La Chouette qui hioque

Mois : mars 2021

Bonne lecture

Mon dernier livre, Journalistes, brisez vos menottes de l’esprit, est officiellement paru. Il est en vente (ou en commande) dans toutes les bonnes librairies, mais aussi sur le site de l’éditeur (frais de port gratuit) aux éditions Maïa:

Il est également en vente à la FNAC et même sur Amazon.

Cet essai est un appel adressé à tous les journalistes.

Il analyse le phénomène des concentrations des grands médias (avec l’appui des politiques libérales) entre les mains de quelques milliardaires qui imposent une vision étroite de l’information, ravalée trop souvent au rang de propagande pour assurer la pérennité du néolibéralisme.

Il traite des raisons de la situation de plus en plus catastrophique de l’information en France (et ailleurs), mais aussi de ce que l’économiste américain, Joseph Stiglitz (prix Nobel d’économie), appelle la ‘’capture cognitive’’ : « À bien des égards, la capture cognitive est l’aspect le plus intéressant de la capture, le plus subtil, le plus difficile à prouver. Cela a trait à la façon dont les journalistes perçoivent le monde, et donc comment ils écrivent à ce sujet. Une des raisons pour lesquelles le sujet est si important est que la capture cognitive par les médias peut conduire à une capture cognitive par la société. Les médias aident à façonner les opinions des membres de la société, et si les médias sont capturés, leurs reportages peuvent donner lieu à l’acceptation de points de vue dans la société qui reflètent ces intérêts. »

L’essai entre dans les coulisses de la fabrique de l’information entre les mains de quelques directeurs de rédaction et éditorialistes triés sur le volet pour leur docilité et leur penchant libéral et en dénonce les dérives au profit des intérêts financiers et idéologiques des propriétaires des médias et des hommes politiques au pouvoir.

Il aborde aussi les questions déontologiques et, après avoir rappelé les engagements de quelques grandes figures du journalisme comme Jaurès et Albert Camus, il esquisse des solutions à la crise de l’information.

Et pour terminer, toutes les critiques seront les bienvenues.

L’honneur d’un enseignant-chercheur

Pendant que le gouvernement d’Emmanuel Macron entretient une polémique aussi ridicule que nauséabonde sur la prétendue gangrène islamo-gauchiste, un professeur en sciences du langage à l’université de Nantes, fondateur et directeur de Campus Tech, Albin Wagener, a réalisé une étude qu’il qualifie d’arithmétique.

« Je suis donc allé voir ce que nous donnaient quatre des moteurs de recherche scientifiques les plus utilisés : thèses.fr et HAL pour la partie générale, puis Cairn et Open Edition pour la partie plus directement dédiée aux sciences humaines », après avoir choisi « quelques mots-clés souvent exploités pour accuser les universitaires d’islamogauchisme : ‘’décolonial’’, ‘’intersectionnel’’, intersectionnalité’’, ‘’racisé’’, ‘’racialisé’’, puis, pour la blague, ‘’islamogauchisme’’ et islamogauchiste’’ » 

Non sans humour, il conclut ainsi :

« Que dire après tout cela ? Qu’avant de juger un terme sur de simples rumeurs colportées sur une chaîne de télé trop racoleuse ou un réseau social trop électrique, il suffit d’aller lire. Parce que lire reste encore la meilleure réponse à apporter à l’ignorance, aux idées reçues, aux raccourcis commodes, aux paresses intellectuelles ou aux ignorances légitimes. Ne pas savoir, ce n’est pas grave : nous sommes toutes et tous ignares sur bien des sujets. Ne pas savoir et prétendre que l’on a pas besoin de savoir pour se faire une idée, c’est non seulement bête à manger du foin et dommage en général, mais c’est surtout dangereux pour nos fragiles régimes démocratiques – et surtout pour l’indépendance de la recherche. Au final, on a le droit de questionner, de débattre et de discuter autour de ces questions (et encore heureux) : mais faisons-le dignement. »

C’est cinglant et guère à l’honneur de ceux qui, comme la ministre Frédérique Vidal, colportent de telles fadaises. Guère à l’honneur de Gérald Darmanin (mais il y a longtemps que le ministre de l’intérieur a perdu tout honneur !). Guère à l’honneur de quelques éditorialistes et autres chroniqueurs comme Pascal Praud et Eric Zemmour.

Quant à Albin Wagener, sa démarche et son étude viennent prouver s’il en était besoin, que la recherche française libre est très honorable.

Culture en grand danger

La France s’enfonce dans une crise sanitaire sans précédent ; même l’Allemagne d’Angela Merkel déclare notre territoire à haut risque.

Mais les écoles doivent rester ouvertes, quoi qu’il en coûte ! Et le président reste obstinément dans le déni, et affiche de plus en plus d’arrogance.

La culture, elle, reste interdite. Et la ministre, hospitalisée ou pas, n’en peut mais…Elle n’a pas l’oreille d’un président pour qui la culture n’est pas essentielle.

La Fédération CGT du spectacle a publié des chiffres atterrants : combien de lieux, combien d’artistes devront s’orienter vers d’autres activités. Elle adresse un véritable cri d’alarme : la caisse de retraite et de prévoyance Audiens a calculé la baisse de la masse salariale des intermittents dans le spectacle vivant à 633 millions d’euros (24 %) et 2021 risque d’être pire, notamment avec la réforme de l’assurance chômage. Pour le syndicat, « dans ce contexte où la création et la diversité culturelle sont menacées (…) réouverture ou non, la priorité doit être donnée au soutien à l’emploi si nous ne voulons pas assister à l’effondrement du secteur. »

Qui se soucie de cette situation au gouvernement ? Certainement pas les Le Maire, Darmanin, Blanquer, Pannier-Runacher, Schiappa, Vidal, Le Drian, Pompili qui sont, en revanche, aux petits soins pour les gros industriels, harcelant et expulsant les réfugiés, chassant les islamo-gauchistes ou accordant des exceptions pour l’utilisation des pesticides.

La France des Lumière tournant le dos à la culture, qui l’aurait cru ?

Vive l’édition (la vraie)

Mes dernières lectures m’ont plongé dans un abîme de réflexion sur l’édition.

Je me suis plongé avec avidité dans un petit livre d’Olga Tokarczuk, l’écrivaine polonaise lauréate du prix Nobel 2019, Les enfants verts.

Ce livre ne pèse que quelques grammes, ne mesure que 10,4 x 15 centimètres et ne fait que 88 pages. Mais quelle jouissance on éprouve à le lire. Dans ces quelques pages d’une grande intelligence se mêlent humour et réflexion philosophique sur l’altérité (d’une actualité brûlante en Pologne aujourd’hui). Une merveille.

Quelques pages seulement peuvent enthousiasmer et rendre plus intelligent ; bonheur de la lecture.

Je me suis plongé ensuite dans un ‘’pavé’’ : un peu moins de 1300 pages composées dans un petit caractère et plus de 1,2 kg.

Mais là aussi quelle jouissance : Tout Homère est le fruit de la collaboration de deux éditeurs, d’une quinzaine d’érudits qui ont rassemblé les textes, écrits des introductions passionnées et des lexiques qui permettent de mieux pénétrer dans l’œuvre immense d’Homère. Car on y trouve bien sûr L’Iliade (et ses 16000 vers) et L’Odyssée, mais aussi les Poèmes, les Divertissements homériques et les Fragments et Légendes du Cycle troyen.

Comme l’écrit Hélène Monsacré dans l’introduction : « Les savants ne s’y sont pas trompés : la poésie d’Homère a résisté au temps qui passe. » Assurément, quelle beauté au-delà des âges. Le pavé n’est pas du tout indigeste ; il se lit goulument. Il se termine sur les mythes d’Homère, sans que nous sachions encore aujourd’hui qui il était. Mais peu importe, la beauté de ses vers nous transporte.

Ces deux livres, aussi dissemblables soient-ils, sont le résultat d’un travail éditorial de La Contre Allée pour le premier, Albin Michel et Les Belles Lettres pour le second) qui ne recherche pas le best-seller de l’année, mais qui a conservé l’amour des auteurs, des beaux textes plutôt que la recherche du profit. Ces livres-là n’atteindront pas les tirages des Musso ou des Lévy, mais ils sont un bel hommage à la vraie littérature, celle qui élève le lecteur.

Face à la menace des concentrations et de l’appétit d’Amazon et d’autres, de tels éditeurs démontrent qu’il y a encore une place pour oser la qualité et l’intelligence.

Napoléon plutôt que la Commune

Il y a de quoi suffoquer : Emmanuel Macron, ci-devant président d’une République qui orne les frontons de ses lieux publics des beaux mots de Liberté, Egalité, Fraternité, va commémorer le bicentenaire de la mort de Napoléon !

Celui qui s’était lui-même emparé du titre d’empereur des Français, fieffé misogyne, et qui avait rétabli l’esclavage aura droit à un hommage national. Et c’est Macron qui est à la manœuvre pour réécrire notre histoire.

Le porte-parole du gouvernement a cru bon de préciser que Napoléon, décédé le 5 mai 1821 sur l’île de Sainte-Hélène, « est une figure majeure de notre Histoire ».

En revanche, il a été précisé qu’Emmanuel Macron ne participera à aucune des manifestations pour le 150eanniversaire de la Commune.

Comme Roselyne Bachelot, il affiche clairement ses choix et il rejoint cette droite rance que l’évocation du soulèvement du peuple de Paris rend folle.

Evidemment, dans le contexte d’aujourd’hui, rappeler que la Commune avait réquisitionné les logements vides, reconnu l’union libre, instauré l’école laïque et gratuite, mais aussi l’égalité des hommes et des femmes et l’égalité salariale, la santé accessible à tous, la séparation de l’Eglise et de l’Etat et la citoyenneté reconnue à tous les étrangers, effraie tous les réactionnaires. Il faut désormais y ajouter l’actuel président de la République.

Que Macron se mêle à eux est un signe qui ne trompe pas sur la véritable politique de celui qui se prétendait ni de droite, ni de gauche. Il rejoint une fois encore le clan de ceux qui exècrent le peuple, les revendications sociales, le progrès et plus encore l’esprit de la Révolution, dont se réclamait la Commune.

Quoi qu’il fasse et même s’il se tait, Macron ne pourra pas enlever de la mémoire collective les idéaux de la Commune et son imaginaire ouvrier.

Mais honte à lui de ‘’gommer’’ cette page de l’histoire de France, comme un vulgaire révisionniste.

FoxNews française

La ministre de la culture, Roselyne Bachelot, déteste la cérémonie des César, Marina Foïs, Jeanne Balibar et surtout Corinne Masiero, mais ne déteste pas la chaîne Bolloré, CNews, Eric Zemmour, Pascal Praud et Cyril Hanouna.

Les choix de la ministre aculturée, mais très politique (de droite) ont au moins le mérite d’être clairs.

Elle avait osé prétendre après les propos racistes de Zemmour « qu’il ne peut pas y avoir de chaînes dans notre pays qui soient du type de Fox News » ou encore qu’ « il n’y a pas de sortie de clou de la part de CNews. »

Le CSA a osé contredire la ministre (même timidement) en condamnant la chaîne à 200 000 euros d’amende pour« incitation à la haine »et « à la violence »après les propos odieux d’Eric Zemmour sur les jeunes migrants : « Ils n’ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont, il faut les renvoyer et il ne faut même pas qu’ils viennent ».

La publicité ainsi faite à la chaîne va permettre d’engranger plus de rentrées publicitaires que le montant de l’amende. Et, surtout, le CSA ne se risque pas de prendre des mesures plus radicales.

Pourtant, le CSA« a estimé que la maîtrise de l’antenne n’avait pas été assurée, d’autant plus que l’émission a été diffusée en différé et sans modification, ainsi que l’a souligné le comité d’éthique du groupe Canal+ dans son avis rendu le 22 octobre 2020 ».

Dès lors, faut-il rappeler à Mme Bachelot que la chaîne a déjà fait l’objet de plusieurs rappels à l’ordre et d’une lourde condamnation du CSA soit pour des faits similaires d’Eric Zemmour, soit pour des propos homophobes dans l’émission de Cyril Hanouna (3 millions d’euros en 2017).

Eh, bien ! Si, Mme Bachelot : la chaîne CNews est bien la fille aînée de FoxNews.  Avec ses animateurs vedettes et divers chroniqueurs, elle mise sur les relents fascisants pour satisfaire son propriétaire, catholique intégriste, assurer son audience et ses recettes publicitaires. Un copié-collé de FoxNews, dont, ô, horreur, l’audience ne cesse de grimper.

Combien faudra-t-il de condamnations du CSA à l’encontre de la chaîne, combien de condamnations d’Eric Zemmour par les tribunaux pour enfin prendre la seule mesure à la hauteur de ses méfaits ?

Mme Bachelot et le CSA semblent avoir oublié que le racisme n’est pas une opinion (qui peut se discuter sur les chaînes de télévision), mais un délit.

Les pisse-froid (2)

« Madame, Monsieur le Procureur de la République,

Nous avons l’honneur, par la présente, de porter à votre connaissance la potentielle commission d’une infraction délictuelle par Madame Corinne Masiero lors de la 45ecérémonie des César qui s’est déroulée le 12 mars 2021 à la salle de spectacle de l’Olympia dans le 9earrondissement de Paris. Au cours de cette cérémonie retransmise en direct sur la chaîne télévisuelle Canal+, la personne susnommée s’est totalement déshabillée imposant sa nudité, d’une part, au public physiquement présent dans la salle de spectacle et, d’autre part, aux téléspectateurs de l’émission. »

Julien Aubert, auteur de cette lettre, est député du Vaucluse pour les Républicains ; il a été rejoint par 9 autres députés et sénateurs, dont l’inénarrable Valérie Boyer. La bande des pisse-froid du parti de l’ordre appelle de ses vœux l’ouverture d’une procédure à l’encontre de Corinne Masiero. C’est osé et incroyablement immonde.

Les pisse-froid républicains rejoignent ainsi la Ligue pour la vertu qui, en 1933 (et après) aux Etats-Unis, s’était donné pour mission de purifier le cinéma. Leur Ligue 2021 sent un peu le rance ; celle de 1933 avait reçu le soutien du pape Pie XI ; aujourd’hui, il n’est pas sûr que le pape François bénisse leur croisade.

Ces pisse-froid ne supportent pas la nudité quand il s’agit d’un acte militant de dénonciation des conditions sociales ; ce sont d’ailleurs les mêmes qui dénoncent le célèbre tableau de Courbet, L’origine du monde.

Ils sont moins virulents quand il s’agit de dénoncer les prêtres pédophiles, leurs amis harceleurs, les publicités sexistes, les mariages arrangés entre grandes familles. Encore moins quand il faudrait se révolter pour faire échec aux lois liberticides.

Pour exister, ils sont prêts à tout. Y compris à dénoncer ceux qui n’ont plus rien et qui n’ont rien d’autre que leur corps pour lutter.

Car, oui, le corps est aussi une arme de lutte.

Les pisse-froid

Ils maîtrisent mieux le mépris de classe que la connaissance de l’industrie du cinéma ; cela les qualifie pour écrire dans des quotidiens célèbres et de pérorer. Ils étaient bien sûr présents à l’Olympia pour la cérémonie des Césars et ont écrit de longs articles. Hélas.

Pour l’un d’eux « La réouverture des salles de spectacle et des cinémas fut au cœur des allocutions de plusieurs récipiendaires, donnant l’impression un peu agaçante que seuls les professionnels du septième art, prenant l’audience à témoin, avaient souffert de la pandémie. »

Pour un autre, le titre résume tout le reste : « César 2021 : la cérémonie la plus calamiteuse de l’histoire ? » (Avec un point d’interrogation quand même) Mais l’introduction efface l’interrogation : « Entre tribunes politiques tous azimuts et blagues douteuses, la 46eédition de la prestigieuse cérémonie a oublié l’essentiel, de parler de cinéma. »

Un autre s’est caché derrière un pseudonyme pour éructer sur Twitter : « Soirée des Césars : vulgarité, chiant, discours politisé, humour nul, soirée ratée. Bref un meeting de la France Insoumise qui fait que je ne mettrai plus un pied dans une salle de cinéma. »

Ces gens-là sont les pisse-froid du journalisme de salon, des dîners du Siècle, des dîners en ville ou de la proximité avec la bien-pensance.

Les pisse-froid suintent le mépris pour tout ce qui n’est pas conformiste ; certains n’hésitent même pas à cultiver le racisme ambiant, le sexisme et l’homophobie. En revanche, ils n’ont jamais un mot pour dénoncer les prêtres pédophiles ou les puissants harceleurs. La nudité de Corinne Masiero les a choqué, alors que l’ex-SDF a envoyé le message le plus insolent pour être le plus fort à une ministre de la culture aux ordres du libéralisme ; celle qui incarne le capitaine Marleau a asséné que la culture est essentielle, violemment, crûment, que la culture doit parfois choquer pour éveiller les consciences.

Les pisse-froid n’ont pas entendu les mêmes discours sur le cinéma que ceux que j’ai sans doute cru entendre. N’ont-ils pas entendu l’écrivain Pierre Lemaître dire : « Une adaptation au cinéma, ce n’est pas la version imagée d’un livre, c’est une œuvre originale, qui s’inspire d’une autre œuvre, originale. C’est le résultat d’un dialogue entre deux créateurs, dont aucun ne doit sortir vainqueur.L’adaptation réussie, c’est comme un livre, relu par une caméra : tout le monde comprend l’histoire, grâce à un autre regard. Une adaptation ratée, c’est… c’est comme des cinémas fermés pendant des mois, en face d’agences bancaires ouvertes tous les jours. Là aussi, tout le monde comprend l’histoire, à savoir qu’on s’est fait niquer dans les grandes largeurs. »

Pierre Lemaître, écrivain reconnu et homme de culture, lui, a osé utiliser un mot grossier. C’en était trop pour les pisse-froid.

Malaise dans les rédactions

Les journalistes du Parisien, de Paris Match, de Ouest-France et de France 3 Ile-de-France et France 3 Bourgogne-Franche-Comté viennent, en quelques jours, de s’indigner du traitement de l’information dans leurs rédactions respectives par voie de communiqués.

Le malaise est si profond qu’ils ont éprouvé le besoin de l’exprimer en mettant en cause leurs hiérarchies.

Pour les journalistes du Parisien, de Paris Match et de Ouest-France, ce sont les éditoriaux des directeurs de l’information après la condamnation de Nicolas Sarkozy pour corruption et trafic d’influence qui a provoqué leur indignation. Ceux du Parisien reprochent à Jean-Michel Salvator d’exprimer une opinion personnelle, ceux de Paris Match reprochent à Hervé Gattegno d’engager toute une rédaction et de faire du magazine un journal d’opinion. Quant à ceux de Ouest-France, ils reprochent à leur dirigeante, Jeanne Emmanuelle Hutin (fille de François Régis Hutin, le patron du quotidien décédé en 2017, et pompeusement nommée directrice de la recherche éditoriale) un traitement partisan. Et tous, ensemble, de rappeler les règles fondamentales de la presse d’information, le pluralisme et le respect de toutes les opinions. Unanimement, les directeurs de rédaction s’étaient offusqués de la sévérité de la peine infligée à l’ex-président de la République en blâment les juges.

Les journalistes de la rédaction de France 3 Ile-de-France dénoncent, eux, « l’épidémie de micros-trottoirs » ; « c’est devenu systématique, écrivent-ils, après chaque conférence de presse, annonce du gouvernement, déclaration de la mairie de Paris ou polémique (souvent imaginaire). » Leurs collègues de Bourgogne-Franche-Comté ont, eux, dénoncé l’intervention du préfet de Haute-Saône pour les contraindre à suivre le déplacement de Bruno Le Maire à Vesoul et à inviter le ministre dans le journal télévisé.

Le réveil des rédactions est douloureux. Les journalistes découvrent l’utilisation de plus en plus partisane de leurs médias.

L’information est malade en France. C’est ce que j’analyse dans mon livre, ‘’Journalistes, brisez vos menottes de l’esprit’’, qui sortira dans les prochains jours et dans lequel j’appelle la profession, avec d’autres salariés et d’autres citoyens, à se libérer pour donner à lire, à entendre et à voir une information citoyenne. Mais vraiment citoyenne.

Le cinéma selon Scorsese

Martin Scorsese est le réalisateur américain le plus important de l’époque actuelle. S’il est né à New York, il n’a jamais oublié son ascendance sicilienne, catholique fervente, qui a marqué toute son œuvre immense.

Il a une relation étroite avec le cinéma italien, celui de Fellini en particulier, mais aussi celui des Rossellini, Visconti, De Sica, Antonioni, Bertolucci, c’est-à-dire de son âge d’or. Il parle de leurs œuvres avec un enthousiasme débordant ; il vient de publier un article admirable d’intelligence dans la revue américaine Harper’s Magazine, rendant hommage à ses pairs : « Ces artistes, écrit-il,étaient constamment aux prises avec la question ‘’Qu’est-ce que le cinéma ? »

Scorsese est inquiet de l’évolution du 7eart, en raison, notamment, de l’influence que font peser les plateformes. Il n’élude rien ; même si ses derniers films ont été produits par Netflix.

Il écrit encore que « l’art du cinéma est systématiquement dévalorisé, mis à l’écart, rabaissé et réduit à son plus petit dénominateur commun, le «contenu». Il y a 15 ans à peine, le terme «contenu» n’était entendu que lorsque les gens discutaient sérieusement du cinéma, et il était mis en contraste et mesuré par rapport à la «forme». Puis, peu à peu, il a été de plus en plus utilisé par les personnes qui ont repris les entreprises de médias, dont la plupart ne connaissaient rien de l’histoire de la forme d’art, ou même assez soucieux de penser qu’ils le devraient. «Contenu» est devenu un terme commercial pour toutes les images en mouvement: un film de David Lean, une vidéo de chat, une publicité du Super Bowl, une suite de super-héros, un épisode de série. Il est lié, bien sûr, non pas à l’expérience théâtrale mais au visionnage à domicile, sur les plateformes de streaming qui sont venues dépasser l’expérience cinématographique, tout comme Amazon a dépassé les magasins physiques. D’une part, cela a été bon pour les cinéastes, moi y compris. D’un autre côté, cela a créé une situation dans laquelle tout est présenté au spectateur sur un pied d’égalité, ce qui semble démocratique mais ne l’est pas. Si une vision plus approfondie est «suggérée» par des algorithmes basés sur ce que vous avez déjà vu, et que les suggestions sont basées uniquement sur le sujet ou le genre, alors qu’est-ce que cela fait à l’art du cinéma? »

Après avoir rendu un hommage appuyé à son ami Fellini (« On peut dire beaucoup de choses sur les films de Fellini, mais il est une chose incontestable : c’est du cinéma. Le travail de Fellini contribue largement à définir la forme d’art. »), il lance un appel en direction des plateformes : « nous devons faire comprendre aux propriétaires légaux actuels de ces films qu’ils représentent bien plus que de simples biens à exploiter puis à enfermer. Ils font partie des plus grands trésors de notre culture et doivent être traités en conséquence. »

Pour ces lignes, nous devons un profond respect à Martin Scorsese.

Femmes et hommes ensemble

Journée internationale des femmes (ONU) ? Journée internationale des droits des femmes (gouvernement) ?

Le 8 mars, ce n’est ni l’un, ni l’autre. Ce jour-là est une date symbolique, certes, mais c’est avant tout une journée de lutte, donc d’action, pour les droits des femmes ; journée de lutte qui en appelle d’autres tant les droits des femmes sont encore loin d’être reconnus, à l’école, au travail, dans la famille, dans le vie politique.

Il est donc essentiel de rappeler que cette journée a été lancée aux Etats-Unis en 1909 par le Parti socialiste d’Amérique. Puis, en 1910 à Copenhague, Clara Zetkin du Parti social-démocrate d’Allemagne, fit adopter une journée internationale des femmes à l’occasion de la IIe conférence internationale des femmes socialistes.

Ensuite, la Deuxième Internationale adopta une résolution selon laquelle « les femmes socialistes de tous les pays devraient l’organiser en collaboration avec les organisations politiques et syndicales ». Les revendications des femmes socialistes ont encore des résonnances aujourd’hui : droit de vote, droit au travail et fin des discriminations au travail, refus du harcèlement, etc.

Plus d’un siècle plus tard, on mesure le chemin restant à parcourir pour que la moitié de l’humanité obtienne les mêmes droits que l’autre moitié.

La journée va être ponctuée par de nombreuses déclarations des hommes de pouvoir (politique et économique), la main sur le cœur pour dire toute leur détermination à remédier à la situation actuelle des femmes. Mais, nous savons d’expérience, que demain sera un autre jour et que les droits des femmes seront promis pour demain ou après-demain.

Tous les progressistes sont concernés par la symbolique de cette journée du 8 mars, une journée d’origine socialiste et progressiste que les capitalistes et néo-libéraux combattent au quotidien.

Alors, c’est tous ensemble, hommes et femmes, dans les luttes et les actions au quotidien que les droits des femmes seront conquis.

L’exemple de Rodez

La liste des suppressions d’emplois s’allonge inexorablement, chaque jour. Les médias ne parlent que des plans dits sociaux les plus importants, faute de recenser la liste des artisans, commerçants, paysans contraints d’arrêter leurs activités.

Triste spectacle de désolation !

La pandémie est mise à contribution pour justifier l’injustifiable, c’est-à-dire pour les plus importantes entreprises le maintien des dividendes à un niveau indécent ; les salariés étant de plus en plus la variable d’ajustement.

Dernière catastrophe annoncée, la suppression de 750 des 1700 emplois dans l’usine Robert Bosch de Rodez.

Pour la ville de Pierre Soulages (25 000 habitants et 50 000 dans l’agglomération) à moins de 150 kilomètres de Toulouse, il s’agit de la mort annoncée du plus gros employeur industriel du département de l’Aveyron. Il y a fort à parier que le gouvernement français a fait pression sur le groupe pour ne pas annoncer la fermeture d’un site où le candidat Emmanuel Macron s’était rendu en 2017 ; qu’en sera-t-il après l’élection présidentielle de 2022 ?

Le cas de Bosch à Rodez est exemplaire. Le groupe Bosch est géré par une fondation et ne distribue pas de dividendes, seuls les membres de la famille, héritiers du fondateur Robert Bosch, touchent une part infime des bénéfices sous forme de rente.

Les bénéfices sont reversés à la fondation après que les dirigeants aient évalué les sommes nécessaires aux investissements et à la recherche et développement.

Ces mêmes dirigeants tentent de justifier leur décision à Rodez en raison de la spécialisation de l’usine qui produit exclusivement des composants pour moteur diesel (bougies de préchauffage et injecteur, notamment). L’argument est un peu court ; en effet, l’abandon des moteurs diesel est en question depuis plusieurs années et Bosch n’a pas pris la peine d’orienter la production vers d’autres produits.

Si Bosch ne verse pas de dividendes, un capitaliste reste un capitaliste, qu’il soit Allemand, Français ou Américain. L’usine ne répond plus à son marché : on ferme.

Pauvres salariés de Bosch à Rodez, où retrouveront-ils du travail dans une région qui souffre de la récession dans l’aéronautique ? Pauvre commune de Rodez qui va voir partir sa plus grosse usine. Pauvres commerçants qui vont baisser le rideau faute de clients. Le musée Soulages ne suffira pas à éviter la désertification de la ville.

On attend une réaction du Haut-commissaire au plan, François Bayrou : que fait-il pour relancer l’industrialisation de la France ? 

Terrible passé colonial

Il a fallu vingt ans pour que la France reconnaisse que l’avocat et militant nationaliste algérien Ali Boumendjel a été assassiné le 23 mars 1957. Vingt ans après l’aveu du général tortionnaire Paul Aussaresses reconnaissant son implication dans ce meurtre, maquillé et déclaré comme un suicide.

La France des Lumières ne sera jamais celle de celui qui se faisait appeler le commandant O, qui a pratiqué la torture sans regrets, ni remords.

Certes, Emmanuel Macron a été celui qui a osé reconnaître officiellement cette triste page de l’histoire coloniale de la France (après avoir également reconnu le meurtre de Maurice Audin trois mois plus tard, le 21 juin 1957). Mais le communiqué de l’Elysée aurait mérité d’aller plus loin. Dire que : « Au cœur de la Bataille d’Alger, il fut arrêté par l’armée française, placé au secret, torturé, puis assassiné le 23 mars 1957. », n’est pas à la hauteur de faits avérés depuis des décennies. L’aveu est trop timide. Macron ne veut pas effrayer les partisans de l’Algérie française (il y en a encore) et la droite revancharde. On se demande pourquoi.

D’autres Algériens assassinés par les militaires français attendent d’autres aveux ; pourquoi cette politique des petits pas ?

Macron a ajouté que le travail de vérité « sera prolongé et approfondi au cours des prochains mois. »  On sent comme un malaise, ressenti aussi par les historiens qui se heurtent à des tracasseries pour avoir accès aux archives.

La vérité historique finira pas éclater ; mais elle gêne encore dans un contexte où l’autre, quel qu’il soit, est présenté comme un délinquant, où être Arabe est encore un obstacle dans la vie quotidienne pour de nombreux citoyens.

On attend la suite avec impatience. Il faut reconnaître toutes les exactions commises au nom de la France dans des terres qui n’étaient pas les siennes.

Khashoggi et Mumia

Joe Biden, dit La tribune, « bouscule déjà les équilibres des alliances régionales et redessine la stratégie des Etats-Unis au Moyen Orient. Le président américain s’attaque désormais à l’affaire Khashoggi en mettant directement en cause le prince héritier Mohammed ben Salmane dans ce meurtre. »

Biden, donc, a permis de rendre public un rapport de la CIA sans ambiguïté, dans lequel on peut lire : « Nous estimons que le prince héritier d’Arabie saoudite Muhammad bin Salman a approuvé une opération à Istanbul, en Turquie, pour capturer ou tuer le journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Nous basons cette évaluation sur le contrôle du prince héritier sur la prise de décision dans le royaume depuis 2017, l’implication directe d’un conseiller clé et des membres du service de protection de Muhammad bin Salman dans l’opération, et le soutien du prince héritier à l’utilisation de mesures violentes pour faire taire les dissidents à l’étranger, y compris Khashoggi. Depuis 2017, le prince héritier exerce un contrôle absolu sur les organisations de sécurité et de renseignement du Royaume, ce qui rend hautement improbable que des responsables saoudiens aient mené une opération de cette nature sans l’autorisation du prince héritier. »

Le rapport, très court, précise cependant que l’équipe chargée de l’élimination de Khashoggi était dirigée par Saud al-Qahtani, « un proche conseiller de Muhammad bin Salman, qui a déclaré publiquement à la mi-2018 qu’il n’avait pas pris de décisions sans l’approbation du prince héritier. » Puis, il révèle les noms des personnes impliquées, soit « sept membres du service de protection individuelle d’élite de Muhammad bin Salman, connu sous le nom de Force d’intervention rapide (RIF). Le RIF – un sous-ensemble de la Garde royale saoudienne – existe pour défendre le prince héritier, ne répond qu’à lui et avait directement participé à des opérations antérieures de répression des dissidents dans le Royaume et à l’étranger sous la direction du prince héritier. Nous jugeons que les membres du RIF n’auraient pas participé à l’opération contre Khashoggi sans l’approbation de Muhammad bin Salman. »

On appréciera le geste de Joe Biden ; on regrettera cependant qu’aucune sanction ne soit prise à l’encontre du prince héritier qui a du sang sur les mains. En revanche, on appréciera moins l’attitude du président américain qui n’a pas encore cru bon de faire un geste en direction de quelques prisonniers qui croupissent dans les gêoles et sont actuellement en danger. C’est le cas de Mumia Abu Jamal, qui clame son innocence depuis 40 ans, dont 30 passés dans le couloir de la mort.

Mumia aurait été contaminé par le Covid19 dans sa prison de Mahanoy (Pennsylvanie) et, compte tenu de son âge 67 ans), on craint le pire.

Biden rest silencieux alors qu’un journaliste américain a dénoncé l’utilisaiton de la pandémie par les autorités comme une forme « d’exécution silencieuse ».

Si Biden veut vraiment faire oublier les années Trump, il doit aussi agir pour les victimes d’une justice raciste qui sévit encore dans certains états de l’Union.

Mumia vaut bien Khashoggi !

Poudre sèche

Bruno Le Maire a semble-t-il l’écriture facile, à défaut d’être brillante. En 2016, candidat à la primaire de la droite, il avait sorti un programme de 1000 pages (que personne n’avait lu). On en veut pour preuve le résultat inversement proportionnel à l’épaisseur du volumineux document : arrivé en 5eposition, il n’avait récolté que 2,4 % des votes. Cela ne l’avait pas empêché d’être nommé ministre par Emmanuel Macron, lequel n’avait sans doute pas lu le programme de son ministre de l’économie, des finances et de la relance.

A propos de relance, notre ministre ‘’pisse-copie’’ a des idées saugrenues ; il proclame vouloir inciter les Français à dépenser leur épargne, c’est-à-dire tout cet argent non dépensé pour cause de confinement, de restrictions de déplacement, de télétravail, etc.

Notre ministre va donc imaginer des dispositifs incitatifs ; on doute du résultat. Les Français sont inquiets pour leur avenir et pour celui de leurs enfants et ce ne sont pas les exhortations de Bruno Le Maire qui vont éloigner les peurs du chômage et du lendemain.

Bruno Le Maire cherche de l’argent pour faire face aux échéances quand les caisses de l’Etat ont été désespérément vidées par les somptuaires ‘’aides aux entreprises’’. Mais que ne regarde-t-il pas du côté des riches ?

On apprend aujourd’hui que le capital en stock des fonds d’investissement a atteint un niveau record en 2020 dans le monde avec 2900 milliards de dollars. Le Monde annonce sans forfanterie : « Buffett ne sait plus quoi faire de son argent » ; le milliardaire américain (90 ans) aurait, lui, une « trésorerie, qui atteint tout de même 138 milliards de dollars, totalement liquide, mobilisable rapidement en cas de besoin ». On peut imaginer sans trop se tromper que les fortunes françaises, à l’image de celle de Bernard Arnault, ont, elles aussi, des trésoreries conséquentes totalement liquides et mobilisables rapidement.

Cet argent que les capitalistes appellent la ‘’poudre sèche’’ est immédiatement disponibles pour soulager les Français qui souffrent. Pourquoi donc Bruno Le Maire n’y puiserait-il pas ? Les sommes sont bien plus importantes que l’épargne des salariés inquiets ?

Mais, pour Bruno Le Maire, faire payer les riches n’est sans doute qu’un slogan d’islamo-gauchistes ou de syndicalistes aigris et idéologues. En gros de la poudre aux yeux. A ne pas confondre avec la poudre sèche.