Les nouveaux chiens de garde :

Ne bougent pas de leurs bureaux (sinon pour multiplier les apparitions sur d’autres médias ou dans les séminaires d’entreprises, les « ménages », grassement payés) mais ils participent aux dîners du Siècle et à toutes les agapes organisées par les patrons du CAC 40 (c’est fou ce qu’on adore les « dîners en ville » chez les directeurs de direction) ;

Ne partent jamais en reportage, mais envoient des « soutiers », jeunes et bardés de diplômes, faire des « plateaux » les pieds dans l’eau à chaque inondation ou des radios-trottoirs sur les aires d’autoroutes à chaque départ en vacances ;

Ne revendiquent pas des moyens rédactionnels adaptés aux besoins réels mais mettent en œuvre des plans d’économies imposés par leurs patrons ;

Ne tentent pas d’améliorer la qualité rédactionnelle en privilégiant la réflexion collective mais initient les synergies entre tous les médias ;

Ne sont pas chauvins (ils s’en défendent la main sur le cœur) mais multiplient les commentaires franchouillards, voire racistes ;

N’ont pas d’a priori, mais se jettent sur tous les néologismes comme le burkini (qu’ils n’ont jamais vu) ;

Ne parlent pas de réfugiés mais d’immigrés, voire d’immigrés économiques, pour justifier toutes les mesures visant à renforcer les frontières ;

Ne parlent que de liberté de l’information ou de pluralisme, mais ignorent les économistes atterrés, les politiques alternatives, les syndicats combatifs, bref les opposants au libéralisme ;

Ne peuvent plus se permettre de mobiliser les journalistes sur des enquêtes au long cours, disent-ils, mais privilégient les commentaires sur les petites phrases de leurs amis des soirées mondaines ;

Ne sont pas partisans (ils sont aussi serviles envers Hollande qu’avec Sarkozy), mais font campagne pour le traité de Maastricht (hier) et contre les manifestants dénonçant le recul des retraites ou la loi travail (aujourd’hui) ;

Ne s’offusquent pas de la précarité (c’est très tendance et ce serait un signe de modernité des relations du travail). Donc, ils n’ont aucun scrupule à employer de plus en plus de pigistes, taillables et corvéables à merci ;

N’ont de cesse de dénoncer les privilèges des salariés, mais ne parlent jamais des aides à la presse dont leurs médias sont gavés et se gardent de dénoncer les lois Macron, le CICE et autres avantages fiscaux accordés généreusement par Sarkozy et Hollande ;

Ne quittent pas leur bureau (sauf pour répondre aux invitations de leurs amis du CAC 40), mais estiment normal de bénéficier de frais de représentation somptuaires ;

Ne respectent aucun des principes professionnels (notamment la hiérarchisation de l’information) pour privilégier le sensationnel et l’émotionnel, mais n’hésitent pas à s’ériger en grands penseurs de la déontologie. Ils mêlent tout, Macron et Kim Kardashian, les bébés tortues de Saint-Aygulf et le cerf qui brame tôt le matin, la météo et la fashion week, plutôt que les réfugiés qui ont péri au large de la Libye ou entre les côtes grecques et turques, les millions de chômeurs et les précaires, etc.

Pendant ce temps-là, les journalistes de base, les soutiers :

Sont invités à travailler aussi pour alimenter site Internet, blog et compte Twitter, accroissant ainsi leurs tâches quotidiennes ;

Sont invités à faire des photos ou à solliciter des clichés gratuits (sans supplément de salaire et sans formation) ;

Sont sommés (dans la presse écrite) de rapporter aussi des séquences audiovisuelles pour le site ;

Sont envoyés (dans l’audiovisuel) sur le terrain pour tourner des séquences alimentant un reportage monté par les sbires des chiens de garde ;

Sont priés de rapporter des interviews dont le contenu a été déterminé par des petits chefs aux ordres, même si, sur le terrain, la réalité est apparue très différente ;

Sont exclus des conférences de rédaction réservées à la hiérarchie, celle qui ne va jamais sur le terrain ;

Se voient dénier tout esprit critique puisque les chiens de garde, eux, ont des réponses à tout et savent ce qu’attend le « client » et ce qui fera le « buzz » (qu’il n’y a pas si longtemps on appelait scoop, mais le vocabulaire évolue, à défaut des méthodes du traitement de l’information) ;

Sont de plus en plus souvent des précaires, invités à prendre le statut d’auto-entrepreneur et/ou à abandonner leurs droits d’auteurs, sous peine, en cas de refus, de perdre leurs collaborations ;

Sont traités d’emmerdeurs quand ils osent se syndiquer ou réclamer une augmentation de salaires, revendiquer de meilleures conditions de travail ou une meilleure rémunération pour leurs piges ;

Sont sommés de rechercher les voyages gratuits offerts par les entreprises, les politiques et les diverses institutions, sous peine, en cas de refus, de ne pas avoir le feu vert pour réaliser un reportage.

Liste (non exhaustive) des procédés mis en place dans les rédactions aboutissant à un encadrement de l’information, nouvelle forme de la censure ; la censure d’aujourd’hui !

Rédigé en 2016 et non publié