La Chouette qui hioque

Mois : février 2018

Le choc thatchérien

L’AFP a diffusé une dépêche reprenant les prédictions d’un prétendu analyste, présenté comme un expert en communication, Philippe Moreau-Chevrolet.

L’homme a fondé MCBG Conseil, « agence de communication spécialisée dans la communication personnelle des dirigeants » (plus rentable que la communication des syndicats !).Il a été un journaliste éphémère ; il a micro et colonnes ouvertes dans de nombreux médias « pour commenter la communication des politiques et dirigeants d’entreprises » (Itélé, Canal+, France 5, BFM TV, Public Sénat, France 24, Europe 1, Le Monde, Le Parisien). Rien que ça.

Avec lui, il n’y a pas de surprise : la parole libérale coule de source et ses avis sont définitifs. Que l’AFP succombe, elle aussi, à sa logorrhée, en dit long sur le degré d’asservissement des médias aujourd’hui. 

Si le président des riches se rêve en Margaret Thatcher, la France de 2018 n’est pas le Royaume-Uni de 1980 :

« Soutenue par l’opinion mais combattue par les syndicats, la réforme éclair de la SNCF représente pour Emmanuel Macron, en baisse dans les sondages, un test pour des réformes à venir encore plus délicates: celles des retraites et de la fonction publique, selon les analystes. « Emmanuel Macron veut imposer un choc thatchérien en France », estime l’analyste Philippe Moreau-Chevrolet,  qui dresse un parallèle avec la Première ministre britannique des années 80. « Margaret Thatcher avait déclenché sciemment et brutalement un conflit avec le syndicat des mineurs, en prenant l’opinion à témoin. En gagnant, elle avait obtenu ses galons de dame de fer et eu les mains libres pour libéraliser l’économie britannique. Macron veut être l’homme de fer français, briser les syndicats et s’attaque donc à leur bastion numéro 1, la SNCF », estime l’analyste. »

Le système médiatique ne cesse pas d’entretenir le rêve du premier de cordée. Et dire que les porte-flingues de Macron se prétendent malmenés par les médias…

Le coup du petit-fils de cheminot

Edouard Philippe était censé présenter le plan de casse de la SNCF, mais le président des riches l’a largement devancé en le dévoilant au Salon de l’agriculture.

Son argument massue tient en une petite phrase : « Le monde n’est plus comme avant. »La phrase est définitive et comme toute vérité absolue, elle n’est pas discutable.

La tactique consiste à tenter de dresser certains salariés contre d’autres : « Je ne peux pas avoir d’un côté des agriculteurs qui n’ont pas de retraite, et de l’autre avoir un statut cheminot et ne pas le changer. » La démagogie portée à son comble par un président qui veut aussi remettre en cause le système de retraite par répartition.

Il n’hésite pas à apostropher les cheminots en termes qui suintent le mépris. S’adressant à un cheminot visiteur du Salon qui l’avait interpellé, il a osé faire référence à on grand-père : « Je suis petit-fils de cheminot, allez voir les agriculteurs, ils n’ont pas de statut… faut pas raconter des craques aux gens. Vous avez quel âge? Vous n’avez pas le même rythme que mon grand-père qui était cheminot. »

Démagogie insupportable d’oser faire référence à des racines que le président des riches dont on peut mesurer au quotidien combien il les a oubliées.Il n’est pas sûr que le grand-père cheminot aurait apprécié la sortie du petit-fils et son arrogance, quand on sait l’attachement des salariés de la SNCF au service public

Crise du système et communication

Emmanuel Macron avoue être entré par « effraction » dans les rouages d’un système capitaliste français à bout de souffle. S’il y est entré par effraction, c’est pour tenter de la sauver et, dans un éclair de lucidité, il reconnaît aussi être le « fruit d’une forme de brutalité de l’Histoire ». Sa politique est effectivement brutale.

Aujourd’hui, ceux qui l’ont porté à la présidence de la République contemplent, ravis, l’évolution de le « start-up France » : casse de tous les services publics (santé, transports, éducation nationale et recherche, justice, énergie, audiovisuel), de tous les acquis sociaux (sécurité sociale, retraites, code du travail). Le président des riches a répondu aux aspirations des entreprises au-delà de leurs espérances, au-delà de ce que ses prédécesseurs avaient osé bousculer et, pour détourner l’attention, il désigne les réfugiés comme des fauteurs de troubles, qui mettraient à mal la cohésion nationale.

C’est dans ce contexte de redéfinition des missions de la République (et de leurs périmètres) qu’il convient d’analyser ce qui se joue dans le paysage médiatique en ce moment.

La remise en cause des services publics et des acquis sociaux se heurte à des résistances, non seulement de la part du peuple de gauche, mais désormais de la part des classes moyennes. La bataille des idées secoue la France en profondeur et le contrôle de l’information est devenu un enjeu majeur de celle-ci.

Les prédécesseurs de Macron avaient largement entamé le processus qui a permis à quelques milliardaires et opérateurs de télécommunications de faire main basse sur les ‘’grands médias’’.

Aujourd’hui, Emmanuel Macron veut aller plus vite et plus loin pour que la communication s’impose définitivement à l’information complète, vérifiée, pluraliste permettant aux citoyens de comprendre les enjeux réels des évolutions en cours.

Le service public de l’audiovisuel, qui échappe encore aux puissances d’argent, est le premier à subir la « révolution » de Macron. Réduction de son périmètre (avec la suppression de chaînes de télévision et de radio) au niveau national comme au niveau régional (laissant ainsi le champ libre aux chaînes locales privées et aux groupes de presse régionale), réduction de ses ressources (incitant ainsi à trouver des financements privés), précarisation des personnels pour une meilleure malléabilité, etc.

Si la « révolution » Macron devait aboutir, c’en serait fini du triptyque ‘’informer, éduquer, divertir’’, mission d’un service public censé être différent des chaînes privées comme TF1, M6 ou les chaînes Bolloré.

Le contrôle de la presse écrite est également dans le collimateur des néolibéraux et de leur gouvernement.

La réforme des aides à la presse, dont on parle depuis des décennies, ne sera vraisemblablement envisagée que lorsque le contrôle de tous les médias sera effectif, c’est-à-dire quand les derniers titres non inféodés aux puissances d’argent auront disparu. Et, hélas, tout est fait pour y parvenir dans les meilleurs délais, notamment avec le déclenchement de la énième crise de la distribution coopérative opérée par Presstalis (ex-NMPP).

Les milliardaires qui contrôlent les titres comme Le Monde,le Figaro,Libération,Les Echos ou Le Parisienrépètent depuis des années que le nombre de titres est bien trop important et que leur exposition dans les points de vente porte préjudice aux leurs, les plus vendus. Sous-entendu, débarrassez-nous de ces titres qui nous gênent.

Dans un système ultralibéral, il leur est également insupportable de devoir assumer un système coopératif imposé par la loi Bichet, votée au lendemain de l’Occupation, avec le souci d’assurer le pluralisme par une péréquation entre titres à forte diffusion et titres à plus faible diffusion.

Ce qui se joue aujourd’hui à Presstalis est l’une des dernières étapes avant la domination des puissances d’argent sur l’information.

Quant à l’AFP, l’agence qui alimente les contenus de tous les médias et dont le statut original (elle n’a pas d’actionnaires) assure son indépendance, elle est également l’objet de manœuvres pour lui faire endosser à terme un statut de droit commun (AFP – SNCF, même combat !) qui préluderait à une privatisation rapide.

Plus que jamais, l’information est un enjeu essentiel dans la bataille des idées et les connivences entre le pouvoir politique (émanation des puissances d’argent) et le pouvoir économique ne sont pas apparues aussi clairement : l’information est dangereuse si elle donne à réfléchir ; en revanche la communication est décisive pour anesthésier les citoyens. Les convergences entre la politique d’Emmanuel Macron et les ‘’revendications’’ des Dassault, Arnault, Lagardère, Niel, Drahi ou Bolloré n’ont jamais été aussi fortes.

Macron veut mettre définitivement les milieux d’affaires et les politiques à l’abri avec une prétendue loi sur les fausses nouvelles (fake news) et la loi de transposition de la directive européenne sur le secret des affaires qui visent à restreindre les pouvoirs d’investigation des journalistes. Ses ministres les ont déjà mises en œuvre en n’hésitant pas à poursuivre devant les tribunaux quelques membres de la profession quand ils ont dévoilé des informations dérangeantes pour le bon déroulement de la remise en cause du code du travail ou du service public de l’audiovisuel

L’information libre est trop précieuse pour l’abandonner aux puissances d’argent et aux politiques à leur solde ; le droit à une information citoyenne est aussi décisive que les services publics et les acquis sociaux pour une véritable vie démocratique digne du XXIe siècle.