Le 21 février 1944, les nazis exécutaient 22 Résistants, tous des hommes, au Mont-Valérien ; la seule femme, Olga Bancic devait être décapitée quelques semaines plus tard, le 10 mai, à la prison de Stuttgart en Allemagne.
Ces 23 Résistants assassinés par des Allemands étaient membres des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – main d’œuvre immigrée), une unité de la Résistance communiste ; une vingtaine étaient des réfugiés qui avaient fui les régimes fascistes ou callaborationnistes et trois étaient français. La plupart d’entre eux étaient juifs et tous étaient jeunes (le plus jeune avait 18 ans et le plus âgé 44 ans).
Ce groupe de Résistants était dirigé par Missak Manouchian, né en 1906 et rescapé du génocide arménien ; son père fut tué en 1915 et sa mère décédera quelque temps plus tard. Missak fut sauvé par une famille kurde, puis il sera accueilli dans un orphelinat à Jounieh au Liban. En 1925, il débarquera à Marseille, grâce à un réseau d’immigration clandestine, puis il ‘’montera’’ à Paris, où l’autodidacte suivra des cours de littérature, de philosophie, d’économie politique et d’histoire à la Sorbonne.
Les policiers français arrêteront un groupe de 68 FTP-MOI entre mars et novembre 1943 et 23 d’entre eux seront livrés aux Allemands et condamnés à la suite d’un procès expéditif le 19 février 1944. Au cours de l’audience, Manouchian aura cette phrase admirable en direction des accusateurs : « Vous avez hérité de la nationalité française, nous l’avons méritée. »
Les nazis tenteront d’exploiter l’arrestation et la condamnation des FTP-MOI et placardera 15 000 affiches rouges avec le portrait de dix des fusillés en médaillon. Cela deviendra la célèbre Affiche rouge, devenue emblème du martyre de toute la Résistance.
Alors que la campagne présidentielle de 2022 est marquée par des relents xénophobes insoutenables, il faut rappeler les noms des 23 Résistants de l’Affiche rouge :
Celestino Alfonso, Espagnol, 27 ans ; Olga Bancic, Roumaine, 32 ans (seule femme du groupe, décapitée en Allemagne le 10 mai 1944) ; Joseph Boczov, Hongrois, 38 ans, ingénieur chimiste ; Georges Cloarec, Français, 20 ans ; Rino Della Negra, Italien, 19 ans, footballeur du Red Star Olympique ; Thomas Elek, Hongrois, 18 ans, étudiant ; Maurice Fingercwajg, Polonais, 19 ans ; Spartaco Fontanot, Italien, 22 ans ;Jonas Geduldig, Polonais, 26 ans ; Emeric Glasz, Hongrois, 42 ans, ouvrier métallurgiste ; Léon Goldberg, Polonais, 19 ans ; Szlama Grzywacz, Polonais, 34 ans ; Stanislas Kubacki, Polonais, 36 ans ; Cesare Luccarini, Italien, 22 ans ; Missak Manouchian, Arménien, 37 ans ; Armenak Arpen Manoukian, Arménien, 44 ans ; Marcel Rajman, Polonais, 21 ans ; Roger Rouxel, Français, 18 ans ; Antoine Salvadori, Italien, 24 ans ; Willy Schapiro, Polonais, 29 ans ; Amedeo Usseglio, Italien, 32 ans ; Wolf Wajsbrot, Polonais, 18 ans ; Robert Witchitz, Français, 19 ans.
Louis Aragon rendra hommage à ces hommes et cette femme, jeunes et épris de démocratie et martyrs dans Le Roman inachevé :
« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant. »
Quant à Missak Manouchian il adressera le jour de son exécution une lettre à son épouse Mélinée dans laquelle on peut lire :
« Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… »
Ils étaient étrangers et fiers de la France. Ils ont été arrêtés par cette France réactionnaire et xénophobe qui n’a rien renié, aujourd’hui encore, et dont on retrouve les mêmes mots de rejet de l’autre dans les discours de campagne. Qui ne rejette pas l’Affiche rouge et réécrit l’histoire honteusement.
La France éternelle, ce n’est pas celle-là, c’est celle de Missak Manouchian, accueillante, fraternelle, humaine.
Souvenons-nous.