La Chouette qui hioque

Mois : novembre 2021

Tout fout le camp !

Les usines ferment ; les hôpitaux et leurs soignants, l’éducation nationale et ses enseignants sont en crise. Les pêcheurs et les agriculteurs sont malmenés. Etc.

La France s’enfonce dans une grave crise.

Pendant ce temps-là, le président de la République continue à regarder les trains passer et prépare un second quinquennat encore plus ultra-libéral. Avec en ligne de mire la Sécurité sociale, les chômeurs, les exilés ; entre autres !

Pendant ce temps-là, l’Académie française élit un fieffé réactionnaire, Mario Vargas Llosa. L’impétrant a 85 ans (quand même) alors que la règle veut que les candidats aient moins de 75 ans ! L’impétrant est un exilé fiscal dont le nom figure sur les Panama Papers en 2016 et les Pandora Papers en 2021 ! L’impétrant a renié son penchant de jeunesse vers le communisme pour s’enthousiasmer pour José Maria Aznar en Espagne et Silvio Berlusconi en Italie !

Les Académiciens sont peu regardants sur la morale des candidats.

Pendant ce temps-là, Interpol porte à sa présidence le général des Emirats arabes unis, Ahmed Nasser Al-Raisi, accusé de torture dans son pays.

Pendant ce temps-là, Envoyé spécial consacre 1h25 aux agressions sexuelles de Nicolas Hulot. Succès d’audience garanti : Elise Lucet qui tombe de plus en plus dans le sensationnel, la théâtralisation et la course à l’Audimat a rassemblé plus de 3,3 millions de téléspectateurs, devançant TF1. Le voyeurisme a triomphé. 

Je n’ai aucune sympathie pour Nicolas Hulot, odieux personnage, imbu de sa petite personne et je suis entièrement solidaire de ses victimes. Mais les ‘’révélations’’ d’Envoyé spécial ne méritaient pas un aussi long reportage quand de multiples drames se jouent partout dans le monde, y compris en France avec les noyades d’une trentaine de pauvres exilés à la recherche d’une vie non pas digne mais moins miséreuse.

Les femmes victimes d’agressions sexuelles et de violences conjugales méritent mieux qu’une émission racoleuse, indigne du service public. D’ailleurs, depuis quelques semaines, les chaînes ont diffusé des reportages et des fictions qui, elles, n’ont pas joué sur le registre du voyeurisme.

Notre monde, celui qui nous entoure, est malsain ; il est le signe d’une civilisation décadente, dans laquelle tout fout le camp.

L’expression est triviale, mais elle sonne tellement juste !

Aux bulletins de vote, citoyens !

On ne louera jamais assez la qualité de l’émission Le Magazine de la Santé sur France 5 ; il s’agit d’une émission digne du service public.

Aujourd’hui, parmi les invités, la parole a été donnée à Sophie Crozier, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière. Ce médecin a une nouvelle fois dénoncé la situation dans les hôpitaux publics avec beaucoup d’éloquence. Sa colère n’est pas feinte ; fière de son métier, elle a exprimé sa colère, nullement affaiblie par les années de lutte pour remédier à la lente de l’agonie du service public. L’émission a fort opportunément diffusé un reportage à l’hôpital de Garches où les médecins ont dénoncé la même situation avec les mêmes mots et la même colère. Le reportage aurait pu aller dans un autre hôpital, les mots auraient été identiques, les colères aussi.

Le Monde a publié ce même jour un reportage sur le dramatique suicide d’une adolescente laissé seule dans sa chambre de l’hôpital Ambroise Paré, faute de personnel.

D’autres médias ont mis l’accent sur les dangers de la cinquième vague du Covid ; les hôpitaux ne pourront pas y faire face.

Ce scandale est totalement ignoré par un Macron toujours aussi imbu de lui-même et qui détourne la tête quand il se trouve confronté à la dure réalité du pays.

Les sages-femmes ? Connais pas ! Les étudiants sans université ? Connais pas ! Les usines Benteler de Migennes ou SAM de Viviez ? Connais pas ! Les négociations dans l’hôtellerie-restauration ? Connais pas !

Les Egypte Papers ? Connais pas non plus ! Chut, on vend des armes aux dictateurs qui s’en servent contre leurs peuples, mais il ne faut pas l’ébruiter.

Quant à la Guadeloupe, son ministre de l’intérieur, lui en revanche, connait ; mais il ne répond pas aux revendications, le va-t-en-guerre envoie des forces de l’ordre, de son ordre.

Pendant ce temps-là, les riches entassent les dividendes et font des projets fous pour gagner toujours plus. Accor lance une nouvelle chaîne d’hôtels de grand luxe, Emblems Collection. La famille de Villiers du Puy du Fou, elle, va lancer un voyage sur rail baptisé Le Grand Tour, réservé à 30 passagers pour la modique somme de 4 900 €. Le luxe se porte bien, très bien, et ne connait pas la crise.

Emmanuel Macron, fier de sa politique, s’apprête à annoncer sa candidature pour un second quinquennat, histoire de satisfaire encore les plus riches, et de creuser davantage les inégalités. Les délaissés du macronisme et de l’ultra-libéralisme ne peuvent plus se retrancher dans l’abstention. Ils doivent retrouver le chemin des urnes.

Aux bulletins de vote, citoyens !

Incroyable Yannick Jadot

Yannick Jadot est candidat à la présidence de la République ; il a été le premier à l’annoncer et à affirmer haut et fort que rien ne l’arrêterait. Maintenant, il appelle les autres forces de gauche à le rejoindre. Dans un entretien au Journal du dimanche, il réitère son appel :

« Je dis aux socialistes comme à tous les progressistes : rejoignez-nous ! Construisons ensemble l’alternance à un quinquennat de renoncement écologique, de régression sociale et d’affaissement démocratiqueEn janvier, j’espère que nous nous donnerons collectivement les moyens d’un rassemblement ».

Le leader des écologistes avait commencé sa campagne sur un air très à droite ; aujourd’hui, il tente de ramener les voix des progressistes sur son nom. Grossièrement et sans rien annoncer de concret.

Curieux, ce candidat qui navigue en eau trouble ! Qui peut encore croire qu’il a changé et qu’il est le chantre de la justice sociale ? 

« Les Français attendent des solutions à la hauteur des défis du climat, du vivant, de la santé et de leur exigence de justice sociale. C’est donc autour de notre projet, du projet écologiste, qu’une dynamique de rassemblement doit s’enclencher ».

L’air est connu : hors de nous, point de salut ! En toute modestie.

Il prétend, en réponse aux critiques d’Anne Hidalgo, qu’il n’a pas de leçon à recevoir. Quelle morgue ! Quelle humilité !

« Nous sommes les seuls à engager avec ambition les chantiers de réduction de dépenses contraintes : sur le logement, les transports, l’électricité et le chauffage, l’alimentation… L’écologie est la meilleure alliée du pouvoir d’achat comme elle l’est de l’emploi. Nous portons la revalorisation des salaires dans le privé comme dans le public. L’école et l’hôpital public sont au cœur de notre grand plan de réparation du pays. Une campagne réussit quand son projet résonne avec l’opinion publique, qu’il répond aux préoccupations des Français, qu’il ouvre une nouvelle page de notre récit nationalJe ne vois que l’écologie pour nous réconcilier avec notre avenir et entre nous. Avec Zemmour, le seuil d’entrée au second tour a baissé. Il y a une perspective de victoire écologiste et sociale. On peut gagner ».

Pauvre Yannick Jadot ; il est juste incroyable et d’une modestie sans borne. Un peu comme Emmanuel Macron en 2017 ! Non, Yannick Jadot, les Français ont déjà donné et ils aspirent à une autre politique, au-delà des belles promesses.

Le sourire de Salomé

Il est des jours où le stylo se refuse à écrire, le chagrin et les sentiments sont trop lourds pour lui.

C’est le cas aujourd’hui, après l’annonce d’une nouvelle par nos meilleurs amis, le décès de leur petite-fille. Elle était une adolescente belle et intelligente ; elle avait à peine 16 ans et elle s’est suicidée.

L’annonce, effroyable, nous a plongé dans une tristesse indicible. Il est dans la nature des choses que nous, les aînés, disparaissions avant nos enfants et petits-enfants ; pas l’inverse.

Nos enfants et petits-enfants sont l’aurore, comme l’écrivait Victor Hugo dans son admirable L’art d’être grand-père. Que sera l’aurore sans le sourire de Salomé ?

Nous sommes assaillis de questions et nous ne savons pas y répondre. A aucune et cette incapacité nous plonge encore plus profondément dans l’angoisse.

Comment, à 16 ans, vouloir quitter ce monde où son avenir s’annonçait radieux et ne demandait qu’à éclore ? Ce monde, notre monde, est-il si noir ?

La jeunesse a besoin de rêves et nous n’avons sans doute pas fait ce qui était de notre responsabilité pour que Salomé (et, avec elle, toute la jeunesse d’aujourd’hui) puisse encore rêver.

Tant que sur cette terre nous devrons pleurer les Salomé, quittant parents, frères, grands-parents, amis, professeurs, avec la brutalité du suicide, nous autres, les vieillards qui avons vécu et sans doute mal préparé l’avenir pour ouvrir des horizons à nos enfants, nous serons poursuivis par les remords. Si la terre est si laide, si noire et si peu vivable, nous devrons encore puiser dans nos forces déclinantes toute l’énergie possible pour la changer.

Redonnons du rêve à ces êtres qui veulent fuir le mal et les horreurs.

N’oublions pas ce sourire de Salomé englouti à jamais ! Son innocence anéantie !

Le grand remplacement

Guillaume Meurice a un esprit acéré et il écrit ses billets dans Siné mensuel à coup de phrases courtes, percutantes. Il interpelle le citoyen et le bouscule volontiers. Opportunément et sans détour.

Dans le numéro de novembre, sous le titre ‘’Ne perdez pas votre temps à lire ceci’’, il frappe fort le consensus mou de notre époque :

« Vous perdez votre temps. Vous nous faites perdre le nôtre. Vous parlez d’une France qui n’a jamais existé ailleurs que dans votre tête. Vous rêvez de pureté. Vous haïssez le multiculturalisme avec des Nike aux pieds, en mangeant une pizza, votre Samsung à la main. Vous avez déjà perdu. Personne ne démélangera les cultures. Personne ne cessera de voyager, de fuir la misère, de tomber amoureux, de se métisser. Vous vous épuisez pour rien. Les dominants vous ont fait croire que le danger, c’était le réfugié sans le sou plutôt que le milliardaire qui vous pique du pognon tous les jours, échappant à l’impôt, imposant sa politique. Vous y avez cru. Ils ont gagné. Ils ont ‘’grand-remplacé’’ les raisons de votre colère. Mais vous valez mieux que ça. Mieux que vos angoisses. Mieux que vos névroses, qui ne sont définitivement pas un programme politique. Posez ce ‘’seum’’ délicatement sur le sol. Les plus virulents d’entre vous jouent au mâle dominant mais attaquent toujours à plusieurs, masqués, dans le dos, chouinent dès qu’un pseudo-gauchiste fait une demi-blague, se planquent derrière le culte de la virilité, des armes. Exactement comme des djihadistes. Allez, passons à autre chose. Passez à autre chose. L’humanité va crever sous le réchauffement planétaire, des milliers d’espèces disparaissent chaque semaine, la pauvreté explose et on débat de la bonté du maréchal Pétain ou des prénoms des gosses. Stop. On a assez perdu de temps. »

En lisant ce billet de Guillaume Meurice, j’ai immédiatement pensé à quelques textes de José Saramago qui interpellait lui aussi les citoyens.

Dans son Cahier, à la date du 17 septembre 2008, il apostrophe, lui, les Italiens à propos de Silvio Berlusconi :

« Le peuple italien doit certainement en savoir beaucoup plus que moi, lui qui une, deux, trois fois l’a installé sur le siège de premier ministre. Or, comme on l’entend souvent dire, les peuples sont souverains, ils sont aussi sages et prudents, surtout depuis que l’exercice continu de la démocratie a apporté aux citoyens certaines connaissances utiles sur la façon dont fonctionne la politique et sur les différentes manières d’atteindre le pouvoir. Ce qui signifie que le peuple sait très bien ce qu’il veut quand il est appelé à voter. Dans le cas concret du peuple italien, c’est de lui dont je parle et non d’un autre – son tour viendra -, il est démontré que l’inclination sentimentale qu’il éprouve pour Berlusconi, et qu’il a manifesté à trois reprises, est indifférente à toute considération d’ordre moral. De toute façon, au pays de la Mafia et de la Camorra, qu’elle importance peut bien avoir le fait établi que le premier ministre soit un délinquant ? Dans un pays où la justice n’a jamais joui d’une bonne réputation, qui s’arrange surtout pour que le premier ministre fasse approuver des lois en fonction de ses intérêts, se protégeant ainsi contre toute tentative de punition de ses manquements et de ses abus d’autorité ? »

De ces deux textes, il faut en tirer la conclusion que la démocratie est bien malade, à l’agonie même. Partout. Perdons du temps à lire ceci et cela pour réagir, vite et fort, pour rétablir une vraie démocratie dans tous les pays. Pour ne plus revoir les Berlusconi, Sarkozy, Macron et leurs semblables.

Il y a urgence pour sauver la démocratie et la planète à entreprendre un grand remplacement, celui des ultralibéraux.

Les grandes manœuvres

René Clair avait un talent fou ; en 1955, il a réalisé un film qui a reçu de multiples récompenses, avec des acteurs qui, eux, aussi, avaient un talent fou : Gérard Philipe, Michèle Morgan, mais aussi Yves Robert, Pierre Dux, Jean Desailly, Brigitte Bardot, Michel Piccoli, etc.

René Clair, c’était le monde d’avant, celui où le talent n’était pas frelaté.

La version 2021 d’Emmanuel Macron des Grandes manœuvres paraît bien piètre, avec des acteurs gorgés d’orgueil et à l’ego surdimensionné.

Les grandes manœuvres de Macron nous donneront à voir un film pitoyable qui sortira au printemps 2022.

Le président de République a osé tout mélanger le 11 novembre, la commémoration de l’armistice de 1918, l’hommage aux poilus et le transfert des dépouilles d’Hubert Germain, le dernier Compagnon de la Libération dans la crypte du Mont-Valérien.

Macron pourra rétorquer à ceux qui lui reprocheront le mauvais goût de mélanger les deux guerres mondiales de nature très différentes que c’est l’un de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy, qui a fait voter une loi le 28 février 2012 étendant le jour anniversaire de l’armistice de 1918 à tous les morts pour la France. Il n’empêche, la cérémonie pour Hubert Germain a éclipsé l’hommage dus aux poilus de 14-18 et s’est transformée en manifestation politique du futur candidat tentant de capter les voix de ceux qui se réclament encore du gaullisme.

Quelle que soit sa personnalité, que pèse Hubert Germain face aux 20 millions de morts de la Grande Guerre ? Et, pour aller plus loin, que pèse Hubert Germain face aux plus de 1 000 Résistants fusillés par les Nazis au Mont-Valérien ?

Macron se range du côté de ceux qui ont transformé le Mont-Valérien en site mémoriel du seul gaullisme, alors qu’il aurait dû rester un site à la mémoire de tous les Résistants, notamment les communistes, très nombreux à avoir été assassinés par des Allemands dans la clairière du lieu.

Mais, au bout du compte, je suis comme Georges Brassens, « La musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas ». Et je détourne les yeux pour ne pas voir ce spectacle indigne des véritables héros.

Les grandes manœuvres de Macron, elles, sont permanentes et tous azimuts. J’en veux pour preuve la désignation de Mathias Vicherat à la direction de Sciences Po. Certes il a été élu par le conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques par 19 voix sur 23, mais qui peut douter que son élection a été commanditée par l’hôte de l’Elysée (qui verrouille tout).

Mathias Vicherat a fréquenté l’ENA et a fait partie de la promotion Léopold-Sédar-Senghor avec Macron et, curieusement, il a démissionné de son poste de secrétaire général de Danone le 1er octobre !

Compagnon de Marie Drucker, le nouveau directeur de Sciences Po est souvent présenté comme un arriviste. Autant dire qu’il a tout pour plaire à Macron. Il a flirté avec les socialistes tendance droite (dircab de Delanoë puis d’Anne Hidalgo), a commencé sa carrière dans la préfectorale, poursuivie dans la police puis à la SNCF avant d’aller pantoufler dans le privé. Autrement dit il est compatible avec celui qui n’est ni de droite, ni de gauche.

Les grandes manœuvres de Macron sont de petites tambouilles politiciennes, indignes d’un président d’une République démocratique. Aujourd’hui, on ne peut pas lui demander d’avoir le talent de René Clair.

Silence, des ouvriers meurent

Emmanuel Macron est volontiers méprisant, voire insultant ; c’est assurément sa nature profonde qui s’exprime quand il prononce les ‘’petites phrases’’ qui ont scandé son quinquennat.

En 2016, par exemple, le président de la République avait osé déclarer : « La vie d’un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d’un salarié. Il ne faut jamais l’oublier parce qu’il peut tout perdre, lui. »

A qui pensait Emmanuel Macron en disant cela ? Au petit patron du bâtiment qui a réalisé un chantier pour une collectivité et eu les pires difficultés pour se faire payer, avant de mettre la clé sous la porte ? Au petit agriculteur qui, endetté, a fini par se suicider ? Ou a Arnaud Lagardère qui a dilapidé le groupe de son père avant de se voir offrir une retraite dorée par le tandem Bolloré-Arnault ?

Les deux phrases de Macron ont indigné un jeune professeur d’histoire-géographie de Seine-Saint-Denis qui côtoie la pauvreté chaque jour. Matthieu Lépine, c’est son nom, a rejeté les paroles de Macron et ouvert un compte sur Twitter pour recenser tous les accidents du travail en France. Ceux-ci sont tus dans les médias, passés sous silence, alors que l’assurance maladie chiffre leur nombre entre 700 000 et 800 000 par an ; encore ne s’agit-il que des accidents reconnus. Pour le premier semestre de 2021, il a recensé 163 décès, dont 41 ouvriers du BTP, 28 chauffeurs-routiers, 18 agriculteurs, 13 ouvriers de l’industrie, 9 marins-pêcheurs, 8 bucherons-élagueurs, 6 livreurs de repas, etc.

Le compte Twitter de Matthieu Lépine, ‘’Accident du travail : Silence, des ouvriers meurent’’, s’est enrichi de photos des ouvriers victimes d’accidents du travail et de témoignages. Le professeur sort les victimes de l’anonymat et leur rend l’hommage que le président de la République ne leur rendra jamais, plus soucieux du sort des premiers de cordée que de la mort ou des blessures des gueux et des pauvres au travail.

Emmanuel Macron ne rendra jamais hommage à ces morts, mais il pousse l’insulte au-delà de l’indécence en proposant l’ex-ministre du travail, Muriel Pénicaud à la direction générale de l’Organisation internationale du travail (OIT). La proposition est vraiment osée quand on se rappelle du zèle mis par celle qui s’était déjà distinguée chez Danone, à démanteler le corps des inspecteurs du travail. Elle a tout mis en œuvre pour entraver et remettre en cause leur indépendance. La proposition de Macron résonne comme une injonction : laissez les entreprises fouler au pied la sécurité et laissez les ouvriers mourir en silence ou, plus trivialement, circulez, il n’y a rien à voir !

Il serait indécent de voir Muriel Pénicaud s’installer dans le fauteuil directorial du Bureau international du travail (BIT), organisme de tête de l’OIT, alors qu’elle a aussi entravé la mise en œuvre de la convention internationale et qu’elle est l’objet d’une plainte devant l’instance dont elle brigue le fauteuil.

La France de Macron est malade du mépris des riches et des premiers de cordée, gravement malade.

Dominique Seux et les riches

On attend avec impatience l’éditorial de Dominique Seux lundi matin sur France Inter ; on l’attend euphorique et conquérant. Les Bourses du monde entier battent des records incroyables.

En France, le CAC 40 a dépassé les 7000 points, en augmentation de 26,83 % depuis le 1er janvier (et de 3,8 % en une semaine) ? Et nous dit l’autre quotidien économique, La Tribune, il n’y a pas de risque de récession, ni d’éclatement de la bulle à l’horizon. Les riches actionnaires sont sereins.

Ils ont la calculatrice qui chauffe, les rachats d’actions se multiplient pour ‘’doper’’ les dividendes  et « compléter le manque à gagner des actionnaires l’an dernier du fait des restrictions imposées par les régulateurs sur la redistribution des résultats en pleine crise sanitaire » (sic).

Les chômeurs qui ont vu leur allocation baisser en octobre après la réforme Macron apprécieront les chiffres qu’ils ne peuvent même pas imaginer. Les jeunes qui, eux, avaient espéré un ‘’revenu d’engagement’’, ils devront se contenter d’un ‘’contrat d’engagement revu à la baisse’’.

Macron a choisi les riches ; il continue à leur distribuer les cadeaux et à leur donner sans contrepartie un pognon de dingue. Il ne faut donc pas s’étonner s’il n’y a plus d’argent dans les caisses pour rendre la pauvreté moins dure à survivre.

Mais, pour revenir à Dominique Seux, qui considérait que la pauvreté n’a pas augmenté en France, commentera-t-il les chiffres des bénéficiaires du RSA ? Leur nombre a, lui, augmenté de 7,5 % en 2020 et si leur nombre diminue légèrement en 2021, il reste supérieur à ce qu’il était en 2019. Parole d’économiste.

Une publication économique pouvait dès lors écrire : « Pour les jeunes, qui n’ont pas la chance d’être des boursicoteurs, le « pognon de dingue » attendra. » Les parents pauvres et les bénéficiaires du RSA aussi. Au total, les pauvres sont-ils toujours de moins en moins nombreux ?

La colère gronde. Les pauvres souffrent et s’ils ne libèrent pas encore leur parole, on peut imaginer une prochaine poussée de fièvre. Il s’agit de la seule inconnue d’une situation inédite pour les riches. Qu’en pense Dominique Seux ?

Dominique Seux et les pauvres

Dominique Seux, journaliste et porte-parole du libéralisme, se multiplie pour justifier ses émoluments qu’on devine confortables et porter la bonne parole.

Hier, à 17h17, il écrit sur le site de son principal employeur, Les Echos (le quotidien de Bernard Arnault) :

« La pandémie aura décidément été une période fertile pour les fake news, ces informations fausses qui se sont allègrement diffusées. C’est largement connu sur le plan sanitaire – inutile de revenir sur les médicaments qui devaient nous sauver mais ne l’ont pas fait. C’est moins connu sur le plan économique et social : tous ceux qui avaient pronostiqué une explosion des faillites et du chômage ont dû avaler leur chapeau… Mais l’Insee rajoute ce mercredi un élément important à notre connaissance de ce qui s’est vraiment passé en 2020, et qui dément là encore les informations publiées à l’époque : non, en dépit d’une récession historique, le nombre de « pauvres » et le taux de pauvreté n’ont pas explosé, et il faut naturellement s’en réjouir. L’information est jugée suffisamment forte pour que, fait rarissime, le directeur général de l’Insee le commente lui-même sur le blog de l’Institut. »

Quelques heures plus tard, à 7h46 précisément, sur la radio de service public, France Inter, il dit :

« L’Insee a annoncé hier que le taux de pauvreté n’a pas augmenté en 2020, contrairement à ce que l’on pouvait imaginer. Quelques réserves méthodologiques ne contrarient pas le diagnostic. Le quoi qu’il en coûte a payé. A la surprise générale parce que nous, les médias, nous avons relayé l’idée selon laquelle la pauvreté a explosé en France depuis le début de la crise sanitaire. Un million de pauvres en plus, a un jour d’octobre 2020 assuré une association, et voilà comment l’idée et le chiffre se sont imposés comme des vérités. Eh bien, c’est le moment de faire un nostra culpa. Que dit l’Insee ? Que le taux de pauvreté – c’est-à-dire la proportion de Français qui vivent avec moins de 60% du revenu médian – (que ce taux de pauvreté) est resté à 14,6% l’année dernière, exactement au même niveau qu’en 2019. L’institut de la statistique est suffisamment sûr de lui pour que, fait rarissime, son patron, Jean-Luc Tavernier, y consacre un billet de blog sur Internet. »

Emoustillé par une information qui, selon lui, valide la politique libérale de Macron, il a ajouté :

« Avec une récession de 8%, c’est une performance remarquable pour un pays, inédite je pense dans l’histoire. L’explication est simple. Les minima sociaux ont été prolongés et le chômage partiel a permis à des millions de ménages de conserver l’essentiel de leurs revenus. Sans tout cela, le nombre de pauvres aurait grimpé de 400.000, précise le directeur général de l’Insee dans Le Parisien ce matin. Certes, la distribution d’aide alimentaire a augmenté – nous avons tous été frappés par des images – mais de 11% ‘’seulement’’ ».

Pour Dominique Seux, les pauvres devraient être heureux, ils ne sont pas plus nombreux. Pas moins non plus : il reste en effet 14,6 % des Français à vivre en dessous du seuil de pauvreté, jeunes comme vieux. Il oublie cependant de préciser que l’estimation de l’Insee a « des limites intrinséques » et des « incertitudes spécifiques liées à l’ampleur et à la singularité du choc d’activité survenu l’an dernier »

Dominique Seux a lu l’éditorial du directeur de l’Insee avec des œillères. Jean-Luc Tavernier, lui, a été plus prudent en écrivant :

« Évidemment, le seul taux de pauvreté monétaire ne suffit pas à rendre compte des situations de pauvreté et de précarité sur le terrain national. Au niveau des statistiques, il faut accorder aussi de l’importance à d’autres indicateurs comme l’intensité de la pauvreté. De plus, l’analyse de la pauvreté ne peut se réduire à celle de la pauvreté au sens monétaire. Les travaux menés avec le monde associatif ont assez montré que la pauvreté était multifactorielle (…) Sans même aller sur les terrains des inégalités de patrimoine, des inégalités liées à l’éducation, etc., la pauvreté ne saurait se synthétiser en un chiffre. »

C’est pourtant ce qu’a fait Dominique Seux. Et, sans vergogne, en se répétant sur France Inter (pour qui il ne livre même pas un éditorial original !).

En cachetonnant un peu partout, il a trouvé la recette pour ne venir grossir les rangs des pauvres et faire grimper les statistiques de l’Insee !

Les pauvres lui auront permis en outre de passer sous silence l’annonce du scandaleux contrat d’engagement jeunes de Macron, la journée symbolique du 3 novembre qui voit les femmes travailler gratuitement (un jour plus tôt qu’en 2020) et, surtout, les records battus par toutes les Bourses, de New York à Paris.

Seux ira-t-il jusqu’à dénoncer comme fausse information que les riches sont de plus en plus riches ?

La fracture

Catherine Corsini et la situation sociale : en y étant confrontée, la réalisatrice a fait son plus beau film, La Fracture. On sort de la salle de cinéma ébranlé et plein d’interrogations sur les remèdes à trouver au plus vite.

Les crises que traverse la France, les gilets jaunes et l’hôpital ici, sont examinées avec une rare justesse, mêlant tragique et drame, humour et lutte des classes, rire et larmes, bref à l’image d’un pays ultralibéral qui sème le chaos.

Catherine Corsini filme à hauteur de femmes et d’hommes plongés dans les méfaits d’un Emmanuel Macron (et de ses prédécesseurs) sur tous les rouages du quotidien, et surtout son inhumanité et sa répression violente. L’hôpital est le concentré de toutes les crises.

La Fracture se déroule quasi exclusivement dans les urgences de l’hôpital Lariboisière (unité de lieu) et dénonce le quotidien des soignants grâce à une profusion de détails à relier entre eux pour faire argument. Ses dialogues n’oublient rien, à coups de petites phrases lâchées ici ou là. Le fil rouge, la séparation d’un couple de deux homosexuelles (formidables Valeria Bruni-Tedeschi et Marina Foïs) et leur rencontre avec un gilet jaune (excellent Pio Marmaï), laisse néanmoins quelques (grands) moments de respiration entre des séquences de tension d’une rare dureté d’où émergent tous les dysfonctionnements de la société et de la politique d’aujourd’hui.

Catherine Corsini a su saisir la vie d’un service d’urgences non plus au bord de la rupture, mais en plein débordement. Et on notera l’extraordinaire prestation de l’admirable Aïssatou Diallo-Sagna, aide-soignante dans son propre rôle.

La Fracture n’est cependant pas un film pessimiste ; il appelle à la révolte face à un pouvoir policier inhumain et incapable d’entendre les cris de détresse.

Les crises actuelles sont une source d’inspiration prisée de nombreux cinéastes d’aujourd’hui ; ils peuvent encore exprimer leur talent et leurs engagements ? Pour combien de temps encore quand on voit Bolloré dénoncer le financement du cinéma. Dénoncer l’ultralibéralisme et croire en un monde meilleur passera, c’est évident, par un cinéma social comme celui-ci.

Emotion pure

Mort à Venise est le chef d’œuvre de Luchino Visconti. Le revoir même sur un écran de télévision provoque toujours la même émotion artistique.

Beauté formelle des images, toutes composées avec une rare minutie ; critique sans ambiguïté de la bourgeoisie ; thèmes de la décadence et de la vieillesse ; musique de Mahler sensuelle parfaitement adaptée à l’ambiance voulue par Thomas Mann dont le film s’inspire. Visconti a réalisé un film admirable. Il a filmé Venise comme personne ne l’avait fait jusque-là en parfaite harmonie avec l’esthétique romantique de l’œuvre de l’écrivain allemand ; les décors intérieurs sont aussi riches et raffinés que ceux du Guépard ou de Senso.

Mort à Venise offre à Dirk Bogarde son plus beau rôle. Tout en retenue, dans un film où les paroles sont rares (c’est à peine si on entend le son de la voix de Silvana Mangano !).

Tout est envoutant, jusqu’à la scène finale (inoubliable).

Un pur moment d’émotion et une leçon de cinéma dans lequel tous les cadrages et toutes les séquences sont nécessaires et s’enchaînent pour provoquer la réflexion et l’émotion.

Un chef d’œuvre comme le cinéma italien n’en fait plus, annihilé par un Silvio Berlusconi qui aurait dû écouter quelques dialogues du film. Bogarde-von Ascenbach dit : « Vois-tu Alfred, l’art est la source la plus noble de l’éducation. Et l’artiste lui-même doit être exemplaire, il doit être un modèle de force, de parfaite honnêteté. Il n’a pas le droit à l’ambiguïté. » Burns-Alfred lui offre cette réplique : « Mais l’art par essence est ambiguïté ! Et la musique, de tous les arts, le plus ambigu. Elle est l’ambiguïté systématique, scientifique. »

Tout est dit. Visconti est admirable.