Le Monde, le quotidien vespéral, est en crise. Comme la planète Terre. Les deux souffrent de la même maladie, le capitalisme à bout de souffle.
Les journalistes des différents titres du groupe Le Monde (le quotidien, Télérama, Courrier international, les titres des Editions Malesherbes comme La Vie, etc.) sont en émoi et ont lancé un appel pour la garantie de leur indépendance face à la montée dans le capital de l’oligarque tchèque Daniel Kretinsky.
L’affaire n’est pas simple et tourne autour d’un éventuel droit d’agrément en cas d’entrée d’un nouvel actionnaire majoritaire.
La crise n’est pas nouvelle ; elle remonte aux années 1980 avec les premières difficultés financières et les pressions de la BNP pour la vente le siège de la rue des Italiens, puis en 1994 quand le seul quotidien appartenant à ses salariés a troqué son statut de SARL pour le statut de SA à directoire et conseil de surveillance, faisant entrer les loups dans la bergerie.
Aujourd’hui, le groupe est hélas entre les mains de financiers et d’industriels sans état d’âme qui n’entendent pas céder le vrai pouvoir de décision aux journalistes, le pouvoir économique qui dicte sa loi aux autres et influe tellement sur les choix éditoriaux.
Matthieu Pigasse, responsable mondial des fusions-acquisitions et du conseil aux gouvernements de la banque Lazard (rien que ça), et son compère-associé Daniel Kretinsky ne partagent pas le pouvoir. C’est d’ailleurs ce que le banquier a répondu aux journalistes, sans ambiguïté ; il refuse en effet d’ajouter « des clauses telles, que le droit d’agrément devienne en réalité un droit de répudiation, et même en pratique une clause d’inaliénabilité ».
Comprenne qui voudra !
Le combat des salariés (et des journalistes) du Monde est symbolique au moment où tous les grands médias sont contrôlés par des industriels milliardaires. Il serait vain cependant de croire que le Monde va renverser le cours des choses seul. Le combat pour l’indépendance rédactionnelle des médias passe par une lutte globale soutenue par une opinion publique faisant respecter son droit à une information complète, vérifiée et mise en perspective.
Matthieu Pigasse en réponse aux journalistes a ajouté que toutnouvel actionnaire majoritaire devrait remplir « des critères d’honorabilité, de moyens financiers et bien évidemment l’engagement de respecter les règles d’indépendance du Groupe, permettant d’exclure sur une base objective des actionnaires manifestement contraires ou incompatibles avec les valeurs qui sont les nôtres. »
Reste à définir quelles sont les « valeurs qui sont les nôtres ».
Les journalistes du Monde prétendent que le quotidien n’a pas de ligne politique et n’en a jamais eu. En 2010, le directeur Eric Fottorino expliquait :
« Le Monde est un journal non aligné, c’est-à-dire qu’il n’épouse aucune ligne partisane. Ce serait insulter l’intelligence de nos lecteurs que de nous ranger les yeux fermés derrière un parti. C’est au nom de nos valeurs traditionnelles que j’ai, à plusieurs reprises, depuis trois ans, vivement critiqué la politique de Nicolas Sarkozy, pour défendre la démocratie, la liberté de la presse ou les atteintes aux corps intermédiaires. »
Certes, le Monde a souvent critiqué Giscard d’Estaing, Chirac, Sarkozy et Mitterrand, mais il a aussi soutenu toutes les politiques de droite ou prétendument de gauche et approuvé les réformes du code du travail ou la loi travail ; surtout, il n’a jamais remis en cause les méfaits du capitalisme. De même, Michel Noblecourt, par exemple, a passé toute sa carrière à déverser des tombereaux d’insulte sur la CGT et à tresser des louanges au syndicat d’accompagnement du libéralisme, la CFDT. En toute neutralité sans doute.
Les progressistes, les vrais, n’ont pas droit de cité dans les colonnes du Monde, dont la ligne politique (car il en a une) s’arrête à la social-démocratie.
Matthieu Pigasse, Daniel Kretinsky, Didier Niel, s’ils ont investi dans le Monde, entendent bien continuer à développer cette ligne politique et la lutte des journalistes finira par s’en accommoder.
Il n’empêche qu’il est absolument nécessaire de soutenir la revendication des journalistes ; le moment venu, il faudra leur rappeler leur indépendance et le soutien des progressistes dans leur combat quand ils manqueront à leur devoir d’informer complétement et sans parti pris.