La Chouette qui hioque

Mois : novembre 2020

De l’utilité du Monde

J’ai eu l’impression de lire dans le Monde de ce soir quelques lignes que je lis habituellement dans mes autres lectures quotidiennes. Stéphane Lauer, dans une chronique économique de dernière page (aux côtés de l’éditorial) traitait des problèmes internes rencontrés par le président de Danone, Emmanuel Faber, mais surtout par les salariés des sièges sociaux (un quart va perdre son emploi).

Le chroniqueur s’est ému qu’une entreprise qui se porte plutôt très bien (elle a versé 1,4 milliard d’euros de dividendes au titre des bénéfices 2019 et réalisé un bénéfice d’1 milliard au premier semestre de 2020, dégageant une marge de 14 %) puisse supprimer autant d’emplois. Il écrit :

« En réalité, le dilemme auquel l’entreprise fait face aujourd’hui pose la question du niveau de la rémunération du
capital, qui devient de moins en soutenable sur le plan social et écologique. Ces rendements mirifiques qui sont devenus la norme à partir des années 1980 ont fini par aboutir à une déformation spectaculaire du partage de la valeur au détriment des salaires. Logiquement, les rémunérations auraient dû progresser au même rythme que la productivité du travail. Or, depuis 1990, celle-ci a fait un bond de 50 % dans les pays de l’OCDE, alors que les salaires n’augmentaient que de 23 %. Bien sûr le phénomène a été caricatural aux Etats-Unis, moins sensible en France. Mais le mécanisme reste le même. Pour que les entreprises puissent continuer à servir à leurs actionnaires les rendements exigés, il a fallu comprimer la part accordée aux salariés grâce à la flexibilisation du marché du travail, à la libéralisation à outrance des échanges, à la délocalisation de la production dans des pays à faible coût. La contrepartie s’est traduite, dans les pays développés, par une baisse du pouvoir d’achat, la disparition des emplois intermédiaires. Partout on assiste à la montée des inégalités. »

Ce qui est en train de se passer chez Danone n’est pas une révélation, c’est ce qui se passe chaque jour dans de nombreuses entreprises. C’est tout simplement la loi du capitalisme sans retenue d’aujourd’hui. A son paroxysme avec Emmanuel Macron. Le Monde a des réveils fulgurants.

Mais là s’arrête la révolte des journalistes du Monde ; changer de système ? Niel, Pigasse et Kretinsky, les principaux actionnaires n’accepteraient pas de le voir écrit dans leur quotidien.

Pourquoi donc ont-ils investi dans le Monde, chers collègues?

Un peuple se lève

La France des libertés fondamentales s’est retrouvée hier dans les rues de très nombreuses villes pour dire son refus de la confiscation des libertés fondamentales.

Tout cela est réjouissant, alors que le pouvoir de Macron tente, lui, de confisquer ces libertés, dont celle d’informer (mais pas seulement).

Le peuple s’est levé et a fait une démonstration de force. La jeunesse s’est insurgée, choquée par ce bien universel qu’Emmanuel Macron veut leur confisquer, alors que leurs ancêtres ont mise des siècles à les conquérir.

Après la journée mémorable du 28 novembre, Macron est interpellé : il ne peut en rester à la situation qui était celle de vendredi avec le vote de la loi dite de sécurité globale par 388 députés totalement déconnectés des réalités, 388 députés alignés sur les pires revendications de la droite extrême.

Castex, le premier ministre, est interpellé ; Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, est interpellé ; Eric Dupond-Moretti, ministre de la justice, est interpellé. On attend leur démission ou leur acquiescement.

Le préfet de Paris, Didier Lallement, aussi doit démissionner ou être remercié.

D’autres préfets aussi doivent être remplacés et les rangs de la police purgés de tous les racistes qui la gangrènent.

Mais c’est surtout d’une redéfinition des tâches de la police dont la France a besoin, au service de la sécurité et non de la surveillance et de la répression.

Quoi penser d’un policier du renseignement intérieur (les ex-RG) qui se permet de téléphoner au rédacteur en chef du quotidien La Charente libre pour lui demander de façon très directe : « Bonjour, combien de vos journalistes se rendront à Paris samedi à la manifestation contre la loi de sécurité globale ? »

La France était un pays de liberté ; l’est-il encore ?

Le peuple se lève. Il est temps.

Les voyous du capitalisme

Bruno Le Maire est un ministre de la droite la plus libérale. Archi battu lors des primaires au sein des Républicains, il a été récupéré par Emmanuel Macron, non pas pour faire une politique économique ‘’ni de droite, ni de gauche’’ mais bien une politique de la droite la plus bête du monde.

En pleine épidémie de coronavirus, Bruno Le Maire règne sur le bunker de Bercy et continue ses basses besognes de démantèlement des services publics.

L’Humanité vient de révéler qu’il avait écrit au président de la SNCF pour lui préciser les grandes lignes du plan de relance ferroviaire (4,7 milliards), mais aussi les contreparties. Avec Olivier Dussopt (comptes publics), Barbara Pompili (écologie) et Baptiste Djebbari (transports), il écrit que « ce financement (…) sera complété par une partie du produit des cessions des filiales les moins stratégiques pour le groupe SNCF (…), dont les premières devront intervenir rapidement ».

Parmi les filiales visées figure Géodis, dont 49 % pourraient être cédés.

Bruno Le Maire et ses acolytes précisent même à Jean-Pierre Farandou, le patron de la SNCF, que « l’État souhaite que le groupe SNCF soit à la hauteur de ses ambitions réformatrices », un groupe « qui doit être rendu plus agile et plus compétitif en vue de l’ouverture à la concurrence, à travers le respect du plan de productivité décidé lors de la réforme ferroviaire ».

M. Farandou a enregistré la demande et tenté une diversion dans une interview au Figaro :« Geodis fait partie des actifs stratégiques de la SNCF (…) vendre cette pépite en réponse de court terme à la crise n’aurait pas de sens ». Sans réfuter qu’il avait bien reçu la lettre de ceux qui sont ses patrons.

Les cheminots CGT, qui ont rendu public un plan de développement pour le fret SNCF, dénoncent les projets gouvernementaux : « Il n’y a aucune stratégie dans le transport de marchandises. Or, on pourrait très bien conserver les actifs routiers de Geodis dans le groupe SNCF, développer en parallèle le fret ferroviaire et créer une véritable offre de transport multimodale, cohérente et qui réponde aux besoins. »

Qu’un projet de privatisation rampant de Geodis ait pu naître dans le cerveau de Bruno Le Maire n’a rien de surprenant, il est un néo-libéral assumé. Que Geodis, société pesant 8,2 milliards de chiffre d’affaires, présente dans 120 pays et employant plus de 40 000 salariés, soit une filiale d’un service public, est une anomalie pour notre brillant ministre de l’économie. Que Bolloré ou des fonds d’investissement américains ou chinois débarquent dans le capital de cette entreprise, il en rêve. Eux aussi. Mais qu’en pense notre non moins brillante ministre de l’écologie ? Barbara Pompili, c’est d’elle qu’il s’agit, avale des couleuvres. Si Nicolas Hulot, lui, a fini par refuser, elle, au contraire, s’accroche à son fauteuil.

Les voyous du capitalisme sont à l’œuvre.

Maradona

Diego Armando Maradona a su être la voix du petit peuple argentin des ‘’villas miseria’’, qu’on appelle ailleurs bidonvilles, favelas, townships, ciudades perdudas, chacaritas, ces habitats précaires où s’entassent ceux qui n’ont rien, loin des villes pour qu’on les voit le moins souvent possible.

Maradona, lui, a connu les conditions de vie difficiles et simples dans une de ces maisons branlantes où il partageait ses nuits avec ses six frères et sœurs dans une seule chambre, quand son père, un pauvre paysan, eut tenté de trouver de quoi nourrir sa progéniture dans la banlieue de Buenos-Aires.

Le petit Diego ou Dieguito a montré très tôt une rare dextérité avec un ballon dans les pieds ; il est rapidement devenu ‘El Pibe de Oro’’, le gamin en or. Il a su devenir le porte-parole de ces centaines de milliers d’Argentins qui peuplaient les villas miseria.

Il a tout connu très tôt (trop tôt), la gloire, l’argent et, aussi, les amis qui ne vous veulent pas que du bien, mais qui lorgnent sur votre compte en banque.

Maradona était un génie avec un ballon ; bien mieux que d’autres surdoués, il savait ‘’tuer’’ le ballon pour dompter ses rebonds capricieux et en faire ce que son extraordinaire imagination lui dictait.

Sa morphologie, il était petit, râblé et bien accroché au sol, lui facilitait les gestes les plus fous et les plus déroutants pour l’adversaire.

El Pibe de Oro a connu la gloire, mais Dieguito n’a jamais oublié ses racines. Il était la bête noire des Etats-Unis, dont il dénonçait l’impérialisme en Amérique du Sud ; il était l’ami de Fidel Castro, d’Hugo Chavez, puis de Nicolas Maduro, d’Evo Morales, de Lula. Il avait participé au ‘’sommet des peuples’’ à Mar del Plata en novembre 2005, vaste rassemblement altermondialiste. Il dénonçait la politique israélienne et ne manquait aucune occasion pour dénoncer l’occupation des territoires palestiniens et les bombardements de Gaza, notamment en 2014.

Il n’avait pas de mots trop durs pour condamner Trump et Bolsonaro.

Aujourd’hui, le monde du football pleure un de ses génies, mais tous les peuples de gauche pleurent l’un des leurs, modèle de fidèle à la fraternité et à la solidarité.

El Pibe de Oro est resté un gamin durant toute sa vie trop courte, mais s’il avait conservé sa candeur enfantine, l’homme avait su ne rien renier de ses origines. Son seul regret aura été de ne pas connaître l’éradication de la pauvreté.

Pauvres flics

Les chaînes d’information en continu sont déchaînées ; elles se livrent à une sorte de surenchère à propos de la loi dite Sécurité globale. CNews, propriété de Vincent Bolloré, a convoqué tout ce qu’il y a de plus réactionnaire et de plus rance parmi la secte des chroniqueurs pour non seulement défendre le fameux article 24, mais aussi pour revendiquer que les policiers soient encore mieux défendus (il faut comprendre que la loi doit être renforcée pour être encore plus liberticide en donnant enfin satisfaction aux pauvres flics).

Sur CNews, les chroniqueurs tonitruent et se relaient tout au long de la journée pour que le téléspectateur ne puisse pas échapper au discours ultra sécuritaire ; Zemmour est imité par Dassier, qui lui-même est imité par Dominique de Montvalon, puis l’ex-magistrat Philippe Bilger. Les invités, ‘’syndicalistes’’ policiers se bousculent pour ajouter des arguments. Et les animateurs se hissent au niveau de cette fange pour orchestrer des émissions de pure propagande d’extrême droite.

L’outrance des réseaux sociaux peut parfois apparaître mièvre !

Philippe Bilger, ex-avocat général de cour d’assises, est un habitué des médias ; il est chroniqueur à Sud Radio, Le Figaro, CNews et ne refuse aucune invitation. Il connaît très bien les journalistes pour avoir présidé à de multiples reprises leur commission arbitrale. Avec l’âge, ses idées se sont radicalisées (eh ! Oui) et ses interventions sont de plus en plus franchouillardes, comme celle qu’il vient de faire sur CNews :

« Dans les circonstances quotidiennes difficiles que la police est obligée d’affronter, elle ne peut jamais aller au bout de la plénitude de ses possibilités. » Encore heureux ! Sinon combien devrions-nous comptabiliser de morts, d’yeux énucléés et de doigts arrachés. Bilger l’a-t-il oublié ? « Alors c’est la délinquance qui reprend la main. » poursuit Bilger. « Comment voulez-vous rétablir un ordre républicain si on n’a pas le droit d’utiliser tous les moyens à disposition ? Si elle le faisait, elle aurait tout le monde sur le dos et notamment une majorité médiatique qui va systématiquement du côté des transgresseurs. » Heureusement, Darmanin est arrivé pour  interdire aux journalistes de rendre compte des dégâts provoqués par les violences policières en toute impunité. La majorité médiatique est réduite au silence.

Fermez le ban. Je n’en peux plus de ces discours sécuritaires.

PS : Les beaufs sont tous déchaînés. A l’image de Laurent Nicollin, le digne fils de son père. Le président du club de Montpellier s’est mêlé de la fronde au sein de l’équipe de France de football féminine, avec des arguments choisis : « Certaines filles attaquent la sélectionneur alors qu’elles n’ont jamais rien gagné. Au lieu de cracher dans la soupe, il faut mesurer l’honneur d’aller en équipe de France. Qu’elles aillent torcher le cul des malades du Covid dans les hôpitaux, après elles pourront parler ! »

Laurent Nicollin a sa place sur CNews. Quant aux aides-soignantes, elles n’ont sans doute que mépris pour un tel beauf !

La France qui pleure

Christian Trotzier, docteur en sociologie, s’est penché sur le sort de ceux qui sont victimes dans la France d’aujourd’hui des licenciements, qui, écrit-il, sont « trop souvent et abusivement appelés ‘’plans sociaux’’ ». Dans son livre, Le choc du licenciement : femmes et hommes dans la tourmente, il recense le chiffre effarant de 9,8 millions de salariés touchés par ces plans dits sociaux de 1981 à 2000, puis 1 million entre 2001 et 2005 ; il s’agit le plus souvent d’ouvrières.

Il cite les travaux d’autres chercheurs qui rappellent que « le chômage ne se réduit pas à une privation d’emploi. Il peut être vécu comme une humiliation due à l’injustice subie et, paradoxalement, à la culpabilité éprouvée. La vie sociale est en outre menacée. »

Dimanche, dans l’émission ‘’13h15, le dimanche’’, le Feuilleton des Français a suivi un jeune couple de Béthune et leurs deux jeunes enfants ; les deux conjoints étaient employés à l’usine Bridgestone. Aujourd’hui, ils sont licenciés et la jeune femme n’a pu retenir ses larmes. Les rêves de ce jeune couple se sont évanouis ; le réel les plonge dans la peur du lendemain. Quoi dire à de jeunes enfants quand on a tout perdu, son travail, son lien social et que, au bout du compte, on a l’angoisse de devoir, peut-être, vendre sa petite maison où les enfants devaient s’épanouir.

Cruel spectacle, difficile à supporter pour qui a encore un cœur.

Combien de temps encore faudra-t-il supporter ces reportages où des salariés tombent en larmes devant les caméras, alors que les patrons se cachent pour éviter de croiser les regards de leurs ex-employés, de voir les terribles dégâts humains que leurs décisions produisent. De combien de drames humains les actionnaires sont-ils les auteurs, jamais rattrapés par la justice puisque tout ce qu’ils font est considéré comme légal.

Aujourd’hui, le patron de Danone, Emmanuel Faber, a eu le culot de justifier 2000 licenciements dans le monde, dont 400 en France, pour que le groupe puisse élever ses profits entre 15 et 20 %. Il a parlé d’adapter le groupe pour le long terme, mais il n’a pas eu un mot pour les salariés. Indécent et scandaleux, le système est pourri et inhumain.

Aujourd’hui, combien de salariés de Danone sont rentrés à leur domicile pour cacher leurs larmes comme leurs homologues de Bridgestone ?

Face à ces drames qui touchent de plus en plus de salariés en France, il n’y a qu’une réponse : écarter la clique des Macron, Le Maire, Jacob, Ciotti, Le Pen, c’est-à-dire ceux qui servent sans retenue un capitalisme financier porteur de tous les malheurs, à commencer par le chômage, l’augmentation exponentielle des inégalités, un recul inédit des libertés fondamentales et des services publics.

Il est urgent d’abolir les lois du marché pour mettre en chantier un nouvel ordre économique, rétablissant les principes démocratiques de justice, de liberté, d’égalité, de fraternité et de solidarité, c’est-à-dire ces valeurs léguées par les Lumières, les Révolutionnaires et les Communards.

Bannissons les pleurs et retrouvons la joie de vivre, les jours heureux.

Un pays où tout est permis

L’actualité, parfois, nous entraîne à faire des rapprochements entre des faits apparemment sans lien.

C’est le cas vendredi 20 novembre ; alors qu’on apprenait le décès d’un héros de la Résistance, Daniel Cordier, à l’âge de 100 ans, à l’Assemblée nationale 146 députés osaient voter un article 24 de la loi dite de ‘’sécurité globale’’.

Daniel Cordier avait su dire non et s’engager dans la lutte contre l’occupant nazi, aux côtés de Jean Moulin et pour que la France reste libre. A l’inverse, les 146 députés qui ont voté l’article 24 de la loi ‘’sécurité globale’’ n’ont pas eu le courage de dire non à un ministre, Gérald Darmanin, qui puise son inspiration dans les funestes idées d’un des pires syndicats de policiers.

Les deux événements s’entrechoquent et sont, hélas, la démonstration du glissement de plus en plus prononcé de la France d’Emmanuel Macron vers un régime autoritaire. L’héritage des Résistants comme Jean Moulin et Daniel Cordier, pour ne citer qu’eux, est bafoué. Gravement.

Gérald Darmanin n’a jamais dû lire le poème d’Eluard, Liberté, j’écris ton nom…

Ce ministricule se vantera sans doute d’avoir cédé à la pression des défenseurs des libertés publiques et notamment des journalistes en amendant son projet. C’est faux. Tel qu’il est rédigé aujourd’hui, après le vote, il risque au contraire d’entraîner toutes les interprétations possibles.

Le fameux article est désormais ainsi rédigé :

« Sans préjudice du droit d’informer, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelques moyen que ce soit  et quel qu’en soit le support, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification, autre que son numéro d’identification individuel, d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipale, lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police. »

L’ajout ‘’sans préjudice du droit d’informer’’ ne prémunit en aucun cas les journalistes des bavures policières et l’expression est suffisamment floue pour permettre à quelques policiers zélés de s’en prendre aux reporters-photographes et aux journalistes reporters d’images. Quant à l’ajout ‘’manifeste’’, il est tellement vague que les tribunaux devront trancher en multipliant les jurisprudences. Favorables aux journalistes ou aux policiers ?

Daniel Cordier n’avait pas risqué sa vie contre les nazis pour en arriver là !

Mais, dans la France de Macron, on peut s’attendre à tout. Par exemple, il est désormais avéré que Jean-Michel Blanquer avait suscité la création d’un syndicat lycéen, baptisé Avenir lycéen, pour l’aider à faire passer sa réforme. Il avait même arrosé copieusement cette officine avec de l’argent public (95 000 euros).

Un professeur d’université, Christian Delporte a fait justement remarquer : « Dans une démocratie normale (allez, disons ‘’scandinave’’ ou allemande, pour aller vite), Blanquer serait poussé à la démission. Sa chance, et notre malchance, c’est qu’il est ministre en France, où tout est permis ».

Emmanuel Macron, si prompt à décrocher son téléphone pour tancer les journalistes américains, reste étrangement muet et n’a admonesté ni Darmanin, ni Blanquer.

Faut-il encore s’en étonner ?

Le bagou de Macron

Les journalistes américains ne sont pas restés ébahis très longtemps après l’appel téléphonique du vibrionnant président de la République française à l’éditorialiste du New York Times. Ils sourient et ne manquent pas une occasion d’épingler la politique et les postures d’Emmanuel Macron.

Le correspondant à Paris du Washington Post, autre quotidien respectable, James McAuley a posté sur son compte Twitter une remarque qui va encore irriter le locataire de l’Elysée :

« Macron se définit comme un défenseur de la liberté d’expression dans le monde. Mais les journalistes français dénoncent ce qu’ils considèrent comme une répression troublante de la liberté de la presse en France même. Les lecteurs aux États-Unis seraient vraiment surpris. »

Cette saillie contre sa loi dite « sécurité globale » vaudra-t-elle un coup de téléphone rageur à son auteur ?

Plus vacharde encore, un Tweet de Rym Momtaz, la correspondante à Paris du site Politico fustigeant les gesticulations de Macron et la différence entre ses paroles et ses résultats 

« Son bagou a masqué l’étendue de l’impuissance française dans de nombreux théâtres étrangers incontournables. »

Si notre collègue américaine n’a pas demandé l’autorisation à la préfecture de police avant de rédiger sa phrase assassine, elle court le risque de l’expulsion. Pour le moins.

Mais, merci confrères, c’est à la lecture de la presse étrangère qu’on mesure le mieux la véritable grandeur de la France et de son président.

Macron et Sarkozy au téléphone

Nicolas Sarkozy téléphonait beaucoup aux médias (pas avec l’appareil de Paul Bismuth, réservé aux communications avec son avocat). En 1994, le rédacteur en chef de Soir, quotidien de Bruxelles, avait été soumis à de multiples pressions des ministres et conseillers après des révélations sur l’implication de la France dans l’attentat contre le président du Rwanda, Juvénal Habyarimana.

Sarkozy, alors porte-parole du gouvernement, s’était permis de téléphoner au Premier ministre belge, Jean-Luc Dehaene pour exiger des excuses. Rien moins. Celui-ci avait eu une réponse cinglante : en Belgique, la presse étant libre, il ne se sentait nullement engagé par l’article du Soir.

Emmanuel Macron, lui, se permet de téléphoner à l’éditorialiste du New York Times, Ben Smith, pour se plaindre du traitement de son programme dans les médias américains.

Ben Smith, sans doute interloqué, a publié trois plus tard un éditorial particulièrement ciselé ; les mots ont été choisis et pesés (et ils ne sont pas à la gloire du premier de cordée).

Cet éditorial est accessible sur le site du New York Times, mais en voici la chute :

« Je lui ai demandé si ses plaintes à l’encontre les médias américains n’étaient pas elles-mêmes un peu trumpiennes — des attaques hautement médiatisées au service d’un programme politique. M. Macron a répondu qu’il veut simplement que lui et son pays soient compris clairement. “Mon message est le suivant: Si vous avez des questions sur la France, appelez-moi”, a-t-il dit. (Accessoirement, il n’a jamais accordé d’interview au bureau parisien du New York Times, ce qui serait un bon début.) Il a rejeté la comparaison avec M. Trump. »

Sarkozy – Macron, rédacteurs en chefs de tous les médias. En France peut-être, mais ni en Belgique, ni aux Etats-Unis !

Leurs interventions, outre qu’elles sont la preuve d’un culot inouï et d’un problème aigu avec leur ego respectif, ne grandissent pas les hommes politiques français, ni notre démocratie.

Projet funeste

Emmanuel Macron, son pouvoir vertical, ses premiers de cordée, son nouveau monde, son antiparlementarisme et sa condamnation du ‘’bavardage législatif’’, sa loi sur le secret des affaires, son état d’urgence, et son conseil de défense, son ‘’absence de la figure du roi’’ et sa ‘’démocratie qui ne remplit pas l’espace’’…

J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le mal que je pense de la politique du président de la République et du glissement vers un régime autoritaire.

Voilà qu’aujourd’hui, Emmanuel Macron et ses godillots de la République en Marche s’apprêtent à franchir une nouvelle étape dans la confiscation des libertés publiques avec le projet de loi porté par l’ancien patron du Raid (Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion), un ex-super-flic, relais du lobby des syndicats de flics plus puissants que les syndicats de salariés !

Partis politiques, syndicats, associations de défense des libertés condamnent un texte qui « préfigure une société gouvernée par la peur où les citoyens, privés du droit de porter un regard sur les agissements de la police, verraient en retour leurs corps exposés sans limite à la surveillance des forces de l’ordre. Elle dessine un paysage asymétrique, sorte de panoptique géant, où nos libertés fondamentales sont gravement menacées, en premier lieu le droit à la vie privée et la liberté d’information. »

La politique de Macron est majoritairement rejetée par les citoyens ; le projet de loi s’inscrit dans un contexte préélectoral où la majorité présidentielle court après les quelques voix sensibles aux arguments sécuritaires. En accédant aux demandes de certains syndicats de police, le pouvoir souhaite rendre toujours plus difficile l’accès à une information indépendante donc dérangeante, sur le travail de la police.

Selon le Dictionnaire de science politique, un régime autoritaire est « caractérisé par le refus de tolérer toute expression publique de désaccords politiques importants ».

Avec ce projet de loi, on y est.

Dans un monde terrible dans lequel nous vivons en ce moment, la France des Lumières a besoin de toutes les intelligences pour surmonter crise sanitaire, crise économique et crise morale. C’est-à-dire une politique contraire à celle que dessine Macron. Nous nous rendrions complices si nous ne opposions pas à cette loi funeste.

Les démoniaques

A supposer que Dieu existe (ce que personne n’a jamais réussi à prouver, malgré la foi de nombreux habitants de la planète et les prétendues preuves fabriquées par ceux que la Sainte Eglise a décrété saints et élus), il doit se morfondre.

La foi, celle des catholiques (éclatée en autant de chapelles que de lieux de culte ou presque), celle des protestants, celle des islamistes (dans ses deux versions, sunnite et chiite), celle des bouddhistes et bien d’autres, est dévoyée par les intégristes de tout poil. Ils interviennent sur tout, vie morale, vie pratique, vie sociale, vie associative et vie politique. Quand ont-ils le temps de prier ?

Aux Etats-Unis, les Evangélistes ont fait des présidents (pas les meilleurs), y compris Donald Trump. Il est heureux que le peuple américain n’ait cru ni Trump, ni les Evangélistes pour la récente élection présidentielle. Ce courant qui renvoie les femmes au foyer pour s’occuper des seules tâches ménagères n’a guère été suivi. Les démocrates ont élu 105 femmes, 89 à la Chambre des représentants et 16 au Sénat. Les républicains et leurs soutiens évangélistes n’en ont envoyé, eux, que 35.

Parmi les élues démocrates, on trouve quelques figures progressistes qui font espérer que les Etats-Unis emprunteront dans un avenir proche un chemin plus humain et humaniste, sans se soucier d’un prétendu Déluge promis par ceux qui dénient à la moitié de l’humanité le droit de s’occuper de la vie de la cité et de la vie matérielle. Sortons les femmes des fourneaux et de la vie spirituelle.

En France, les intégristes, sectaires et réactionnaires sont peu nombreux ; mais plus les églises se vident, plus ils sont virulents et dangereux. Démoniaques.

Comme aux Etats-Unis ou en Pologne, ils dénient aux femmes le droit de disposer de leur corps et ils combattent le droit à l’avortement. Leurs prêtres abusent les petits enfants, mais ils détournent les yeux et absolvent les violeurs. Ils font aussi de la politique et organisent des manifestations. Ils ont des relais jusqu’au Parlement.

Ils inondent les médias, avec un penchant appuyé pour les réseaux déversant leurs mensonges et leur théorie des complots.

Ils sont volontiers antisémites et érigent un pont entre Rassemblement national (notamment sa branche Marion Maréchal), Bloc identitaire, l’association Egalité et Réconciliation, Les Républicains (tendance Droite dure), grâce à des intégristes comme Civitas et Manif pour tous. Ils ont leur radio, Radio Courtoisie, leur chaîne de télévision, TV Libertés, leurs sites.

L’un des leurs, Pierre Barnérias, a réalisé un prétendu documentaire, baptisé Hold-up, pour colporter que, derrière la crise sanitaire du coronavirus, il fallait voir un complot mondial de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des laboratoires pharmaceutiques et des politiques comme Emmanuel Macron pour accroître leur contrôle sur les populations.

Truffé de mensonges et de fausses informations, de manipulations, le documentaire est d’autant plus dangereux qu’il fait témoigner des notables, des scientifiques dont un prix Nobel, des sociologues ou des journalistes, aux côtés de militants des droites extrêmes et de Civitas.

Démoniaque, disais-je, mais plus encore. Il s’agit, comme aux Etats-Unis de manipulations de cerveaux. Il s’agit d’ébranler les vrais croyants, bien intégrés dans la vie publique et dans la République laïque. Utiliser l’image de Dieu comme agent de discorde, c’est bien démoniaque. Et je ne peux m’empêcher de penser que les religions sont un problème.

L’aveu de Gattegno

Hervé Gattegno, directeur des rédactions de Paris Match et du Journal du dimanche, est l’un de ces éditorialistes qui osent tout. Sûrs de leur impunité et d’eux-mêmes, éblouis par leur pouvoir, ils ne dissimulent plus leur engagement politique auprès des riches milliardaires qui les rémunèrent et des premiers de cordée qui les ont fait rois.

Mais Gattegno a franchi un échelon dans son journalisme de connivence. Au cours de l’émission dont j’ai parlé hier, il a révélé, sans honte : « J’ai eu Nicolas Sarkozy au téléphone, il m’a remercié pour mon article. »

Jean-Pierre Elkabbach a trouvé son digne successeur et, avec Hervé Gattegno, le journalisme de révérence continue à sévir.

Il n’est pas assuré que Gattegno sauvera Nicolas Sarkozy, mais le vrai journalisme a trouvé son fossoyeur.

Et Nicolas Sarkozy va pouvoir continuer à se répandre dans le Tout-Paris en déclarant être le rédacteur en chef de tous les médias. Modestement, comme d’habitude.

Pour ce qui concerne Paris Match et le Journal du dimanche, c’est hélas vrai !

Le repentir de Takieddine

Quand Ziad Takieddine dit-il la vérité ? Pendant les huit années durant lesquelles il a accusé Nicolas Sarkozy d’avoir financé sa campagne électorale avec des fonds libyens ou, aujourd’hui, quand brusquement Paris Match et BFM TV ont débusqué à Beyrouth un accusateur devenu témoin-alibi ?

Le financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 : entre cornecul et scandale d’Etat.

Ce revirement d’un aventurier impliqué dans de sombres histoires de financements occultes, de ventes d’armes est tellement extravagant qu’il pose de multiples questions.

En premier lieu, on remarquera que Takieddine, condamné à 5 ans de prison ferme dans l’affaire Karachi, s’est réfugié au Liban, comme Carlos Ghosn. Le pays du cèdre, à l’agonie, est un refuge idéal pour toute la pègre.

Prétendre avec Sarkozy que la vérité a éclaté, c’est aller un peu vite en besogne. Les propos de Takieddine à Paris Match sont en effet troublants : « Tout ce que j’ai fait, c’est donner 5 millions en cash à Claude Guéant, chez moi, à la maison, en application des termes d’un accord de sécurité entre la France et la Libye. »

Autre fait troublant, c’est Paris Match, propriété du groupe Lagardère dont Nicolas Sarkozy est membre du conseil de surveillance qui a retrouvé la trace de Takieddine à Beyrouth. Quelle heureuse coïncidence !

Le magazine a éprouvé le besoin de partager l’interview du fuyard avec un média concurrent, BFMTV. Pour donner plus de retentissement à une campagne médiatique savamment orchestrée ?

Le 12 novembre, Hervé Gattegno, directeur des rédactions de Paris Match et du Journal du dimanche, mais également éditorialiste à RMC et chroniqueur à BFMTV a pu prononcer un véritable plaidoyer en faveur de Sarkozy dans l’émission C à vous sur France 5. Sans contradiction. On ne saura jamais pourquoi l’animatrice n’a pas invité le journaliste auteur de l’interview.

Seule Anne-Elisabeth Lemoine a cru bon de faire remarquer à Gattegno que l’ex-président siégeait désormais au conseil de surveillance de Lagardère.

Les chroniqueurs, eux, sont restés étrangement muets. Explications : Pierre Lescure a siégé lui aussi au conseil de surveillance de Lagardère (de 2004 à 2018), Patrick Cohen est, entre autres, salarié d’Europe 1, la radio Lagardère, enfin Marion Ruggieri est journaliste à Elle depuis 2009 (le magazine à été vendu en 2019 à Kretinsky) ; elle a également collaboré à Europe 1 entre 2011 et 2016, animant l’émission Il n’y en a pas deux comme Elle.

Arnaud Lagardère et Nicolas Sarkozy se déclarent ‘’frères’’ et quelques renvois d’ascenseurs ont déjà défrayés la chronique, comme le licenciement d’Alain Genestar, directeur de la rédaction de Paris Match, pour avoir publié la photo de Cécilia Sarkozy avec son amant à New York.

Entre truands, politiciens et journalistes de connivence aux ordres de milliardaires soutiens indéfectibles des précédents, la vérité a du mal à émerger. La pression sur les juges est énorme. Sur les journalistes aussi.

Ziad Takieddine met au jour toutes les perversions du système politico-médiatique.

L’ombre de Pétain

Maurice Genevoix au Panthéon ? Encore un caprice d’Emmanuel Macron et un geste hautement politique.

Le président de la République avait rendu hommage à Philippe Pétain en novembre 2018, déclarant que le collabo, l’un des initiateurs de la rafle du Vel’d’hiv, déchu à la Libération et condamné à mort, avait été un grand soldat. La cérémonie d’aujourd’hui se situe dans la continuité de l’hommage à Pétain.

Il fallait tout le culot de Macron pour oser encenser celui qui ne fut pas seulement un allié des nazis, mais aussi un général qui envoya des milliers de soldats à la boucherie durant le ‘’grande guerre’’ de 1914-1918.

Faire entrer Maurice Genevoix au Panthéon ne doit donc rien au hasard. Celui qui n’est pas un grand écrivain, mais plutôt un va-t-en guerre, n’éprouvant aucun sentiment en voyant couler le sang des ‘’boches’’, vantant la nécessité de la guerre, l’héroïsme et le sacrifice suprême pour la patrie même quand la guerre n’est pas celle du peuple, va permettre à Macron de prononcer un discours fleuve dans lequel il glorifiera le roman national qui lui est si cher. Il justifiera une fois encore son ‘’ni de droite, ni de gauche’’ et trouvera ainsi l’occasion de rabâcher son slogan préféré, « Nous sommes en guerre ».

Maurice Genevoix, créateur du Comité national du souvenir de Verdun (CNSV) et son premier président, avait conservé une profonde admiration pour Pétain au point de signer une pétition en sa faveur avec Barrès, entre autres ; il donne l’opportunité à Macron de labourer sur les terres de quelques nostalgiques de droite et d’extrême droite.

Evidemment, Emmanuel Macron n’a pas décidé de conduire Henri Barbusse, par exemple, au Panthéon. Barbusse, comme l’Allemand Erich Maria Remarque, était un indécrottable pacifiste et un pourfendeur de la stupidité de la guerre ; les deux écrivains ne figurent pas dans la bibliothèque du président de la République.

Qui lit Genevoix aujourd’hui ? Pour ma part, je préfère Pierre Lemaître et son merveilleux roman ‘’Au revoir là-haut’’. De la grande littérature.

L’ombre de Pétain plane sur le Panthéon aujourd’hui.

Possible et impossible

Possible ? C’est ce que vient de démontrer le peuple américain ou plutôt ses militants progressistes qui ont su se mobiliser pour convaincre ceux qui, hier, ne votaient pas et ceux qui, aujourd’hui, ne font pas confiance à Biden pour régler leur triste sort, de s’exprimer pour évacuer Donald Trump de la Maison Blanche.

Le résultat de leur mobilisation a permis d’enregistrer la plus forte participation de l’histoire des Etats-Unis. Beaucoup d’observateurs avaient laissé penser que le peuple américain avait été anesthésié par Trump ; l’erreur est grossière, car les peuples, quand ils sont informés, ont des capacités de réflexion et de réaction insoupçonnées. Le peuple américain a démontré une intelligence qu’on lui dénie souvent.

L’exemple sera-t-il retenu en France en 2022 pour chasser Emmanuel Macron de l’Elysée ?

Impossible ? C’est le titre du dernier et merveilleux roman d’Erri De Luca. Roman n’est peut-être pas le mot le plus approprié ; l’écrivain italien nous offre plutôt un livre proche des contes philosophiques de Voltaire, dans lequel il traite tous les problèmes qui ont jalonné sa vie de militant politique engagé.

Impossible ? C’est ce que répond le narrateur à un juge qui le soupçonne du meurtre d’un ancien camarade de combat (et qui a trahi). Impossible pour le juge-accusateur qui tente de piéger l’ex-militant-accusé d’obtenir des aveux. Le juge, donc, symbole d’un vieux monde, ne peut pas comprendre que l’accusé puisse être encore fidèle à des valeurs humanistes de fraternité et d’altermondialisme, mais aussi de morale dans une société inégalitaire.

Le narrateur, comme Erri De Luca, est un montagnard qui se ressource dans les Dolomites, autre symbole que le juge ne connaît pas ; le narrateur lui administre une leçon d’élévation de la nature humaine à laquelle l’homme du passé est totalement imperméable.

Dans son précédent roman, Le tour de l’oie, Erri De Luca, dialoguait avec un fils imaginaire ; là, il dialogue entre les auditions, dans sa cellule, avec celle qu’il aime (Ammoremio) en écrivant des lettres sublimes, lui permettant de s’interroger sur l’amour durant les longues heures de solitude en prison (une situation qu’il a connue durant sa jeunesse de militant anticapitaliste).

La forme de ce roman est originale : Erri De Luca retranscrit l’interrogatoire du juge comme s’il s’agissait d’un procès-verbal d’audition, mais quelle langue admirable pour atteindre des sommets de réflexions philosophiques : peut-on atteindre sa propre liberté, sa propre vérité et la plénitude de sa personnalité.

Dans ce livre, Erri De Luca est au sommet d’une écriture qui devait lui valoir le prix Nobel dans les meilleurs délais.

Journalistes en circuit fermé !

« Comme après les élections de 2016, les médias américains sont sur la sellette », écrit Brice Couturier de France Culture. Dans son intéressant article, il rend compte d’une recherche très poussée de deux universitaires spécialisées dans les études de presse, Nikki Ushe (de l’Université du Michigan) et Yee Man Margaret Ng (du College of Media Illinois).

Pour les deux chercheuses, les journalistes américains « par leur éducation, les études par lesquelles ils sont le plus souvent passés, leurs lieux de résidence et les réseaux de sociabilité dans lesquels ils sont insérés, partagent les partis-pris culturels et idéologiques des élites des côtes ».

Brice Couturier s’interroge : « Cette situation leur a-t-elle masqué les réalités d’une Amérique profonde qu’ils connaissent mal ? Sinon, comment expliquer qu’ils n’aient pas vu que celle-ci ne partageait pas nécessairement l’aversion que leur inspirait le président sortant d’une manière presque unanime ? »

« Ces journalistes constituent, écrivent les deux universitaires, une « communauté autoréférentielle » qui vit en circuit fermé. Leur milieu constitue une « microbulle insulaire et donc vulnérable », qui construit « des angles morts » sur quantité de problèmes américains, sur lesquels ils s’entendent tacitement pour faire silence. Leur identité collective est fondée sur un système de croyances partagées. Mis dans l’obligation de travailler de plus en plus vite, ils sont « comparables aux traders », qui forment également un milieu terriblement conformiste et stressé. Ils sont accros à Tweeter qui est devenu l’une de leurs principales sources d’information dans la mesure où ils suivent – et recopient – un noyau qui bénéficie d’un accès privilégié à l’information. Mais le pire, c’est que même sur Twitter, ils ne sortent guère de leur « microbulle ». »

Brice Couturier en conclut que « les médias parlent aux médias et parfois même à propos des médias (…) Cette tendance au parti-pris et à l’entre soi est problématique. Car elle est probablement l’un des facteurs déclenchant, par réaction, l’envie d’une partie des électeurs de voter contre les médias… Croyant combattre le populisme, une partie du monde des journalistes le renforce ainsi malgré lui. »

Toute ressemblance avec le monde des éditorialistes français serait malveillante.

Du télétravail dans les rédactions

L’Institut Reuters publie chaque année des études sur la fabrique de l’information. Pour 2020, il s’est associé à l’université d’Oxford pour interroger 136 responsables de rédaction de 38 pays différents, entre le 21 septembre et le 7 octobre à propos des changements intervenus dans leur publication à la suite de l’épidémie du coronavirus, du mouvement #MeToo (lié à la question de l’inégalité salariale femme/homme) et de la question de la diversité.

Les témoignages à propos des pratiques de télétravail mises en place dans les rédactions montrent une inquiétude largement partagée sur l’impact de la créativité et sur le manque évident de relations physiques.

Vincent Giret, directeur de Franceinfo reconnaît, par exemple, que « les journalistes ont besoin de proximité physique pour débattre d’idées, partager des expériences et innover».

Rohan Venkataramakrishnan, rédacteur en chef adjoint de Scroll Media en Inde, avoue, lui : « Pour les personnes qui se connaissent bien, il est possible de travailler efficacement à distance. Mais le travail à distance ne permet pas toujours les conversations fortuites qui peuvent parfois conduire à de bonnes idées de la part des rédactions, et les gens peuvent facilement se fatiguer et se distraire lors des appels. »

Ben de Pear, rédacteur en chef de Channel 4 News au Royaume-Uni porte un regard très critique sur le télétravail : « Le plus grand défi pour une opération d’information quotidienne est la perte de communication instantanée que vous avez dans une salle de rédaction et la compréhension par tout le monde pourquoi quelque chose est fait et comment. De plus, la camaraderie et le but commun, le contact humain, l’humour et la spontanéité sont saignés par manque de contact et par interaction technique. »

Ces quelques phrases, convergentes, ont toutes la même tonalité. Si le télétravail a été un passage obligé pour préserver la santé des journalistes, au total, il n’est pas plébiscité. Rien ne remplacera le processus créatif grâce aux discussions dans les salles de rédaction et leur spontanéité.

Les éditeurs, en France et ailleurs, qui ont saisi l’occasion pour licencier des journalistes et imposer le télétravail pour réduire la taille des locaux physiques, devraient s’inspirer de cette étude de l’Institut Reuters. Les syndicats de journalistes aussi.

Les Etats-Unis, curieux pays

Les Etats-Unis sont un curieux pays ; ils se réclament de la modernité mais leurs institutions datent de 1787. Les petits Etats, ceux de ce qu’on a coutume d’appeler l’Amérique profonde, ont réussi à imposer un système devenu anachronique, qui leur est favorable.

Et toute réforme, en l’état actuel des choses, semble totalement impossible.

A l’heure où j’écris ces lignes, il semble probable que Joe Biden va remporter l’élection présidentielle, chassant le pire président que le pays a connu, Donald Trump.

Ce parfait imbécile, grossier, autocrate, pervers, menteur, misogyne, raciste, mégalomane, bref porteur de tous les défauts de la terre, a su tirer parti du système anachronique ; il a enregistré ses meilleurs résultats dans les petits Etats, flattant les instincts les plus réactionnaires des défavorisés, souvent racistes et réceptifs à des slogans aussi primaires que « America first ».

Mais si Trump est battu, la victoire de Joe Biden ne résout aucun des problèmes des Etats-Unis d’aujourd’hui. Les laissés pour compte du capitalisme complètement débridé n’ont rien à attendre de Biden, vieux cheval de retour. S’il a repris dans son programme quelques bribes du programme de l’aile progressiste du Parti démocrate, c’était pour le temps des élections et attirer les gens de peu qui s’étaient abstenus de voter pour Hillary Clinton.

Biden a gagné, mais pas la démocratie. Biden a battu Trump, mais le petit peuple a encore perdu. Seule la forme changera, pas le système, qui creuse chaque jour davantage les inégalités dans le pays le plus inégalitaire. Les Américains se débattent dans une crise profonde, avec une pandémie du coronavirus qui galope, un chômage qui explose, une pauvreté qui fait des ravages, une violence qui ne faiblit, des racistes et des suprémacistes arrogants…

Cette élection a été largement médiatisée en France ; les dysfonctionnements et les maux des Etats-Unis sont apparus en pleine lumière. Ceux qui vantaient le système américain vont éprouver dorénavant des difficultés à faire admettre que nos institutions devraient s’en inspirer.

La défaite désormais annoncée de Trump (mais à confirmer) aura agi comme un révélateur si, mais seulement si, les leçons en sont tirées par les citoyens et si les médias font œuvre pédagogique correctement.

On en reparlera.

Tout le mépris de Blanquer

Jean-Michel Blanquer est plein de sollicitudes pour les enseignants ; il leur a fourni le texte à lire aux élèves de France pour l’hommage rendu à Samuel Paty ce lundi matin, à savoir la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs et institutrices.

Le ministre de l’éducation nationale a transmis deux versions de la très belle lettre de Jean Jaurès, l’une courte pour les élèves de primaire, l’autre longue (mais expurgée de trois paragraphes) pour ceux du secondaire, sous prétexte de « fournir un outil clé en main ». Le geste traduit tout le mépris de Blanquer pour les enseignants, qui savent sans doute mieux que leur ministre comment enseigner et faire œuvre pédagogique en présentant un texte, même ardu, en sélectionnant l’essentiel si c’est nécessaire… C’est tout leur travail.

Il ne viendrait pas l’idée à un enseignant de raccourcir les Misérables de Victor Hugo ; il en choisit des extraits et renvoie les élèves au livre.

Les deux versions du texte de Jaurès n’ont pas été raccourcies par hasard. Dans la version pour le secondaire, l’un des paragraphes censuré est le suivant :

« J’en veux mortellement à ce certificat d’études primaires qui exagère encore ce vice secret des programmes. Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence ! Mon inspection serait bientôt faite dans une école. Je ferais lire les écoliers, et c’est là-dessus seulement que je jugerais le maître. »

Il s’agit du paragraphe où Jaurès affirme la totale autonomie de l’enseignant et dénonce un mal qui ronge les élèves d’aujourd’hui, soucieux d’obtenir le baccalauréat quoi qu’il en coûte. Blanquer a vu dans ce paragraphe une justification à la désobéissance des enseignants refusant les évaluations et le contrôle continu pour le baccalauréat et cela lui est insupportable.

Dans la version courte, le premier paragraphe a subi une stupéfiante modification ; un seul mot a été remplacé par un autre, mais il s’agit d’une modification lourde de sens. Jaurès écrit à propos de la tâche exaltante et pleine de grandeur qui revient à l’enseignant pour faire des élèves de véritables citoyens :

« Enfin ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. »

Dans le texte soumis par Blanquer,  « la fierté unie à la tendresse » est devenue « la fermeté unie à le tendresse ».

On retrouve, là aussi, tout le mépris de Blanquer et toute sa philosophie de l’enseignement. Emmanuel Macron et Darmanin ont dû apprécier ce caviardage, eux qui prônent la fermeté dans tous leurs discours.

Blanquer a abimé Jean Jaurès en réduisant la portée de son texte à l’occasion d’un hommage à un professeur tué par la bêtise alors qu’il enseignait la liberté d’expression et la tolérance. C’est plus qu’une goujaterie, c’est une atteinte à la liberté de l’enseignant, à la liberté d’expression et au respect des œuvres.