de la visite officielle du chef de l’Etat au pape François, rendant le déplacement chaotique – au point que l’Association de la presse présidentielle a alerté mercredi l’Elysée, par mail. Sentant monter la fronde, Frédéric Michel, qui a le coup de fil facile avec les oligarques et les patrons de médias – ses partenaires d’hier –, avait déjà décroché son téléphone pour appeler l’un d’eux. Réflexe de lobbyiste. » En toute indépendance

Frédéric Michel, on l’a compris, ne manque pas de culot. Et donc, Macron parla.

Pauvre France !

Je n’ai jamais apprécié Emmanuel Macron et ses dernières initiatives ne me permettent pas de réviser mes sentiments vis-à-vis du président de la République. Je ne parle pas de la visite, furtive paraît-il, avec Giorgia Meloni, l’émule de Mussolini devenue première ministre d’un grand pays de culture, l’Italie. Non, je veux parler de toutes les actions, interventions et mesures qu’il a prises depuis sa réélection.

M. Macron entraîne la France vers le néant ; il l’abîme au point d’en faire demain une nation de sonde zone. Avec une hypocrisie toute politique, celui qui veut faire entrer les citoyens dans l’ère numérique, démolit tous les services publics par des restrictions budgétaires et des réformes organisationnelles sans précédent et, surtout, en offrant tout ce qui est rentable à ses amis des grands groupes privés : enseignement, santé, énergie, transports, notamment, sont l’objet de toutes ses attentions, sans débat dans le pays. Le tissu économique, industriel et agricole, se délite ; le pacte social, Pôle emploi et Sécurité sociale, est rompu et le recul est spectaculaire : le pays s’enlise en revenant à la situation sociale de la fin du 19° siècle. Jamais le président des riches n’a autant mérité son surnom ! 

Si la situation intérieure est catastrophique, la place de la France dans le monde est désastreuse. On sait ce qu’il est advenu de l’opération de communication opérée au Liban. Le président de la France était allé en mission pour y rétablir l’état de droit en 2020 puis en 2021 ; quelques années plus tard, donc, on mesure le succès de cette intervention. Le donneur de leçon permanent n’est plus écouté et encore moins suivi.

Emmanuel Macron récidive en Ukraine. Il a multiplié les rendez-vous téléphoniques avec son homologue russe et il lui a rendu visite, mais Poutine l’a à peine écouté et l’a même humilié en le recevant dans un salon immense, le reléguant au bout d’une table démesurée. Il a multiplié les déclarations pour apaiser les demandes pressantes de Zelensky et promis des armes. Mais d’armes à livrer aux militaires ukrainiens, la France n’en a plus en stock. Alors, le président d’un pays laïc s’est rendu à Rome pour implorer la communauté Sant-Egidio en priant ses membres de l’aider sur l’air de ‘’j’ai besoin de vous’’. Le fondateur de cette communauté proche du pape François ne parle pas mais il agit, partout où il a des conflits armés. Sant-Egidio a permis de rétablir la paix là où les politiques avaient échoué. Macron y a vu un possible allié pour tenter de sauver les apparences et une opportunité pour tenter d’apparaître comme l’un de ceux qui ont ramené la paix entre les deux belligérants. Quel aveu de faiblesse !

Si le bilan des relations de la France avec le Liban, l’Ukraine et la Russie est négatif, que dire de la position de la France en Afrique subsaharienne où ce ne sont plus les roitelets qui prennent leurs distances mais les peuples qui chassent les militaires et autres nostalgiques de la Françafrique de leurs pays. Le champion d’une nouvelle politique extérieure est en échec, un échec cuisant. Car il ne faut pas oublier de mentionner que l’Allemagne du chancelier Olaf Scholz vient de rompre avec Macron des dizaines d’années de relations privilégiées au sein de ce qu’on avait coutume d’appeler le ‘’couple franco-allemand’’.

Emmanuel Macron parle beaucoup ; au-delà de sa propension à se persuader lui-même qu’il est important, il n’est qu’un beau parleur et un piètre politicien. Le fondé de pouvoir du libéralisme et des riches ne fait plus illusion ; il a été remané à sa juste place, mais il a entraîné avec lui un pays qui perd tout ce qui a fait sa grandeur, y compris ses Lumières et ses gens de culture. Le pays des Droits de l’Homme est méconnaissable ; à cause d’un irresponsable. Pauvre France !

Choix de société, choix éditoriaux

A quoi ressemble une vraie démocratie par le peuple et pour le peuple ? Vaste question à laquelle il est très difficile de répondre dans un pays au régime autoritaire. En revanche, peut-on prétendre que le gouvernement d’Elisabeth Borne est le gouvernement du peuple après son recours à l’article 49-3 de la Consitution à deux reprises en 24 heures ?

Le peuple qui devrait administrer le pays a vu ses élus perdre leur pouvoir législatif. On constate chaque jour que le peuple est gouverné, certes, mais de façon éloignée, c’est-à-dire ni par lui-même, ni pour lui-même. Le pouvoir est confisqué par une petite caste, logée à l’Elysée, qui a fait un choix de société. Elle ne veut ni le bien, ni le bonheur du peuple, mais celui de quelques-uns et de leurs entreprises, dont les profits alimentent des fonds spéculatifs majoritairement domicilé aux Etats-Unis.

Le pouvoir a été confisqué par un énarque-banquier qui n’a recueilli que 20 % des suffrages du peuple au premier tour de l’élection présidentielle, mais qui déclare avoir été élu sur son programme par la majorité du peuple. Il est assujetti à un pouvoir économique et financier qui échappe au peuple et le conduit au ‘’marché’’. Celui-ci plonge la société dans la crise et l’enferme dans un régime où toute vélléité de régulation est entravée et toute notion d’intérêt général dénaturée.

Ce matin, par exemple, 4000 professionnels de la pédiatrie ont rendu publique une lettre ouverte à Emmanuel Macron, dénonçant la saturation des services de réanimations pédiatriques, contraignant le transfert d’enfants hospitalisés à Paris vers les établissements de Reims, Rouen, Amiens, Orléans, alors que leur situation était critique. Ils dénoncent aussi l’attitude du ministre, François Braun, lui-même médecin, jugeant « récemment que nous avions l’habitude de ces pics hivernaux et que ces transferts se font sans mettre en danger les enfants. »

Les pédiatres tiendront, comme d’habitude, écrivent-ils, « et l’hiver passera, nous ne dormirons pas, même dans notre sommeil nous veillerons sur eux au détriment de notre santé. Certains d’entre nous partiront, encore, les internes désabusés quitteront l’hôpital dès leur formation terminée, les jeunes infirmier-es changeront de métier, découragés. D’autres lits fermeront dans l’indifférence, la santé des enfants continuera à se dégrader, insidieusement, sous nos yeux mais sans jamais apparaître dans les tableurs Excel que vous consultez. »

Ils lancent un cri d’alarme à Emmanuel Macron : « Monsieur le Président, la pédiatrie ne parait plus être une priorité, pourtant ces enfants sont l’avenir. Les dirigeants actuels et passés ont fermé les yeux sur l’abandon de l’hôpital public et des services de pédiatrie. Ils sont désormais responsables des conséquences sur la santé des enfants. »

Autre exemple, de choix de société, la grève des enseignants de lycées professionnels, en lutte contre le projet de réforme faisant passer le nombre de semaines de stages obligatoires en entreprise de 22 à 33 semaines et réduisant de ce fait le nombre d’heures d’enseignement de 3890 à 2520 sur l’ensemble du parcours de trois ans conduisant au baccalauréat professionnel.

Pour les enseignants, cette réduction des enseignements est une aberration, qui vise, en fait, à calquer les diplômes sur les besoins immédiats des entreprises et de l’économie locale. Le projet tire un trait sur les compétences générales et met le service public de l’éducation nationale des futurs ouvriers et employés au service exclusif des patrons. Le choix de société est à courte vue, car si les salariés sont immédiatement opérationnels, ils seront de futurs chômeurs quand les entreprises disparaîtront ou modifierons leur process de travail.

Concammitamment, les lycées professionnels disparaissent pour laisser la place aux Centres de formation des apprentis (CFA), structures privées. Comme pour l’hôpital public.

On pourrait examiner la situation de tous les secteurs d’activité pour s’apercevoir que tous sont atteints du même mal et font l’objet de toutes les attentions de la part de ce noyau d’usurpateurs logés sous les ors de la République. Dans une tribune publiée dans Le Monde, deux économistes, Jean-Claude Barbier et Michaël Zemmour, ont pu écrire : « Les réformes de l’exécutif visent à conforter une rupture avec le développement historique du sytème social français. »

Le service public de l’audiovisuel n’échappe pas à cette politique d’effacement au profit du privé et, donc, du marché. Il est dans l’ordre des choses capitalistes que les choix éditoriaux ne laissent qu’une portion congrue à ces problèmes.

Le pouvoir démocratique est à reconquérir pour faire échec à ce régime autoritaire, appelé parfois libéral, conservateur ou social-démocrate. Pour redonner tout son sens à l’expression : gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple.

Les choix éditoriaux de France Inter

Prendre son petit déjeuner, l’esprit à peine sorti des bras de Morphée, et entendre Dominique Seux sur France Inter, est une punition et, la colère aidant, on se retient pour ne pas éteindre son transistor ou le jeter par la fenêtre.

On se reprend et on écoute son catéchisme. Et on se plait à se remémorer des déclarations de Christian Chavagneux, docteur en économie et éditorialiste à Alternatives économiques, qui avait relevé en 2018 l’absence de sujets consacrés aux salariés, à leurs rémunérations et conditions de travail dans les chroniques quotidiennes de Dominique Seux sur France Inter, dans le 7/9.

On se rassure en se disant que Seux n’est pas le pape infaillible du macronisme. Tout en se désolant que le chroniqueur n’a pas varié dans son traitement de l’actualité économique

Quand il arrive, rarement donc, au directeur délégué des Echos de traiter des salariés, c’est pour dénoncer les épouvantables attitudes et agissements de la CGT. Crise de l’énergie oblige, il consacre son intervention d’aujourd’hui à l’entretien des réacteurs nucléaires perturbés par une grève qui ralentit les travaux de maintenance et donc les redémarrages.

Le salarié de Bernard Arnault ose dire sur une chaîne publique : « Au fond, la CGT invente la coupure de courant différée. Explications : ne pas faire les travaux de maintenance ou de réparation maintenant fait peser un risque sur l’approvisionnement en courant demain, en décembre, janvier ou février, au creux de l’hiver, quand les réacteurs devaient normalement avoir redémarré mais n’auront peut-être pas redémarré. Dans les raffineries, on avait découvert la grève préventive, avant la négociation, pour forcer cette négociation, une grève avec un effet immédiat pour les automobilistes. »

Il ajoute des propos scandaleux sans provoquer la moindre réaction de la part de Nicolas Demorand : « La CGT sait qu’elle a une chance historique de faire plier la direction avec ce bras de levier – le mot chantage est absolument interdit je le sais ! Et à la différence des raffineries, l’opinion ne risque pas de se retourner contre elle dans l’immédiat puisque le courant arrive. »

Le couplet final est dans la même tonalité, après une relance de Demorand sur l’inévitable coût pour EDF : « A moyen terme, elle menace implicitement les Français d’un possible manque de courant. A court terme, chaque jour de grève coûte cher à l’entreprise puisque chaque jour de retard dans le redémarrage d’un réacteur contraindra(it) EDF à acheter du courant sur le marché auprès d’autres fournisseurs français ou étrangers. Le gouvernement donne un chiffre : 90 à 120 millions d’euros par jour. Enorme et invérifiable. Mais l’originalité est là : la CGT n’a aucun intérêt à le contester puisqu’elle compte là-dessus pour faire plier la direction. Devinez tout de même qui paiera de toutes façons la facture : le client. »

Le client ? Pour discréditer la CGT, il suffit de lui opposer le pauvre client, le pauvre usager, les victimes des grèves de la CGT. Le refrain est toujours le même, mais nos brillants ultra-libéraux continuent à en user et en abuser depuis des décennies (voir plus).

Seux a le titre d’éditorialiste sur France Inter ; c’est-à-dire qu’il reflète la ligne éditoriale de la chaîne. Le ‘’client’’ contraint d’ingurgiter les dogmes libéraux et seulement eux attend d’autres analyses du service public ; mais ce client-là, Seux et les titulaires du 7/9.30, Demorand et Salamé n’en ont cure. Preuve supplémentaire : alors que le gouvernement a utilisé le 49-3 pour adopter son budget, Aurore Bergé a succédé à Seux à l’antenne pour défendre un exécutif qui se complaît dans le déni de démocratie.

Il fallait oser ; le service public de radio France l’a fait !

Footballeur et citoyen

Antoine, Karim, Kylian et Paul, vous êtes quatre des meilleurs joueurs de football du monde aujourd’hui. D’ailleurs, ce soir, il est possible que Paul reçoive le Ballon d’or, la récompense suprême du football (qui me semble incongrue pour un sport collectif). Vous allez participer à la Coupe du monde au Qatar avec l’équipe de France et vous en êtes fier, à juste titre.

La Coupe du monde est la plus belle des compétitions sportives avec les Jeux olympiques ; vous êtes fier et plein d’espoir. C’est à la fois une récompense pour un footballeur et un honneur de porter le maillot de l’équipe nationale (sans tomber dans le chauvinisme étroit). Vous allez être les représentants d’une multitude de joueurs qui, comme vous, en ont rêvé et les représentants d’une France pluriculturelle qui fait éructer la droite et l’extrême droite. Vous êtes les plus beaux exemples de cette immigration qui a bâti le pays ; vos parents ou grands-parents sont venus d’Algérie, du Cameroun, d’Allemagne, du Portugal, de Guinée, parce que dans leur pays d’origine, la puissance coloniale avait tout pillé et rien laissé. Leur seul espoir, c’était la France qu’ils croyaient accueillante et fraternelle ; ils ont peut-être connu la misère, été victime du racisme, mais ils vous ont permis d’être là où vous êtes aujourd’hui, c’est-à-dire de merveilleux footballeurs de haut niveau.

Tous les enfants de l’immigration n’ont pas votre chance de gagner de somptueux salaires comme vous. C’est pour cela que vous avez aussi une responsabilité.

Footballeurs adulés et en pleine lumière, vous ne pouvez pas rester insensibles à la situation des travailleurs immigrés qui ont bâti les stades et autres équipements pour la Coupe du monde au Qatar. Plusieurs milliers peut-être sont morts, d’autres sont blessés dans leur chair et dans leur âme, pour que des émirs moyenâgeux se pavanent dans les tribunes pour leur seule gloire personnelle et pour rendre plus présentable leur régime féodal, basé sur les discriminations sociales et ethniques.

Mais, dans la France d’aujourd’hui aussi, on peut voir les effets des inégalités et des discriminations basées sur la couleur de peau. Vos grands-parents ont lutté contre les régimes corrompus et peut-être contre le fascisme. Ne l’oubliez pas, au moment où le fascisme est arrivé au pouvoir en Italie et rêve d’en faire de même en Franxce, après avoir envoyé 89 députés à l’Assemblée nationale.

A ce stade, je voudrais vous parler d’un jeune footballeur de talent ; il s’appelait Rino Della Negra. Il était, comme vous, un enfant de l’immigration ; ses parents avaient quitté l’Italie de Mussolini. Né en France en 1923, il était, comme vous, un footballeur prometteur ; il avait été recruté par l’équipe-phare de l’époque, le Red Star.

La guerre contre le nazisme et Hitler l’a rattrapé et, tout en continuant à jouer au football, il s’est enrôlé dans la Résistance dans le groupe Manouchian des FTP-MOI sous le nom de Robin, refusant le Service du travail obligatoire (STO) réquisitionnant les ouvriers pour participer à l’effort de guerre en Allemagne.

Il a été blessé et arrêté après un attentat contre les Nazis en novembre 1943 ; il a été fusillé le 21 février 1944 avec les autres membres du Groupe Manouchian, ceux de l’Affiche rouge, au Mont-Valérien. A 20 ans.

Rino Della Negra n’a jamais eu le bonheur de jouer une Coupe du Monde. Dans sa dernière lettre, avant son assassinat, il s’est excusé auprès de ses parents de leur avoir caché son engagement dans la Résistance au fascisme et ajouté : « Il le fallait ».

Aujourd’hui, il faut dénoncer le régime du Qatar, son exploitation de la main d’œuvre immigrée, avec son lot de morts et de blessés, pour la seule gloire d’émirs cruels. Vous ne pouvez plus vous contenter de vous cacher derrière votre statut de footballeur. Comme Rino, vous êtes aussi des citoyens et vous ne jouez pas sur une autre planète. La nôtre est malade ; le fascisme y rôde quand il n’est pas au pouvoir. 

Antoine, Karim, Kylian et Paul, parlez. Il le faut.

Le savetier et le financier

Pourquoi la fable de Jean de La Fontaine, Le savetier et le Financier, me fait-elle penser à la grève des salariés de TotalEnergies ? Sans doute parce que l’homme de finance est le sosie de Patrick Pouyanné et le savetier l’archétype du salarié qui « n’entasse guère ».

Patrick Pouyanné, lui, entasse : sa rémunération a atteint près de 6 millions d’euros en 2021, 5 944 129 euros exactement, soit une augmentation de 51,7 % (plus quelques avantages en nature de plus de 65 000 euros, une confortable retraite-chapeau et un bon paquet d’actions).

Bref, le patron de TotalEnergies vit confortablement et l’inflation ne le touche guère.

Ceux qui ont accordé un tel niveau de rémunération à celui qu’ils ont installé dans le fauteuil présidentiel, ne se sont pas oubliés. Le montant du dividende, l’un des éléments de ‘’l’allocation du cash flow’’, est identique à celui de 2020, à savoir 2,64 euros, mais, compte tenu des superprofits (dont le gouvernement ne veut pas entendre parler et encore moins taxer) a permis de verser un dividende exceptionnel de 1 euro, pour un total de 2,62 milliards attribué à tous les actionnaires. Le rapport annuel parle pudiquement de ‘’politique de retour à l’actionnaire’’.

Les 14 administrateurs n’ont pas été oubliés non plus : ils se sont répartis 1 745 863 euros en 2021.

Bref, tout le monde des nantis se goberge quand les salariés se serrent la ceinture. Et comme le financier de la fable, ils rient de la naïveté du savetier !

La CGT a calculé que l’augmentation qu’elle revendique pour les 35 000 salariés de TotalEnergies en France représenterait un coût de 200 millions d’euros par an. Une goutte d’eau (ou plutôt un baril de pétrole) pour le groupe, quand on sait que le principal actionnaire de TotalEnergies, le fonds d’investissement américain BlackRock ne possède que 6 % du capital et qu’avec ces 6 % il a touché environ 430 millions d’euros au titre du dividende de 2021 et environ 163 millions d’euros au titre du dividende exceptionnel. Les agioteurs actionnaires de BlackRock, le gratin mondial, de la finance, se frottent les mains ; ils se répartissent plus de 500 millions d’euros en quelques mois, c’est-à-dire 2,5 fois le coût de l’augmentation revendiquée par les grévistes.

La situation est suffocante ; les dividendes reçus par BlackRock, présent dans la quasi totalité du CAC40, est énorme, environ 1,7 milliard, en 2021 pour notre seul pays ; comme les autres fonds, il ne sait plus quoi faire de tout son argent et celui-ci dort sur des comptes bancaires, sans doute off shore. La fameuse poudre sèche atteint des sommes vertigineuses (elle a quadruplé depuis 2010 quand les investissements ont stagné) et oscille entre 600 et 1000 milliards de dollars, somme suffisante pour satisfaire toutes les revendications et éradiquer la pauvreté sur l’ensemble de la planète.

Le savetier (ou l’opérateur de raffinerie) et le financier (Pouyanné ou BlackRock) n’habitent pas sur la même planète ; peut-être faudrait-il ramener les monstres de la ‘’Finance’’ sur notre vieille terre, bien malade elle aussi.

Le grand délire, le grand fiasco

Le quotidien économique La Tribune publie une information ahurissante : la société publique Novarhena, qui aurait dû aménager une vaste zone d’activités à proximité de la centrale nucléaire alsacienne de Fessenheim, a annoncé sa dissolution prévue ce vendredi. « La coopération franco-allemande pour la revitalisation économique de ce territoire a été un flop. », ajoute le journal.

Les élus, la plupart de droite, sont dépités ; l’un avoue qu’il « y a eu une erreur d’interprétation de la part des collectivités, qui ont créé un véhicule pour rien », un autre que « la SEM n’a servi à rien, sauf à cramer un demi-million d’euros de capital pour payer des frais et des salaires. Il était temps d’arrêter ces dépenses ».

Le quotidien fait état du désarroi de la région : « La SEM avait vocation à soutenir le redéploiement économique de ce territoire du sud de l’Alsace, affecté par la perte de 2.000 emplois. Mise en service en 1977, la centrale a été déconnectée du réseau le 30 juin 2020. Elle était devenue le moteur de l’économie de la commune de Fessenheim (2.300 habitants) et de son bassin d’emploi. La promesse par EDF de créer un « technocentre » (150 emplois) pour recycler à Fessenheim ses déchets nucléaires n’a pas été confirmée. Le dossier de démantèlement déposé à l’ASN n’aboutira pas avant 2025 à un décret autorisant le début des travaux. En attendant, tout le territoire s’interroge. Les outils imaginés pour la relance économique n’ont pas fait la preuve de leur pertinence. Les rêves d’un développement économique conjoint franco-allemand, dans l’esprit du traité d’Aix-la-Chapelle, se sont envolés. »

Les acteurs du projet cherchent des coupables et chacun rejette la faute sur l’autre ; risible si l’avenir de la population de Fessenheim n’était pas en jeu. La Tribune évoque « des promesses non tenues et des fausses pistes (qui) ont brouillé les cartes de l’après-Fessenheim. ‘’Cette fermeture n’entraînera aucune perte d’emploi. Il y aura un accompagnement particulier pour les sous-traitants, les commerçants, tous ceux qui vivaient avec la centrale’’, avait pourtant promis Elisabeth Borne, alors ministre de la transition écologique, en amont de la mise à l’arrêt du premier réacteur en 2020. »

Curieusement, la première ministre, très au fait du dossier, reste muette !

Toujours selon le quotidien, « Le solde des comptes de la SEM Novarhena laisse apparaître un excédent de 520.000 euros, qui sera remboursé au prorata à ses actionnaires. En dix-sept mois, le véhicule pour rien n’aura consommé que 480.000 euros. » La somme paraît dérisoire dans le contexte, mais le dossier illustre parfaitement le fisco de la réindustrialisation du pays et de la relocalisation des industries parties hier sous des cieux permettant de distribuer des dividendes à deux chiffres. La politique industrielle d’Emmanuel Macron dans toute sa plendeur : délire, mensonge et fiasco.

Gentils enfants de la misère

L’UNICEF France et le Samu social viennent de publier un rapport alarmant sous le titre « Grandir sans chez soi – Quand l’absence de domicile met en péril la santé mentale des enfants ».

Leur enquête met en lumière une réalité qu’on ne veut pas voir : « En France, le 22 août 2022, plus de 42 000 enfants vivaient dans des hébergements d’urgence, des abris de fortune ou dans la rue (…) Ces enfants connaissent des réalités très différentes mais sont tous confrontés à la précarité inhérente à l’exclusion liée au logement. »

Selon les auteurs, « cette précarité qui se décline au pluriel (précarité des conditions de vie, économique, sociale, administrative, etc.) engendre des conséquences graves sur la santé mentale des enfants ».

Ce constat honteux concerne la France, 5e puissance mondiale, dit-on.

En 1946, un grand cinéaste (hélas oublié), Eli Lotar, avait filmé la misère des enfants d’Aubervilliers. Jacques Prévert avait écrit un très beau texte pour son documentaire, interprété magnifiquement par Germaine Montero sur une musique de Kosma :

« Gentils enfants d’Aubervilliers 

Vous plongez la tête la première 

Dans les eaux grasses de la misère

Où flottent les vieux morceaux de liège 

Avec les pauvres vieux chats crevés 

Mais votre jeunesse vous protège 

Et vous êtes les privilégiés 

D’un monde hostile et sans pitié 

Le triste monde d’Aubervilliers 

Où sans cesse vos pères et mères 

Ont toujours toujours travaillé 

Pour échapper à la misère 

À la misère d’Aubervilliers 

À la misère du monde entier 

Gentils enfants d’Aubervilliers 

Gentils enfants des prolétaires 

Gentils enfants de la misère 

Gentils enfants du monde entier 

Gentils enfants d’Aubervilliers 

C’est les vacances et c’est l’été 

Mais pour vous le bord de la mer 

La Côte d’Azur et le grand air 

C’est la poussière d’Aubervilliers

Et vous jetez sur le pavé 

Les pauvres dés de la misère 

Et de l’enfance désœuvrée 

Et qui pourrait vous en blâmer 

Gentils enfants d’Aubervilliers 

Gentils enfants des prolétaires 

Gentils enfants de la misère 

Gentils enfants d’Aubervilliers. »

Soixante-quinze ans plus tard, les gentils enfants de la misère sont partout : 1500 dorment dans la rue et 42 000 dans des hôtels ou des foyers.

Les gentils enfants d‘Aubervilliers sont de retour ; Eli Lotar n’est plus là pour témoigner de leur misère. Jacques Prévert non plus. L’UNICEF a publié un rapport que le président de la République et son gouvernement ne liront sans doute jamais ; le libéralisme secrète la misère comme le foie secrète la bile. Ce serait naturel, dans l’ordre des choses.

Quand les droits humains les plus élémentaires ne sont plus assurés pour tous, c’est la démocratie qui est malade. Les gentils enfants nous accusent tous d’accepter ce monde rongé par la misère.

Un monde sans musique ?

L’Union nationale des syndicats d’artistes musicien-nes, enseignant-es et interprètes de France (hier encore appelé SNAM), affilié à la CGT et à sa Fédération du Spectacle, lance un cri d’alarme (et aurait sans doute préféré entamer un concert ou inaugurer une nouvelle école de musique là où il en manque).

La situation des artistes musiciens n’est pas plus brillante que celle des autres travailleurs ; les salaires de ces professionnels stagnent et les structures musicales souffrent de sous-financement. Dans un appel à la mobilisation, le syndicat dénonce une situation devenue dramatique : « Le ministère de la culture ne compense même pas l’inflation dans son budget 2023. Certaines collectivités font de même lorsqu’elles ne baissent pas carrément les subventions comme c’est déjà le cas des régions Grand-Est ou Auvergne-Rhône-Alpes. Les structures elles-mêmes sont amenées à faire des choix : stagnation des salaires, annulations de concerts dans les salles qui font face à l’explosion des dépenses d’énergie, baisse des effectifs artistiques dans les orchestres au mépris des nomenclatures prévues par les compositeurs·rices. Certaines structures vont jusqu’à fermer leurs portes à l’instar de plusieurs écoles de musiques ces derniers mois. »

Les artistes musiciens sont très majoritairement intermittents du spectacle, donc précaires, et ont tout à craindre de la réforme de l’assurance chômage. 

« Si c’est une crise des salaires et de l’emploi pour les artistes, c’est aussi une crise du service public de la culture pour nos concitoyen∙es à qui moins de concerts ou moins de cours de musique sont proposés. Et cela touche toutes les esthétiques, qu’il s’agisse des musiques savantes et classique ou au contraire des esthétiques musicales les plus actuelles. », dit encore le syndicat

Peut-on imaginer un monde sans musique et, plus généralement, sans activités culturelles ?

Le sort des professionnels de la musique ne peut laisser aucun citoyen indifférent. Ce qui se joue en ce moment en France est bien la mise à mort de tout ce qui fait culture. Et de la démocratie.

Les cinglés de Bruno Latour 

Bruno Latour est mort dimanche à 75 ans. Le nom du philosophe de l’écologie était inconnu du grand public et sa notoriété était plus grande dans les milieux anglophones qu’en France. Ses travaux et ses œuvres sont pourtant d’une importance capitale, même si Pierre Bourdieu s’est opposé à lui en lui prêtant une ‘’fausse radicalité’’.

En janvier dernier il avait accordé un entretien à Télérama et l’hebdomadaire a eu l’heureuse intiative de la reprendre sur son site. J’ai retenu de l’échange avec Weronika Zarachowicz l’évocation du film d’Adam McKay, « Don’t Look Up » diffusé sur Netflix (hélas) :

« J’ai d’abord trouvé le film caricatural, et la métaphore de la comète qui s’écrase contre la Terre, mal choisie : pour parler du réchauffement, pourquoi faut-il parler d’autre chose que du réchauffement ? Le changement climatique n’est pas un ennemi extérieur, c’est quelque chose de très intime, qui est inséré partout et qui est déjà en marche ! Mais après une longue discussion avec mon fils, je l’ai revu et j’ai changé d’avis. Le film m’a fait penser au Docteur Folamour, de Stanley Kubrick, où il est aussi question d’une catastrophe annoncée — un holocauste nucléaire. Mais quand je l’ai vu en 1964, on riait, même si on riait jaune. Rien à voir avec Don’t Look Up. Comme l’a parfaitement résumé une serveuse de restaurant avec laquelle j’ai discuté du film : « Si ça se trouve, c’est ce qui va se passer bientôt. » Et personne ne trouve ça drôle. Adam McKay a capté le sérieux de la situation, qui fait que le film est profondément perturbant et, en ce sens, très efficace. Beaucoup de climatologues, d’ailleurs, se sentent soulagés, et disent : c’est moi, c’est nous, c’est ce qui nous arrive. »

La journaliste enchaîne par une question sur un prochain anéantissement général de l’espèce humaine ; Bruno Latour a fourni une réponse d’une rare lucidité :

« Sauf que le meilleur personnage du film, l’hypercapitaliste complètement dans l’esprit du temps, affreux mélange d’infantilisme, d’imaginaire technique et d’arrogance totale, s’en sort. Il organise sa fuite. Comme, aujourd’hui, Elon Musk, Jeff Bezos et les autres clowns richissimes et narcissiques qui s’offrent des virées dans l’espace. On est loin de John Glenn et Youri Gagarine : pour nous, les garçons blancs des années 1960 — je ne sais pas s’ils ont fait le même effet aux filles —, ils étaient des pionniers de l’évolution humaine. Glenn et Gagarine avaient des sourires de fierté, pleins de la confiance d’avoir derrière eux une civilisation. Les sourires, ou plutôt les rictus de tous ces cinglés d’Elon Musk, de Jeff Bezos ou de Richard Branson, nous envoient un tout autre message : la planète va mal, on se tire, démerdez-vous ! »

Quand cessera-t-on de s’ébaubir devant les prétendus exploits des trois clowns comme le font les journalistes de télévision ? Les trois cinglés sont les parfaits prototypes de la prétendue réussite du monde égoïste que les plateformes veulent imposer au monde.

Les poignées de mains de Jesus

Pierre Castel, le milliardaire qui a fait fortune dans le négoce du vin, est résident suisse, d’abord à Genève de 1990 à 2012 puis dans la très sélecte station de Crans-Montana, dans le Valais (pour pratiquer l’évitement fiscal ?).

L’homme a aujourd’hui 96 ans et conserve toutes ses facultés pour préserver sa fortune. Mais le fisc suisse connaît toutes les astuces des hyper-riches et il vient de rattraper Pierre Castel.

Selon la Tribune de Genève, « dans un arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice de Genève, datant du 5 juillet, on apprend que Pierre Castel aurait omis de déclarer qu’il continuait de recevoir la ‘’quasi-totalité des dividendes’’ de son groupe dont il affirme s’être dessaisi en 1992 au profit d’une fondation basée au Liechtenstein. Le milliardaire assure n’avoir eu qu’un ‘’rôle consultatif sans pouvoir décisionnel’’. Peu convaincu, le fisc genevois le soupçonne d’avoir ‘’conservé le contrôle du groupe du point de vue opérationnel’’ ». Le fisc de nos voisins helvètes n’a pas inventé de dispositions visant à réduire les peines comme en France et il a condamné le magnat du vin à lui verser un total de 410 millions de francs suisses. Quand même…

Le quotidien genevois note avec malice : « quand on lui demande des preuves, notamment quant à ses affirmations selon lesquelles les sommes seraient réparties à 20% entre chaque branche de sa famille, Pierre Castel assure qu’il usait d’un « management à l’ancienne », soit par le biais de discussions orales et de poignées de mains. »

Le quotidien s’interroge à juste titre de savoir commment Pierre Castel a pu aussi longtemps échapper à l’impôt. La réponse est savoureuse : « Selon le média Gotham City, c’est en utilisant son deuxième prénom, Jesus, que Pierre Castel aurait réussi à échapper au fisc pendant trente ans. »

Les poignées de mains de Jesus ? On connaissait la main de Dieu de Rodin ou de Paolo Sorrentino, la main de Fatma ou la main de Maradona ; désormais on retiendra les poignées de mains de Jesus.

La lettre d’Annie Ernaux à Macron

Le 30 mars 2020, Annie Ernaux avait adressé une lettre au vitriol à Emmanuel Macron lue sur France Inter par Augustin Trapenard dans le cadre de l’émission ‘’Lettres d’intérieur’’ ; on a pu entendre à l’antenne, puis lire dans la collection Tracts de Gallimard : « Depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé qui depuis des mois réclamait des moyens et ce qu’on pouvait lire sur la banderole d’une manif en novembre dernier – L’Etat compte ses sous, on comptera les morts – résonne tragiquement aujourd’hui. » Plus loin, celle qui n’était pas encore couronnée du Prix Nobel, écrivait encore : « Nous sommes nombreux à ne plus vouloir de ce monde dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, le gouffre qui existe entre le confinement d’une famille de 7 personnes dans 60m2 et celui de résidents secondaires à la campagne ou à la mer (…) Il se dit que vous avez été élu par les puissances d’argent, les grands groupes et les lobbies, que par conséquent vous ne ferez jamais que la politique qui les favorise (…) Mais sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons pas nous voler notre vie, nous n’avons qu’elle, et ‘’rien ne vaut la vie’’ – chanson, encore, d’Alain Souchon. Ni bâillonner les libertés démocratiques, comme celle qui permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite à la radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale. »

Aujourd’hui, Annie Ernaux est récompensée du prix Nobel de littérature. Quel bonheur ! Son œuvre est à l’image de cette lettre (ou l’inverse), engagée. Annie Ernaux a ausculté dans ses livres l’âme du petit peuple et mis au jour les inégalités.

Emmanuel Macron s’est fendu d’un communiqué qui rend hommage à l’autrice, mais qu’il sonne faux ! Oser écrire que « sa voix est celle de la liberté des femmes et des oubliés du siècle » quand on mesure les écarts de salaires entre les hommes et les femmes, les effets de la réforme des retraites qui pénalisent en premier lieu les femmes, le mépris affiché par le président pour les ‘’analphabètes’’ du peuple ou des fainéants qui ne veulent pas traverser la rue pour travailler, est une nouvelle insulte.

Annie Ernaux, elle, a choisi son camp, ne reniant rien. Elle a lu, beaucoup, écrit, encore plus et avec quel talent et quel enthousiasme pour combattre l’ordre établi.

L’œuvre d’Annie Ernaux parle du peuple et particulièrement des femmes ; son œuvre parle au peuple.

Au fou ! A l’assassin !

Imagine-t-on le général de Gaulle posant la candidature de la France pour l’organisation des Jeux olympiques d’hiver à Reggane, en plein désert du Sahara, plutôt qu’à Albertville ?

Non, évidemment.

Le général en aurait été empêché par son entourage et ses électeurs l’auraient aussitôt abandonné, l’estimant atteint soit de gâtisme, soit de folie.

Mohammed ben Salmane, le prince héritier d’Arabie saoudite, l’homme sanguinaire qui fait disparaître ses opposants, lui, donc, a osé : son pays organisera les Jeux asiatiques d’hiver de 2029 dans le désert, dans un pays où personne n’a jamais vu tomber un flocon de neige et où personne ne skie, ni ne patine, à l’exception de quelques membres de la famille royale qui viennent dépenser des fortunes dans les stations européennes les plus huppées en louant tout un hôtel pour loger suite et esclaves.

MBS, c’est son surnom, veut faire surgir du désert une ville qui ne peut avoir été conçue que dans des esprits dérangés. Le projet Neom s’étalera sur 170 kilomètres de long, 200 mètres de large et une hauteur de 500 mètres, sans route, ni voiture (on s’y déplacera en train à grande vitesse ou avec des taxis volants).

Les promoteurs du projet ont le culot de parler d’ambition écologique.

La station de sports d’hiver, Trojena, sera entièrement artificielle (on s’en serait douté) avec pistes de ski extérieures ouvertes toute l’année même sous les températures extrêmes, lac artificiel d’eau douce, chalets, manoirs et, bien sûr, hôtels de luxe ; les promoteurs prétendent vouloir « redéfinir le tourisme de montagne dans le monde ». Comme le fou Elon Musk qui veut développer le tourisme sur la lune et aller vivre sur Mars.

La bêtise dans toute sa plendeur !

Combien Mohammed ben Salmane, jaloux du Koweit et de sa Coupe du Monde de football, a-t-il promis aux dirigeants du Conseil olympique d’Asie (OCA) pour réaliser un rêve aussi fou ? Et les dirigeants de l’OCA sont-ils assez gangrénés par le fric pour satisfaire ce projet idiot ?

Jamal Khashoggi, le journaliste, a bien été assassiné par un despote fou. Mais, impuni, il continue son œuvre destructrice. Quant aux sportifs, assurément, MBS s’en moque et il ne lui serait pas venu à l’esprit de leur demander leur avis.

Le fric rend fou et, en son nom, on assassine.

L’ami des patrons

Bruno Le Maire, l’auteur qui se prend pour un ministre de l’économie (ou l’inverse), aurait-il des problèmes de compréhension ? Ou, du moins, des problèmes auditifs ?

Ce matin, au cours d’une conférence de presse, celui qui est vent debout contre la taxation des superprofits, a répété à l’issue d’une rencontre avec les marchands d’énergie : « Je suis opposé à des nouvelles taxes, mais nous ne laisserons pas se constituer des rentes sur des prix délirants de l’énergie. »

Le discours de Le Maire ne varie pas d’un iota ! Il est atteint de psittacisme, qui l’empêche d’agir.

Les ‘’marchands d’énergie’’ reçus ce matin à Bercy sont sortis tout sourire du bureau ministériel en se frottant les mains. Ils n’étaient guère inquiets (Macron et Le Maire sont de façon permanente à leur côté pour défendre leurs profits), mais ils avaient besoin que le ministre les cajole quand, la veille, le directeur général de Shell, la première compagnie pétrolière européenne, Ben van Beurden, avait osé affirmer : « D’une manière ou d’une autre, il faut une intervention gouvernementale qui se traduise (…) par la protection des plus pauvres, et cela veut probablement dire que les gouvernements doivent taxer les gens dans cette pièce ».

Fin septembre, Olivier Passet, directeur de la recherche de Xerfi, avait dit la même chose à propos de toutes les grandes entreprises : « Les groupes du CAC 40 enchaînent les records de profitabilité depuis 2020, et cette isolante santé financière renforce le sentiment de leur déconnexion aux réalités du monde et d’une forme d’invulnérabilité. L’énergie flambe, les pénuries se multiplient, et les profits du CAC 40 étaient encore au zénith au premier semestre 2022, dépassant les attentes des analystes, volant de record en record. Et si les bourses ne dévissent pas plus fortement à ce jour, elles le doivent largement à ce facteur. »

Les grands patrons veillent sur les dividendes et ils multiplient les interventions pour éviter toute mauvaise surprise ; la veille de la réunion à Bercy (la date ne doit rien au hasard), l’Association française des entreprises privées (AFEP), qui regroupe 120 grandes entreprises de tous les secteurs d’activité, avait rendu publique une petite plaquette, haute en couleurs, intitulée « Les entreprises de l’AFEP : un apport majeur à l’économie française », dans laquelle on peut lire, entre autres, que ses 112 adhérents ont versé 13 milliards d’euros sur les bénéfices en 2021, sur un total de 59 milliards prélevés par l’Etat sur toutes les entreprises, donc plus que leur part dans l’économie (14 % du PIB Marchand et 24 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France).

Au cas où Emmanuel Macron et Bruno Le Maire céderaient sous la pression à ceux qui réclament la taxation des superprofits, l’AFEP a tenu à rappeler qu’elle est « un contribuable français de poids », une petite phrase pleine de sous-entendus.

Faut-il préciser que le président et son ministre ont mieux écouté ce discours-là que celui des organisations syndicales et du honteux patron de Shell, qui, lui, n’est pas membre de l’AFEP.

Victoire volée

La CGT et FO viennent de remporter une éclatante victoire devant le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe (CEDS) : celui-ci vient de considérer que le fameux ‘’barème Macron’’, plafonnant les indemnités prud’homales en cas de licenciement injustifié violait la Charte sociale européenne.

Les deux confédérations syndicales ont dû patienter cinq ans avant que le Comité se prononce ; la victoire n’en est que plus belle.

Les attendus sont sans ambiguïté : le Comité « considère que les plafonds prévus par l’article L.1235-3 du Code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur. En outre le juge ne dispose que d’une marge de manœuvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés. Pour cette raison, le préjudice réel subi par le salarié en question lié aux circonstances individuelles de l’affaire peut être négligé et, par conséquent, ne pas être réparé. En outre, les autres voies de droit sont limitées à certains cas. Le Comité considère donc, à la lumière de tous les éléments ci-dessus, que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée au sens de l’article 24.b de la Charte n’est pas garanti. Par conséquent, le Comité dit qu’il y a violation de l’article 24.b de la Charte. »

La Charte sociale européenne est, paraît-il, un texte contraignant pour les états qui l’ont ratifiée ; c’est le cas de la France qui l’a signée en 1996 et ratifiée en 1999. Cependant Emmanuel Macron ne révisera pas son barème au prétexte qu’un avis de la Cour de cassation de 2019 prétend que « les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ». Il a fallu un sacré culot pour oser écrire une telle phrase ; les conflits du travail ponctués par un licenciement abusif sont assimilés à un litige entre particuliers. Le Medef applaudit.

Curieuse justice qui dit le droit sans se soucier des traités internationaux contraignants signés par un état prétendument démocratique. 

La victoire est éclatante mais amère pour les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse qui devront se contenter d’indemnités revues à la baisse par une simple décision d’Emmanuel Macron. N’est-ce pas une justice de classe ?

Les juges qui avaient osé passer outre le barème Macron en s’appuyant sur le traité ratifié par la France sont invités à obéir. Les syndicats aussi qui observent la mise à mort progressive de la justice prud’homale.

La victoire volée est néanmoins un point d’appui pour contester la politique de régression sociale dans un pays où un ministre de la justice peut être renvoyé devant les juges et le plus proche conseiller du président être mis en examen, en continuant à gérer les dossiers du quotidien.

Avec Macron, tout est permis aux puissants et amis du président !

L’effacement de la mémoire

Louis-Albert Serrut, auteur d’une thèse Arts et sciences de l’art sur ‘’Jean-Luc Godard, cinéaste acousticien’’, est un personnage hors du commun. Il écrit, fort bien, réalise des courts métrages et des documentaires, fort beaux ; mais, il est aussi syndicaliste et secrétaire général du syndicat CGT des VRP de la région parisienne.

Il vient de publier une tribune dans L’Humanité sous le titre, ‘’CNR ou l’effacement de la mémoire’’, qui mérite d’être largement connu. Je le publie in extenso, compte tenu de son importance et de son actualité.

« Les classes conservatrices se sont toujours efforcées de couvrir de leurs voix celles qu’elles ne voulaient pas entendre. Les hérauts des catégories sociales indésirables ont été poursuivis par la haine des bourgeois et la justice aux ordres. Auguste Blanqui, assigné en Bretagne pendant la Commune ; Émile Zola, chantre du prolétariat condamné par les tribunaux, furent de ceux-là. Le processus est ancien mais sa vigueur dans les médias, majoritairement détenus par les capitalistes, devient telle qu’elle doit nous alerter sur la possibilité du débat et de la démocratie elle-même. Les signes nombreux se multiplient, le rythme s’accélère d’une dé-historisation générale et d’un contrôle accru de l’expression politique. Nous savons que la révolution ouvrière de février 1848 fut effacée par la réplique terrible de juin ; de quels dénigrements la Commune fut victime et l’est encore aujourd’hui au point d’être effacée de l’histoire enseignée ; que la colonisation aurait été « positive » et non criminelle ; que la France durant la Seconde Guerre mondiale fut résistante, à l’appel d’un général inconnu réfugié à Londres.

L’histoire officielle célèbre l’appel du 18 juin 1940 de De Gaulle, elle oublie celui du 17 juin que Charles Tillon, dirigeant du Parti communiste, lança de France aux syndicats et à toute la classe ouvrière, appel à résister au nazisme hitlérien. La mémoire de la Résistance, de ses victimes et martyrs, reste masquée par la propagande gaullienne. Au Mont Valérien, derrière les seize stèles du mémorial de la France combattante, derrière la porte étroite, ce sont les milliers de fusillés communistes qui sont rappelés à notre souvenir. Et aussi les fusillés de Châteaubriant, Voves, Aincourt, et bien d’autres lieux, honorés chaque année par les amicales, associations, syndicats, salariés, par le mouvement ouvrier.

La classe politique capitaliste prétend aujourd’hui refuser aux partis de gauche d’être républicains. S’arrogeant d’être – seule – républicaine, elle voudrait leur dénier leur nature même, démocrates et républicains, les disqualifier et les effacer de la scène politique. C’est oublier le sacrifice de générations de salariés, de travailleurs, de citoyens pour l’avènement, la sauvegarde et le maintien de la République aux périodes les plus troubles, durant les guerres coloniales, en 1934, sous l’occupation nazie, pendant la guerre d’Algérie, et le rejet de Le Pen en 2002. L’effacement se fait aussi par les mots. En traitant de factieux et séditieux le mouvement des gilets jaunes, le pouvoir politique asservi au capital a voulu lui dénier toute existence et tout droit à la parole, taire son expression. Il l’a maltraité par la matraque, avant d’effacer ses traces sur les ronds-points et de « noyer tout ça dans le bla-bla du grand débat », comme le dit François Ruffin.

En qualifiant d’extrêmes les partis de gauche, à l’égal du RN, Macron et ses épigones dénaturent la réalité politique, manipulent l’opinion et les citoyens, tentent de disqualifier les forces progressistes pour les effacer en les assimilant, par amalgame, au parti raciste et xénophobe d’extrême droite. Par ces renoncements, ils signent leur perte des principes républicains, ceux du droit et ceux des droits de l’homme. Ils s’efforcent d’effacer ce fait inédit dans la Ve République, la victoire d’un groupe de gauche contre le parti présidentiel. Déclarer « la police tue » a suscité l’injonction par les conservateurs de retirer ces mots. Pourtant, la mémoire est encore fraîche, de Rémi Fraisse, Adama Traoré à Cédric Chouviat, de la longue liste des assassinats légaux de citoyens, militants, syndicalistes, tous de la classe laborieuse.

La création d’un comité national de la refondation est la dernière offensive en date contre la mémoire collective du mouvement ouvrier. L’acronyme de ce projet reprend celui du Conseil national de la Résistance, CNR, pour mieux l’effacer en remplaçant l’ancien par un nouveau actuel. L’attaque est délibérée, elle démontre l’arrogance de son initiateur vis-à-vis du passé, son mépris pour ceux-là qui l’animèrent et le firent exister, dont nombreux furent assassinés, et son manque de considération pour les citoyens. Mais la mémoire ne dépend pas d’un décret, elle ne se constitue pas à la demande et ne s’efface pas aisément. »

Le Vin des riches

Charles Baudelaire a écrit cinq poèmes admirables, réunis dans le chapitre des Fleurs du Mal dédié au Vin, L’Âme du vin, Le Vin des chiffonniers, Le Vin de l’assassin, Le Vin du solitaire et Le Vin des amants. 

Dans L’âme du vin, il écrit :

Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :

« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,

Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,

Un chant plein de lumière et de fraternité ! »

Aujourd’hui, il manquerait Le Vin des riches à son recueil, car les riches et même les super-riches s’intéressent au vin et y consacrent des sommes folles ; ils font main basse sur le vin comme sur tout ce qui peut les distinguer des manants ; surtout ils accaparent les grands crus, abandonnant la piquette des chiffonniers ou de l’assassin aux pauvres. Il s’agit pour eux de marquer leur territoire, qui, ici, se mesure en hectares de vins d’exception, œuvres de générations de vignerons humbles et pas toujours riches, mais artisans aux mains d’or, sachant sans cesse améliorer leur ‘’climat’’ pour en tirer le meilleur et le plus sublime nectar de la vigne.

Parmi les super-riches, Bernard Arnault et François Pinault rivalisent pour savoir qui a les plus beaux domaines. François Pinault vient de marquer des points avec sa filiale Artémis Domaines, qui faisait piètre figure comparée aux marques détenues par l’autre milliardaire du luxe, LVMH.

Pinault, déjà propriétaire de Château Latour à Pauillac, du Clos de Tart à Morey-Saint-Denis et du domaine Eugénie à Vosne-Romanée, a fait main basse sur la société Maisons & Domaines Henriot, producteur de champagne, de crus à Chablis et jusque dans l’Oregon, mais aussi et surtout, du domaine Bouchard Père et Fils à Beaune, qui, comme le souligne un communiqué, détient « un fabuleux patrimoine viticole de près de 130 hectares en Côte d’Or », à savoir « le Montrachet, le Chevalier Montrachet, la Vigne de l’Enfant Jésus, le Corton Charlemagne, les Bonnes Mares, le Chambertin ou le Meursault Genevrières ».

La crise de l’énergie n’a pas atteint les super-riches ; ils continuent à boire des bouteilles des crus les plus prestigieux sans une pensée pour les victimes de l’inflation. Sans perdre de vue que leur commerce va leur permettre d’améliorer les dividendes de leurs filiales. Les flacons précieux dont le prix représente une part trop importante du SMIC ne seront jamais à la portée des portemonnaies vides dès le 15 du mois.

 Le luxe est brandi comme un défi par les super-riches aux classes qu’ils exploitent et qui font leur fortune, notamment aux vendangeurs, saisonniers venus de pays où les hommes sont affamés. Le déshérité de Baudelaire n’aura jamais droit à la dégustation d’un montrachet, dont le chant, s’il est plein de lumière, ne glorifie pas la fraternité !