La Chouette qui hioque

Mois : décembre 2018

Les exilés meurent aussi d’amour

Autobiographie (même si elle s’en défend), biofiction (même si elle s’en éloigne), roman, la première fiction d’Abnousse Shalmani est tout cela à la fois. La narratrice, Shirin, a huit ans quand ses parents, Niloophar (la mère) et Siamak (le père) fuient avec toute la famille le régime des ayatollahs de Khomeiny et le voile noir qui a recouvert l’ancien empire du shah d’Iran.

La famille, parlons-en, elle est haute en couleur ; elle est communiste, mais en Iran, les communistes peuvent être orthodoxes, c’est-à-dire staliniens, trotskystes ou maoïstes. Ils vivent tous dans le même immeuble avec tout ce que cela suppose comme événements en raison de leurs désaccords.

Abnousse Shalmani narre donc la vie de la famille de Shirin jusqu’à l’âge adulte dans un style flamboyant, cru (à la façon de Zazie dans le métro) ou baroque. La vie y est faite de conflits, de haines, d’attirances et d’amours, de fêtes avec d’autres exilés aussi.

Le livre s’envole parfois dans le réalisme magique des auteurs latino-américains, imprégné des contes orientaux (Elle a eu le coup de foudre à la lecture de L’amour au temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez). Mais Abnousse Shalmani maîtrise toujours son style pour prendre le lecteur à la gorge et ne plus le lâcher. Elle a un sens de la narration assez rare qui fait qu’on ne peut pas lâcher le livre.

Malgré son titre et la douleur de l’exil, ce livre est empreint de drôlerie, à chaque page. Les tantes de Shirin sont désopilantes, surtout Mitra particulièrement désagréable. La mère est une créature féérique, humiliée par ses soeurs ; quand elle accouche, Shirin appelle le nouveau venu le ‘’Tout petit frère’’. Il viendra bousculer la vie d’une famille foutraque.

Shirin, anticonformiste à l’image d’Abnousse Shalmani, trouve l’amour entre les bras d’Omid, et se lie d’amitié avec la voisine juive, rescapée de la Shoah.

Un grand roman, un grand écrivain, de la grande littérature, un livre qui marque et éclaire, aussi, sur les dangers de l’exil.

Le monde pourri de la finance

Avons-nous sombré dans un monde irrémédiablement perdu, dans lequel la loi du fric a supplanté la morale ? Sommes-nous destinés à ne plus connaître que des dirigeants économiques et politiques pourris, dont Trump est le symbole suprême ?

C’est terrible d’avoir l’impression de se répéter à l’infini, mais c’est l’actualité qui se répète. A chaque jour son scandale et parfois ses scandales. Apprendre qu’Alexandre Benalla voyage avec un passeport diplomatique est suffocant, mais pas autant que d’apprendre que l’entreprise commune (ou joint-venture) Renault-Nissan BV, créée le 28 mars 2002 et domiciliée aux Pays-Bas (un vrai paradis fiscal), n’était qu’une caisse noire.

Elle était à l’origine une société destinée à fournir des services de gestion stratégique et de gérer des domaines de gouvernement d’entreprise entre les deux entreprises communes RNPO (Organisation des achats Renault Nissan) et RNIS (Services d’information Renault-Nissan). Mais voici que la société a joué un rôle de tirelire discrète pour verser des rémunérations occultes (et non soumises à l’impôt) à quelques hauts dirigeants. Pour ces gens-là, les rémunérations ne sont pas au niveau du salaire de l’auto-entrepreneur ; elles ont de nombreux zéros.

Les faits, étalés sur plusieurs années, se chiffreraient en milliards d’euros.

Depuis 2012, les syndicats et notamment la CGT avaient alerté les actionnaires de Renault, dont le gouvernement français (à hauteur de 15 %), sur l’opacité de RNBV, sur son rôle exact et sur l’absence d’informations alors même que le rapport annuel d’activité de la firme stipule que «les décisions et recommandations sont soumises aux organes de direction et d’administration de Renault qui s’assurent de leur conformité à l’intérêt social de Renault».

Les silences du gouvernement sont lourds de signification. Carlos Ghosn a certes failli, mais il n’est pas le seul et l’affaire enfle ; elle empoisonne tous les milieux économiques et politiques, malgré les tentatives d’étouffement. L’affaire Ghosn dépasse les dévoiements du prisonnier de Tokyo, elle n’est qu’un épisode émergé des immenses dérives d’un système et de ses mensonges d’Etat.

Les citoyens sont stupéfaits et sidérés en découvrant des pratiques délictueuses aussi énormes, alors qu’on leur refuse une petite augmentation du SMIC. Le ruissellement s’arrête aux portes des conseils d’administration ! Les salariés, même les illettrées de l’abattoir de Gad, ont compris qu’ils doivent trimer chaque jour davantage pour gonfler les dividendes et se taire. 

Faut-il s’étonner que la révolte gagne les ronds-points ? Les salariés, tous ensemble, n’ont plus envie d’obéir sagement. Ils réclament la dignité.

Vivre heureux sur terre

Deux enfants, une petite fille de 7 ans et un petit garçon de 8 ans, sont morts aux Etats-Unis pour avoir fui la misère dans leur pays, le Guatemala.

La première au motif officiel de déshydratation et d’épuisement ; pour le second, le verdict médical n’est pas encore connu, mais les médecins n’avaient diagnostiqué qu’un simple rhume.

Ils avaient traversé la frontière américaine après une longue marche, très longue, comme d’autres ont tenté de traverser la Méditerranée, la mer Egée ou les déserts.

Avant de chercher des raisons médicales à leurs décès, il serait préférable de trouver des remèdes aux conditions que tous les candidats à l’immigration fuient : la guerre, la dictature, la pauvreté ou encore l’obscurantisme.

Aux Etats-Unis, la mort de ces deux jeunes enfants guatémaltèques a soulevé quelques réprobations, bien insuffisantes pour amener le fou de la Maison Blanche à réviser sa politique de ‘’tolérance zéro’’ à l’immigration. Au contraire, son entourage, constitué de malades mentaux au moins aussi dangereux que le président élu, dénonce ceux qui ne sont pas aux côtés de Trump pour décourager les étrangers à tenter de franchir la frontière.

Un tel cynisme est inouï et ne peut que révolter ceux qui cultivent la fraternité de tous les êtres humains.

Donald Trump, lui, est engagé dans un bras de fer avec les démocrates pour faire voter les crédits destinés à construire un mur à la frontière mexicaine. Le mur de la honte, un de plus et un de trop sur cette terre de désolation qui ne sait plus ce que signifie vivre ensemble.

Deux jeunes enfants guatémaltèques de 7 et 8 ans morts pour fuir la misère, il en faudrait combien pour émouvoir Trump, l’imbécile ?

Vivre heureux sur terre ne sera-t-il jamais qu’un rêve ?

François prêche-t-il dans le désert ?

Le pape François a eu des paroles très fortes dans son homélie prononcée dans la basilique Saint-Pierre de Rome à l’occasion de la messe de minuit.

« L’homme est devenu avide et vorace. Avoir, amasser des choses semble pour beaucoup de personnes le sens de la vie (…) Une insatiable voracité traverse l’histoire humaine, jusqu’aux paradoxes d’aujourd’hui ; ainsi quelques-uns se livrent à des banquets tandis que beaucoup d’autres n’ont pas de pain pour vivre (…) Est-ce que j’arrive à me passer de tant de garnitures superflues, pour mener une vie plus simple ? Demandons-nous : à Noël, est-ce je partage mon pain avec celui qui n’en a pas ? »

Son homélie s’adressait aux nantis et aux plus grandes fortunes, mais assurément pas aux smicards, aux femmes seules élevant un ou plusieurs enfants avec le salaire de misère de la grande surface qui lui accordé un CDI de 20 heures, aux licenciés de fraîche date qui galèrent, aux jeunes ubérisés, …

Ces derniers ne croient plus les bonnes paroles ; ils ont été tellement abusés qu’ils sont complètement désabusés.

Mais les bien-pensants du CAC 40 qui, eux, se goinfraient de caviar à la louche et du meilleur champagne au même moment que le pape parlait, n’hésitant pourtant pas à faire acte de contrition quand on les interroge alors qu’ils n’ont de regards que pour le niveau de leurs dividendes mais jamais pour le pauvre qui n’a rien à manger, les bien-pensants donc ne veulent pas entendre François ; il n’est pas de leur monde.

Alors, le pape prêche-t-il dans le désert ?

Ne jamais désespérer

Le néocapitalisme piétine l’homme et son environnement ; le régime dans lequel nous vivons, qui prétendait être l’émanation d’un nouveau monde, ressemble chaque jour davantage à un totalitarisme, qui nous prépare à des désastres humains et écologiques irréversibles.

Le commerce, disent les économistes ultralibéraux, se porte de plus en plus mal ; les consommateurs tourneraient le dos à leurs désirs et à la demande artificiellement créée par la publicité outrageuse, aliénante et manipulante.

La faute à un pouvoir d’achat en berne depuis de nombreuses années, auquel Emmanuel Macron ne souhaite pas apporter de réponse pour satisfaire ses amis des entreprises du CAC 40.

Plus les petits commerces de proximité, où se cultivait la sociabilité, crèvent, plus les grandes surfaces des multinationales sans âme suppriment des emplois et réduisent leur personnel (majoritairement féminin) à des CDD sous-payés, accroissant le nombre des travailleurs pauvres.

C’est dans ce contexte morose et déprimant que le préfet du Val d’Oise a déclaré le projet EuropaCity d’utilité publique, vaste centre commercial de 250 000 mètres carrés de commerces et de « culture » (consommatrice et non émancipatrice) dans le triangle de Gonesse sur des terres agricoles, né dans les conseils d’administration de la filiale d’Auchan, Immochan (devenue Ceetrus), de la famille milliardaire Mulliez et du groupe chinois Wanda.

Le préfet, qui a reçu le feu vert du pouvoir macronien, ose déclarer que EuropaCity présente des avantages certains pour la collectivité comme pour les populations. Les donneurs d’ordre n’ont pas la même définition de l’utilité publique que les salariés et les prolétaires qui se révoltent aujourd’hui sur de nombreux ronds-points et sur leurs lieux de travail.

Il a oublié de mentionner les avantages pour les dividendes des actionnaires et des inconvénients pour l’emploi des autres zones de commerce proches et pour l’environnement, la dernière des préoccupations du président de la République.

C’est aussi dans ce contexte qu’on apprend que le conseil constitutionnel, composé de « notabilités politiques à la recherche  de pantouflage », non élues, vient de censurer 23 des 98 articles de la loi dite Egalim (pour Equilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible). L’article 78 de cette loi autorisait les agriculteurs à acheter des semences anciennes sans être contraints de s’adresser à Monsanto, Du Pont  et Dow Chemical.

Serons-nous donc condamnés à continuer à nous sustenter et à nous empoisonner avec des OGM ? A nous satisfaire de ce que nos contempteurs appellent le bien-être libéral dans l’attente d’un mirage baptisé ruissellement.

Il ne nous reste qu’une solution : nous opposer à ce cataclysme capitaliste et à ce désastre écologique imposés par des fantoches entrés en politique par effraction, à les chasser et à reprendre le pouvoir.

Le petit peuple a fait son retour avec des gilets jaunes sur le dos ; mais pour gagner vraiment, il faut être plus nombreux et ensemble. Et ne jamais désespérer.

Le Grand Echiquier ressuscité ?

France 2 a ressuscité Le Grand Echiquier hier soir. La télévision d’aujourd’hui va donc chercher son inspiration dans les archives de l’ORTF.

L’émission présentée par un vieux cabot, Jacques Chancel, avait été créée en 1972 ; la télévision était encore un service public (que Giscard d’Estaing démantela en 1974 en 7 sociétés pour mieux les privatiser ensuite). C’était encore l’époque de ‘’5 colonnes à la une’’, des dramatiques et des grandes émissions de réalisateurs prestigieux de la fameuse ‘’école des Buttes-Chaumont’’ (presque tous communistes), mais aussi de l’information encadrée et verrouillée par le ministère de l’intérieur.

Le Grand Echiquier de Jacques Chancel n’était que le dernier avatar de cette télévision qui voulait informer, distraire et éduquer un public qu’elle respectait. L’émission a connu des moments de grâce, même si son présentateur avait déjà tendance à vouloir damer la vedette à ses invités.

Avec Le Grand Echiquier, la télévision des années Giscard tentait de se donner un vernis culturel. L’émission dura 17 ans (jusqu’en 1989) et les plus âgés en gardent un souvenir ému en ne retenant que les grands moments. Et il y en eut.

La télévision d’aujourd’hui n’a plus les mêmes ressorts ; elle vend du temps de cerveau disponible à Coca-Cola et autres multinationales. Les animateurs sont les vedettes des émissions et les invités des faire-valoir, car la télévision d’aujourd’hui doit être d’abord un divertissement (on parle d’entertainment) qui répond aux demandes du public ; elle ne cherche plus à rendre le téléspectateur plus intelligent et mieux informé.

Le service public singe les chaînes privées et tente, souvent maladroitement, de les suivre dans la course à l’Audimat. Elle ne produit plus ; elle s’est abandonnée aux sociétés de production privées, grâce aux décrets de Mme Tasca, ministre socialiste.

Le Grand Echiquier ne déroge pas à cette mode et c’est l’associé de Matthieu Pigasse et Xavier Niel dans le fonds d’investissement Mediawan qui a produit l’émission d’hier soir avec sa société Troisième Œil Productions.

Anne-Sophie Lapix, très éloignée des invités, a éprouvé des difficultés à entrer dans la peau de Chancel et l’émission n’a pas connu de moments de grâce comme on pouvait l’espérer. Les invités (Daniel Auteuil, Aurélie Dupont, Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak) étaient certes prestigieux mais sans jamais donner l’impression de vouloir communier avec le public.

Le Grand Echiquier 2018, donc, n’est pas scandaleux ; il réconcilie plutôt avec une chaîne qui avait fait de Patrick Sébastien, Stéphane Bern et Laurent Ruquier ses animateurs emblématiques. Mais on est encore loin d’une grande télévision de service public capable de fédérer un large public autour de la culture qui permet de grandir.

Le mépris permanent

C’était le 17 septembre 2014, Emmanuel Macron venait d’être nommé ministre par Hollande et, pour paraphraser Victor Hugo (l’écrivain honni par Houellebecq), déjà le président perçait sous le ministre (« Et du premier consul, déjà, par maint endroit, le front de l’empereur brisait le masque étroit »).

Le tout jeune ministre dont on vantait les qualités au-dessus de la moyenne s’illustrait par une des petites phrases dont il se fit, ensuite, le champion : « Il y a dans cet abattoir une majorité de femmes, il y en a qui sont pour beaucoup illettrées ».

Emmanuel Macron, président de la République, s’est entouré de conseillers et d’élus dignes du régime élitiste et élitaire dont il est le représentant assumé.

Gilles Legendre, un président du groupe La République en Marche à l’Assemblée nationale, bien né (à Neuilly) et bien élevé (au collège Sainte-Croix), ex-journaliste, a tenté de s’élever au niveau de celui qu’il a rallié en 2016. Au micro de la chaîne parlementaire, il a déclaré tout de go : « Nous avons insuffisamment expliqué ce que nous faisons. Et une deuxième erreur a été faite : le fait d’avoir probablement été trop intelligent, trop subtil, trop technique dans les mesures de pouvoir d’achat. »

La masse est ignare ; le président a une pensée complexe et Gilles Legendre rabâche ce que dit le président.

On tourne en rond dans la majorité mais le mépris y est permanent.

Houellebecq adore Trump !

Dans un très long article publié par la prestigieuse revue américaine Harper’s, Michel Houellebecq donne toute la mesure de son délire. Et il est insondable.

On peut lire le titre comme une provocation, au second degré : « Donald Trump est un bon président ». Mais, les arguments avancés par l’auteur des Particules élémentaires laissent pantois et nous ne pouvons plus avoir de doute sur les facultés de jugement de l’émérite écrivain : tous les défauts de Donald Trump ne sont que de sournoises élucubrations de ses adversaires, anti-libéraux communistes, écologistes, intellectuels, journalistes, etc.

Houellebecq, qui est en parfaite communion avec l’idéologie nationaliste de l’occupant de la Maison Blanche, a réussi, lui, à trouver des qualités au pire président que les Américains ont connu.

Houellebecq écrit, par exemple, que « Les Américains ont cessé d’essayer de propager la démocratie aux quatre coins du monde », ou encore que « Les Américains ne sont plus prêts à mourir pour la liberté de la presse. D’ailleurs quelle liberté de la presse ? Depuis que j’ai douze ans, j’observe la gamme d’opinions permises dans la presse qui rétrécit progressivement (j’écris ceci peu après la lancement d’une nouvelle expédition de chasse en France contre le célèbre écrivain antilibéral Eric Zemmour) ».

Houellebecq prenant la défense de Zemmour et tout est dit !

Il distribue également des bons points au président fou en matière de commerce international : « Le président Trump déchire les traités et les accords commerciaux lorsqu’il pense qu’il était faux de les signer. Il a raison ; à ce sujet les dirigeants doivent savoir utiliser la période de réflexion et se retirer des mauvaises affaires. »

Et, aberration définitive, Houellebecq ose écrire : « Le président Trump a été élu pour protéger les intérêts des travailleurs américains. Il protège les intérêts des travailleurs américains. Au cours des cinquante dernières années en France, on aurait voulu avoir plus souvent ce genre d’attitude ».

En matière de relations internationales, Houellebecq tombe en pamoison devant les faits et gestes de Trump : « Il semble que le président Trump ait même réussi à apprivoiser le fou nord-coréen ; j’ai trouvé cet exploit positivement chic ».

Houellebecq a le droit d’avoir des idées réactionnaires et de trouver des qualités à un président des Etats-Unis vilipendés partout ; il a aussi le droit de l’écrire si une publication accepte de les publier. Mais on peut lui contester un manque d’intelligence et de lucidité. Comme on peut s’étonner de le voir étaler sa mégalomanie en qualifiant Victor Hugo de grandiloquent et de stupide. « Cela me fait toujours un peu de bien de critiquer Victor Hugo », écrit-il encore.

N’est-ce pas suffisant pour douter des facultés de Houellebecq ?

Heureusement, Trump est un locataire à durée limitée de la Maison Blanche ; mais, hélas, Houellebecq, lui, écrira encore après Trump.

Le pouvoir d’achat n’est pas un droit

Eric Gardner de Beville m’était inconnu jusqu’à hier ; le Cercle Montesquieu, un groupement de dirigeants juridiques d’entreprises, tout autant.

La lecture d’une tribune du premier nommé, présenté comme un membre du second, sur le Cercle des Echos, m’a sidéré.

Déjà, le titre m’a stupéfait : « Le pouvoir d’achat n’est pas un droit ».Tout un programme qui laissait entrevoir ce que la tribune contenait.

Pour Eric Gardner de Beville, qu’on sent nerveux : « Le sentiment de perte de pouvoir d’achat est l’un des sujets à l’origine de la tempête sociale qui traverse aujourd’hui notre pays. Les ‘’gilets jaunes’’ en réclament davantage. » La perte de pouvoir d’achat ne serait donc qu’un sentiment, flou et sans réalité ?

Pour ce docte dirigeant, le pouvoir d’achat n’est pas un droit. Et, pour donner consistance à sa démonstration, il n’hésite pas à invoquer la Déclaration française des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : « Il précise que les hommes et les femmes ‘’naissent et demeurent libres et égaux en droits’’ et ajoute que les ‘’droits naturels et imprescriptibles’’ sont la liberté, la propriété, la sureté et la résistance à l’oppression. Le texte ne mentionne pas le pouvoir d’achat. »

On mesure la profondeur de l’argument !

Et notre ‘’historien’’ de la Révolution d’enfoncer le clou : « Le pouvoir d’achat ne doit pas être un droit. Cela supposerait qu’il y ait un minimum auquel toute personne aurait droit (…) Or cela n’est pas un droit dans notre système politique démocratique. Nous ne visons pas dans un kibboutz. »

« La propagation ces dernières années de l’idée d’un droit de pouvoir d’achat en France est le fruit d’une dérive progressive de la valeur du travail. Ce n’est plus le travail qui permet d’avoir un pouvoir d’achat, mais c’est au gouvernement de le garantir. Or qui dit gouvernement, dit contribuable, ce qui veut donc dire que c’est aux contribuables de garantir un pouvoir d’achat à ceux qui n’en ont pas ou qui considèrent qu’ils n’en ont pas assez. C’est donc à ceux qui travaillent de garantir un pouvoir d’achat à ceux qui ne travaillent pas ou pas assez. Cela supposerait une nouvelle charge, une nouvelle taxe ou un nouvel impôt. Or, c’est aller à l’encontre de ce que demandent les ‘’gilets jaunes’’ qui luttent contre l’excès de taxes et impôts. »

Imparable pour ce disciple de Montesquieu, l’un des précurseurs des Lumières !

Faut-il ajouter qu’Eric Gardner de Beville a servi le groupe pharmaceutique Servier (au service juridique international), la multinationale Coca-Cola (pendant 12 ans), puis fondé un cabinet de conseil HR Consulting Group. Que des entreprises socialement responsables et progressistes.

Eric Gardner de Beville me fait subitement penser à Alexandre de Juniac, qui, en 2015, alors qu‘il était président d’Air France, s’était livré à une attaque en règle contre les acquis sociaux auxquels il fallait « mettre des limites » déclenchant des tonnerres d’applaudissements dans la vénérable abbaye de Royaumont où le gratin des patrons tenait une réunion privée. Celui qui fustige le droit au pouvoir d’achat est son exact sosie. Leur morgue, à l’un comme à l’autre, vient de loin et plonge ses racines dans l’exécration de la Révolution, dans la haine du peuple, dans le refus des syndicats.

Leur classe est toujours contre le peuple.

Traverser la rue (version bourgeoise)

Il y a des personnes pour qui traverser la rue est plus simple que pour d’autres. De l’autre côté, ces personnes ont toujours un ami accueillant pour leur fournir un poste à la hauteur de leur talent plus supposé que réel. Notamment dans la finance. Cela vaut pour des rues, disons bourgeoises, où on cultive l’entre soi, où on n’hésite pas à cracher sur le bas peuple et sur les gilets jaunes, sur les manants, fainéants et incultes, en riant et en sa tapant sur le ventre.

Je veux évoquer le cas d’une personne brillante qui arpente les rues du XVIe arrondissement plutôt que celles du XXe. Bernard Mourad, c’est de lui qu’il s’agit, n’est pas célèbre, mais il n’est pas inconnu. Jeune encore (43 ans) et brillant dit-on dans l’entourage des banquiers, il avait passé quinze années dans la banque américaine Morgan Stanley, l’un de ces établissements qui n’avaient pas vu venir la crise de 2008, et qui préfère faire ruisseler d’énormes paquets de dollars dans l’informatique, l’immobilier, les télécommunications ou les entreprises à fort rendement plutôt que d’investir dans des activités permettant de réduire la fracture sociale.

Bernard Mourad, donc, a traversé la rue à plusieurs reprises et toujours avec succès, certain d’être toujours accueilli les bras grands ouverts. Il est d’abord entré chez SFR pour devenir responsable du développement d’Altice Media International. Bref, il était l’un des plus proches collaborateurs de Patrick Drahi, dont on connaît la réussite insolente avec 50 milliards de dettes.

Bernard Mourad a, une fois encore, traversé la rue pour entrer chez l’ex-banquier Emmanuel Macron, dont il devient en 2016 le conseiller spécial. Très spécial, car c’est lui qui était chargé des relations avec le monde des grosses entreprises, celles qui ont financé la campagne du fondateur du mouvement « En Marche ! ».

On vient d’apprendre qu’il a encore traversé la rue pour revenir à ses premières activités, celles de banquier d’affaires. Il vient d’être nommé responsable de l’activité Corporate & Investment Banking de la filiale de Bank of America Merill Lynch (BofAML).

Comme quoi, pour les amis de Macron, banques, grandes entreprises et mouvements politiques libéraux sont solidement intriqués.

Le nouveau monde n’a rien inventé.

Des milliards et des miettes

Emmanuel Macron a lâché quelques miettes au peuple des pauvres pour tenter d’apaiser les colères des gilets jaunes.

Sur un ton compassé, il a accordé la charité, tout en avouant ne pas vouloir revenir sur ses cadeaux aux riches. Ne parlons plus de l’ISF ; sa restitution aux pauvres n’est pas d’actualité, car la justice sociale et fiscale, bref la justice tout court, ne peut pas être imaginée dans une société libérale.

Dans l’allocution du président de la République il n’y avait donc place que pour la charité.

Mais le peuple n’est pas dupe ; il sait que la France regorge d’argent. En 2017, les groupes du CAC 40 ont vu leur chiffre d’affaires augmenter de 6 % et ils ont dégagé 93,4 milliards de bénéfices, soit 26,5 % de plus qu’en 2016.

L’argent n’a pas ruisselé jusqu’au peuple ; les actionnaires se sont vus attribuer 47 milliards de dividendes (auxquels il faut ajouter les effets de 6,5 milliards de rachats d’actions). Or, les actionnaires des groupes du CAC 40 sont à 50 % des non-résidents, fonds d’investissements anglo-américains, asiatiques ou moyen-orientaux. Et eux n’investissent pas…

Le rendement des entreprises du CAC 40 est de 3,2 % supérieur à celui de leurs homologues américaines. Vive la France du capitalisme libéré.

La fête des actionnaires est permanente : les groupes du CAC 40 ont redistribué les deux tiers de leurs bénéfices à leurs actionnaires depuis 2008, année de la crise qu’on sait. Ces entreprises se gavent des cadeaux des Macron, Hollande, Sarkozy !

Et il serait impossible de donner un coup de pouce, un vrai, au SMIC ?

Les miettes pour les pauvres, les milliards pour les riches, on y revient.

Dérive autoritaire

En France, on a interpellé des citoyens au seul motif qu’ils allaient manifester. Les ministres et la police ont parlé d’interpellations préventives et ont reconnu avoir fait procéder à 1 723 arrestations samedi, avant toute infraction.

Un avocat du barreau de Paris, membre de la Ligue des droits de l’homme, Me Arié Alimi, accuse : « Lorsqu’on interpelle des gens qui n’ont rien fait, simplement parce que l’on considère qu’ils ont des intentions dangereuses, on change de régime, on change de paradigme. »

Un autre avocat, Me Avi Bitton, conteste, lui aussi, ces interpellations : « Mes clients, deux parents et leur enfant de 21 ans qui venaient d’Alsace, ont été arrêtés à la sortie de leur véhicule, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Ils ont été fouillés, ils n’avaient rien sur eux. On leur a demandé d’ouvrir le coffre de la voiture, où il n’y avait que des casques de vélo en plastique, qui ne dissimulent pas le visage ».

Me Bitton parle « d’un outil de dissuasion vis-à-vis de la population française. A ce compte-là, on aurait pu interpeller tous les manifestants qui étaient à Paris hier. Nous sommes toujours en démocratie mais c’est une dérive autoritaire du gouvernement à laquelle on a assisté. »

Les infractions à la loi sont toujours le fait de régimes autoritaires aux abois. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire.

Après les adoptions de lois par ordonnances, Emmanuel Macron vient de montrer un visage inquiétant. 

Il est vain d’attendre un infléchissement de sa politique !

L’ordre capitaliste doit régner

Faut-il que le président de la République soit à ce point paniqué pour relayer les rumeurs et se permettent de communiquer à France Info les remontées de terrain en sa possession qui feraient état d’un grave danger pour la journée du samedi 8 décembre. Des gilets jaunes monteraient à Paris pour casser et tuer.

Emmanuel Macron et son entourage jouent clairement la dramatisation et justifient par avance leur décision imbécile de renforcer les forces de répression et de faire appel à la présence de blindés pour s’opposer à ce qui serait, au fond, un putsch sanglant fomenté par l’ultradroite et l’ultragauche réunis dans un même élan.

Le pouvoir joue sur la peur pour dissuader les gilets jaunes de venir manifester, c’est un grand classique des pouvoirs réactionnaires aux abois. Il prétend également avoir revu sa stratégie en annonçant la mobilité des forces de police qui seraient autorisées à aller au contact, donc à l’affrontement direct avec les risques que cela suppose. Le pouvoir répressif s’exonère par avance de toute bavure, tout en s’y préparant.

Le triste nouveau monde de Macron ressemble de plus en plus à l’ancien, celui qui envoyait les troupes mater les grèves de mineurs en tirant sur les manifestants. L’ordre capitaliste, pour se perpétuer, ne s’interdit pas les morts.

En agissant ainsi, il joue avec le feu. Pense-t-il vraiment régler la crise sociale en faisant donner les forces de police ?

Pense-t-il vraiment régler le mouvement lycéen en faisant preuve d’une violence inouïe, en gazant, en matraquant et en humiliant des centaines de jeunes agenouillés, les mains sur la tête ou menottés, comme à Mantes-la-Jolie ?

Les médias d’information continue s’en régalent, certes, mais Macron a emprunté un chemin dangereux quand gilets jaunes, lycéens, étudiants, et d’autres ne souhaitent qu’un avenir digne, plus digne, gardant au fond d’eux-mêmes et collectivement l’espoir de connaître des jours heureux, inondés de soleil, libérés du poids d’un avenir incertain dans un pays où ils auraient enfin leur mot à dire.

Les bons clients

Une fois encore, c’est hélas une habitude, la crise des ‘’gilets jaunes’’ met en lumière les dérives du traitement médiatique d’un événement exceptionnel, notamment par les chaînes dites d’information continue.

Celles-ci se complaisent dans un traitement spectaculaire, pour fédérer l’audience la plus large. Et, puissance de l’image dans notre société du spectacle, elles sont suivies par l’ensemble de la presse (ou presque).

Les reporters sur les rassemblements sont censés rechercher les ‘’bons clients’’, c’est-à-dire des grandes gueules, s’exprimant bien et tenant le discours que les chaînes veulent entendre, un discours réduit à quelques phrases simples et simplistes. Peu importe que ces « représentants » autoproclamés du mouvement ne représentent qu’eux-mêmes pourvu qu’ils fassent le spectacle attendu par les hiérarchies, ces journalistes qui ne sont jamais allés sur le terrain et qui, derrière leur bureau et devant leur ordinateur, connaissent tout et délivrent le discours que les propriétaires de leur média veulent entendre.

Dès qu’un ‘’bon client’’ est repéré, toutes les chaînes le veulent et l’invitent. On n’assiste plus à une concurrence sur la qualité de l’information mais sur la concurrence sans limite pour l’Audimat.

On n’a pas pu échapper à l’un d’eux, Christophe Chalençon, un artisan du Vaucluse, candidat aux législatives de 2017 sur une liste Générations citoyens (il n’a recueilli que 0,63 % des voix) qui s’est déjà distingué par son anti-islamisme et qui n’a pas hésité à demander la nomination du général de Villiers comme Premier ministre pour éviter la guerre civile.

Si les ‘’gilets jaunes’’ ont libéré la parole des citoyens, les chaînes d’information continue, elles, la leur ont confisquée au profit des ‘’bons clients’’.

Les contraintes qui pèsent sur les journalistes sont terribles ; le mécanisme qui entrave une véritable information pluraliste, complète et vérifiée est bien au point. Les journalistes seuls ne s’en délivreront pas et les ‘’gilets jaunes’’ devront se rapprocher d’eux plutôt que de les agresser.

Graine de violence

Nous pouvions dormir tranquille depuis l’élection d’Emmanuel Macron (ni de droite, ni de gauche) ; la révolution (titre de son livre programme) était en marche : il allait réformer la France de fond en comble. L’argent allait ruisseler !

Rares ont été les observateurs politiques et les économistes à émettre des doutes sérieux quant à l’efficacité d’un programme tout entier tourné vers le libéralisme, avec un gouvernement où les petits ambitieux de la droite sarkozyste fraichement convertis étaient appelés en grand nombre.

Les patrons béaient d’admiration et louaient ce gouvernement qui leur administrait chaque jour une dose de solidarité de classe ; les institutions étaient à leurs pieds.

Le petit homme pressé de l’Elysée gouvernait à coup d’ordonnances, insultait les chômeurs et déclamait quotidiennement un discours lénifiant pour endormir son bon peuple. Ses ministres disaient, eux, n’importe quoi et rabâchaient les paroles du chef pour meubler l’espace médiatique et séduire la masse ignare. Peu importait, seule comptait la parole de l’oracle, bouffi de suffisance.

Mais le petit homme, réfugié dans son bunker, entouré de courtisans, eux aussi sortis d’une grande école où l’on apprend à gouverner contre le peuple et sans le peuple pour régner en maître et seigneur, était tellement ignorant des choses du peuple qu’il n’a pas vu le peuple se lever. Dans le désordre, certes, dans la violence (condamnable, bien entendu), mais qui était la traduction d’un rejet total.

Comment qualifier Emmanuel Macron, sinon de graine de violence.

On ne fait pas de cadeaux somptuaires aux riches en supprimant l’ISF et aux patrons en cassant le code du travail par ordonnances, on ne casse pas les retraites par répartition, les prud’hommes, le statut de la SNCF et de la fonction publique avec la loi PACTE, on ne ferme pas les hôpitaux, on ne supprime pas 120 000 postes de fonctionnaires pour fermer des services publics et les emplois aidés, on n’augmente pas la CSG pendant qu’on baisse les dotations aux collectivités territoriales, on ne rejette pas le plan Borloo, on ne ferme pas l’université aux plus pauvres en réformant le baccalauréat et en instaurant Parcourus, on ne réduit pas le logement social et le bail à vie (loi ELAN), on ne diminue pas l’APL (la liste, hélas, n’est pas exhaustive) sans que le peuple réagisse.

Quand on se prétend exemplaire, on évite les quelques affaires qui ont déjà émaillé son quinquennat (Ferrand, Bayrou, de Sarnez, Goulard, Flessel), un vrai scandale (Affaire Benalla) et quelques démissions tonitruantes (Hulot et Collomb). On évite aussi les insultes aux citoyens qui osent apostropher sa majesté…

Faut-il alors s’étonner que le peuple ait fini par avoir des réactions violentes, désordonnées ? Les lamentations des macronistes après les violences (que je n’approuve pas pour autant) ne sont-elles pas l’expression de l’aveuglement d’un président coupé du monde, idéologue (contrairement à ce qu’il prétend), incapable de comprendre la colère sociale ? Ses cris d’indignation ne lui servent-ils pas à masquer son désarroi et à tenter de retourner une opinion solidaire ?

Emmanuel Macron, graine de violence, devra rendre des comptes à un peuple qui n’en peut plus du libéralisme.