Avons-nous sombré dans un monde irrémédiablement perdu, dans lequel la loi du fric a supplanté la morale ? Sommes-nous destinés à ne plus connaître que des dirigeants économiques et politiques pourris, dont Trump est le symbole suprême ?

C’est terrible d’avoir l’impression de se répéter à l’infini, mais c’est l’actualité qui se répète. A chaque jour son scandale et parfois ses scandales. Apprendre qu’Alexandre Benalla voyage avec un passeport diplomatique est suffocant, mais pas autant que d’apprendre que l’entreprise commune (ou joint-venture) Renault-Nissan BV, créée le 28 mars 2002 et domiciliée aux Pays-Bas (un vrai paradis fiscal), n’était qu’une caisse noire.

Elle était à l’origine une société destinée à fournir des services de gestion stratégique et de gérer des domaines de gouvernement d’entreprise entre les deux entreprises communes RNPO (Organisation des achats Renault Nissan) et RNIS (Services d’information Renault-Nissan). Mais voici que la société a joué un rôle de tirelire discrète pour verser des rémunérations occultes (et non soumises à l’impôt) à quelques hauts dirigeants. Pour ces gens-là, les rémunérations ne sont pas au niveau du salaire de l’auto-entrepreneur ; elles ont de nombreux zéros.

Les faits, étalés sur plusieurs années, se chiffreraient en milliards d’euros.

Depuis 2012, les syndicats et notamment la CGT avaient alerté les actionnaires de Renault, dont le gouvernement français (à hauteur de 15 %), sur l’opacité de RNBV, sur son rôle exact et sur l’absence d’informations alors même que le rapport annuel d’activité de la firme stipule que «les décisions et recommandations sont soumises aux organes de direction et d’administration de Renault qui s’assurent de leur conformité à l’intérêt social de Renault».

Les silences du gouvernement sont lourds de signification. Carlos Ghosn a certes failli, mais il n’est pas le seul et l’affaire enfle ; elle empoisonne tous les milieux économiques et politiques, malgré les tentatives d’étouffement. L’affaire Ghosn dépasse les dévoiements du prisonnier de Tokyo, elle n’est qu’un épisode émergé des immenses dérives d’un système et de ses mensonges d’Etat.

Les citoyens sont stupéfaits et sidérés en découvrant des pratiques délictueuses aussi énormes, alors qu’on leur refuse une petite augmentation du SMIC. Le ruissellement s’arrête aux portes des conseils d’administration ! Les salariés, même les illettrées de l’abattoir de Gad, ont compris qu’ils doivent trimer chaque jour davantage pour gonfler les dividendes et se taire. 

Faut-il s’étonner que la révolte gagne les ronds-points ? Les salariés, tous ensemble, n’ont plus envie d’obéir sagement. Ils réclament la dignité.