Harry Bernas, spécialiste des nanosciences et de l’histoire de l’énergie nucléaire, a dirigé le Centre de sciences nucléaires et de sciences de la matière du CNRS. Il n’a rien de commun avec ces innombrables intervenants sur les chaînes de télévision, qualifiés de spécialistes pour justifier leur présence, alors qu’ils ne sont que des bavards ressassant les arguments de café du commerce en quelques phrases.
Harry Bernas, lui, est un vrai spécialiste et il s’exprime cette semaine dans Télérama. Il assène quelques vérités qui vont hérisser le locataire de l’Elysée, quand il dénonce le lobby nucléaire international et les choix de Macron.
A une question de savoir si les mini-réacteurs vantés par Emmanuel Macron sont la solution pour la fourniture d’électricité, sa réponse fait mouche :
« On est revenu aux concepts des années 1950 qui n’étaient pas aboutis. Lorsque Emmanuel Macron cherche une voie pour que le nucléaire français rejoigne la cohorte des SMR (small modular reactors), il parle de modernité, mais vu les délais impartis, va se retrouver avec le réacteur à eau légère du sous-marin américain de 1957, mis à jour par les sous-mariniers français ! Naval Group et TechnicAtome, constructeurs de sous-marins, sont sur le coup. Pas surprenant : seules les entreprises travaillant pour la marine ont conservé la capacité de construire des réacteurs. Donc on devrait assister à une reprise en main du nucléaire civile par le militaire, avec les équipes d’EDF, lesquelles seront aussi occupées au maintien des réacteurs actuels, qui atteignent les 40 ans, durée de vie qui leur était assignée. »
Quand le journaliste l’interroge sur le plan Macron de prolonger les réacteurs actuels, il dénonce le bradage du service public :
« Certes, mais EDF, transformé en entreprise financière, et n’étant plus le service public qu’elle se devait d’être, ne peut fournir le travail considérable qui permettait d’évaluer l’état de santé des réacteurs. La ‘’visite des 40 ans’’ ne sera pas terminée avant dix ans (…) EDF va devoir réaliser (le grand carénage) avec un personnel compétent mais insuffisamment nombreux, et un grand nombre de sous-traitants. »
Après avoir dit que « l’électricité est un bien commun » et que « EDF est géré comme une société de service privé, pas comme une entreprise qui a des responsabilités envers la nation », il propose que « la condition de la démocratie, c’est qu’on ait une utilisation cohérente avec son époque. Et la réalité objective, c’est la changement climatique ».
Pour le chercheur chevronné qu’il est, les choix politiques en matière d’énergie sont obsolètes :
« Avec les SMR qu’Emmanuel Macron propose, on reprend une technologie vieille de soixante-dix ans, à laquelle il faudra consacrer au moins quinze ans pour la perfectionner, et qui nécessitera cent mille travailleurs du nucléaire que nous n’avons pas (…) On traîne sur les renouvelables (…) Ne nous voilons pas la face : nous avons besoin d’embaucher des milliers de jeunes ingénieurs compétents pour développer rapidement les renouvelables, maintenir les réacteurs en état de fonctionnement dans les années qui viennent, puis pour les démanteler pendant trente ans, ce qui prendra des années, car on n’y arrive pas. »
La France a d’incontestables talents et des chercheurs ultra-compétents comme Harry Bernas ; hélas, ils ne sont pas entendus et à EDF, ils ont été mis à la retraite sans être remplacés. Les politiques ultra-libéraux préfèrent les effets d’annonces, les coups de communication pour masquer leurs choix de tout privatiser en cassant les services publics et de sacrifier l’enseignement et la recherche.
Ce que dit en creux Harry Bernas, c’est que la ‘’révolution’’ d’Emmanuel Macron n’est que le retour vers le ‘’nouveau libéralisme’’ de 1930, un système qui a largement fait faillite. Affligeant !