La lecture est indispensable pour s’élever et mieux comprendre le monde, et pour se cultiver. Surtout quand on rencontre des textes intelligents.
Dans Télérama, j’ai lu un entretien avec une sociologue, Coline Cardi, qui éclaire la prétendue question de l’addiction à la violence dans la jeunesse. Avec elle, tout s’éclaire. Elle dit :
« Les statistiques montrent que la violence n’est pas plus importante qu’elle n’a été. En revanche, la tolérance à la violence est moins forte, et le discours politique, avec l’instrumentalisation de ces violences, nourrit des thèses de droite, voire d’extrême droite, autour de la répression et de la faiblesse de l’autorité. Alors qu’il y a évidemment des explications à cet usage de la violence par une certaine jeunesse qu’on stigmatise et qu’on observe aussi plus que les autres — des enfants des cités, des enfants dont on suppose qu’ils sont d’origine musulmane. »
A propos des annonces faites par Gabriel Attal à Viry-Châtillon, elle relève :
« L’ensemble de ces mesures désocialise : elles permettent de dégager la responsabilité de la société dans son ensemble vis-à-vis d’une jeunesse qui est par ailleurs très grandement délaissée. En ce moment, par exemple, la mobilisation des enseignants est très forte en Seine-Saint-Denis, face à l’absence de moyens alloués aux écoles du département. Gabriel Attal déresponsabilise également le travail social : comment tenir un tel discours tout en allant dans une maison des jeunes ? Ces structures sont en train de perdre des subventions et ont du mal à recruter des professionnels diplômés, à cause des salaires de misère et des dysfonctionnements institutionnels forts. Donc pointer du doigt les parents est une manière de se désengager complètement d’une responsabilité collective autour de ces jeunes. Étonnamment, il n’a pas encore été question de supprimer les allocations, ce qui est la menace habituelle. »
Autre média, autre lecture, réconfortante, qui démontre combien les médias sont encore indispensables pour s’informer. Encore faut-il éviter les chaînes, les radios et les journaux de Bolloré et préférer les médias encore sérieux. Claire Sécail, dont j’ai déjà parlé, s’est entretenue avec une journaliste de France Télévisions sur le site de franceinfo. Formidable d’intelligence cet entretien ; hélas il ne sera pas repris par les journaux télévisés du service public qui préfèrent la ‘’fait diversion’’.
Claire Sécail dit, entre autres :
« Il y a toujours des logiques sociales derrière des faits divers. Ce qu’il faut chercher à comprendre, c’est si celles-ci sont représentatives de ce qui se joue dans une société de manière plus large. »
Elle ajoute :
« Quand un fait divers surgit, il doit d’abord être envisagé dans sa singularité. Une fois que l’on a compris ce qui s’est passé, s’il s’avère que la logique politique n’est pas compatible avec une logique sociale plus large, cela pose un problème : on tente de faire rentrer des ronds dans des carrés. Le passage d’un fait divers en fait de société devient alors abusif, voire complètement malhonnête. »
Et Claire Sécail dénonce :
« La récupération politique survient quand une personnalité veut capitaliser autour d’une émotion. Il est intéressant de noter à quel point ce phénomène a touché des fonctions élevées dans notre société. L’exemple le plus frappant concerne les présidents. Longtemps, ils ont eu tendance à laisser les faits divers à distance. En 1969, on se souvient que Georges Pompidou avait cité le poète Paul Eluard pour répondre à une question à propos du suicide de Gabrielle Russier, une enseignante condamnée pour détournement de mineur. Il y avait une émotion si forte qu’il devait répondre, mais il a gardé le cadre républicain, le respect de la fonction. Au fil du temps, la posture des chefs d’Etats a évolué. Nicolas Sarkozy voyait dans les faits divers de la matière pour lancer des lois. Cela permettait de mettre en scène une activité politique régalienne, au service de la sécurité, du pénal… »
Notre démocratie est chancelante et en grand danger ; la ‘’fait diversion’’ fait des ravages et le lit du RN, mais tant que nous aurons des intellectuels de cette qualité pour dénoncer les dérives de l’information et de la politique, tout n’est pas perdu.