La Chouette qui hioque

Mois : novembre 2019

Presse au futur, vraiment ?

La plus grande confusion règne dans tous les esprits ; les pertes de repères sont ahurissantes dans le nouveau monde. Et seuls les ultra-riches semblent surnager.

Dans le cadre du salon Presse au futur, organisé pour la 13e fois par une agence de communication, Dotevents, les patrons de toutes les formes de presse écrite ont élu Daniel Kretinsky ‘’éditeur de l’année’’ et le trophée (les organisateurs n’ont pas peur des mots pompeux) lui a été remis au cours d’une soirée organisée à l’UNESCO.

Comment une telle ineptie est-elle possible ? Comment décerner un ‘’trophée’’ à un milliardaire le titre d’éditeur de l’année, alors qu’il s’est contenté de racheter des titres de presse magazine et de s’inviter au capital du Monde grâce à une fortune (la 5e de la République tchèque) amassée dans le commerce de l’énergie pas nécessairement renouvelable (il même racheté deux centrales à charbon destinées à la fermeture !). Les rédacteurs du Programme national de la Résistance sont outragés. Une fois encore. Pour les journalistes c’est une provocation ; une de trop.

L’éditeur de l’année était en concurrence avec trois autres patrons, dont Gabriel d’Harcourt, de la Voix du Nord, qui s’est distingué par son courageux combat contre le Front national (désormais Rassemblement national). Entre le fric et le combat contre le racisme et l’intolérance, les patrons de presse ont choisi. Leur choix est symptomatique de leurs priorités éditoriales. Les dollars et les magnats les font toujours saliver d’envie.

Le texte de présentation de Daniel Kretinsky par Dotevents trahit d’ailleurs l’éblouissement de ceux qui contrôlent la presse écrite :

« D’origine tchèque, il est devenu, en quelques années, la cinquième fortune du pays. En 2018, il décide d’investir dans la presse française et rachète la plupart des titres magazines du groupe Lagardère (Elle, Télé 7 jours, Version Femina, France Dimanche…) puis l’hebdomadaire Marianne et devient, en octobre 2018 et courant 2019, actionnaire prépondérant du Monde, pour, dit-il, assurer un engagement citoyen et lutter contre les GAFA. Il s’assure alors les services de Denis Olivennes, auparavant directeur général du groupe Lagardère, fin connaisseur du marché du magazine, pour coordonner la stratégie des neuf magazines qu’il détient (hors Le Monde). »

Chez les patrons, on a les hérauts du libéralisme qu’on peut !

Quant à l’UNESCO, elle s’est, elle aussi, fourvoyée dans une opération qui doit faire rougir de honte les prédécesseurs de la directrice générale, Audrey Azoulay. Doit-on rappeler qu’elle a été ministre de la culture et de la communication (et membre du Parti socialiste) d’un président de la République qui avait osé dire un jour d’égarement sans doute que la finance était son principal adversaire.

Daniel Kretinsky, lui, doit savourer l’hommage qui lui est rendu. Drahi, Arnault, Bolloré, Dassault, Pinault, Niel peuvent postuler l’an prochain. La Presse au futur, c’est eux ? On en reparlera.

Chef d’oeuvre

Ladj Ly n’a pas appris le cinéma dans une école, certes, mais il l’a appris avec sa caméra, dans sa ville de Montfermeil, dans son territoire et avec ses tripes. Avec ses copains de Kourtrajmé à Montreuil. Et il a réalisé un chef d’œuvre en forme de coup de poing en filmant dans sa ville, dans son territoire et même dans la cage d’escalier où il a vécu. Il a écrit et filmé avec ses tripes (mais pas seulement, car les Misérables est le film le plus intelligent qui a été réalisé sur les banlieues).

Alors, évidemment, « ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement ». Ladj Ly a fait son apprentissage en réalisant des documentaires, des ‘’brouillons’’ en quelques sorte de ses Misérables et quand il est passé au long métrage, il maîtrisait parfaitement son sujet.

On ne sait pas ce qu’une école de cinéma lui aurait appris de plus !

Les Misérables, le film, est donc un chef d’œuvre, mais aussi et surtout un acte d’accusation. Dans sa ville, dans sa cité, l’Etat est absent, la mairie est absente, les services publics sont absents et les derniers à rester sont les policiers. Alors, on se débrouille ; on règle les questions à coup d’arrangements.

On ne sort pas indemne de la projection des Misérables, mais nullement abattus : si la situation est dramatique, il reste un espoir. Ladj Ly termine son film par une citation tirée du chef d’œuvre de Victor Hugo, Les Misérables (il a de bonnes références et il s’en sert admirablement), « Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs. »

Les Misérables est un film qui innove par sa façon de dire la réalité ; il est aussi novateur que le Graine de violence de Richard Brooks (sorti en 1955), aussi engagé, aussi militant, aussi dénonciateur, aussi intelligent.

Dans Graine de violence, un flic dit : « Ces gosses sont à l’image du monde, perdus, méfiants, effrayés » ; ceux des Misérables ne disent pas autre chose, sauf que eux aussi sont perdus, abandonnés et seuls pour mettre un couvercle sur une marmite prête à exploser, résultat d’un néolibéralisme qui oublie les pauvres et les étouffe. Ladj Ly dépeint la misère de ces territoires abandonnés, de ces gosses dont les présidents, députés et élus se soucient moins que des dividendes du CAC 40. De ces gosses victimes des bavures commises par des flics qui ne savent plus que terroriser les pauvres et ceux qui osent se rebeller contre les humiliations imposées par la financiarisation de la société des riches.

Contrairement aux précédents films sur les banlieues, Les Misérables ne caricature pas, il dit la réalité. Mais en prenant de la hauteur, avec finesse et intelligence (au risque de se répéter).

Les Misérables, un chef d’oeuvre. Vraiment.

De la réalité migratoire

Patrick Boucheron, historien et professeur au Collège de France, a une longue et impressionnante production littéraire derrière lui qui fait autorité. Dont l’étonnante et volumineuse ‘’Histoire mondiale de la France’’ (2017).

Il avait été chargé de rédiger un rapport par le Musée national d’histoire de l’immigration revoir la présentation de son exposition permanente ; rendu l’an dernier, ce rapport fait aujourd’hui l’objet d’une publication sous le titre ‘’Faire musée d’une histoire commune. Rapport de préfiguration de la nouvelle exposition du Musée national d’histoire de l’immigration’’ (Seuil, 544 pages, 25 euros).

Il a donné une interview à L’Humanité Dimanche dans laquelle on peut lire à propos de ce qu’il nomme la « dégradation de la parole publique » :

« L’écart est vertigineux entre l’excitation politique, médiatique et législative sur l’immigration – avec depuis quelques décennies une loi tous les deux ans en moyenne – et sa réalité démographique, qui n’est pas étale, mais qui est relativement stable, comme l’a montré François Héran : il y a bon an, mal an, depuis 2000, 200 000 titres de séjour nouveaux délivrés par an à des étrangers en France. Or, cette exacerbation des discours politiques se fait au nom des ‘’réalités’’, qu’en tant que chercheurs, taxés régulièrement de ‘’belles âmes’’ agissant au nom de ‘’beaux principes’’, nous ne verrions pas. La parole et l’action politiques sont tout entières consacrées à répondre à un ‘’déferlement’’ qui nous ‘’submerge’’ depuis la ‘’crise migratoire’’ de 2015. Aucun démographe ne pourrait trouver un seul chiffre susceptible d’appuyer une telle affirmation (…) Face à cela, à la gravité des temps, dont les questions d’immigration constituent l’un des dossiers critiques, nous avons choisi de protester avec un calme scrupuleux, en suivant, en tant qu’historiennes et historiens de métier, les règles de notre méthode. »

Plus avant dans l’interview, à propos de la nouvelle politique migratoire adoptée en 1974, Patrick Boucheron fait une révélation :

« La décision prise en 1974 de ‘’suspendre l’introduction de travailleurs immigrés’’ n’est en fait pas motivée par la ‘’situation du marché du travail’’, qui est la justification présentée à la communauté nationale. Dans des notes internes, les arguments du secrétaire d’Etat aux travailleurs immigrés sont les déséquilibres démographiques avec le tiers-monde et la crainte d’un ‘’nouveau Mais 68’’ du fait d’une mobilisation croissante des travailleurs immigrés (…) En décidant de ‘’suspendre’’ l’immigration alors que celle-ci ne s’arrête pas, on crée des clandestins. L’Etat français accepte de décrocher la réalité juridique de la réalité migratoire. A partir de là, le discours politique est sciemment décroché du réel. »

Il serait opportun de rappeler ces faits aux hommes politiques d’aujourd’hui (mais aussi aux citoyens) et à leurs relais médiatiques. Serait-ce déshonorant pour les journalistes de faire référence aux travaux des historiens plutôt qu’aux discours des politiques ? 

Certaines chaînes d’information en continu, entre autres, y gagneraient en crédibilité et feraient ainsi preuve de l’indépendance dont elles se vantent mais qu’elles n’ont pas.

Formatage télévisé

Un petit billet paru sur le site de Télérama sous la plume (ou plutôt sur le clavier) de Richard Sénéjoux m’a interloqué. Il est suffisamment bref pour pouvoir être reproduit intégralement :

« Le Monde selon MonsantoTorture made in USAEscadrons de la mort, l’école française Voleurs d’yeux (prix Albert-Londres 1995)… Marie-Monique Robin est l’une des grandes signatures de l’investigation en France. Son dernier film, Nouvelle Cordée, qui sort en salles ce 20 novembre, s’intéresse à l’expérience originale menée dans plusieurs villes françaises pour ramener vers l’emploi des chômeurs de longue durée. Elle revient sur la genèse de ce « documentaire d’investigation sur un nouveau modèle économique », dont une version télé a été diffusée en mars dernier dans Zone interdite, sur M6, après avoir été refusée par… Envoyé spécial (France 2). « On nous demandait de préciser ce qu’est le RSA, de dire dans le commentaire qu’Untel est alcoolique alors qu’il le dit juste après face caméra […]. Cela me posait des problèmes d’éthique : je n’ai pas filmé ces gens, obtenu leur confiance pour ensuite les caricaturer, outrer tel ou tel trait, créer une fausse dramaturgie, bref les instrumentaliser au nom de l’audience. »

Que lis-je ? Le magazine de la rédaction de France 2 serait formaté ? Il ne respecterait pas les œuvres de ‘’fournisseurs extérieurs’’ et a fortiori les œuvres de journalistes aussi chevronnés que Marie-Monique Robin ?

Les gesticulations d’Elise Lucet dans l’émission Cash investigation m’avaient déjà interpellé ; aujourd’hui, Marie-Monique Robin témoigne de la dérive du service public vers la course à l’audience, laquelle permet toutes les instrumentalisations.

Hélas, trois fois hélas, la société du spectacle règne jusque dans les rédactions du service public au mépris des auteurs et des personnages interviewés.

Il est curieux que le magazine Envoyé spécial ait pu refuser un tel documentaire qui n’a pas suscité les mêmes réserves de la part de M6.

Dorénavant, je ne pourrai plus regarder Envoyé spécial avec les mêmes yeux. Un contrat de confiance a été déchiré. Merci à Richard Sénéjoux d’avoir alerté les téléspectateurs.

Tout ça va mal finir

La France a un président beau, intelligent, qui sait tout, qui veut tout réformer, mais qui ne connaît pas la vie des habitants des quartiers de banlieue.

Le Journal du dimanche, l’une des dernières publications de Lagardère, a rapporté qu’Emmanuel Macron a été impressionné par le film Les Misérables de Ladj Ly, qu’il a visionné récemment. Selon le journal quasi officiel de la macronie, le président aurait demandé à son gouvernement de trouver au plus vite des idées et d’agir pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers.

Il a fallu un film pour ‘’impressionner’’ un président plus habitué à côtoyer les beaux quartiers et les riches que les grands ensembles et les pauvres ; ceux-ci étaient au gré des humeurs des fainéants, des gens qui n’ont rien, d’autres qui ne veulent pas traverser la rue, des analphabètes, pour lesquels on dépense un pognon de dingue. Bref, des sous-citoyens qui ne votent pas ou se retournent vers l’extrême droite. Sans intérêt, donc.

Il aura fallu des images de fiction pour ouvrir les yeux du président ? Doit-on lui rappeler que, il y a peu, il avait demandé un rapport à un ex-proche, Jean-Louis Borloo sur le même sujet, à savoir un plan de bataille pour les quartiers défavorisés de banlieue, victimes de sa politique dite libérale et que, le rapport avait été méprisé par le président à l’Elysée devant son auteur, resté coi devant un tel accueil ? Macron avait osé dire que les plans, ça ne marche pas et sont l’idée de ‘’mâle blanc’’. Après un tel désaveu public et sans retenue, Borloo lâchera :

“Je suis écœuré… Écœuré… Macron n’a rien compris. C’est un petit mec. Il ne sait pas que l’histoire est tragique. Tout ça va mal finir” ». 

Alors, aujourd’hui, qui peut croire à la conversion de Macron ? Personne, à l’exception du Journal du dimanche.

Tics de langage

La langue française est une langue bien vivante ; en recul ? Pas si sûr. 

On peut regretter néanmoins l’utilisation abusive et trop systématique de mots ou d’expressions empruntées à l’anglais.

Plus grave que le parler franglish (pour faire moderne et branché, paraît-il), certains tics de langage sont insupportables.

Il suffit d’écouter une conversation pour en déceler quelques-uns. Comme l’utilisation permanente de voilà. Les utilisateurs ont oublié l’étymologie de l’adverbe (composé de l’indicatif voi, une forme ancienne de vois, impératif du verbe voir et de l’adverbe là) et son sens ; selon l’Académie française, voilà est un présentatif servant à désigner ce qui est proche ou à venir et « il convient de ne pas en faire une forme d’adverbe de phrase servant à introduire ce que l’on va dire ou à signaler que l’on n’a rien à ajouter. »

D’autres mots ont surgi dans les conversations comme effectivement, un autre adverbe qui ne doit s’employer que pour confirmer une affirmation. Comme en fait, une locution adverbiale qui signifie réellement, vraiment, mais qui est plus en plus utilisée en lieu et place de la conjonction de coordination mais.

Ces tics de langage sont particulièrement fréquents à la télévision et ils sont insupportables.

Mais il y a longtemps que les chaînes de télévision, multipliant les ‘’talk-shows’’ (pour ne pas dire débats), ont cessé d’être des instruments d’éducation pour n’être que des instruments de divertissement (et pas les meilleurs).

Contre le système. Partout.

France et Bolivie sont séparées de milliers de kilomètres (j’aurais pu tout aussi bien évoquer la distance séparant notre pays de l’Algérie, de l’Irak, du Liban, la question que je veux aborder serait identique). Les deux pays connaissent des événements graves, avec des morts et des blessés par les forces dites de l’ordre, à la suite de manifestations qui trouvent leurs racines dans une situation sociale et politique fortement dégradée et explosive.

En France, le système capitaliste est arc-bouté pour la défense de sa domination sur le peuple et en Bolivie, après un coup d’Etat soutenu par les Etats-Unis de Trump, il s’agit d’empêcher les partisans d’Evo Morales de s’exprimer pour mieux rétablir le même système d’exploitation des salariés.

Où il est prouvé que les capitalistes ne rendront pas les clés sans combattre, férocement.

Mais, dans le monde entier, les soulèvements sont de plus en plus nombreux quand les peuples étouffent, voient la pauvreté s’étendre comme un cancer quand les riches, eux, étalent des fortunes de plus en plus scandaleuses.

En France, les gilets jaunes tentent de se remobiliser. Une historienne, Sophie Wahnich, spécialiste de la Révolution, a été interrogée par L’Humanité. A la question : « Le mouvement des gilets jaunes se caractérise aussi par l’absence d’une figure représentative. Un mouvement populaire d’ampleur peut-il se passer d’un représentant ? », elle a eu cette réponse importante :

« Bien entendu. C’est l’inverse du populisme, du césarisme. Et la très bonne nouvelle de ce mouvement est précisément qu’il rejette la figure du tribun. Un chef qui incarne, c’est un monarque qui prétend parler au nom de peuple et c’est ce que les gilets jaunes exècrent dans le macronisme. Ce que désirent les gens, c’est de pouvoir contribuer, inventer une institution qui permettre de construire un véritable rapport de forces, capable de juger des lois. C’est exactement ce que recouvre la revendication du RIC et, en cela, les gilets jaunes sont très proches des révolutionnaires français, qui portaient aussi la volonté de censure populaire. »

Il reste à observer si syndicats et gilets jaunes arriveront à conjuguer leurs forces. Réponse le 5 décembre ?

Pauvre Voltaire

L’Association internationale des éditeurs vient d’annoncer la signature d’un accord par lequel la compagnie Emirates Airline devient son transporteur officiel dans le cadre de son congrès à Lillehammer en mai 2020 et de séminaires à Marrakech et en Amérique latine.

Auparavant, Emirates Airline avait accordé une aide de 800 000 dollars à l’association pour des actions de développement de l’édition en Afrique.

L’association internationale est présidée par Hugo Setzer, un Mexicain, patron de la maison d’édition Manual Moderno et la vice-présidente, Bodour Al Qasimi est la présidente de Emirates Publishers Association, éditrice pour enfants (Kalimat Group) et fille de l’émir de Charjah. Cette dernière est appelée à succéder à Hugo Setzer lors du prochain congrès de l’association internationale à Lillehammer.

L’argent des Emirats coule donc à flot dans les caisses du groupement mondial des éditeurs. Sans état d’âme, alors que ses statuts prévoient la protection de l’édition, la sensibilisation de l’opinion au rôle de l’édition en tant que moteur du développement économique, culturel et social, ainsi que la lutte contre la censure, la liberté de publication et la promotion du droit d’auteur.

Les dollars des Emirats valent bien quelques entorses à ces grands principes.

Plus surprenant encore, l’IPA décerne le prix Voltaire, récompensant une personne ou une organisation pour son engagement en faveur de la liberté d’expression et la publication d’œuvres remettant en question la société et les régimes de leurs pays d’origine.

L’IPA s’est-elle assurée que Le Traité sur la tolérance, Mahomet, le Dictionnaire philosophique et quelques autres œuvres de Voltaire ne sont pas interdits dans les Emirats, voire dans les luxueux avions la compagnie ?

Sans commentaires. Pauvre Voltaire.

Pauvres et victimes

Un étudiant de 22 ans s’est immolé par le feu devant les bâtiments du CROUS à Lyon. Il a laissé une lettre dans laquelle il écrit :

« Aujourd’hui, je vais commettre l’irréparable (…) Cette année, faisant une troisième L2, je n’avais pas de bourses, et même quand j’en avais, 450 € par mois, est-ce suffisant pour vivre ? »

Ce garçon était un militant syndical ; il luttait, mais au bout de son combat, il a cédé pour commettre l’irréparable, un geste ultime dont il rend les politiciens responsables :

« J’accuse Macron, Hollande, Sarkozy et l’UE de m’avoir tué, en créant des incertitudes sur l’avenir de tous-tes ; j’accuse aussi Le Pen et les éditorialistes d’avoir créé des peurs plus que secondaires. »

Il a commis l’irréparable et son geste a été médiatisé, mais combien de victimes ce capitalisme-là fait-il chaque jour sans que les médias n’en parlent.

Aujourd’hui, il lutte contre la mort et son geste attire l’attention sur la situation d’une jeunesse sacrifiée, les lycéens qui après avoir échoué au bac n’ont toujours pas trouvé d’établissement pour redoubler, les bacheliers qui n’ont toujours pas reçu de proposition d’affectation (ou ceux qui ont été orientés vers des filières qu’ils ne souhaitaient pas) et de ceux qui, diplômés ou pas, ne connaissent que Pôle emploi.

L’étudiant lyonnais a accusé les éditorialistes. A juste titre. Chaque jour, sur des chaînes d’information en continu, les salauds ont micro ouvert quand les syndicalistes sont interdits.

Ainsi, la semaine dernière, dans l’émission de LCI 24h Pujadas, la chroniqueuse Julie Graziani, militante de la Manif pour tous et autres cénacles catholiques extrémistes, a pu déclarer en fustigeant une célibataire avec deux enfants vivant avec le SMIC, ayant eu l’outrecuidance d’interpeller Macron :

« C’est sûr qu’elle ne s’en sort pas à ce niveau là (…) Je ne connais pas son parcours de vie (…) Qu’est-ce qu’elle a fait pour se retrouver au SMIC  ? Est ce qu’elle a bien travaillé à l’école  ? Est-ce qu’elle a suivi des études  ? Puis si on est au SMIC, il ne faut peut-être pas divorcer non plus dans ces cas là (…) Quand on se rajoute des difficultés sur des difficultés et des boulets sur des boulets, on se retrouve dans des problèmes (…) Je ne dis pas que c’est forcément elle qui a divorcé. Peut-être que son mari l’a quitté (…) On assure ses arrières aussi (…) Il faut prendre sa vie en main. Il faut arrêter de se plaindre et il faut arrêter d’empiler les difficultés. »

Pujadas n’a pas eu un mot de réprobation. Normal, on était sur LCI, une chaîne Bouygues.

Le monde des riches, dorloté par Macron, ne peut pas comprendre la vie des pauvres. Le fossé est immense et il se creuse chaque jour davantage.

A Lyon, l’administration de l’université ignorait la situation de son étudiant ; à Paris, une chroniqueuse crache sur les pauvres. Le monde de Macron dans toute sa splendeur. Le monde de Macron dans tout son mépris pour la jeunesse et ceux qui n’ont rien.

L’incompétent diplômé et le 3 %

Le magazine L’Expansion-L’Express sort curieusement des archives une page d’histoire. Dans le quotidien La Tribune du 1er octobre 2010, un économiste, Guy Abeille, raconte comment il a été à l’origine d’un des fameux critères de Maastricht, fixant le déficit du budget d’un pays de l’Union européenne à 3 % de son PIB.

Son long récit, fort opportunément exhumé, laisse pantois.

Guy Abeille a été chargé de mission, non titulaire, au ministère des finances sous la présidence de Giscard d’Estaing ; il reste en poste après l’élection de François Mitterrand. Le budget pour 1981 fixé à 29 milliards de francs a dérapé ; avant l’élection présidentielle « le libéralisme de Giscard et de Barre s’est dénudé en libéralité. Deux mois plus tard, la première loi de finances rectificative socialiste en prendra acte, actualisant le déficit à 55 milliards. », écrit Guy Abeille.

Les demandes des ministres de Mitterrand pour répondre aux engagements de campagne risquent de faire exploser le déficit : « Il apparaît assez vite qu’on se dirige bon train vers un déficit du budget initial pour 1982 qui franchira le seuil, jusque là hors de portée mentale, des 100 milliards de francs, chiffre que les plus intrépides d’entre nous n’auraient même en secret pas osé murmurer. »

« C’est dans ces circonstances qu’un soir, tard, nous appelle Pierre Bilger (…) devenu le tout récent n°2 de la Direction du Budget (…) Donc nous voici convoqués, c’est à dire moi-même, et Roland de Villepin, cousin de Dominique, mon camarade de promotion et récent chef de bureau. »

Les deux économistes se voient confier une mission surprenante à la demande de Mitterrand, soucieux de « disposer d’une règle (…) qu’il aura beau jeu de brandir à la face des plus coriaces de ses visiteurs budgétivores », ses ministres.

« Il s’agit de faire vite, confesse Guy Abeille. Villepin et moi nous n’avons guère d’idée, et à vrai dire nulle théorie économique n’est là pour nous apporter le soutien de ses constructions, ou pour même orienter notre réflexion. »

La suite est hilarante :

« Pressés, en mal d’idée, mais conscients du garant de sérieux qu’apporte l’exhibition du PIB et de l’emprise que sur tout esprit un peu, mais pas trop, frotté d’économie exerce sa présence, nous fabriquons donc le ratio élémentaire déficit sur PIB, objet bien rond, jolie chimère (au sens premier du mot), conscients tout de même de faire, assez couverts par le statut que nous confèrent nos études, un peu joujou avec notre boîte à outil. Mais nous n’avons pas mieux. Ce sera ce ratio. Reste à le flanquer d’un taux. C’est affaire d’une seconde. Nous regardons quelle est la plus récente prévision de PIB projetée par l’INSEE pour 1982. Nous faisons entrer dans notre calculette le spectre des 100 milliards de déficit qui bouge sur notre bureau pour le budget en préparation. Le rapport des deux n’est pas loin de donner 3%. C’est bien, 3% ; ça n’a pas d’autre fondement que celui des circonstances, mais c’est bien. 1% serait maigre, et de toute façon insoutenable: on sait qu’on est déjà largement au delà, et qu’en éclats a volé magistralement ce seuil. 2% serait, en ces heures ardentes, inacceptable et contraignant, et donc vain ; et puis, comment dire, on sent que ce chiffre, 2% du PIB, aurait quelque chose de plat, et presque de fabriqué. Tandis que trois est un chiffre solide ; il a derrière lui d’illustres précédents (dont certains qu’on vénère). Surtout, sur la route des 100 milliards de francs de déficit, il marque la dernière frontière que nous sommes capables de concevoir (autre qu’en temps de guerre) à l’aune des déficits d’où nous venons et qui ont forgé notre horizon. Nous remontons chez Bilger avec notre 3% du PIB, dont nous sommes heureux, sans aller jusqu’à en être fiers. Et lui faisant valoir que, vu l’heure (ça, on ne le lui dit pas) et foi d’économistes, c’est ce qu’actuellement nous avons de plus sérieux, de plus fondé en magasin. En tout cas de plus présentable. Puis nous rentrons chez nous, vaquer. On sait ce qu’il en est advenu. »

Les 3 % deviennent la norme et se trouvera repris par le traité de Maastricht, une solution que les deux économistes n’auraient jamais envisagée. Guy Abeille, qui ne manque pas d’humour ose écrire :

« Le processus d’acculturation est maintenant achevé ; on a réussi à déporter le curseur : ce qui est raisonnable, ce n’est pas de voir dans le déficit un accident, peut-être nécessaire, mais qu’il faut corriger sans délai comme on soigne une blessure ; non, ce qui est décrété raisonnable c’est d’ajouter chaque année à la dette seulement une centaine de milliards (en francs 1982). C’est cela, désormais, qu’on appelle « maîtrise » : en dessous de 3% du PIB, dors tranquille citoyen, la dette se dilate, mais il ne se passe rien – quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt, dit le proverbe chinois ; quand le sage montre l’endettement, l’incompétent diplômé regarde le 3% du PIB. »

La chute de Guy Abeille ne manque pas de saveur non plus :

« Sans aucun contenu, et fruit des circonstances, d’un calcul à la demande monté faute de mieux un soir dans un bureau, le voilà paradigme : sur lui on ne s’interroge plus, il tombe sous le sens (à vrai dire très en dessous), c’est un critère vrai. Construction contingente du discours, autorité de la parole savante, l’évidence comme leurre ou le bocal de verre (celui dans lequel on s’agite, et parade, sans en voir les parois) : Michel Foucault aurait adoré. »

Comment prendre au sérieux le grand économiste élu président de la République après la lecture d’une telle confession du ‘’père’’ du fameux dogme des 3 %, brandi tous les jours pour serrer la vis des finances publiques, supprimer des postes d’enseignants, de personnels de santé, de pompiers et de bien d’autres.

Nous prendrait-il pour des veaux ?

En soutien à Benjamin Stora

Benjamin Stora, l’historien, a publié sur son blog un court texte à propos d’un article paru dans un hors-série de Valeurs actuelles d’octobre 2019 :

« Le numéro hors-série d’octobre 2019 de Valeurs actuelles sur « l’Algérie française » a consacré plusieurs pages à mon parcours sous le titre « Un historien officiel ». Cet article ne cite aucun titre de mes livres, et ne fait jamais référence (y compris pour les critiquer) aux thèmes de mes travaux comme l’histoire des juifs d’Algérie, l’histoire de Messali Hadj et la guerre des nationalistes algériens, ou encore l’histoire de François Mitterrand et des guillotinés à partir d’archives inédites, etc., etc.)… Mais il s’attarde sur d’autres aspects. Cet article est antisémite, voici pourquoi.

C’est le portrait d’un homme avide d’ambition et d’honneurs qui est ici dressé, hantant les couloirs du pouvoir, à la recherche de récompenses. C’est une description s’inscrivant dans la tradition classique antisémite des « juifs de cour » que l’on pouvait lire dans la presse d’extrême droite au moment de l’Affaire Dreyfus, par exemple à propos de Bernard Lazare.

C’est une attaque fondée sur une description de mon physique. Ma prise de poids, notion qui revient à trois reprises dans l’article, s’explique non par les épreuves traversées dans ma vie (la perte de ma fille victime d’un cancer, mes crises cardiaques, ou les violentes agressions venant du monde intégriste dans les années 1990), mais par ma progression dans les couloirs du pouvoir. Cette obsession sur mon poids suggère l’expression d’un enrichissement, qui peut également se lire dans la presse antisémite, appliquée par exemple à Adolphe Crémieux ou Léon Blum.

C’est une charge contre les intellectuels qui travaillent dans un cadre universitaire, donc qui fabriquent un « Système », et des histoires officielles. Là encore, la haine des intellectuels d’origine juive est une vieille recette, déjà appliquée à des hommes comme Jacques Attali (cité dans l’article).

A travers cet article d’un journaliste, ancien rédacteur en chef de Minute, on peut donc s’interroger sur la véritable nature de ce journal. »

Le torchon antisémite est exécrable et Benjamin Stora mérite tout notre soutien. Mais, après avoir lu la réponse, on ne peut pas s’empêcher de revenir sur la dizaine de pages d’interview que le président de la République a accordé à l’immonde magazine.

Emmanuel Macron ne pouvait pas ignorer à qui il s’adressait ; sa pensée était adaptée au public abonné à ce brûlot raciste. S’il avait tenu un discours inspiré par son maître Paul Ricoeur pour condamner les idées nauséeuses qui y sont étalées à longueur de colonnes, son interview aurait-elle eu la même place ? Aurait-elle été publiée ?

Emmanuel Macron est prêt à tout pour renouveler son bail à l’Elysée. Mais, comme l’écrit Le Monde : « Le jeu n’est pas sans risque. » Pour la démocratie.

Vivre en démocratie

Vivons-nous encore en démocratie, c’est-à-dire dans un régime où les élus sont respectueux du pouvoir du peuple et ne gouvernent pas en fonction de leurs intérêts de classe.

Vivons-nous encore en démocratie quand un président de la République, élu désormais directement par le peuple, se permet de renier ses déclarations et ses engagements et opère des changements de ligne politique radicaux en fonction des sondages et des perspectives électorales, mais surtout en fonction des exigences des pouvoirs économiques et financiers.

Vivons-nous encore en démocratie quand les déclarations d’un président de la République qui se prétend ni de droite, ni de gauche, va puiser son inspiration dans le programme d’un parti raciste et d’extrême droite qu’il prétendait combattre.

Notre démocratie sombre ‘’en même temps’’ dans la ploutocratie universelle et dans un nationalisme étroit dans un pays s’enfermant dans des frontières étanches, donnant au pays des Lumières les allures d’une forteresse assiégée où l’air est suffocant. La contradiction n’est qu’apparente et Macron l’assume.

Emmanuel Macron nous conduit vers le tout marché, celui auquel il cède tout, aujourd’hui la Française des Jeux, mais aussi l’énergie, les transports, la santé, l’école. Il n’est que le jouet d’un pouvoir triomphant, prétendument immuable et parfait, le pouvoir économique des multinationales, qui font, paraît-il, ruisseler l’argent qui fait le bonheur. Pas pour les chômeurs qui voient leurs droits laminés. Pas pour les pauvres qui, demain, seront encore plus pauvres. Mais pour les riches.

Emmanuel Macron assure au peuple qui veut le croire que le réfugié est la cause de ses maux ; il disperse les campements qui ont l’inconvénient de le ramener trop crument à la réalité.

Emmanuel Macron entretient la confusion dans les esprits et quelques égarés le suivent ; sur une chaîne de télévision on a pu entendre une chroniqueuse appeller les forces de l’ordre à tirer à balles réelles sur les fauteurs de troubles et les manifestants, ou une autre, sur une autre chaîne, affirmer que les pauvres au SMIC ne devraient pas divorcer. Plus extravagant encore, des citoyens de la commune la plus endettée et dont le maire est en prison lancent une souscription pour payer les 500 000 euros de caution de Patrick Balkany.

Doit-on rappeler à Emmanuel Macron que le peuple ne l’a pas élu pour nous entraîner dans ce monde nouveau-là. Que dans un pays de 66 millions d’habitants et de 47 millions de votants, il n’a recueilli que 8 millions de voix, soit environ 18 % de ceux qui se sont déplacés pour voter. Seulement.

La réalité est parfois cruelle et le résultat du suffrage aussi. Vivons-nous encore en démocratie au regard de ce qui précède ?

Quand la grogne monte et que la colère s’exprime, quand l’intérêt général est bafoué et que le peuple s’en rend compte le pouvoir économique dicte à Macron une contre-attaque, la seule réponse est sécuritaire ; elle est aussi dans les jeux du cirque, dans les jeux d’argent et dans la haine de l’autre.

Le peuple français aspire à vivre en démocratie, comme les peuples chilien, irakien, algérien, turc, palestinien, libanais, tunisien, grec, etc.

L’adieu aux lecteurs

Un septuagénaire est mort aujourd’hui par asphyxie. Un fait divers parmi d’autres. Dans l’indifférence générale, il a été accompagné à sa dernière demeure, le tribunal de commerce de Limoges, par ses amis fidèles.

Le septuagénaire s’appelait L’Echo du Centre ; c’était un quotidien lancé par le Parti communiste en 1943, pendant l’Occupation donc, qui diffusait dans cinq départements, la Haute-Vienne, la Corrèze, la Dordogne, l’Indre et la Creuse.

Sa dernière ‘’une’’, aujourd’hui, était barrée d’un énorme ‘’Adieu aux lecteurs’’ et de quelques lignes : « Asphyxié économiquement, votre journal n’aura pas survécu à la crise de la presse. » Elle rappelle hélas la ‘’une’’ d’un autre journal issu de la Résistance, Combat, qui avait titré le 30 août 1974 : « Silence, on coule ! », après 9376 éditions.

L’Echo du Centre, lui, aura connu 23040 éditions et il laisse derrière lui des lecteurs et des salariés désemparés.

Aujourd’hui, alors que les milliardaires ont fait main basse sur tous les grands médias et encadrent l’information, le gouvernement reste spectateur. Le pluralisme n’est pour lui qu’un mot vide de sens. Le nouveau monde de Macron s’accommode parfaitement de la pensée unique, libérale bien sûr.

Les organisations syndicales de journalistes restent, elles aussi, étrangement absentes. Certes, depuis plusieurs années, dans la presse on reçoit plus d’avis de décès que de faire-part de naissance. Mais l’évolution est inquiétante : la profession de journalistes était capable de réagir quand des titres disparaissaient, observant une grève nationale quand Paris-Jour cessait de paraître par exemple, ou quand Robert Hersant prenait le contrôle de Paris-Normandie.

Les prises de contrôle de Libération par Drahi, de Canal + par Bolloré, l’entrée de Kretinsky dans le capital du Monde, la vente des magazines de Lagardère ou de Mondadori n’ont pas suscité de réactions à la hauteur des enjeux.

L’Echo du Centre, lui, souffrait d’une tare originelle pour beaucoup de monde, parmi les politiques, les milieux économiques, les journalistes aussi, il était un quotidien appartenant au Parti communiste.

Seul ce Parti a tenu à bout de bras le pluralisme dans le centre de la France avec L’Echo du Centre, dans le Sud-Est avec La Marseillaise et au niveau national avec L’Humanité ; il n’en est guère récompensé ; et ceux qui pleurent ce mauvais coup porté à la démocratie sont infiniment moins nombreux que ceux qui vont fêter l’événement. Ceux-ci pensent même pouvoir s’exonérer d’un communiqué de circonstance. Leur mépris pour la démocratie et le pluralisme s’étale dans toute sa splendeur, sans vergogne.

Mais ils se trompent, la colère ne s’apaise pas.

Muriel Pénicaud dans le texte

La colère gronde ; elle ne s’est pas encore manifestée de façon organisée, elle est sourde, souterraine, mais bien présente dans de nombreuses professions.

La réforme de l’indemnisation du chômage ajoute à la colère. La fabrique de pauvres tourne à plein régime, comme celle des usines ou des magasins qui multiplient licenciements et prétendus départs volontaires.

En même temps, la fabrique des riches, quelques-uns, est de plus en plus radieuse ; les comptes dans les paradis fiscaux gonflent, comme un spi par gros temps. Elle fonctionne au même rythme que les cadences infernales (y compris les dimanches et jours fériés) imposées aux rescapés du travail.

Emmanuel Macron accuse les chômeurs qui, fainéants, ne veulent pas traverser la rue. Ils ne méritent aucune complaisance, punissons-les. Il ne le dit pas, mais il doit le penser : les chômeurs se complaisent à regarder les niaiseries de TF1 et les insanités de quelques débatteurs fascisants des chaînes d’information dite continue.

Macron ne connaît rien au monde du travail et aux pauvres ; mais qu’il ne se trompe pas : la colère gronde toujours, toujours aussi sourde et souterraine, toujours bien présente.

Les scribouillards attachés au président de la République et aux ministres sont invités à mettre leur talent à rédiger des argumentaires pour tenter de neutraliser la colère qui gronde.

La ministre dite du travail, Muriel Pénicaud, en a livré quelques éléments sur l’un de ses réseaux sociaux, appelé Twitter. Dans la nuit, à 4h 12 exactement, le 2 novembre (c’est un signe qu’il y a urgence), on peut en lire quatre :‪

1L’emploi repart, le chômage baisse. Après trente ans de chômage de masse, nos réformes montrent qu’il n’y a pas de fatalité: loi travail, apprentissage, formation, assurance chômage, soutien aux plus fragiles, un seul but: que chacun puisse vivre de son travail.

2Constitution de la République française: « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». Le travail émancipe, permet de gagner dignement sa vie, et crée du lien social. Améliorons l’accès à l’emploi et la qualité du travail, au cœur de notre société.

3 – L’Assurance chômage, c’est un filet de sécurité entre deux emplois. Le but est de retrouver un travail et de pouvoir évoluer. La réforme, c’est: + d’emploi et – de précarité. Nous assurons cette solidarité dans la durée en baissant sa dette qui est de 35 milliards d’€.

4 – 87% des embauches se font sur des contrats très courts. 70% des CDD durent 1 mois ou moins, 30% 1 jour ou moins. Ce n’est pas acceptable. La précarité des travailleurs les empêche de se loger, de faire des projets de vie. La réforme Assurance chômage responsabilise les employeurs. »

Les ministres osent tout ; c’est même à cela qu’on les reconnaît (merci Michel Audiard). Comme l’écrivait José Saramago, rapportant les propos d’un ministre portugais : « la politique est, en premier lieu, l’art de ne pas dire la vérité ».

Dans ces quelques lignes, Muriel Pénicaud dit tout et son contraire et ne dit pas la vérité. L’emploi repart ? La précarité galope. Améliorons l’emploi ? Les CDD de plus en plus nombreux empêchent les travailleurs de faire des projets de vie. La réforme, c’est plus d’emploi ? La liste des suppressions d’emplois se multiplie chaque jour. La solidarité passe par la réduction de la dette ? Donc faisons payer ceux qui n’ont aucune responsabilité dans la situation. La réforme responsabilise les employeurs ? Ceux-ci demandent au gouvernement d’aller plus loin et bloquent les salaires, ne veulent plus cotiser et n’offrent comme seule perspective que les contrats courts.

Les citoyens ont compris le discours ‘’musclé’’ et autoritaire de Macron quand il s’adresse aux gens qui n’ont rien. Ils ont compris les mensonges de Muriel Pénicaud. Mais, parlez toujours, Macron et Pénicaud, Blanquer et Buzyn, Darmanin et Le Maire, il y a une chose que vous ne pouvez pas contrôler, le bon sens du peuple.

Alors, sa colère pourrait exploser.

Erri De Luca et le best-seller

La société est en crise ; la littérature aussi.

Dans un monde où le fric est roi, les éditeurs sont à la recherche de ce qu’ils appellent best-sellers pour gonfler les profits et distribuer des dividendes à leurs actionnaires.

Best-sellers, ces deux mots accolés me hérissent, en premier lieu parce qu’il s’agit d’un anglicisme et parce qu’il est synonyme, chez les éditeurs, de succès commercial. Omettant de rappeler que la Bible ou Don Quichotte ont été de vrais best-sellers.

Les éditeurs sont assez pervers pour classer les livres selon le nombre d’exemplaires vendus et les recettes engendrées. Peu leur importe la qualité littéraire. Guillaume Musso, Marc Lévy et même Michel Houellebecq, les trois ‘’auteurs’’ préférés des maisons d’édition, m’indiffèrent et leur traitement m’exaspère. Après avoir lu une seule œuvre de ces boursouflures, j’ai abandonné. Livres faciles à lire sur la plage, dans le train ou le métro, et même au volant (dans les bouchons), revenant chaque année ou presque, bénéficiant de campagnes de lancement démesurées et d’expositions hors du commun dans les librairies et surtout dans les grandes surfaces, ils ne doivent échapper à personne.

Mais, ces best-sellers, qu’apportent-ils au lecteur ? Quelles réflexions alimentent-ils ? Ces livres sont creux, indigents et ne méritent qu’indifférence. Aussitôt lus, aussitôt oubliés.

La rentrée littéraire m’a sans doute indisposé jusqu’à la nausée. Guillaume Musso et sa ‘’Vie secrète des écrivains’’, Marc Lévy et ‘’Ghost in Love’’, comme Houellebecq avec son ‘’Sérotonine’’ en janvier dernier, ont encombré les rayons de livres. Ils ont éclipsé de merveilleuses œuvres, souvent absentes des rayons et qu’il faut commander pour pouvoir les savourer.

Les best-sellers doivent être faciles à lire et ils doivent satisfaire tous les lecteurs. Aberrant ! Littérature symbole d’une société de consommation et de commerce du vide !

C’est peut-être ce qui m’a poussé à relire un petit livre d’Erri De Luca, ‘’Acide, Arc-en-ciel’’, l’une des premières œuvres de l’auteur (1992). Un pur délice. Et pourtant il est aride et, surtout, il est difficile d’entrer dans les premières pages et dans le monde d’un authentique maître des mots.

Le narrateur d’Erri De Luca, ici, est un homme fragile, solitaire, qui s’apprête à mourir, affaibli. Alors il fait un retour sur sa vie et, notamment, sur les visites de trois amis qui l’ont marqué, un ancien révolutionnaire des Brigades rouges, un ancien missionnaire et un séducteur vagabond. Tous font le constat d’un échec de leur existence et Erri De Luca s’interroge (et nous avec) sur le sentiment d’inutilité de leur vie.

Peut-on pour autant parler du pessimisme de l’auteur, alors qu’il nous interpelle. Où va le monde ? Qu’est-ce que l’engagement ? Comment vivre sa foi ? Qu’est-ce que l’amour ? La violence est-elle vouée à l’échec ? Etc.

C’est écrit magnifiquement. Erri De Luca est un orfèvre des mots. On sort des 140 pages la tête remplie d’émotions, mais on se sent plus intelligent, plus homme. Avec le sentiment de ne pas avoir perdu son temps à lire.

Contrairement au vide ressenti après la lecture d’un prétendu best-seller.