La Chouette qui hioque

Mois : juin 2023

Le réquisitoire des Jojo

Charline Vanhoenecker a consacré sa dernière chronique de la saison au ‘’président de la République des Jojo’’ (à écouter avec gourmandise sur le site de France Inter). Cela mérite explication : « quand Emmanuel Macron pense la manière dont il s’adresse au peuple, il mobilise la figure de Jojo (…) Grâce au journal Le Monde vous saurez désormais comment s’appelle le mec qui est accroché tout à l’arrière de la cordée. C’est Jojo, qui remplit sa grille de Loto au PMU en buvant son jaja, évidemment. »

Il se trouve que la République des Jojo s’est soulevée et a embrasé les banlieues après la mort de Nahel. Trappes a vécu, comme d’autres cités, des nuits d’émeutes ; son maire, Ali Rabeh, a publié un communiqué qui, en quelques lignes, dresse un réquisitoire d’une grande intelligence, qui condamne la politique de Macron et de ses prédécesseurs à l’Elysée :

« Cette nuit, la République a regardé, impuissante, une bombe à retardement exploser. 

A Trappes comme dans de nombreuses villes de France, des jeunes, souvent âgés d’à peine 15 ans, ont pris les rues le temps d’une nuit pour transformer leur colère en violence, tournée contre les symboles de la République et contre leurs propres intérêts. Le travail de prévention engagé toute la journée auprès de ces jeunes par les élus, les agents municipaux et des citoyens bénévoles jusque tard en soirée pour les dissuader fut vain. Le déploiement des forces de sécurité, largement et visiblement insuffisant, le fut également. 

Cette situation n’a rien d’un « réveil » après une « nuit cauchemardesque ». C’est l’aboutissement logique d’une situation que les élus des villes populaires de France et leurs habitants vivent au grand jour depuis des dizaines d’années.

Les très nombreuses alertes, les appels publics et pétitions des vigies de la République que sont les maires de banlieue ont été ignorés sciemment par l’Etat. 

Aux appels à l’aide de ces maires, au travail réalisé dans le cadre du rapport Borloo, le Président de la République a répondu par le mépris et l’arrogance. Nous en payons aujourd’hui le prix fort.

La démission du maire de Sevran Stéphane Gatinon en 2018 a été minimisée, considérée comme anecdotique. 

La prophétie de Gilles Poux, maire de La Courneuve, a été ignorée. Voilà ce qu’il disait déjà en 2020 : « Il y a un tel sentiment d’injustice, d’inégalité, parfois aggravé par des comportements illicites de certains policiers, qu’on n’est pas à l’abri d’une explosion ».

Il y a un mois encore, ce sont trente maires qui appelaient à un « plan d’urgence vital » pour nos banlieues. Nous attendons toujours la réponse. 

Cette nuit, le vernis de la politique de la ville à coup de subventions conditionnées a craqué, faisant apparaître les failles béantes d’un État qui a échoué socialement et politiquement. Et aujourd’hui également échoué à maintenir l’ordre.

Bien sûr, il faut réformer la police pour retisser le lien rompu entre les quartiers et la police. Mais les causes sont bien plus profondes. Seule une politique de mixité sociale extrêmement volontariste, qui organise avec vigueur la fin des ghettos de pauvres en refusant le maintien de ghettos de riches pourra nous sortir de l’ornière. 

Nous ne pouvons plus vivre avec deux Frances qui se font face, s’ignorent et refusent de se mêler.

Nos écoles ne peuvent plus être des fabriques de l’échec scolaire, de la reproduction des inégalités, de la concentration des difficultés. 

Nos jeunes ne doivent plus se heurter au mur de l’insertion dans la vie active en raison de leur nom, de leur couleur de peau ou de leur adresse.

Les travailleurs essentiels qui peuplent nos quartiers populaires ne peuvent plus être renvoyés à leur insignifiance, une fois la page du Covid tournée. 

Il n’y a plus un jour à perdre. »

Effectivement, il n’y a plus un jour à perdre pour qu’Emmanuel Macron cesse de nous qualifier avec condescendance du sobriquet de Jojo et prenne en compte nos demandes de reconnaissance et de bien-vivre en parfaite harmonie. Sans avoir besoin d’exprimer notre mal-vivre par des émeutes.

Charline Vanhoenecker, la Belge, fait remarquer que : « Vous êtes donc une République de “Jojos”… C’est sympathique, mais ça veut dire qu’à chacune de ses allocutions, quand Macron commence par “Françaises, français”, dans sa tête il se dit “Salut les blaireaux !” » Démontrons-lui que nous ne sommes ni des blaireaux, ni des êtres insignifiants.

Les leçons de Nanni Moretti

Nanni Moretti est un survivant d’un cinéma italien qui occupait une place considérable dans le monde jusque dans les années 1980. Son œuvre est celle d’un authentique résistant à la politique de Berlusconi et digne de ses devanciers, Fellini, Visconti, de Sica, etc. Un grand réalisateur du cinéma mondial.

A l’occasion de la sortie de son dernier film, Vers un avenir radieux, il est revenu dans plusieurs médias sur les ravages provoqués par le ‘’berlusconisme’’ : « Avec ses télévisions commerciales des années 1980, avant même d’avoir commencé la politique, il a imposé à beaucoup de téléspectateurs et de citoyens une façon d’être, des habitudes. », dit-il à L’Humanité.

Il ajoute : « Il a construit un empire médiatique parce qu’il n’y avait pas de lois antitrustet il est arrivé à passer du médiatique au politique parce qu’il n’y avait pas de réglementation efficace sur les conflits d’intérêts. Et, dans une certaine mesure, Meloni et Salvini sont les enfants de cette façon de faire de la politique. »

Et, dans le Monde, il s’étonne des hommages rendus au Cavaliere après son décès : « Le deuil national, pour un homme qui a toujours méprisé les règles, m’a semblé absolument déplacé. »

Au moment où Vincent Bolloré prend le contrôle du groupe Lagardère et continue à ‘’coloniser’’ les rédactions de son empire, il faut entendre Nanni Moretti. Les lois anti-concentrations en France sont désuètes et insuffisantes comme le prouvent les rachats successifs d’un Bolloré qui, comme Berlusconi, veut imposer ses options idéologiques à ses rédactions pour les instiller dans l’esprit des citoyens.

La seule différence entre Berlusconi et Bolloré, c’est que le second n’a pas besoin de s’engager en politique pour imprimer son idéologie comme l’a fait le premier. La période est différente et le libéralisme dans lequel le premier construisait son empire est largement supplanté par l’ultralibéralisme ambiant que Sarkozy, Hollande et Macron ont conforté par une série de remises en cause des acquis de la Résistance et du CNR. Aujourd’hui, les inégalités sont telles que le RN de Le Pen (si proche des options de Bolloré et vice-versa) recueille allègrement les bulletins de vote des milliers de désespérés de la République sociale.

Merci à Nanni Moretti et vive le cinéma!

Etats d’âme

Si l’Assemblée nationale débat (ou feint) du partage de la valeur dans les entreprises, c’est pour éviter de débattre de la seule solution à l’inflation, l’augmentation des salaires. Mais aussi de l’égalité femmes/hommes et de la gouvernance des entreprises.

Emmanuel Macron accélère honteusement sa tentative de tourner la page de la réforme des retraites, tout en donnant satisfaction au patronat.

Le résultat n’est pas assuré pour autant, le pouvoir exécutif est rejeté par une majorité de Français ! Ce pouvoir minoritaire doit compter avec les ‘’veilleurs’’, ces citoyens et ces associations qui mettent courageusement le doigt sur ses turpitudes. Oxfam, par exemple, vient de publier un rapport accablant qui révèle que les grandes entreprises françaises cotées en bourse enregistrent d’énormes bénéfices. L’ONG les chiffre à 142 milliards en 2022, dont plus de la moitié (80,1 milliards) ont été versés aux actionnaires sous forme de dividendes, soit une hausse de 15,5 % par rapport à 2021. Le mépris pour les citoyens est contenu tout entier dans les chiffres ! Seuls les riches ont-ils le droit de se partager le fruit du travail de milliers de pauvres salariés ?

Gérald Darmanin, lui, fait le Matamore à Mayotte et vient poursuivre l’opération Wambushu (d’un mot mahorais qui signifie reprise, pour reprise en main). A des milliers de kilomètres de Paris, il tente lui aussi une opération politicienne. Dans ce département qui a voté à 59 % pour Marine Le Pen en 2022, il veut faire la démonstration que la France lutte contre l’immigration dite clandestine en s’en prenant à une population parmi les plus pauvres de la planète : il rase des bidonvilles en jetant ceux qui n’ont que cela pour s’abriter dans la nature, réalisant la honteuse tâche qu’il n’ose pas faire en métropole.

Les manœuvres sont coordonnées par un président et un gouvernement aux abois. Il s’agit de mettre en acte ce que Darmanin osait déclarer en 2021 : « Je trouve Marine Le Pen un peu branlante, un peu molle. » Macron et son gouvernement font preuve de fermeté en matière sociale, cultivent les peurs ancestrales et dotent le pays d’une législation de plus en plus répressive. Leur ultralibéralisme est, quoi qu’ils s’en défendent, ouvertement teinté de lepénisme.

Pendant ce temps-là, les oligarques français ont fait main basse sur tous les grands médias et relaient la politique anti-démocratique, avec toutes les nuances de l’extrême droite : Bolloré a choisi le camp de la droite catholique intégriste proche de Zemmour et de Marion Maréchal, Arnault lui s’est rangé aux côtés de Macron, Bouygues se situe entre les deux, etc. Mais tous sont en guerre contre le progrès social, contre les citoyens au genre non stéréotypé, contre les services publics, pour une politique de réarmement belliciste. Aucun d’eux n’a un mot pour dénoncer les risques de l’arrivée au pouvoir de la fille du tortionnaire raciste Jean-Marie Le Pen en 2027. Ils dictent une ligne éditoriale réactionnaire à ‘’leurs’’ rédactions asservies. L’attitude de Bolloré au JDD n’est pas un cas isolé, hélas.

Cette montée de l’extrême droite en France est aussi inquiétante que celle qui surgit en Allemagne, avec l’accession au pouvoir d’une AfD radicale dans le Landkreis de Sonneberg en Thuringe avec une participation électorale en hausse.

Tous, oligarques, président de la République, gouvernement, médias colonisés par les oligarques et partis politiques (de droite ou ceux qui se prétendent du centre) jouent avec le feu en toute connaissance de cause ; sans états d’âme.

Certes, ce n’est pas encore ‘’Plutôt Hitler que le Front populaire’’ ; le contexte est différent, mais qu’arrivera-t-il si les ‘’veilleurs’’ baissent la garde et si la gauche ne se réveille pas.

La ministre et le JDD

« Mon rituel du dimanche, c’était de me réveiller avec le JDD. Aujourd’hui il ne paraît pas. Je comprends les inquiétudes de sa rédaction. En droit, le JDD peut devenir ce qu’il veut, tant qu’il respecte la loi. Mais pour nos valeurs républicaines comment ne pas s’alarmer ? »

La ministre de la culture, Rima Abdul Malak, a de curieux réveils le dimanche ! Bon, on ne peut pas lui faire un procès d’intention ; au nom des valeurs républicaines, dont elle s’alarme, elle peut préférer le JDD à L’Humanité dimanche. Mais en tant que ministre de la culture, elle pourrait avoir la curiosité de lire toute la presse et participer, ainsi, à la défense du pluralisme (ou ce qu’il en reste, hélas). 

Quand le JDD était le journal très officiel de la Macronie, qu’apprenait-elle de la situation de la culture et de la communication en France ? Rien, le JDD était univoque ; mais, demain, quand il sera l’organe officiel de la droite la plus extrême, celle de Zemmour, Marion Maréchal, Marine Le Pen, Eric Ciotti, etc., elle découvrira peut-être que le pluralisme a des vertus et qu’il aurait été important de légiférer pour permettre l’expression de la diversité des idées, plutôt que d’abandonner les médias entre les mains (et les milliards) des agitateurs des peurs ancestrales, de la haine ordinaire envers les peaux basanées et les citoyens d’un genre non stéréotypé.

En nommant Geoffroy Lejeune à la direction du JDD, la famille Bolloré ne transgresse pas la loi, elle défend ‘’ses’’ valeurs (qui n’ont rien de républicaines).

La ministre serait dans son rôle de garante des valeurs républicaines de se réveiller chaque jour (et pas seulement le dimanche) en imaginant des lois garantissant la liberté d’expression de toutes les idées.

C’est peut-être beaucoup demander à Mme Rima Abdul Malak ; son rituel du dimanche, c’est de se réveiller avec le JDD quand la situation dans les médias et dans les secteurs de la culture devrait l’empêcher de dormir.

Le JDD ne peut pas devenir ce qu’il veut, comme elle le prétend ; il participe à l’information de citoyens qui ont droit à une information complète, vérifiée et mise en perspective et non aux Croisades de la famille Bolloré.

Mme Abdul Malak aurait pu rappeler à la famille Bolloré que le respect du public et des lecteurs n’est pas qu’un slogan ! Mais cela aurait nécessité un peu de courage politique.

Gloire au coquelicot

Dans quel régime politique vivons-nous ? Emmanuel Macron réfute le qualificatif d’autoritaire. Peut-être est-il possible d’utiliser un synonyme comme absolu (au regard de l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution), entier, sectaire ; aujourd’hui, intolérant serait sans doute celui qui convient le mieux à la situation.

Intolérant envers les associations de contestation de sa politique environnementale et sociale, comme Les Soulèvements de la terre ou encore comme Anticor qui vient de se voir retirer son agrément d’agir en justice par le tribunal administratif.

Dans quel régime vivons-nous ? A la lumière de ces deux décisions qui portent atteinte à la démocratie, les qualificatifs de dictatorial et de tyrannique seraient plus appropriés.

Mais ce régime, quel que soit le qualificatif, peut bien fouler aux pieds les syndicats et les associations, il ne pourra jamais interdire les idées. Le peuple a toujours raison ; l’Histoire regorge d’exemples de dictatures et de régimes autoritaires qui se sont fracassés devant la détermination du peuple et son esprit de Résistance.

Les deux décisions, choquantes, m’ont fait entendre la chronique, toujours savoureuse, poétique et intelligente, de François Morel ce matin sur France Inter avec une autre oreille alors que je m’interrogeais sur la nature humaine.

 Sa ‘’gloire au coquelicot’’, au fond, entretient l’espoir de la victoire de l’intelligence sur la bêtise.

François Morel s’écrie : « Il revient. Il est revenu. On n’en croit pas ses yeux. On le pensait mort et enterré » ; le coquelicot est de retour dans les champs, sur les talus, au bord de routes, il a eu raison « d’une modernité mal comprise (…), les herbicides, les fongicides, les pesticides, les engrais chimiques »

Le coquelicot est revenu « apportant une note d’espoir, une couleur d’espérance. Il est revenu, et on dirait que le monde serait meilleur, on dirait que la laideur reculerait et que, par enchantement, l’espoir renaîtrait ».

La démocratie reviendra, elle aussi, apportant une note d’espoir ; le monde sera meilleur. Les idées des Soulèvements de la terre et d’Anticor renaîtront. Les immigrés ou les LGBT ne seront plus exclus d’une société où la fraternité régnera et où les riches seront moins riches et les pauvres moins pauvres.

La liberté refleurira, comme le coquelicot de François Morel.

Le message de Missak Manouchian

Missak Manouchian au Panthéon ? Enfin !

Il aura fallu attendre 80 ans pour qu’un hommage soit rendu à ce symbole de La Résistance des immigrés, c’est-à-dire sans frontières, contre la barbarie nazie, qui écrivait à quelques heures de son exécution : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. »

Que ce soit Emmanuel Macron qui en ait décidé ainsi (alors que François Hollande avait refusé) est surprenant, trop pour ne pas cacher de sombres arrière-pensées de la part du président de la République. Il va rendre un hommage mérité, ô combien, à un immigré (qui avait échappé au génocide des Arméniens par les Turcs), un communiste, un antinazi, un ouvrier (mais de grande culture, poète aussi), quand toute sa politique est contraire aux idéaux de ce combattant de la liberté et du progrès social, de l’universalisme (contre le patriotisme étroit et franchouillard).

Missak Manouchian sera accompagné de son épouse, elle aussi combattante de la liberté, Résistante, femme engagée dans les luttes pour l’émancipation des femmes et dans l’internationalisme. Ils seront, Missak et Mélinée, pour l’éternité, les incarnations de ceux auxquels Aragon rendit hommage en 1955 :

« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.
 »

Mais aussi des milliers d’autres, morts pour la France, pour les Lumières, pour la liberté, contre l’obscurantisme, contre les peurs qui refleurissent aujourd’hui, mais avec l’espoir d’un monde meilleur. Missak a laissé des lettres admirables à son épouse et des vers qu’il ne faut pas oublier, parce que porteurs de l’optimisme des vrais combattants pour le progrès :

« Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant »

Puisse le temps de l’hommage réveiller les consciences endormies ou empêchées pour que le message de Missak Manouchian revive dans une France des Lumières retrouvées. Dignement

Romain Ntamack

Le titre de champion de France de rugby était promis à La Rochelle. Son jeu, tout en puissance, est peu spectaculaire, mais il est efficace. Juste assez pour remporter la Coupe d’Europe deux ans de suite. Les Rochelais ont imposé leur rugby et dominé une équipe du Stade toulousain qui a subi sa ‘’guerre d’usure’’ jusqu’à trois minutes de la fin de la rencontre. Jusqu’à un coup de génie du demi d’ouverture Romain Ntamack. L’essai de Romain Ntamack m’a reconcilié avec la vraie philosophie du jeu de rugby, à savoir l’évitement.

En difficulté pendant 75 minutes et malheureux sur deux gestes qui semblaient sceller la défaite de son équipe, il a illuminé la rencontre au terme d’une course qu’on ne voit plus guère dans le rugby aujourd’hui. C’est le signe des grands joueurs qui ‘’sauvent’’ leur match et leur équipe sur un seul geste, un seul exploit personnel. Au football, Michel Platini ou Zinédine Zidane étaient coutumiers de cet éclair de génie malgré une prestation en demi-teinte.

Romain Ntamack a donc eu un geste de très haut niveau, jouant le décalage et, ballon sous le bras, médusant quatre ou cinq adversaires pour terminer une course de plus de 60 mètres par un essai qui restera dans les mémoires. Modeste néanmoins, il a su rendre hommage à ses coéquipiers qui l’ont soutenu après ses ratés (« J’ai la chance de marquer ce dernier essai mais si je n’avais pas le collectif que j’ai à côté de moi, les mecs qui me font relever la tête après ma petite connerie (…) je pense que je n’aurais pas pu aller entre les poteaux (…) C’est grâce à eux qu’on arrive à marquer le dernier essai. »). C’est ce qui fait la grandeur du sport et notamment du rugby, sport éminemment collectif.

Romain Ntamack a su se surpasser et oser un geste de génie, porté par une volonté farouche (« J’ai essayé d’accélérer malgré les crampes, malgré les coups pris (…) Je suis très content qu’il n’y ait pas eu 5 mètres de plus, sinon je ne sais pas si je serais là avec vous », déclara-t-il aux journalistes après la victoire de son équipe.).

On connaissait les qualités du joueur ; la finale de 2023 l’a encore aidé à grandir. Et à étoffer un palmarès déjà bien rempli : 3 titres de champion de France, 1 Coupe d’Europe, 36 sélections en équipe de France et 1 Grand Chelem.

Romain est bien parti pour faire mieux que son père, Emile, 6 fois champion de France, 3 fois vainqueur de la Coupe d’Europe, 49 sélections en équipe de France.

Quelle famille et quelle chance pour le rugby !

Le monde est malade

Le naufrage d’un rafiot avec peut-être plus de 700 candidats à l’immigration au large de la Grèce est effroyable. L’ampleur du drame provoque la nausée. Il allonge le nombre de ces pauvres à la recherche de la survie (leurs aspirations sont modestes !), morts en tenant de traverser la Méditerranée, devenue un immense cimetière.

Les bonnes âmes s’offusquent sans vergogne ; ils tournent la tête pour ne pas avouer que c’est leur politique qui amène les populations du Sud à espérer trouver un peu de dignité au Nord. Pour les pauvres du Sud, le Nord est le paradis comparé à leurs conditions de vie miséreuses et misérables, où les ressources naturelles sont accaparées par les riches du Nord.

Notre monde est malade d’un système où quelques-uns se vautrent dans le stupre, grâce à des richesses accumulées sur le dos de millions de pauvres. Le néo-colonialisme provoque des ravages et le capitalisme sème le malheur pour le bonheur de quelques ultra-riches.

Le nombre de naufragés s’allonge pendant que les Darmanin, Ciotti et Le Pen répandent leur idéologie égoïste et se livrent à une surenchère sans limite, en prétendant que ces pauvres sont des délinquants dangereux, venus pour chasser notre prétendue civilisation et la remplacer par la leur.

Honte aux réactionnaires, honte aux ultra-riches et à leurs valets !

Honte à ceux qui se complaisent à entretenir des relations très amicales avec les dictateurs sanglants, comme Mohammed ben Salmane, ou avec des affairistes cultivant l’outrance comme Elon Musk. Ceux-là n’ont pas un mot pour les disparus de la Méditerranée ; ils vendent du pétrole et achètent des armes, vendent des futilités et achètent les consciences. Ils vivent dans leur bulle, virtuelle, où la pauvreté a été rayée du dictionnaire, qu’ils entretiennent des régimes arriérés ou des démocraties inégalitaires.

Les naufragés de la Méditerranée n’atteindront jamais leur Eldorado. Les ultra-riches, eux, continueront à sa vautrer sur des matelas de billets à plusieurs zéros.

Le monde est malade.

Une amitié

Dans le monde de Twitter et de ses 140 signes, Silvia Avallone écrit encore des romans longs (et quels romans !), qui se lisent goulûment. Ils sont engagés, leur autrice est, elle aussi, engagée. Elle parle de notre vie quotidienne, dans le monde d’aujourd’hui, avec d’un côté ceux qui résistent à l’air ambiant et de l’autre ceux qui se regardent dans le miroir aux alouettes des applications des nouvelles technologies. Ses livres sont d’une intelligence réconfortante (très loin des best-sellers d’été) ; elle nous invite à réfléchir, encore et encore, à l’amitié et à toutes ses formes.

La narratrice, Elisa, est une intellectuelle qui ne succombe pas aux attraits des réseaux dits sociaux, mais qui vit avec son téléphone mobile. Celle avec laquelle se lie une amitié (et non l’Amitié, comme elle le précise en conclusion), Béatrice, devient une star de ces maudits réseaux. Elles sont tellement dissemblables, physiquement et humainement, que tout devrait les opposer. Leur éducation et leur famille aussi devraient les opposer.  Eli est plutôt introvertie quand Béa est totalement extravertie, éblouie par la notoriété que lui procurent confidences et photos sur un quelconque Facebook ou un incertain compte Twitter, ou plutôt les deux. Pourtant des liens fusionnels se sont tissés entre elles jusqu’à une rupture qui ne pourra pas durer longtemps.

Silvia Avallone brosse les portraits croisés des deux adolescentes (voisines de table au collège) jusqu’à la trentaine, dans un récit puissant, écrit avec des mots, simples certes mais toujours justes et choisis avec minutie.

Internet les a brouillées et éloignées, mais l’amitié est si forte qu’elle finira par les rassembler dans une nuit alcoolisée du 31 décembre.

Silvia Avallone a choisi : la littérature (ses longs romans) est seule capable de résister au monde nouveau du ‘’paraître’’ ; elle a choisi et elle le fait avec un rare brio narratif. 

Silvia Avallone avait conquis le public avec D’acier, puis Marina Belleza et La vie parfaite. Avec Une amitié, elle poursuit son étude d’une société, dans laquelle elle a opté pour le point de vue des femmes. Et c’est étourdissant.

Une amitié (Liana Levi piccolo, 570 pages, 13,50 €)

L’Europe, l’Europe, l’Europe !

La Commission européenne a donc approuvé, conformément aux règles de l’Union européenne sur les fusions et acquisitions, le projet d’achat de Lagardère par Vivendi. La décision n’a surpris personne. Les règles sont conformes au dogme ultra-libéral, comme je le mentionnais hier, ici même.

La Commission européenne n’invente rien ; ses règles ont été peaufinées tout au long des traités signés par les chefs d’Etat ou de gouvernement, souvent contre l’avis des citoyens et de leur vote.

Les pays de l’Union européenne se sont largement inspirés des règles du pays du libéralisme triomphant et sans entrave, les Etats-Unis ; mais, sous la pression des grands groupes industriels et grâce à un climat politique favorable, ils sont allés plus loin, beaucoup plus loin, dans la déréglementation économique et sociale.

Hier, la Federal Trade Commission (FTC) a demandé à un tribunal fédéral de San Francisco de suspendre le rachat par Microsoft d’Activision Blizzard, le troisième acteur mondial de jeux vidéo (pour environ 64 milliards d’euros !).

La FTC a estimé que, en contrôlant les contenus d’Activision, Microsoft pourrait, et aurait intérêt à retenir ces contenus pour ses seules plateformes, ou à en diminuer la qualité d’une façon qui affaiblirait la concurrence, y compris en matière de qualité, de prix et d’innovation.

Problème, la Commission européenne avait approuvé l’opération de rachat de Microsoft le 15 mai dernier, au prétexte que le développement de la technologie développée par Microsoft, (le cloud gaming qui permet de jouer en ligne depuis tous les terminaux mobiles ou non, téléphone, console, ordinateur, tablette ou télévision) sera ainsi stimulée.

L’argument de la technologie innovante a beaucoup servi dans la construction européenne ; elle sert encore, même si elle est éculée. En revanche, les effets des concentrations sont minimisés. Dangereusement.

Autre exemple, la justice américaine avait bloqué la mégafusion dans l’édition, la prise de contrôle de Simon & Schuster par Penguin Random House (groupe Bertelsmann) au nom des lois antitrust. La Commission européenne, elle, a autorisé Bolloré à reprendre Lagardère (et le troisième éditeur mondial Hachette), décision contraire aux intérêts des auteurs, malgré l’injonction de se séparer d’Editis.

Au jeu de qui est le plus libéral, la Commission européenne est sans adversaire ! 

Commission européenne et Bolloré, même Croisade

Comment peut-on dire et écrire que « la Commission européenne a donc approuvé, conformément aux règles de l’Union européenne sur les fusions et acquisitions, le projet d’achat de Lagardère par Vivendi » (ActuaLitté) ? Ou encore (dans Le Monde) que « les rêves de grandeur de Bolloré (sont) envolés », au prétexte qu’il est dans l’obligation de céder Editis et le magazine Gala ?

Les règles de l’Union européenne sont étrangement permissives ; on le savait : elles ont été établies pour ne pas entraver les lois du marché où la concurrence doit être libre et non faussée. Affirmer que la décision de Bruxelles interrompt les rêves de grandeur du milliardaire breton est une ineptie : Hachette est troisième éditeur mondial de livres, présent sur tous les continents ; son chiffre d’affaires est de trois fois celui d’Editis, présent seulement en France. Bolloré n’a donc rien abdiqué de son rêve de grandeur et on ne l’a pas entendu parler de sacrifice.

Curieusement, la Commission ne s’oppose pas à la prise de contrôle d’Hachette, mais ordonne de céder le magazine Gala, au prétexte qu’il entraînerait un risque de monopole dans le secteur de la presse ‘’people’’, alors que Bolloré fait peser de lourdes menaces sur l’ensemble des productions de l’esprit : édition, télévision, radio, presse écrite, publicité, culture, etc.

‘’Conformément aux règles de l’Union européenne’’, toute la politique du vieux continent est contenue dans cette formule ! Elle confirme que rien ne s’oppose aux concentrations et fusions à quelques détails près ; elle les encourage.

Vincent Bolloré peut posséder le troisième éditeur mondial de livres, des chaînes de télévision, des radios, la première agence de publicité et de communication, Havas, des studios de production et de distribution de contenus audiovisuels et de musique, des jeux vidéo, des salles de spectacle et une société de billetterie, des sociétés de production de festivals, des titres de presse magazine, etc. Bref, Bolloré a pu constituer un incroyable empire médiatique sans entrave ; la Commission européenne le permet, même si tout le nouveau groupe Vivendi-Lagardère fait peser des menaces sur la liberté d’expression, la liberté de création et sur la culture. Son patron peut poursuivre sa Croisade réactionnaire et censurer ceux dont il considère qu’ils contreviennent aux valeurs chrétiennes et traditionnelles. Vincent Bolloré est le meilleur défenseur de l’Occident chrétien, un traditionnaliste pure eau bénite.

On ne peut pas trouver de référence à la culture, agitatrice d’idées, élevant le citoyen et aiguisant sa capacité de réflexion et de prise de conscience politique, dans les déclarations de Bolloré ; son empire ne sera jamais au service des créateurs et du public, mais de ses seuls intérêts financiers et moraux.

Vivendi (Vivendi Village) pourrait-il aujourd’hui programmer Richard II de Shakespeare dans son théâtre de L’œuvre comme Jean Vilar l’avait fait à Avignon quand cette pièce interroge l’exercice du pouvoir corrompu et déconnecté du peuple ?

Vivendi (Editis) pourrait-il éditer la collection Tracts de Gallimard quand il obtient le départ de Sophie de Closets pour avoir osé publier ‘’Les fossoyeurs’’ sur le scandale des Ehpad de Victor Castanet chez Fayard ?

Vivendi (Canal+) pourrait-il accueillir sur ses chaînes de télévision et ses radios, mais aussi programmer à l’Olympia les chansons de Ferrat, Ferré et d’autres chanteurs dits engagés ?

Vivendi (Studio Canal) pourrait-il produire des émissions comme Cash Investigation ou les films de Justine Triet ? 

Vivendi (CNews) pourrait-il accepter d’interroger les représentants politiques les plus progressistes quand il multiplie les retransmissions de messes dites par les plus intégristes de l’Eglise catholique sur ses chaînes ?

Bolloré a marqué ses préférences : pour le divertissement le plus grossier, pour les tribunes offertes sans entraves à Hanouna (pour la grossièreté) ou à Aymeric Pourbaix (pour les valeurs chrétiennes). Au moment où les plateformes américaines, les GAFAM et autres Netflix, font peser un danger pour imposer une autre façon de ‘’consommer’’ information et divertissement, Bolloré se rapproche d’elles pour participer au partage des bénéfices de l’impérialisme des industries du numérique en s’alignant sur les mêmes choix éditoriaux et les mêmes processus de fabrication des contenus. Bruxelles et Paris, soucieuses de préserver l’ultra-libéralisme, participent de cette offensive contre la culture et l’information et contre la liberté d’expression et d’information des peuples.

Jamais culture et information n’avaient été autant confisquées depuis la fin de la Seconde guerre mondiale par la caste des ultra-riches, qui ont remis en cause toutes les structures technologiques et industrielles pour imposer de nouvelles normes. 

On peut considérer la Commission européenne comme un allié objectif de tous les Bolloré. Elle se contente de se conformer à des règles obsolètes qui ne prennent pas en compte le mouvement de concentration en cours, où des milliardaires prennent le contrôle de tout ce qui touche aux affaires de l’esprit et de la conscience humaine et citoyenne. La politique ultra-libérale de Bruxelles est l’ennemi de la culture et de la démocratie et Bolloré son chevalier servant.

Si le rapport de force est aujourd’hui clairement du côté des GAFAM, Netflix et Bolloré, celui-ci n’est pas immuable et c’est lui qu’il s’agit de faire basculer du côté des citoyens.

Faire taire Hanouna et Bolloré

Cyril Hanouna est vulgaire, d’une bêtise abyssale, mais il plaît à son patron, Vincent Bolloré. Tant qu’il fait le pitre (pitoyable) pour relayer les thèses complotistes, homophobes et racistes. Tout est pardonné, Bolloré a un confesseur pour qui Hanouna est du pain béni pour transmettre avec un culot monstre les ‘’valeurs chrétiennes’’ de la France éternelle !

Hanouna, donc, a été embauché pour ses outrances tombant sous le coup de la loi avec un contrat digne des plus grands artistes et il le rend bien à celui qui le paie grassement. Il est le fou du roi à la sauce bretonne. Mariage d’intérêt ignoble.

L’ARCOM multiplie les amendes et s’en tient là. Hanouna en fait une arme et un accélérateur d’audience. Leur montant est si dérisoire que Bolloré en rit ; le bénéfice qu’il tire de la médiatisation de son protégé est aussitôt décuplé !

L’ARCOM aux ordres de Macron ne prendra jamais de mesures contre celui qui prétend défendre la liberté d’expression et le pluralisme. Trop risqué pour le président vertical, mais qui, comme la tour de Pise, penche à droite. Le Breton, dur comme le granit, est de plus en plus assuré d’être intouchable, surtout après la décision de la Commission européenne d’autoriser l’OPA de Vivendi sur le groupe Lagardère. Bolloré, patron du troisième éditeur mondial avec la prise de contrôle d’Hachette, de chaînes de télévision, de magazines et de médias d’influence, s’est créé un empire pour mener sa Croisade chrétienne et réactionnaire contre la tolérance, l’amitié entre les humains quelle que soit leur origine et leur couleur de peau, et le progrès social.

Avec Bolloré, Marine Le Pen a trouvé le meilleur allié pour instiller dans les esprits des citoyens ses thèses dangereuses.

Macron, députés, sénateurs, membres de l’ARCOM, Commission européenne, tous ensemble, portent une lourde responsabilité pour aujourd’hui et pour l’avenir.

Relever le défi de faire taire Hanouna et de faire reculer les censures de Bolloré ? Il ne faut plus attendre.

L’adversaire du progrès social

Denis Kessler vient de décéder. Comme d’habitude on salue, surtout à droite, le grand patron de SCOR, le rénovateur du MEDEF, l’organisateur de l’université d’été du patronat et l’artisan de la ‘’refondation sociale’’ ; bref, il est couvert de louanges.

Sauf dans les (vrais) milieux syndicalistes. Cet ami de Nicole Notat n’hésitait pas à avouer à la sortie d’une ces universités d’été du MEDEF : « C’est gagné. Nous avons réussi à porter et à faire vivre le débat sur le rôle de l’entreprise et de l’Etat. Désormais, c’est par rapport à nos thèses que chacun se détermine. »

C’était un Croisé, digne de la droite la plus réactionnaire. Ce farouche partisan du marché et de la ‘’concurrence libre et non faussée’’ ne se cachait pas et affichait hardiment ses ‘’missions’’. En 2007, dans Challenges, il déclarait :

« Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme… A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

Il disparaît, sa mission quasiment accomplie, même s’il reste encore des acquis sociaux à défaire et auxquels Emmanuel Macron s’est attaqué.

Les ‘’vrais’’ syndicalistes ne lui rendront pas hommage.

Avis d’orages sur le service public de l’audiovisuel

La guerre est déclarée contre l’audiovisuel public. Hier sournoise, aujourd’hui la grosse artillerie est sortie. Emmanuel Macron qui a toujours eu un discours belliciste, a reçu désormais le renfort de toutes les sensibilités de la droite, sur un fond de magouille politicienne.

Les deux groupes Républicains et Renaissance se sont partagés la tâche pour rédiger le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’avenir de l’audiovisuel public. Les conclusions et le projet de loi sont une attaque en règle contre le service public.

Quand les propositions des deux députés répondent aux demandes de l’Association des chaînes privées (ACP) qui regroupent TF1, M6, Canal+, Altice, BFMTV et RMC, il n’y a aucun hasard. Et le président de la République y prête une attention très particulière. L’entente entre les patrons des chaînes privées et l’Elysée est parfaitement cordiale !

Quand les deux groupes Républicains et Renaissance font cause commune pour réduire le service public de l’audiovisuel, il s’agit d’une nouvelle manifestation du rapprochement accéléré des droites sur un ensemble de dossiers, notamment sur l’immigration, avec, en perspective, une alliance de plus grande ampleur. Gérald Darmanin en avait rêvé, les députés la lui offrent sur un plateau.

L’ARCOM, pour étoffer un dossier mal ficelé, a apporté sa pierre en dénonçant certains manquements dans les programmes de France Télévisions, spectacles vivants, diversité en matière de fiction française et « cannibalisation éditoriale » !

Le service public n’est pas exempt de critiques, mais en l’affaiblissant, il s’agit pour les uns et pour les autres de favoriser le privé, c’est-à-dire les grands groupes, et de limiter son offre éditoriale, notamment dans le domaine de l’information.

Ceux qui ont déclaré la guerre au service public préparent l’accroissement de l’asservissement des citoyens, le privé vendant du temps de cerveau disponible aux chaînes comme TF1 et à leurs annonceurs et offrant des spectacles de divertissement aussitôt oubliés, dénués de toute invitation à la réflexion sur la marche du monde.

Le danger est là ! Le projet de loi est prêt, à la veille des vacances. La manœuvre est grossière comme celle qui a empêché les députés de voter la loi sur la réforme des retraites.

Radio France a pris les devants et censure à tour de bras. Après Charline Vanhoenecker et l’impertinence de son équipe, c’est l’information sur France Culture et France Musique qui est victime d’une reprise en main.

Le journal de 22 heures de France Culture et les journaux et flashs d’information de France Musique disparaissent de la grille.

Les salariés de France Musique, atterrés, y voient une volonté de faire taire une rédaction qui « apportait une couverture particulière de la crise de la culture » et ceux de France Culture ont du mal à accepter les arguments de la direction qui prétend vouloir renforcer la singularité éditoriale de la chaîne.

Macron nous rejoue « Main basse sur l’information » !

Luca di Fulvio

On peut être étonné du quasi silence des médias à propos de la disparition de Luca di Fulvio. Comment ignorer un écrivain de cette dimension, dont les quelques livres ont connu de véritables succès (pour ne pas employer l’affreuse locution best-seller).

Le gang des rêves (qui l’a fait connaître, mais avec retard), Le soleil des rebelles, Les prisonniers de la liberté, Les enfants de Venise, Mamma Roma, une fois ouverts, ces œuvres majeures enthousiasmaient les lecteurs au point de ne plus les fermer avant d’avoir terminé leur lecture.

L’écriture de di Fulvio est fluide et ses personnages sont décrits avec la passion d’un entomologiste. Ses personnages sont d’ailleurs des migrants et si les sujets sont historiques, c’est pour mieux nous parler de notre monde d’aujourd’hui.

Luca di Fulvio n’écrit pas des romans historiques, mais il nous plonge dans un univers où ses personnages cherchent un ailleurs pour fuir un quotidien de misère ; le roman social n’est jamais loin.

Il répétait à l’envi, « je trouve d’abord mes personnages, vivants et indépendants, qui veulent suivre leur propre chemin, et ce n’est qu’ensuite que je choisis la période historique qui représente le mieux leurs ambitions, leurs projets et leurs rêves. En bref, l’Histoire est le plateau de tournage où je fais se dérouler la vie et non l’inverse. L’Histoire est un arrière-plan. Elle compte moins que le parcours de mes personnages. Ils sont aux commandes. »

Roman social plutôt que roman historique, car les personnages de Luca di Fulvio luttent et se heurtent au système économique et politique ; en permanence pour vivre dans un autre monde, plus humain.

Luca di Fulvio est mort, sans bruit, à 66 ans ; il laisse une œuvre majeure de la littérature. Qu’on peut toujours reprendre, avec la même ferveur.

Vivent les femmes !

C’est la fête des mères et, avant toute chose, il faut tordre le cou à une idée fausse.

Non, l’odieux maréchal Pétain n’est pas à l’origine de la fête des mères. On trouve déjà des cérémonies en l’honneur des femmes dès l’Antiquité en Grèce (en l’honneur de Rhéa, la mère des dieux) et à Rome (la fête des matrones).

Plus près, les Anglais fêtaient le Mothering Sunday et aux Etats-Unis, on célébrait le Mother’s Day. En France, c’est le gouvernement d’Aristide Briand qui décréta dès 1926 la Journée des familles nombreuses. Le collabo Pétain, lui, s’empara de cet hommage aux mères pour célébrer la famille et faire de la femme le symbole de sa politique réactionnaire où, dans un régime patriarcal, elle n’avait d’autre fonction que d’être génitrice, recluse au foyer en élevant ses enfants, astreinte à toutes les tâches matérielles et soumise à son mari.

Quand la France replonge dans la réaction et ne reconnaît toujours pas l’égalité des deux sexes, il n’est guère étonnant que la fête des mères retrouve ces relents nauséabonds. Sans parler des retombées commerciales.

La fête des mères est trop liée à la réaction pour perdurer, au moment où le mouvement pour l’égalité femme/homme prend, heureusement, de l’ampleur et gagne de nouveaux droits. La femme mérite mieux qu’une simple fête des mères quand l’émancipation reste un discours de circonstances pour le pouvoir et le patronat, unis comme jamais pour reporter à demain l’égalité salariale et la reconnaissance de tous les droits les plus élémentaires dans la vie de la cité.

Je terminerai ce billet par un extrait du Fou d’Elsa, d’Aragon, dédié à Elsa Triolet :

L’avenir de l’homme est la femme

Elle est la couleur de son âme

Elle est sa rumeur et son bruit

Et sans elle il n’est qu’un blasphème

Il n’est qu’un noyau sans le fruit

Sa bouche souffle un vent sauvage

Sa vie appartient aux ravages

Et sa propre main le détruit

Je vous dis que l’homme est né pour 

La femme et né pour l’amour

Tout du monde ancien va changer

D’abord la vie et puis la mort

Et toutes choses partagées

Le pain blanc les baisers qui saignent

On verra le couple et son règne

Neiger comme les orangers

Le poète a toujours raison qui voit plus loin que l’horizon, chantait Jean Ferrat. Ô combien il avait raison !

La culture en dansant

Décidément Guyancourt !

Dans l’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, la commune innove vraiment, au-delà du slogan seriné par certains. Elle accueille de nombreux artistes en résidence et elle les associe à ses habitants dans des ateliers.

Cette année, pour la première fois, elle a associé des chorégraphes, la compagnie Chriki’Z d’Amine Boussa et Jeanne Azoulay, à son agenda ; le contrat prévoyait une création. Défi relevé et défi réussi avec – – Volt-S (abrégé de Révoltes, bien sûr).

Amine Boussa a réuni une quinzaine d’habitants de tous âges pour, à partir du livre de l’auteur égyptien Alâa El Aswani, J’ai couru vers le Nil, ‘’inventer’’ un authentique spectacle chorégraphique, sans tabou, juste une imagination débordante, de la mise d’idées en commun, de recherches gestuelles et musicales. Avec une exigence stricte : se rapprocher le plus près possible des critères professionnels tout en cocréant, par un travail véritablement collectif fait de répétitions, de remises en cause et de beaucoup d’enthousiasme au moment de présenter fièrement un vrai spectacle.

Les participants ont rendu une copie excellente, loin des fêtes de patronage d’hier. Originale et communicative, inspirée du livre mais aussi des révoltes populaires des Printemps arabes.

Les participants ont ‘’découvert’’ l’acte de création, certes, mais aussi les exigences physiques, la rigueur du travail artistique en commun.

Amine Boussa, en pédagogue d’exception, a réussi, en un temps relativement court, à insuffler une attitude artistique à des néophytes (certaines et certains n’avaient jamais côtoyé la danse), eux-mêmes étonnés du résultat de leur création et découvrant des dispositions inhibées jusque-là.

La culture, c’est aussi se rapprocher des artistes et de leur acte de création pour en découvrir toutes les dimensions d’un travail quotidien, les tâtonnements, les remises en cause, la recherche constante et le professionnalisme. Guyancourt l’a fait.

L’argent des autres

La crise du logement ne permet plus aux jeunes et aux pauvres de se poser dans un habitat agréable pour vivre dignement. Pressé de toutes parts, le gouvernement a lancé un plan national, dit Action Cœur de Ville, pour « améliorer les conditions de vie des habitants des villes moyennes ».

La Caisse des Dépôts et Consignations a été mise à contribution pour racheter 17 000 logements en vue de les transformer en logements sociaux. Coût pour la CDC : 3,5 milliards d’euros !

Aujourd’hui, cette contribution se révèle insuffisante pour faire face à la demande et l’Etat vient d’avouer que l’organisme collecteur de la participation des employeurs, Action Logement, géré par le patronat et les syndicats, sera ponctionné pour répondre à l’effort national. Sauf que les fonds prélevés sur Action Logement, un salaire différé et socialisé, manqueront cruellement aux salariés auquel il versait des aides.

La direction d’Action Logement dénonce cette politique du gouvernement qui se permet de se servir dans la caisse d’un organisme paritaire pour éviter de puiser dans le budget. Elle rappelle que l’Etat a déjà prélevé 300 Millions d’euros dans la loi de finances pour 2023, privant ainsi 25 000 salariés des aides auxquels ils pouvaient prétendre.

En matière de logement, comme dans d’autres domaines, il s’agit d’une politique de gribouille, à courte vue. Elle est scandaleuse, les fonds d’Action Logement n’appartiennent pas à l’Etat.

Il s’agit d’un détournement.

Quand l’Etat finance sa politique en faisant la poche des salariés !