La Chouette qui hioque

Mois : octobre 2023

L’opération de Villers-Cotterêts

La pratique de la langue française est en recul dans le monde, n’en déplaise à Emmanuel Macron. Signe d’un affaiblissement de son économie et de sa culture.

Quand un président de la République veut transformer le pays en ‘’start-up nation’’ il apparaît pour le moins curieux d’inaugurer une ‘’cité internationale de la langue française’’ à Villers-Cotterêts.

D’une part, parce que le château bâti dans cette commune était le symbole de l’Ancien Régime, où aimait se déplacer la cour de François 1er pour festoyer ; d’autre part, parce que, bien qu’il s’en défende, Emmanuel Macron a choisi d’installer la langue française dans un musée.

La langue française a été une arme de domination, imposée aux peuples autochtones par l’armée et les colons. La décolonisation, le recul de l’économie et de l’influence de la culture ont entraîné le repli d’une pratique qu’il est vain de nier.

En choisissant de se placer dans la sphère d’influence des Etats-Unis, Emmanuel Macron a contribué au recul du français dans le monde. La création d’une cité internationale ne masquera pas l’affaiblissement du réseau de l’Alliance française, les restrictions sur le nombre d’étudiants étrangers dans les universités ou encore le nombre de livres français traduits à l’étranger.

Emmanuel Macron veut laisser une trace de son passage à l’Elysée ; il parle beaucoup et longuement (près d’une heure dans sa cité !) mais Villers-Cotterêts ne restera que comme une opération de communication de plus. Et rien d’autre.

Les Français sont de plus en plus nombreux à finir le mois ; leur souci principal n’est pas la langue française (même s’ils y sont attachés). Surtout quand le franglais fleurit au travail, à la télévision, dans la publicité, partout. 

Actualité et rugby

L’actualité est désespérante. Que l’on évoque la situation à Gaza, en Ukraine, en Arménie, en Ethiopie, au Daghestan, en Afrique centrale, à Marseille avant une rencontre de football, un seul mot vient à l’esprit : horreur.

On se sent impuissant devant tant de désastres, alors même que tous ensemble, nous aurions la possibilité de tout arrêter et ainsi rendre la terre souriante et accueillante pour tous. 

Malgré ce déferlement de violence la vie continue, avec ses joies et ses peurs.

Les joies ? Celle des joueurs de l’équipe de rugby d’Afrique du Sud appelée Springboks, qui a provoqué des scènes de liesse dans tout un pays. Celle du capitaine de l’équipe, Siya Kolisi, né dans un township de Port Elizabeth, d’une mère âgée de seulement 16 ans et d’un père encore à l’école lui aussi, qui a mesuré le chemin politique parcouru par l’ex-pays de l’apartheid.

Siya Kolisi affichait samedi un large sourire ; sa joie était immense. A la mesure du chemin parcouru par les Noirs dans le pays, lui qui est né en 1991 au moment où les dernières lois de ségrégation furent abolies, mais où la pratique du rugby restait réservée aux seuls Afrikaners blancs.

A l’issue de la coupe du monde disputée en France, il faut, hélas, constater que le rugby est, à son tour, gangréné par l’argent ; il s’enfonce dans le sport-business, multipliant les compétitions et les matches pour satisfaire les sponsors ; il devient également un spectacle de plus en plus féroce et dangereux.

Le rugby, sport d’évitement, est devenu un sport de combat avec un engagement physique outrancier (les joueurs sont de plus en plus grands et de plus en plus forts, frôlant tous les 100 kg). Les affrontements, violents, provoquent un nombre de blessures impressionnant. Le sang coule sur les terrains, malgré les nouvelles règles censées protéger les pratiquants de tous les chocs trop violents.

Le phénomène gagne tous les sports, mais le rugby s’apparente désormais aux combats de gladiateurs. Hélas. Il est à l’image de la société.

C’est pourquoi le rugby ne rendra pas l’actualité plus riante. Malgré les sourires des Springboks et de Siya Kolisi. 

Soigner les morts

Être soignant à Gaza est devenu une tâche impossible.

Comment imaginer une médecine de guerre sans électricité, sans eau, sans médicament, sous les bombardements incessants ; c’est un quotidien de détresse insoutenable infligé par l’armée de Benyamin Netanyahu à ceux qui tentent d’éviter un massacre et d’alléger des souffrances atroces engendrées par des déluges de bombes qui détruisent tout, des vies et des habitations.

Où sont les ONG comme Médecins du monde ? Les antennes à Gaza ne répondent plus depuis que les communications et Internet ont été coupés, plongeant les responsables à Paris dans l’angoisse. Les dispositifs de santé ont été anéantis.

L’information aussi est interdite depuis que l’AFP a dû quitter la cité martyre.

Netanyahu est sourd aux appels pour un cessez-le-feu immédiat ; le vice-président de Médecins du monde exprime toute son inquiétude et sa rage sur Franceinfo : « On est en train de vivre en direct, à huis clos, sans contact, à la mort de centaines d’humanitaires, de centaines voire de dizaines de milliers de civils, dans une forme d’indifférence (…) On est dans cette situation d’horreur absolue. »

Si Netanyahu, l’idéologue de la colonisation totale et de l’anéantissement de la Palestine est sourd. Le peuple israélien, lui, ne l’est pas ; peut-il arrêter son premier ministre, tout entier tourné vers l’anéantissement du peuple palestinien ?

Les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre ne peuvent pas justifier des représailles aveugles envers un peuple palestinien qui, comme le peuple israélien, subit l’idéologie folle de quelques fous excités, armés et financés par les ayatollahs d’Iran, les ignobles personnages de quelques émirats, gorgés de l’argent du pétrole et du gaz de leur sous-sol.

Si le Coran a été dénaturé, aujourd’hui, Netanyahu a dénaturé la Torah, avec les ultra-orthodoxes. Il trahit la déclaration d’indépendance de 1948 qui proclamait l’égalité de tous les citoyens, juifs ou arabes, même si la stratégie de David Ben Gourion était de conquérir tout le territoire palestinien.

La folie de trop d’hommes de pouvoir est incommensurable, certes, mais comment la stopper et quand leurs homologues des prétendues démocraties sont si indifférents aux malheurs des peuples qu’on peut les croire complices ?

Les soignants de Gaza n’auront bientôt plus de victimes à tenter de soigner ; et eux aussi seront morts. Dans l’apathie.

Condamnation d’un système

Harry Bernas, spécialiste des nanosciences et de l’histoire de l’énergie nucléaire, a dirigé le Centre de sciences nucléaires et de sciences de la matière du CNRS. Il n’a rien de commun avec ces innombrables intervenants sur les chaînes de télévision, qualifiés de spécialistes pour justifier leur présence, alors qu’ils ne sont que des bavards ressassant les arguments de café du commerce en quelques phrases.

Harry Bernas, lui, est un vrai spécialiste et il s’exprime cette semaine dans Télérama. Il assène quelques vérités qui vont hérisser le locataire de l’Elysée, quand il dénonce le lobby nucléaire international et les choix de Macron.

A une question de savoir si les mini-réacteurs vantés par Emmanuel Macron sont la solution pour la fourniture d’électricité, sa réponse fait mouche :

« On est revenu aux concepts des années 1950 qui n’étaient pas aboutis. Lorsque Emmanuel Macron cherche une voie pour que le nucléaire français rejoigne la cohorte des SMR (small modular reactors), il parle de modernité, mais vu les délais impartis, va se retrouver avec le réacteur à eau légère du sous-marin américain de 1957, mis à jour par les sous-mariniers français ! Naval Group et TechnicAtome, constructeurs de sous-marins, sont sur le coup. Pas surprenant : seules les entreprises travaillant pour la marine ont conservé la capacité de construire des réacteurs. Donc on devrait assister à une reprise en main du nucléaire civile par le militaire, avec les équipes d’EDF, lesquelles seront aussi occupées au maintien des réacteurs actuels, qui atteignent les 40 ans, durée de vie qui leur était assignée. »

Quand le journaliste l’interroge sur le plan Macron de prolonger les réacteurs actuels, il dénonce le bradage du service public :

« Certes, mais EDF, transformé en entreprise financière, et n’étant plus le service public qu’elle se devait d’être, ne peut fournir le travail considérable qui permettait d’évaluer l’état de santé des réacteurs. La ‘’visite des 40 ans’’ ne sera pas terminée avant dix ans (…) EDF va devoir réaliser (le grand carénage) avec un personnel compétent mais insuffisamment nombreux, et un grand nombre de sous-traitants. »

Après avoir dit que « l’électricité est un bien commun » et que « EDF est géré comme une société de service privé, pas comme une entreprise qui a des responsabilités envers la nation », il propose que « la condition de la démocratie, c’est qu’on ait une utilisation cohérente avec son époque. Et la réalité objective, c’est la changement climatique ».

Pour le chercheur chevronné qu’il est, les choix politiques en matière d’énergie sont obsolètes :

« Avec les SMR qu’Emmanuel Macron propose, on reprend une technologie vieille de soixante-dix ans, à laquelle il faudra consacrer au moins quinze ans pour la perfectionner, et qui nécessitera cent mille travailleurs du nucléaire que nous n’avons pas (…) On traîne sur les renouvelables (…) Ne nous voilons pas la face : nous avons besoin d’embaucher des milliers de jeunes ingénieurs compétents pour développer rapidement les renouvelables, maintenir les réacteurs en état de fonctionnement dans les années qui viennent, puis pour les démanteler pendant trente ans, ce qui prendra des années, car on n’y arrive pas. »

La France a d’incontestables talents et des chercheurs ultra-compétents comme Harry Bernas ; hélas, ils ne sont pas entendus et à EDF, ils ont été mis à la retraite sans être remplacés. Les politiques ultra-libéraux préfèrent les effets d’annonces, les coups de communication pour masquer leurs choix de tout privatiser en cassant les services publics et de sacrifier l’enseignement et la recherche.

Ce que dit en creux Harry Bernas, c’est que la ‘’révolution’’ d’Emmanuel Macron n’est que le retour vers le ‘’nouveau libéralisme’’ de 1930, un système qui a largement fait faillite. Affligeant !

Nettoyage ethnique

Louis Imbert est envoyé spécial du Monde en Cisjordanie et il témoigne que la guerre israélo-palestinienne ne se déroule pas qu’à Gaza. Le 21 octobre, il écrit, par exemple : « Des centaines de Bédouins palestiniens sont chassés de leurs terres. Une stratégie de déplacement orchestrée par les colons depuis 2017 et qui s’accélère de façon quasiment invisible depuis le 7 octobre. » Il ajoute que « Depuis le début de la guerre, 545 personnes issues de 13 communautés d’éleveurs bédouins ont été contraintes au départ en Cisjordanie, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (…) Leur sort ne pèse rien en Israël, qui se consume dans son deuil après l’attaque menée par le Hamas, le 7 octobre. Quant aux Palestiniens, leurs yeux sont rivés sur Gaza sous les bombes, ils ont peu de temps pour plaindre ces frères infortunés. »

Les actions sont menées par des colons masqués et armés, entourés de soldats témoigne encore le journaliste. Il rapporte que des habitants ont filmé les violences ; certains ont été arrêtés. On aimerait que le service public de France Télévisions diffuse ces images plutôt que d’avoir une vision univoque des événements.

Pourquoi cette recrudescence d’expulsion des Bédouins palestiniens ? « C’est le fantasme de l’extrême droite israélienne : « le transfert », l’expulsion des Palestiniens hors du « Grand Israël », vers la Jordanie et l’Egypte. Un projet impossible à l’heure actuelle, mais qui se normalise à une vitesse sidérante. »

Louis Imbert ajoute que le Hamas a ouvert une guerre totale : « Sa logique contamine Israël. Des rabbins militaires prêchent aujourd’hui dans les casernes l’éradication ‘’d’Amalek’’, le mal absolu selon la tradition juive, en l’occurrence le Hamas et, pour certains, tout le peuple palestinien. » 

Il s’agit d’une stratégie de déplacement de population, qui s’accroit donc depuis 2017 ; en 6 ans, les colons « ont fondé une soixantaine de fermes à travers les zones de Cisjordanie placées sous le contrôle direct de l’armée. Ces fermiers accaparent de vastes terres. Ils dirigent des réseaux mobiles de jeunes gens qui harcèlent les Bédouins, les privent de leurs pâturages et d’accès à leurs sources d’eau. Ils incitent l’armée à détruire toute nouvelle construction. »

François Dubuisson, de l’université libre de Bruxelles, explique dans Télérama que « « Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, a évoqué le 14 octobre un “risque de nettoyage ethnique” à l’encontre des Palestiniens. Cette expression n’a pas d’existence juridique, elle a été utilisée dans le contexte de la guerre en ex-Yougoslavie au début des années 1990 pour qualifier des politiques de la Croatie ou de la Serbie visant à construire des régions ethniquement pures. L’expression a ensuite été reprise par l’Assemblée générale des Nations unies, par le tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, et par la Cour internationale de justice. C’est une manière de caractériser une politique, par exemple un transfert forcé de population – qui peut être un crime de guerre ou un crime contre l’humanité selon son ampleur – ou un génocide, en cas de massacre à très grande échelle. »

Les crimes de guerre odieux du Hamas ne peuvent et ne doivent pas occulter la sale politique de Benyamin Netanyahu et de ses crimes contre les Palestiniens.

Gaza souffre, la Cisjordanie aussi.

Les droits fondamentaux du peuple palestinien sont bafoués, dans l’indifférence allant jusqu’à la complicité de la communauté internationale. On ne peut plus se taire ; il est encore plus nécessaire aujourd’hui de dénoncer le mépris et les humiliations à son encontre.

Faut-il avoir la mémoire courte pour justifier un nettoyage ethnique quand on a connu soi-même la Shoah ?

Assez !

La chronique de François Morel chaque vendredi sur France Inter est un moment d’intelligence et d’humour ; on ne l’écrira jamais assez. Avec celle d’hier, le troubadour a atteint au sublime en nous rappelant que « Claude Nougaro et Maurice Vander ont écrit il y a une quarantaine d’années une chanson d’une éternelle actualité. »

Il a intitulé ses trois minutes hebdomadaires ‘’Assez’’, reprenant le titre d’un texte de Nougaro de 1980, sur une musique de Vander ! Un moment rare qui ne s’oublie pas :

« Un adverbe. Cinq lettres. Définition du Larousse. Du latin populaire, adsatis. Du latin classique, satis. Indique la quantité suffisante. Autant qu’il faut. Synonyme : suffisamment. Indique l’intensité. Passablement. Synonymes : pas mal, plutôt. 

Expression. En être excédé. Synonymes : en avoir marre (familier), en avoir plein le dos (familier), en avoir ras le bol (familier), en avoir plein le cul (populaire). Exprime l’impatience, l’irritation. En voilà assez ! C’en est assez ! Assez !

C’est un copain, Jean-Damien, Jean-Damien Barbin, qui sur Whats’app m’a rappelé l’existence de cette chanson de Nougaro. Elle date de 1980 et évoque les malheurs du monde, notamment cette petite fille en feu dans un village en pluie de napalm, près de la frontière cambodgienne, au moment de la guerre du Vietnam. L’horreur ne date pas d’aujourd’hui, ne date pas d’un hôpital bombardé, d’un professeur assassiné, d’une attaque à la roquette, de frappes sur les villages, de milliers de morts, de dépouilles trop abimées pour être identifiées et de commentaires politiques banalisant le mal, justifiant l’injustifiable. Quand il y a impossibilité d’apporter la moindre contribution consolatrice, quand les mots sont dérisoires, quand l’envie d’apporter un peu de légèreté paraîtrait déplacé, un seul mot vient à la bouche. »

Ce mot, partageons-le largement, crions-le à pleine voix. Encore plus fort. Toujours plus fort, peut-être pour être enfin entendus.

Claude Nougaro a, lui aussi, souvent atteint au sublime. J’en ai déjà parlé en évoquant une autre chanson, Bidonvilles, évoquant le triste quotidien des immigrés et l’empathie du poète envers ces hommes qui viennent d’un pays où il ne pleut pas, où les hommes sont beaux.

Avec Assez ! il exhorte les hommes à être plus humains et à s’aimer. J’en ai retenu deux strophes, terribles, mais dont le cri est porteur d’espoir : 

« Il serait temps que l’homme s’aime
Depuis qu’il sème son malheur
Il serait temps que l’homme s’aime
Il serait temps, il serait l’heure
Il serait temps que l’homme meure
Avec un matin dans le cœur
Il serait temps que l’homme pleure
Le diamant des jours meilleurs

« Assez ! Assez ! »

(…)

« Il serait temps que l’homme arrive

Sans l’ombre avec lui de la peur

Et dans sa bouche la salive

De son appétit de terreur. »

Avec François Morel et Claude Nougaro disons, nous aussi, à ceux qui nous gouvernent : Assez ! On n’en peut plus des guerres, des privations, du refus de l’autre, de l’exploitation de l’homme par le milliardaire, des interdits, des censures… On n’en veut plus de notre misère et de nos pleurs.

On veut vivre. Tout simplement.

Ecole bien-pensante

Les milieux catholiques traditionalistes veillent, paraît-il, sur l’éducation des enfants. Les agités de la calotte et les grenouilles de bénitiers épluchent tous les livres destinés à instruire la jeunesse et à former des citoyens. Dans leurs établissements privés on éduque donc dans la plus pure tradition catholique, celle des valeurs chrétiennes occidentales immuables. 

En janvier dernier, des enseignants du collège Saint-François d’Assise à Montigny-le-Bretonneux avaient écrit à Gallimard pour s’offusquer d’une scène de tentative de viol d’une esclave dans l’œuvre de Paula Jacques, Blue Pearl. Aujourd’hui, c’est le lycée La Mennais à Ploërmel qui se distingue en retirant Triste Tigre de Neige Sinno (éditions P.O.L.) de sa bibliothèque.

Le roman en question est en lice pour tous les prix (Goncourt, Médicis, Femina et Goncourt des lycéens). Mais il heurte les bonnes âmes de ce lycée au prétexte qu’il traite de l’inceste.

Pour mémoire, Ploërmel n’avait pas de lycée public ; depuis la rentrée, le lycée Mona Ozouf concurrence La Mennais, au grand désespoir des catholiques (ils s’étaient distingués raillant le nom choisi pour ce lycée, sans savoir que Mona Ozouf était bretonne !). La censure de Triste Tigre ne serait-elle pas une nouvelle façon de se singulariser et de montrer ses différences avec le lycée du diable ?

Les réactionnaires ont trouvé un allié de poids en Gérald Darmanin qui a interdit à la vente le roman Bien trop petit (éditions Thierry Magnier).

Que penser d’un enseignement hors du temps, fermant les yeux sur la vie réelle et les dangers auxquels peuvent être exposés les petits enfants du siècle ?

Est-ce la même pudeur qui interdit de dénoncer les innombrables actes de pédophilie des prêtres ?

Pauvres lycéens, soumis à la bien-pensance !

Idiots utiles

Deux ‘’idiots utiles’’, barbares, fanatisés, ont frappé à mort un professeur de lettres à Arras et deux supporters de l’équipe de football suédoise à Bruxelles.

‘’Idiots utiles’’ parce qu’ils ont déclenché une émotion bien compréhensible dans une population qui aspire avant tout à vivre dans la tranquillité et la sécurité, quand le monde qui nous entoure sombre dans la violence de guerres économiques ou de religions, déclenchées par des irresponsables qui ne devraient pas occuper des postes de haute responsabilité, mais qui ont été élus par les premières victimes.

Les partis politiques de droite et d’extrême droite attisent les réflexes émotionnels, déjà largement alimentés par des médias avides de sang et de sensationnel.

‘’Idiots utiles’’ parce l’Union européenne en profite pour passer sous silence le report de l’interdiction des pesticides (accédant aux vœux des lobbyistes de l’agro-chimie), et l’avancée des négociations du traité de libre-échange UE-Mercosur (accédant aux vœux des multinationales) dont les conséquences seront désastreuses pour l’environnement et le droit du travail).

‘’Idiots utiles’’ parce que le gouvernement et les médias des milliardaires ont détourné l’attention des citoyens pour continuer à prendre quelques mesures anti-sociales comme la loi sur l’immigration, le budget 2024 (assassin pour les services publics) dans lequel on découvre un nouveau cadeau aux patrons sous forme de crédit d’impôt au prétexte d’aider les investissements ‘’verts’’. Ce dernier, le C3IV (pour investissement industries vertes), coûtera 3,7 milliards aux contribuables et s’ajoutera aux 157 milliards d’aides aux entreprises.

‘’Idiots utiles’’ parce que la Conférence sociale voulue par Emmanuel Macron ne débouchera sur rien, mais qu’importe, le résultat est occulté par la vague d’émotion suscitées par les attentats.

‘’Idiots utiles’’ parce que les partis fascisants, eux, se déchaînent en n’hésitant pas à accuser les associations caritatives et la gauche d’être responsables des crimes perpétrés par leurs ‘’idiots utiles’’ ; ils piétinent la mémoire des victimes pour continuer à semer la haine et la division. Ils inondent les réseaux sociaux de fausses informations et attisent les réflexes de rejet des immigrés.

Tous, droite, extrême droite, gouvernement, réunis dans un ensemble funeste, entretiennent la confusion dans les esprits et les réflexes de déraison ; ils apportent des réponses simplistes dont ils savent qu’elles sont inopérantes. Mais, qu’importe, leurs fins justifient tous les moyens, même les plus répugnants.

L’atmosphère est lourde de menaces et de confusion, au point d’oublier ce qui se joue à Gaza, en Ukraine, en Arménie, en Azerbaïdjan, et ailleurs.

Les ‘’idiots utiles’’ ont rempli leur tâche au-delà de toute espérance.

Vivre en paix

L’horreur peut-elle anesthésier notre mémoire, l’ignoble et le fanatisme doivent-ils nous faire oublier l’Histoire ?

L’assassinat d’un professeur à Arras nous impose des questions et l’émotion (légitime) ne saurait nous en détourner ; à commencer par celle du manque de respect grandissant envers tous les enseignants (y compris de la part du gouvernement et des parents), du rejet grandissant de l’autre (surtout s’il est Arabe, musulman ou à la peau noire), de la gangrène des esprits inoculée par le Front national et désormais le Rassemblement national (un patronyme qui n’a jamais été aussi inadapté à son idéologie), etc.

Au-delà des frontières, c’est la question palestinienne qui ne peut plus être éludée.

A ce propos, Charles Enderlin débute son remarquable essai ‘’Israël. L’agonie d’une démocratie’’ (Seuil Libelle) par un rappel historique prémonitoire :

« Que dirait aujourd’hui Hannah Arendt en apprenant que Benjamin Netanyahu a créé une agence gouvernementale de ‘’l’identité nationale juive’’ ? Dès 1951, elle alertait des dangers qui guettaient l’Etat-nation Israël à sa création : « Cette solution de la question juive n’avait réussi qu’à produire une nouvelle catégorie de réfugiés, les Arabes, accroissant ainsi le nombre des apatrides et des sans-droits de quelques 700 à 800 000 personnes (…) Réfugiés et apatrides sont, telle une malédiction, le lot de tous les nouveaux Etats qui ont été créés à l’image de l’Etat-nation. Pour ces nouveaux Etats, ce fléau porte les germes d’une maladie incurable. Car l’Etat-nation ne saurait exister une fois que son principe d’égalité devant la loi a cédé. Sans cette égalité juridique, qui avait été prévue à l’origine pour remplacer les lois et l’ordre de l’ancienne société féodale, la nation se dissout en une masse anarchique d’individus et sous-privilégiés (Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, 2002) ».

Que dirait Hannah Arendt, quand de trop nombreux Etats, dont la France, ont une attitude insupportable en acquittant Israël de ses crimes de guerre ? Quand l’Organisation des Nations Unies (ONU) bien mal nommée en l’occurrence, se contente d’une déclaration minimale ne nommant pas ouvertement les choses ?

Se taire aujourd’hui c’est être complice des actions répressives et criminelles du gouvernement Netanyahu et de ses prédécesseurs. Le peuple israélien a droit à vivre en paix ; le même droit doit être reconnu au peuple palestinien. Aucun peuple ne doit martyriser un autre avec cette violence aveugle, cette humiliationpermanente qui fait dire à Netanyahu que les Gazaouis sont des animaux. A quand le génocide assumé ?L’évacuation de Gaza et le déplacement d’un million de personnes sur des routes encombrées, avec des Palestiniens hagards, effarés, allant sans but, montre une population poussée au dernier désespoir et à l’ultime exaspération.

Le Hamas a prospéré sur la politique d’apartheid d’Israël et d’une classe politique de plus en plus proche de la théologie du messianisme et des lois fascistes. Mais, le peuple de Gaza n’est pas le Hamas ; il souffre du manque de tout : de liberté, de travail et des denrées de première nécessité et même de tout ce qui fait culture. 

José Saramago, pour sa part, estimait en 2008 que « le processus d’extorsion violente des droits fondamentaux du peuple palestinien et de son territoire par Israël s’est poursuivi imparable face à la complicité ou à l’indifférence de la mal nommée communauté internationale. »

Le décompte macabre de tous les morts, ici ou là-bas, est devenu trop insupportable ; les citoyens ont le devoir de contraindre Israël à reconnaître les innombrables résolutions de l’ONU et à revenir à la table de négociation, quand les instances dirigeantes ne le font pas. Le conflit embrase le Moyen-Orient et au-delà et pervertit le légitime débat public ; il est devenu quasiment impossible de critiquer le gouvernement israéliensans être taxé d’antisémitisme. Il est également hasardeux de faire entendre la voix de la paix à Jérusalem, à Tel-Aviv, à Gaza et dans toute la Cisjordanie.

Vivre en paix est une revendication légitime, après tant de guerres monstrueuses, mondiales et régionales ; aujourd’hui, c’est la planète qui brûle et nous emmène à la catastrophe.

L’Homme de 2023 a-t-il rayé les mots sagesse, paix et respect de son vocabulaire ?

L’information manipulée

Une fois encore, la première victime de la guerre, c’est la vérité. Les manipulations, les fausses informations, les images trafiquées sont colportées à la vitesse des réseaux sociaux et des technologies numériques. Les informations, vraies, pèsent peu face à ce déluge de malversations.

Comme si le nombre hallucinant de victimes, de part et d’autre, n’était pas suffisant pour nous plonger dans l’horreur.

Charles Enderlin, juif, israélien et français, journaliste à France 2, avait donné une interview à La Revue des médias en octobre 2021, dans laquelle il dénonçait les difficultés à informer vraiment sur le conflit israélo-palestinien : intox militaire permanente, désintérêt des médias ouest-européens pour les sujets de politique internationale et suppression des envoyés spéciaux permanents, pressions sur les rédactions, notamment. Mais l’envoyé spécial avait glissé une phrase qui en dit long sur le contenu de l’information aujourd’hui : « Je n’ai jamais aimé quand on m’appelait en me disant ‘’Donne-nous de l’émotion’’. Le journalisme, c’est donner des explications, montrer la réalité et non pas jouer sur l’émotion du téléspectateur ».

Les chaînes françaises font dans l’émotion aujourd’hui, mais n’informent guère ou que très superficiellement. Elles s’abstiennent hélas de faire appel à des professionnels reconnus pour combattre toutes les fausses nouvelles et pour éclairer le débat sur les responsabilités de chacun.

Le 9 octobre, par exemple, le quotidien israélien Haaretz rappelle sur Twitter (aujourd’hui X) une déclaration de Netanyahu datant de 2019 :

« Anyone who wants to thwart the establishment of a Palestinian state has to support bolstering Hamas and transferring money to Hamas.” Netanyahu told his Likud party’s Knesset members in March 2019. “This is part of our strategy » https://t.co/7lTQs9E5Zf— Haaretz.com (@haaretzcom) October 9, 2023. »

(Traduisez par : « Quiconque veut contrecarrer l’établissement d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et le transfert d’argent au Hamas. Cela fait partie de notre stratégie. » « C’est ce qu’a dit Nethanyhu aux membres de son parti, le Likoud, à la Knesset. Cela fait partie de notre stratégie »)

L’information est importante, déterminante même pour comprendre la situation. La politique du gouvernement israélien consiste à préparer une conquête totale de la Cisjordanie, en faisant régner la terreur sur les colonies et, en se servant de la violence imbécile du Hamas, favoriser l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite religieuse et messianique, raciste et homophobe. Les médias français ont ‘’raté’’ ce rappel.

Charles Enderlin a publié en septembre dans la collection Libelle des Editions du Seuil un essai intitulé ‘’Israël. L’agonie d’une démocratie’’. Un court texte qui donne des clés de l’évolution de la politique du pays.

France 2 aurait été bien inspiré de donner la parole à son ex-envoyé spécial et connaisseur particulièrement incisif d’Israël et de la Palestine. Mais, jusque-là, la chaîne a préféré l’émotion pour éviter les critiques des milieux juifs radicaux.

Paroles juives

Simone Bitton est juive ; née à Rabat, elle a la double nationalité franco-marocaine.  Emigrée en Israël en 1966 avec sa famille, elle a fait la guerre du Kippour en 1973 dans les rangs de Tsahal ; elle en est sortie avec un fort engagement pacifiste.

Réalisatrice de documentaires, notamment sur le conflit israélo-palestinien, elle se déclare à Télérama « doublement atteinte par ce qui se passe ».

Elle avoue n’avoir « vraiment aucune sympathie » pour les leaders du Hamas, « ni pour les moyens qu’ils emploient, ni pour le projet de société terrible qu’ils offrent aux Palestiniens, mais il faut bien comprendre que le réservoir de chair à canon qui compose les rangs des combattants du Hamas ne se tarira que si la politique d’Israël à l’égard de la Palestine change. »

Evidemment, elle condamne les actes commis par le Hamas ; pour elle, il s’agit de crimes de guerre. Simone Bitton constate que « pour en arriver là, il faut clairement avoir été soumis à un haut niveau d’endoctrinement religieux, mais aussi être dans un désespoir inouï ».

Il faut entendre les paroles d’une femme, juive, mais pacifiste : « Je suis affligée par les réactions de la classe politique française. Je ne dis pas que la France peut résoudre le conflit israélo-palestinien d’un coup de baguette magique, mais la moindre des choses qu’on peut demander à la communauté internationale est précisément de ne pas sombrer dans l’émotion facile et de proposer des solutions. Rappelons qu’Israël bafoue une loi internationale depuis des décennies. »

Paroles rares parmi la communauté juive et, surtout, dans la classe politique française qui a sombré dans l’émotion facile !

Simone Bitton appelle à la négociation entre les deux parties, mais on sent chez elle un certain désarroi et beaucoup de pessimisme : « Une chose est sûre : si les Palestiniens n’accèdent pas à un minimum de liberté, d’indépendance et de dignité, alors le pire est encore devant nous. »

Hélas, les politiques occidentaux et israéliens ne semblent pas prêts à accepter l’idée même de création d’un Etat palestinien comme le souhaite Simone Bitton. Faut-il donc se résigner à attendre le pire ?

Insupportable

Si les attaques du Hamas sur des populations civiles sont insupportables, que dire des représailles de l’armée israélienne ?

Un déluge de bombes frappe Gaza et fait des victimes innocentes. Est-ce la réponse la plus appropriée d’une nation civilisée à l’offensive du Hamas ?

Les paroles du ministre de la défense israélien, Yoav Galant, sont scandaleuses : « Nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence. » 

Les Gazaouis ne sont pas des animaux !

Quant aux mesures de rétorsion prises à l’encontre la population de Gaza, « Pas d’électricité, pas d’eau, pas de gaz. », qui s’ajoutent aux mesures de blocus du territoire, elles sont d’une cruauté sans nom. Yoav Galant, cité dans les Panama Papers en 2016, a perdu la raison. Il faut stopper l’escalade de la violence.

Processus de paix

Elie Barnavi, historien et ambassadeur d’Israël en France de 2000 à 2002, a qualifié les événements de Gaza de surprenants et prévisibles. Dans une tribune publiée dans le Monde, il s’étonne : « Comment l’armée la plus puissante de la région, l’une des premières au monde nous assure-t-on, comment des services secrets aussi performants, capables de localiser un chef terroriste au troisième étage à gauche dans un immeuble qui en compte trente, ont-ils été incapables de voir venir le coup, puis de le prévenir ? » Mais il considère que ces attaques du Hamas étaient prévisibles : « Ce que nous venons de subir n’est pas un décret du ciel. C’est la résultante d’une conjonction de deux facteurs : une organisation islamiste fanatique dont l’objectif déclaré est la destruction d’Israël ; et une politique israélienne imbécile à laquelle se sont accrochés les gouvernements successifs et que le dernier a portée à l’incandescence. »

De son côté, l’ONG Amnesty International n’exonère pas les responsabilités d’Israël dans la situation : « Les causes profondes de ces cycles de violence répétés doivent être traitées de toute urgence. Il faut pour cela faire respecter le droit international et mettre fin au blocus illégal qu’Israël impose à Gaza depuis 16 ans, ainsi qu’à tous les autres aspects du système d’apartheid israélien imposé à tous les Palestiniens. Le gouvernement israélien doit s’abstenir d’inciter à la violence et aux tensions en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est, en particulier autour des sites religieux. Amnesty International appelle la communauté internationale à intervenir de toute urgence pour protéger les civils et empêcher de nouvelles souffrances. »

Elie Barnavi en appelle à la résurrection du ‘’processus de paix’’, et fait le procès des petits arrangements de Netanyahou avec l’extrême droite : « L’unique souci du premier ministre étant de s’extraire du mauvais pas judiciaire où il s’est fourré, il a composé sa coalition d’ultra-orthodoxes et de nationaux-religieux messianiques – la version juive du Hamas –, dont l’Etat de droit est le dernier souci, et avec lesquels il a conclu un pacte faustien : à lui la tête des juges de la Cour suprême, à eux la ‘’Judée-Samarie’’ biblique et le libre accès au mont du Temple, de plus en plus investi par les zélotes. Comme on sait, ce pacte a eu un prix : l’insurrection civile de l’Israël démocratique et libéral, le coup grave porté à la cohésion de l’armée et des services, l’atmosphère de guerre civile latente qui s’est installée dans le pays. Le Hamas, comme le Hezbollah dans le nord et son patron iranien à l’est, a bien étudié la situation. »

Les peuples, israélien et palestinien, sont les victimes des deux fanatismes religieux et d’un homme politique crapuleux, par milliers depuis plus de cinquante ans. Il est de la responsabilité de chacun d’agir pour contraindre la communauté internationale à revenir au processus de paix.

Hommage national à Elkabbach !

Emmanuel Macron adore présider les hommages nationaux à ‘’toutes les célébrités de la France’’ ; il les multiplie. Indéniablement, il est fidèle aux inscriptions au fronton du Panthéon (Aux grands hommes la patrie reconnaissante) et des ailes du château de Versailles (A toutes les gloires de la France).

Pour le président de la République, Jean-Pierre Elkabbach est sans doute ‘’le’’ modèle de journaliste et, en même temps, un grand homme et une gloire. Et cela vaut bien un nouvel hommage national. Bon, il n’aura droit ni au Panthéon, ni aux Invalides, mais à une consécration pour un journaliste, le siège de France Télévisions.

Les salariés du service public ont été sidérés à l’annonce et leur syndicat CGT a vertement réagi :

« Quand le mail est tombé ce matin, beaucoup de salariés de FTV ont cru à une mauvaise blague, un gag digne des Guignols de l’Info et tout est remonté à la surface. Le scandale des animateurs-producteurs amasseurs de « pépètes », c’était sous la présidence de Jean-Pierre Elkabbach : trois ans de gabegie avec l’argent public pour enrichir les « voleurs de patates », les jeunes entrepreneurs Nagui, Delarue, Arthur…

A ces centaines de millions de francs dépensés à l’époque pour quelques-uns, il faut ajouter les plus de trois milliards de francs investis dans la construction de la maison FTV dans le 15ème arrondissement, tout ça pour faire plaisir à Edouard Balladur, alors premier ministre. A l’époque le choix du site et le coût pharaonique des travaux avaient fait beaucoup réagir.

Trop d’argent dilapidé, un rapport accablant de la Cour des comptes sur la gestion de FTV entre 1993 et 1996, Jean-Pierre Elkabbach a fini par se faire virer. Et aujourd’hui on veut donner son nom au siège de FTV !

Elkabbach disait : « Osons ! ». La Pdg de l’entreprise et le président de la République osent mais pour les salariés, c’est : Pas question ! »

Elkabbach, c’est une voix d’Europe 1 qui a fini chez Bolloré, une figure des médias privés, un journaliste marqué à droite, un homme accroché au micro pour servir la soupe aux puissants tout en faisant mine de les secouer de temps en temps. Ce « chien de garde » s’est accommodé avec tous les pouvoirs en place pour continuer à garder la main sur les interviews politiques au service de ses amis hauts placés.

L’empressement de cette annonce nous sidère. Aucun débat, aucune discussion en amont pour choisir le nom que portera notre maison commune, la Maison de la télé qui devrait être un bien public neutre. Qui est derrière cette décision absurde ? Le président lui-même qui a prévu lundi d’inaugurer une plaque et de prononcer un discours ?! Mais dans quelle République vivons-nous ? La CGT réclame l’annulation immédiate de cette mascarade. »

Dans quelle République vivons-nous ? Mais dans une république bananière, camarades pour oser sanctifier Elkabbach !

Monstre sacré ? Vraiment…

Jean-Pierre Elkabbach mort a droit à tous les éloges, y compris parmi ses adversaires ou ceux qu’il a malmené. C’est une curieuse règle de devoir tresser des louanges à des personnalités clivantes au moment de leur décès.

Jean-Pierre Elkabbach a eu une longue carrière dans le journalisme de connivence avec les politiques de droite. Tout cela semble avoir été oublié ; à l’évidence, on ne retient de lui qu’il a été un ‘’grand professionnel’’. Que ceux qu’il a bien servi lui soient reconnaissants n’étonnera donc personne, mais cette unanimité est dérangeante.

On me permettra de ne pas me mêler au concert des pleureuses. Elkabbach a su être féroce, par exemple, quand, après avoir commenté le couronnement de Bokassa en décembre 1977, il retirera à Claude Sérillon la présentation de la revue de presse d’Antenne 2, celui-ci ayant eu l’impudence d’évoquer l’affaire des diamants offerts par le dictateur à Giscard d’Estaing, sujet tabou. Sa présidence de France 2 et France 3 sera également marquée par le scandale des contrats aux animateurs-producteurs et sa démission en 1993.

En 1996, il sera condamné pour des propos manquant de mesure et d’objectivité envers Martine Aubry. Puis, passé sur Europe 1, il sera accusé en 2006 d’avoir demandé à Nicolas Sarkozy de choisir le (ou la) journaliste chargé de le suivre pendant sa campagne à la présidence de la République.

Il finira piteusement sa carrière en se réfugiant auprès de Vincent Bolloré en 2017, à 80 ans ; non seulement il sera son conseiller, mais il effectuera les ‘’grands entretiens’’ du week-end sur CNews. Tout est dit.

Jean-Pierre Elkabbach n’est pas un modèle de journalisme, mais au mieux une caricature de valet à la solde du capitalisme. Et, en aucun cas, un monstre sacré !

Un régime méprisant

On a prêté, à tort sans doute, à Victor Hugo la phrase célèbre : « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons ! » Néanmoins, le père Victor en partageait le contenu. D’ailleurs, dans l’un de ses romans de 1834, Claude Gueux, il écrivait déjà :

« La tête de l’homme du peuple, voilà la question. Cette tête est pleine de germes utiles. Employez pour la faire mûrir et venir à bien ce qu’il y a de plus lumineux et de mieux tempéré dans la vertu. Tel a assassiné sur les grandes routes qui, mieux dirigé, eût été le plus excellent serviteur de la cité. Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, éclairez-la, moralisez-la, utilisez-la ; vous n’aurez pas besoin de la couper. »

Emmanuel Macron a pris ses distances avec l’écrivain ; il ouvre des gendarmeries en milieu rural et, en même temps, ferme des écoles. Il crée de nouveaux emplois de gendarmes et suppriment des postes de professeurs. Dans les deux cas, il fait des mécontents, mais, surtout, il marque sa volonté du ‘’tout répressif’’ plutôt que le ‘’tout enseignement’’. Il se refuse à féconder la tête de l’homme du peuple pour qui il n’a que profond mépris ; en revanche le corps de l’homme doit être prêt à n’importe quelle tâche au service d’un patron.

Le président hôte de l’Elysée peut paraître habile ; en réalité, il est aux abois et ne sait plus comment gérer une situation qui est largement la conséquence de ses choix ultra-libéraux.

La crise au Journal du dimanche ne pouvait pas rester sans réponse de la part d’un pouvoir qui se veut démocratique quand un patron illuminé et parti en Croisade pour sauver les valeurs catholiques traditionnalistes s’approprie la ligne éditoriale du journal. Il a donc décidé de lancer des Etats généraux de l’information. Il a confié la tâche à quelques prétendues sommités, écartant représentants des journalistes, citoyens, médias alternatifs et d’autres.

Le président du comité, Bruno Lasserre, n’est pas un inconnu ; c’est lui qui a inspiré la libéralisation du transport par car. On connaît le résultat ! L’une des membres du comité de pilotage, Camille François, est une enseignante-chercheuse, qualifiée de ‘’Visionnaire’’ par la MIT Technology Review, passée, comme par hasard, chez Google ; elle enseigne à l’université Columbia aux Etats-Unis. Cela vaut carte de visite ! Le délégué général est un petit Rastignac qui ne rêve que de gloire et qui, aujourd’hui, doit se contenter de gloriole. On n’attend rien de lui, sinon des préconisations de mesures donnant la primauté de la représentation des journalistes aux sociétés de journalistes pour court-circuiter les syndicats.

L’aréopage de ces Etats généraux est inconséquent mais il plait à Macron qui a tout fait pour écarter les organisations intermédiaires, à commencer par les Confédérations syndicales, de la démocratie.

Un régime qui a érigé le mépris en valeur cardinale sombrera dans le mépris !

Prise de conscience

Pénurie d’eau à Mayotte, pénurie de pain en Tunisie, exode des Arméniens du Haut-Karabagh, le mois d’octobre débute avec des températures anormalement élevées les crises s’additionnent. Les hommes sont fous : les droits fondamentaux sont bafoués et ils ont abandonné le pouvoir à des oligarques et des monopoles industriels corrompus.

A Mayotte, les citoyens accusent le groupe Vinci de délits présumés de favoritisme et de corruption pour sa gestion particulièrement chaotique et sans anticipation de sa filiale, la Société mahoraise des eaux (SMAE). 

A Tunis, ce sont les approvisionnements en blé par le gouvernement qui est accusée depuis la guerre en Ukraine. La situation ressemble étrangement aux ‘’émeutes du pain’’ qui avaient secoué le pays en 1984 et causé la mort d’environ 150 personnes après la décision de Bourguiba de déclencher l’état d’urgence.

Le peuple arménien, lui, est victime des folles ambitions territoriales du président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev et du mutisme des pays occidentaux soucieux de préserver leur approvisionnement en pétrole de Bakou.

Les motifs d’inquiétude ne s’arrêtent pas à ces quelques exemples de dysfonctionnements de la démocratie. La crise est mondiale, alimentée par un libéralisme qui multiplie les ravages politiques, mais aussi environnementaux. En France, la chaleur est anormale pour la saison, à New York les pluies connaissent des intensités inconnues jusque-là.

Les symptômes de la crise sont tellement évidents qu’on peut se demander pourquoi les peuples ne se révoltent pas avec plus de détermination et de persévérance pour mettre un terme à tous les dérèglements que connaît la planète.

Une disette de pain avait entraîné la foule du peuple de Paris à marcher vers Versailles le 5 octobre 1789 ; certains habitants de Mayotte, eux, ont fustigé le dîner de gala de Macron avec Charles III en s’écriant : « A Versailles, ça coule à flots ; à Mayotte, on manque d’eau ».

Les yeux commencent à se dessiller. Ce n’est pas encore la Révolution, mais une prise de conscience salutaire des maux engendrés par le libéralisme et ses mensonges. Avant son renversement ?