Charline Vanhoenecker a consacré sa dernière chronique de la saison au ‘’président de la République des Jojo’’ (à écouter avec gourmandise sur le site de France Inter). Cela mérite explication : « quand Emmanuel Macron pense la manière dont il s’adresse au peuple, il mobilise la figure de Jojo (…) Grâce au journal Le Monde vous saurez désormais comment s’appelle le mec qui est accroché tout à l’arrière de la cordée. C’est Jojo, qui remplit sa grille de Loto au PMU en buvant son jaja, évidemment. »

Il se trouve que la République des Jojo s’est soulevée et a embrasé les banlieues après la mort de Nahel. Trappes a vécu, comme d’autres cités, des nuits d’émeutes ; son maire, Ali Rabeh, a publié un communiqué qui, en quelques lignes, dresse un réquisitoire d’une grande intelligence, qui condamne la politique de Macron et de ses prédécesseurs à l’Elysée :

« Cette nuit, la République a regardé, impuissante, une bombe à retardement exploser. 

A Trappes comme dans de nombreuses villes de France, des jeunes, souvent âgés d’à peine 15 ans, ont pris les rues le temps d’une nuit pour transformer leur colère en violence, tournée contre les symboles de la République et contre leurs propres intérêts. Le travail de prévention engagé toute la journée auprès de ces jeunes par les élus, les agents municipaux et des citoyens bénévoles jusque tard en soirée pour les dissuader fut vain. Le déploiement des forces de sécurité, largement et visiblement insuffisant, le fut également. 

Cette situation n’a rien d’un « réveil » après une « nuit cauchemardesque ». C’est l’aboutissement logique d’une situation que les élus des villes populaires de France et leurs habitants vivent au grand jour depuis des dizaines d’années.

Les très nombreuses alertes, les appels publics et pétitions des vigies de la République que sont les maires de banlieue ont été ignorés sciemment par l’Etat. 

Aux appels à l’aide de ces maires, au travail réalisé dans le cadre du rapport Borloo, le Président de la République a répondu par le mépris et l’arrogance. Nous en payons aujourd’hui le prix fort.

La démission du maire de Sevran Stéphane Gatinon en 2018 a été minimisée, considérée comme anecdotique. 

La prophétie de Gilles Poux, maire de La Courneuve, a été ignorée. Voilà ce qu’il disait déjà en 2020 : « Il y a un tel sentiment d’injustice, d’inégalité, parfois aggravé par des comportements illicites de certains policiers, qu’on n’est pas à l’abri d’une explosion ».

Il y a un mois encore, ce sont trente maires qui appelaient à un « plan d’urgence vital » pour nos banlieues. Nous attendons toujours la réponse. 

Cette nuit, le vernis de la politique de la ville à coup de subventions conditionnées a craqué, faisant apparaître les failles béantes d’un État qui a échoué socialement et politiquement. Et aujourd’hui également échoué à maintenir l’ordre.

Bien sûr, il faut réformer la police pour retisser le lien rompu entre les quartiers et la police. Mais les causes sont bien plus profondes. Seule une politique de mixité sociale extrêmement volontariste, qui organise avec vigueur la fin des ghettos de pauvres en refusant le maintien de ghettos de riches pourra nous sortir de l’ornière. 

Nous ne pouvons plus vivre avec deux Frances qui se font face, s’ignorent et refusent de se mêler.

Nos écoles ne peuvent plus être des fabriques de l’échec scolaire, de la reproduction des inégalités, de la concentration des difficultés. 

Nos jeunes ne doivent plus se heurter au mur de l’insertion dans la vie active en raison de leur nom, de leur couleur de peau ou de leur adresse.

Les travailleurs essentiels qui peuplent nos quartiers populaires ne peuvent plus être renvoyés à leur insignifiance, une fois la page du Covid tournée. 

Il n’y a plus un jour à perdre. »

Effectivement, il n’y a plus un jour à perdre pour qu’Emmanuel Macron cesse de nous qualifier avec condescendance du sobriquet de Jojo et prenne en compte nos demandes de reconnaissance et de bien-vivre en parfaite harmonie. Sans avoir besoin d’exprimer notre mal-vivre par des émeutes.

Charline Vanhoenecker, la Belge, fait remarquer que : « Vous êtes donc une République de “Jojos”… C’est sympathique, mais ça veut dire qu’à chacune de ses allocutions, quand Macron commence par “Françaises, français”, dans sa tête il se dit “Salut les blaireaux !” » Démontrons-lui que nous ne sommes ni des blaireaux, ni des êtres insignifiants.