Ladj Ly n’a pas appris le cinéma dans une école, certes, mais il l’a appris avec sa caméra, dans sa ville de Montfermeil, dans son territoire et avec ses tripes. Avec ses copains de Kourtrajmé à Montreuil. Et il a réalisé un chef d’œuvre en forme de coup de poing en filmant dans sa ville, dans son territoire et même dans la cage d’escalier où il a vécu. Il a écrit et filmé avec ses tripes (mais pas seulement, car les Misérables est le film le plus intelligent qui a été réalisé sur les banlieues).

Alors, évidemment, « ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement ». Ladj Ly a fait son apprentissage en réalisant des documentaires, des ‘’brouillons’’ en quelques sorte de ses Misérables et quand il est passé au long métrage, il maîtrisait parfaitement son sujet.

On ne sait pas ce qu’une école de cinéma lui aurait appris de plus !

Les Misérables, le film, est donc un chef d’œuvre, mais aussi et surtout un acte d’accusation. Dans sa ville, dans sa cité, l’Etat est absent, la mairie est absente, les services publics sont absents et les derniers à rester sont les policiers. Alors, on se débrouille ; on règle les questions à coup d’arrangements.

On ne sort pas indemne de la projection des Misérables, mais nullement abattus : si la situation est dramatique, il reste un espoir. Ladj Ly termine son film par une citation tirée du chef d’œuvre de Victor Hugo, Les Misérables (il a de bonnes références et il s’en sert admirablement), « Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs. »

Les Misérables est un film qui innove par sa façon de dire la réalité ; il est aussi novateur que le Graine de violence de Richard Brooks (sorti en 1955), aussi engagé, aussi militant, aussi dénonciateur, aussi intelligent.

Dans Graine de violence, un flic dit : « Ces gosses sont à l’image du monde, perdus, méfiants, effrayés » ; ceux des Misérables ne disent pas autre chose, sauf que eux aussi sont perdus, abandonnés et seuls pour mettre un couvercle sur une marmite prête à exploser, résultat d’un néolibéralisme qui oublie les pauvres et les étouffe. Ladj Ly dépeint la misère de ces territoires abandonnés, de ces gosses dont les présidents, députés et élus se soucient moins que des dividendes du CAC 40. De ces gosses victimes des bavures commises par des flics qui ne savent plus que terroriser les pauvres et ceux qui osent se rebeller contre les humiliations imposées par la financiarisation de la société des riches.

Contrairement aux précédents films sur les banlieues, Les Misérables ne caricature pas, il dit la réalité. Mais en prenant de la hauteur, avec finesse et intelligence (au risque de se répéter).

Les Misérables, un chef d’oeuvre. Vraiment.