La Chouette qui hioque

Mois : avril 2019

Bateau ivre ?

Faut-il le croire ? Bruno Le Maire, ministre de l’économie, a paradé dans tous les médias pour annoncer une taxation des géants du numérique, c’est-à-dire les GAFA. Presque rien, puisque la fameuse taxe ne devrait rapporter que 450 millions d’euros en 2019. Quelques semaines plus tard, on apprend que la cour administrative d’appel de Paris a déchargé Google de ses redressements fiscaux, qui s’élevaient quand même à 1,15 milliard.

Qui rit ? Le Maire ou Google ?

Le gouvernement aux ordres d’Emmanuel Macron ? Plus écolo que lui, tu meurs, foi de République en marche !

On oublie le glyphosate et les abeilles, la préservation de la nature et on regarde de près la limitation du nombre de camions sur les routes et autoroutes, d’une part, et le développement du ferroutage, d’autre part.

Las, Guillaume Pepy vient d’annoncer la suppression de 200 postes dans sa filiale Fret SNCF, s’ajoutant aux 377 déjà prévus en 2019. Les effectifs de Fret SNCF ont chuté : de 15 000 employés il y a dix ans, ils seront de 5 000 fin 2019.

Qui ose encore se déclarer écolo au gouvernement ?

Nicolas Dupont-Aignan, le bouffon, ose affirmer que tout est fait pour le faire taire ; il serait victime du petit système politico-médiatique (on dirait du Marine Le Pen dans le texte !).

Le Monde a recensé plus de 40 passages sur les chaînes de télévision et de radio depuis le début de l’année, soit une moyenne de 10 par mois. 

Cela fait beaucoup de temps pour satisfaire le groupuscule Debout la France !

Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA pour les initiés) est un machin de plus, chargé de conseiller le ministre de la culture en matière de droits d’auteurs.

Le ministre, l’ex-concessionnaire automobile Peugeot, Franck Riester, vient d’y nommer un représentant de l’association Familles de France, un rejeton de la Fédération nationale des familles nombreuses d’antan.

La compétence de cette association en matière de droits d’auteurs ? Pas si évidente à prouver. A moins qu’il faille y voir un geste hautement politique.

Familles de France a participé aux Manif pour tous, entre autres. Son ex-président, le professeur Henri Joyeux, est un militant anti-vaccin, homophobe ; ce qui lui a valu quelques démêlés avec la justice et l’ordre des médecins.

La recherche de nouvelles voix pour les futures élections amènerait-elle Emmanuel Macron à chasser sur les terres de la droite la plus réactionnaire ? On n’ose y croire !

Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de France ou pas ?

La distance du Monde

« Macron amende sa politique pour se relancer » ; j’avoue que le titre de une du Monde daté de ce samedi m’interpelle et me laisse perplexe.

J’ai écouté, presque religieusement, la conférence de presse du président de la République et je n’ai pas entendu une seule phrase me permettant d’adhérer à ce qu’écrit le journal.

En revanche, j’ai bien entendu le prétentieux et méprisant Emmanuel Macron affirmer haut et fort qu’il n’avait pas fait fausse route ou que les transformations en cours ne doivent pas être arrêtées, mais poursuivies et intensifiées.

Alors, comment interpréter les mots ; ceux du président et de son instinct de classe forgée à l’ENA et même avant dans la bonne bourgeoisie amiénoise, et ceux des journalistes du Monde, appris dans les universités et dans les plus prestigieuses écoles de journalisme.

Dans un discours, surtout présidentiel, et dans un journal qui se veut de référence, chaque mot compte. Aucun n’est gratuit, même quand il s’agit de se livrer au jeu pervers de la petite phrase ou de trouver un titre accrocheur. A l’inverse de l’écrivain, aucun des deux ne recherche la figure de rhétorique, comme pouvait le faire De Gaulle lors des conférences de presse ou Hubert Beuve-Méry dans son billet quotidien signé Sirius.

Je conclu de mes interrogations que Le Monde vole au secours d’un président de la République sérieusement dévalorisé dans l’opinion publique. De quoi émouvoir la mémoire de son fondateur, qui, s’il n’est pas exempt de critiques, aimait répéter que : « Le journalisme, c’est le contact et la distance. »

Ici, Le Monde a manqué de distance. Ce n’est pas la première fois.

L’ingérence d’Erri De Luca

Erri De Lucca vient d’écrire la plus belle déclaration d’amour à l’Europe ; son court texte (16 pages) est publié par la nouvelle collection de Gallimard intitulée Tracts (3,90 €), dont Antoine Gallimard dit qu’elle « fera entrer les femmes et les hommes de lettres dans le débat, en accueillant des essais en prise avec leur temps mais riches de la distance propre à leur singularité ».

Erri De Luca, donc, s’insinue avec ‘’Europe, mes mises à feu’’ dans le débat des élections européennes de mai prochain. La langue est merveilleuse comme toujours chez lui et le parti pris est assumé. Il est profondément, viscéralement amoureux de l’Europe, de la Nouvelle Europe, pas celle de Macron, encore moins celle de Salvini ou d’Orban et des autres. Son Europe est celle de la Méditerranée, ouverte, accueillante, intelligente, apaisée, un espace de liberté : « Enfin, pour moi, l’Europe, écrit-il,  est une zone franche de la liberté d’expression. » Il ajoute : « Les gouvernements des Etats d’Europe n’interfèrent pas dans les questions internes d’un Etat membre. Eux non, moi si ; j’interfère parce que pour moi ce n’est pas une question interne, ils ne sont pas seuls concernés. Ce sont des éléments importants de l’espace de libre expression dans notre si dense continent, où nous exigeons une liberté d’échange entre les personnes, et pas seulement entre les marchandises. Cette liberté n’est pas soumise à des dosages, à une posologie. »

Pour Erri De Luca, l’Europe des libéraux qui veulent fermer les frontières, « qui s’imagine verrouillée pour vieillir dans son hospice de luxe », a engendré des monstres d’égoïsme. Il dénonce le racisme (« qui n’a pas de fondement biologique »), le nationalisme (« périmé par l’histoire »)dont il diagnostique que ce « sont des pathologies, avant d’être porteurs de paradoxes politiques ».

Il considère que ceux, de plus en plus nombreux, qui sont atteints de ces pathologies « devraient être soignés par le service de santé publique et orientés vers une rééducation ».

Fidèle à ses engagements humanistes d’hier, Erri De Luca confesse qu’il doit à ceux qui ont à souffrir des politiques actuelles « d’être porteur de citoyennetés variées et de fraternité européenne. »

Son essai écrit en mars et complété par quelques textes antérieurs devrait être lu par tous les électeurs européens et repris par les candidats qui ne se reconnaissent pas dans les discours des Macron, Loiseau, Le Pen, Dupont-Aignan, Bellamy et quelques autres.

Comme il l’écrit, « Le remède obligatoire et immunitaire reste la lecture des livres du monde. »

Pauvre Ukraine, belle Algérie

Le président ukrainien Petro Porochenko a été l’objet de toutes les sollicitudes des gouvernements occidentaux. En septembre 2014, par exemple, François Hollande, Angela Merkel, Matteo Renzi, David Cameron et Barack Obama l’avaient reçu en grande pompe à Newport au Royaume-Uni dans le cadre d’une réunion au sommet de l’OTAN.

Les dirigeants de l’OTAN en avaient fait leur plus sur allié pour entretenir une nouvelle guerre froide avec la Russie de Poutine. Au mépris des intérêts du peuple ukrainien, victime d’une corruption sans précédent. Au mépris aussi d’un rapport dressé par des experts britanniques qui avaient relevé le niveau élevé d’incompétence et de corruption de l’administration.

Les aides financières n’ont pas manqué à Porochenko et aux oligarques ukrainiens. Rares sont les fonds occidentaux qui ont bénéficié au peuple ; les mafias ont détourné des sommes colossales et ont bénéficié de la couverture par ceux qui étaient en charge de la lutte contre la corruption. Le président sortant qui avait fait de la lutte contre la corruption son slogan de campagne est lui-même englué dans des scandales : ses chantiers navals avaient, par exemple, obtenu les contrats  d‘entretien des bâtiments de la marine nationale !

Le peuple s’est détourné de Porochenko de façon spectaculaire puisqu’il n’a obtenu que 24,6 % des voix dimanche. Mais l’Ukraine en a-t-elle fini pour autant avec la corruption ? On en doute.

Le comédien Volodymyr Zelenskiy (73,06 % des voix) ne sort pas du néant comme on tente de la faire croire dans les capitales occidentales. Lui aussi est entre les mains d’oligarques et notamment de celles de Ihor Kolomoiskiy, israélo-chyprio-ukrainien, banquier, transporteur aérien, métallurgiste, pétrolier, patron de presse et notamment d’une chaîne de télévision, 1+1.

Le nouveau pouvoir en Ukraine ne semble pour l’heure pas plus fréquentable que le précédent. Les Occidentaux sont rassurés !

Quel triste spectacle de voir de prétendues démocraties n’avoir comme alternative que le choix entre la corruption et l’incompétence d’un bateleur.

Quel triste spectacle donné par l’Italie de Beppe Grillo, l’Ukraine de Zelenskiy, la Hongrie de Viktor Orban et de toutes les autres qui provoquent le désintérêt des citoyens pour la chose publique ou les poussent à se jeter dans les bras soit de comiques, soit de quasi dictateurs.

L’espoir, il faut aller le rechercher de l’autre côté de la Méditerranée où la jeunesse algérienne s’émancipe des corrompus et des oligarques sans heurt, avec dignité, sang-froid et une certaine idée de la démocratie. Sans que rien, cependant, ne soit encore écrit définitivement.

Que peut penser Dieu ?

Pâque ou Pâques ; singulier ou pluriel, peu importe, la plus importante fête du christianisme n’évoque rien pour un athée invétéré comme moi. Surtout que selon que vous êtes catholique, juif ou orthodoxe, le jour de la célébration est différent et pas seulement. Pour les Juifs, il s’agit de célébrer la sortie d’Egypte et, pour les autres, la résurrection du Christ.

Bref, au fond cela m’indiffère.

A supposer que Dieu existe, ce qui n’est d’ailleurs pas attesté, nous n’obtiendrons jamais de réponse aux questions posées par les religions puisqu’il est muet, que peut-il penser de l’état de ses supposées créations, la Terre et l’Homme.

En pleine semaine sainte, la cathédrale Notre-Dame de Paris brûle, sans doute faute d’un entretien suffisant (honte à l’Etat qui ne pourvoit pas à la pérennité du patrimoine légué par les architectes et artisans, constructeurs des cathédrales et véritables génies de la création). Un président de la République, laïque, dramatise l’événement à outrance et ose utiliser l’émotion créée par l’incendie pour se lancer dans une piètre opération politicienne, tentant ainsi de se sortir d’un climat social de plus en plus délétère.

Le même personnage, qui ose se comparer au dieu Jupiter, consacre un conseil des ministres à cette seule question : comment reconstruire Notre-Dame en cinq ans, alors que la crise sociale embrase le pays.

Emmanuel Macron (ou Jupiter, ou premier de cordée, au choix) décrète une trêve politique, appelant le peuple à l’unité et à la concorde, mais remet la légion d’honneur à l’écrivain le plus réactionnaire qui soit depuis Louis-Ferdinand Céline et qui déclare la guerre aux Musulmans au seul prétexte de leur religion. Le dieu de miséricorde doit frémir.

Des milliardaires se lancent le défi de savoir qui donnera le plus pour reconstruire le monument, quand ils refusent augmentations de salaires, embauches et amélioration des conditions de travail, quand ils ont la générosité sélective et détournent la tête pour ne pas apercevoir la pauvreté endémique dans laquelle s’enfonce le pays. Le Christ ne doit pas être fier de voir un tel détournement de son héritage et de la charité.

Que pense Dieu de l’état de la planète où on tue partout, au Yémen (avec des armes françaises), au Sri-Lanka, en Libye, en Irlande du Nord ?

Que pense Dieu quand il voit les hommes piétiner la solidarité et la démocratie en Ukraine, en Israël, quand il assiste à des révoltes du peuple que les oligarques essaient de détourner comme en Algérie, en Egypte ou au Soudan ?

Dieu reste muet et nous n’entendrons jamais les réponses aux cris lancés par des millions de voix humaines en souffrance. Pour ma part, je n’attends pas ses réponses et je n’ai pas attendu pour espérer voir les hommes de bonne volonté s’unir pour prendre la place de Dieu pour résoudre tous les drames de la Terre.

La leçon américaine

Philippe Karsenty, élu de Neuilly-sur-Seine, a été interviewé par la très droitière chaîne américaine Fox News lundi soir pendant l’incendie de la cathédrale Notre-Dame.

Après avoir fait le rapprochement avec la tragédie américaine du 11 septembre, Karsenty a déclaré en direct : « Nous devons savoir que des églises sont vandalisées en France toutes les semaines. Bien sûr, le politiquement correct va vouloir nous faire croire que c’est un accident…» Le journaliste de Fox News l’a sèchement interrompu : « Monsieur, monsieur. Nous n’allons pas spéculer ici sur les causes que nous ne connaissons pas. Donc si vous avez des observations, ou si vous savez quelque chose, nous serons ravis de l’entendre. (…) Nous n’allons pas faire ça ici, pas maintenant, pas sous ma responsabilité. » Puis, il a coupé la communication.

Shepard Smith a ensuite repris le micro pour donner une leçon à Karsenty mais aussi et surtout aux journalistes français qui n’osent pas interrompre leurs invités quand ils disent des contre-vérités : « Nous sommes à des milliers de kilomètres. Et l’homme au téléphone avec nous n’avait absolument aucune information sur l’origine de cet incendie, pas plus que moi. Les enquêteurs seront amenés à déterminer les origines du sinistre. Mais les théories du complot, quel que soit le sujet sur lequel elles portent, sont inutiles. Dans la plupart des cas, elles sont contre-productives et insultantes à l’égard de la société. Et ceux qui les entretiennent ne sont pas animés des meilleures intentions. »

Karsenty, rageur, a posté sur son compte Twitter cette phrase digne du personnage : « Truth will come out », en français « La vérité éclatera ».

Elu à Neuilly, Karsenty s’était vu retirer sa délégation d’adjoint avant de rallier une opposition encore plus à droite. Son nom n’est pas inconnu : c’est le triste personnage qui a poursuivi pendant des années Charles Enderlin, envoyé spécial permanent en Israël, et France 2 après la diffusion d’images montrant un enfant palestinien, Mohammed al-Durah (12 ans), tué par une balle adverse en 2004 à Gaza. Karsenty a fini par être condamné pour diffamation en 2013. 

Auparavant, en 2002, il s’était vu condamner à un an d’inéligibilité et, plus récemment, en 2013, à l’interdiction de postuler à la fonction publique pendant un an, à chaque fois pour défaut de dépôt de ses comptes de campagne.

Une leçon de journalisme délivrée par la très réactionnaire Fox News, qui a fait campagne pour Trump, je n’aurais jamais pu l’imaginer. Et pourtant…

De plus, que cette leçon cloue le bec à Karsenty, quelle jubilation.

Céramique et acte créatif

L’association Terramicales, dans le 11earrondissement de Paris, organise chaque année un Festival de Céramique, salle Olympe de Gouges, 15, rue Merlin ; sans doute l’un des plus exigeants qui soit. Il permet de mesurer l’évolution de cet art ancestral par son éclectisme, de voir des œuvres illustrant toute la palette de la création contemporaine, avec de jeunes artistes comme de plus chevronnés qui n’hésitent pas à explorer de nouvelles voies.

Les 36 céramistes présents font naître des œuvres illustrant ce que l’intelligence humaine possède comme pouvoir créateur à partir de blocs de terre.

Le jeune Michaël Maïo a exploré, par exemple, une technique d’incrustation dite zogan, développée par les maîtres japonais. Là, le céramiste grave des motifs d’une exceptionnelle finesse d’un argile coloré et finit ses pièces en les ponçant. Le résultat dégage une œuvre d’une très grande délicatesse.

Parmi les autres céramistes le plus étonnant était un artiste venu de la banlieue de Toulouse et qui, au-delà des œuvres habituelles, crée un choc en présentant des œuvres semblant brutes, blocs d’argile qu’il est allé chercher dans les champs après le labour, derrière le soc de la charrue ou la roue du tracteur.

Le parti pris ne laisse pas de doute, Claude Devillard, fait référence au chaos originel et au travail des hommes de la terre. A ces blocs minutieusement collectés, il n’enlève rien, ni racines, ni trous de vers de terre. Au contraire, il les associe à la création de ses œuvres.

Les blocs sont ensuite séchés et fondus à la flamme ; l’œuvre sera à la fois le résultat d’une intervention minimaliste du créateur et de la nature. Elles sont déroutantes ; elles portent un regard sur le règne minéral, le travail de l’homme, mais aussi sur l’acte créatif. Le résultat provoque une grande émotion artistique.

Ces deux exemples, parmi les artistes exposant cette année, démontrent que l’art de la céramique recèle encore de larges domaines à explorer et laisse aux céramistes de larges facultés de création.

L’association Terramicales et les élèves du lycée du Gué à Tresmes (77) sont, par leurs choix, d’ardents explorateurs de leur art et toute leur action en faveur de la Céramique rend un hommage à tous les artistes imprégnés de toutes les influences.

Michel Bouquet s’en va

Michel Bouquet, immense acteur de théâtre et de cinéma, vient d’annoncer qu’il met un terme à sa carrière dans une interview à l’AFP.

Immense acteur par sa longévité, car, à 93 ans, il totalise 75 ans de carrière ; immense acteur par son talent, son professionnalisme et une humilité qu’il a traduite en une phrase : « J’ai fait mon bonhomme de chemin mais sans aucune prétention intellectuelle. », avant d’ajouter : « L’humilité est sacrée pour l’acteur. Je prépare un rôle pendant six mois et quand le moment de jouer arrive, je me fais tout petit et je me dis ’’J’ai fait ce que j’ai pu’’. » Quelle élégance M. Bouquet et quelle leçon à ces acteurs bouffis d’orgueil pour masquer leur suffisance et leurs insuffisances.

Il a avoué être fatigué et ajouté avec son air éternellement malicieux : « Il faut beaucoup de force pour parler avec des mots qui ne sont pas les siens, de rendre tout ça vrai. » Humilité, toujours, d’un acteur qui a magnifiquement servi tous les textes, les mots des autres.

Au moment de partir, il a été interrogé sur ses regrets, avouant n’en avoir aucun : « Je ne peux plus en avoir, puisque je les ai eus tous et ils ont été oubliés. »

Michel Bouquet s’en va donc, mais il restera comme l’exemple de ce que le théâtre et le cinéma français avaient de meilleurs.

Chapeau bas, M. Bouquet.

Vive la science !

Prodigieux ! Les mots ne sont pas assez forts pour traduire le moment d’émerveillement qui m’a gagné devant la photo du trou noir de la galaxie M87 publiée hier.

L’intelligence humaine dans ce qu’elle a de meilleur avait prédit l’existence de trous noirs ; c’est Albert Einstein qui avait mis en équation cette prédiction en 1915 et il a fallu près d’un siècle à des centaines de scientifiques pour faire apparaître un cliché de ce qui, jusque là, n’était que théorie. Les continuateurs d’Einstein l’avaient ensuite détecté mais aussi modélisé grâce aux technologies numériques les plus avancées.

Alors, prodigieux est bien l’adjectif qui convient à ce moment pour qualifier le cliché du trou noir.

Les scientifiques ont expliqué comment cela est advenu, comment ils ont travaillé pour rechercher un signal commun à tous les téléscopes qui ont servi à recueillir les données, traduites ensuite en un cliché d’une extraordinaire qualité. Le nombre de données collectées par les huit téléscopes du programme mérite d’être cité : 4 petaoctets, soit 4 millions de milliards d’octets. Les chercheurs ont réussi à surmonter tous les obstacles.

Le même jour d’autres scientifiques, des paléoanthropologues, ont annoncé la découverte d’une nouvelle espèce humaine, baptisé Homo luzonensis ou homme de Callao dans une grotte de l’île de Luzon aux Philippines.

Nouvelle espèce humaine, en effet, car si l’Homo luzonensis se caractérise par sa bipédie permanente et l’augmentation de son volume cérébral, d’une part, et par son intelligence (il utilisait des outils), d’autre part, il est différent de l’Homo sapiens, de l’Homo erectus ou de l’Homo floresiensis.

Les scientifiques sont arrivés à leurs conclusions grâce à des études au moyen de scanners à rayons X pour observer, notamment la dentine, le tissu minéral de la dent. Etudes longues et délicates pour arriver à des conclusions fiables et, surtout, indiscutables pour lever tous les doutes.

Dans les deux cas, ce sont des collaborations internationales qui ont réussi à mettre au jour des avancées scientifiques majeures. La science, aujourd’hui, fait fi des frontières et des crises géopolitiques ; elle met en œuvre toutes les intelligences les plus élevées et fait régresser tous les préjugés conservateurs et toutes les croyances obscurantistes.

Il ne manquera pas de bonnes âmes pour critiquer tous les scientifiques qui ont fait avancer l’humanité. Assurément, les plans des créationnistes, des racistes et les arriérés, héritiers de ceux qui ont condamné Galilée, Giodano Bruno ou Darwin, sont bouleversés ; mais ils sauront trouver les arguments pour tenir de nouveaux discours pseudo-scientifiques insultants.

Aujourd’hui on ne brûle plus ceux qui étaient présentés comme des hérétiques, mais, à l’image de Trump (mais pas que lui, hélas), ils manifesteront leur mépris en rognant les crédits pour la recherche. C’est plus efficace que d’envoyer un seul représentant de la communauté scientifique sur le bûcher !

Encore un gros mensonge

Bruno Le Maire est ministre de l’économie et des finances. Avant de rallier le camp d’Emmanuel Macron et son gouvernement, il avait été un candidat malheureux à la primaire organisé par les Républicains.

Il s’était distingué en présentant un programme-fleuve de 1000 pages, avec réduction du nombre d’élus, la fin du collège unique, la privatisation de Pôle emploi, la remise en cause du statut de la fonction publique, la baisse de la CSG, la création de tribunaux d’exception pour les djihadistes et le contrôle des flux migratoires, etc. Et bien d’autres choses dignes de la droite la plus antisociale qui soit (et la plus bête du monde !).

Il est particulièrement à l’aise dans le gouvernement de Macron ; de nombreuses propositions de son programme ont été adoptées ou sont prévues. Mais le méchant Bruno Le Maire, comme le président de la République, adore les entreprises et particulièrement les multinationales.

On a vu sa férocité quand il a fallu s’opposer à la fermeture de l’usine Ford de Blanquefort, ou les papeteries Arjowiggings, les fonderies d’Ascoval, etc. Ses petits poings n’ont pas ébranlé la table de négociation. Ni même impressionné les patrons.

Aujourd’hui, il veut faire croire qu’il s’attaque aux géants américains du numérique ; il annonce, seul en Europe, l’instauration d’une taxe de 3 % sur les activités des entreprises réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires dans le monde et 25 millions en France.

Zorro-Le Maire est arrivé, mais cela n’impressionne même pas Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

L’ONG vient de ramener le coup de bluff du ministre de l’économie à sa juste dimension. Outre que la taxe ne concerne que le chiffre d’affaires numérique et non toutes les activités de ces oligopoles, Attac estime que 64 % du chiffres d’affaires cumulé des GAFAM va échapper à la taxe, celles-ci en dissimulant 74 %. Bénéfice pour l’Etat : au plus 162 millions d’euros, alors que Bruno Le Maire annonce, lui, une rentrée de 400 millions dès cette année. Selon Attac, « la France aurait dû profiter de plus de 600 millions d’euros d’impôt sur les sociétés en 2017 si la totalité de leur activité sur le territoire avait été déclarée».

Les ONG sont insupportables à l’image d’Attac qui vient de démolir l’opération de communication du gouvernement et de dévoiler le gros mensonge de Le Maire !

Quand le mensonge ne passe pas, il faut trouver autre chose pour rassurer les Français !

Autodafé

On brûle encore des livres en Pologne ! L’information m’avait échappé parce qu’elle avait échappé aux médias ; et, pourtant, elle est symptomatique d’un obscurantisme persistant au sein de l’Eglise catholique.

Cela est advenu dans une paroisse du nord de la Pologne proche de Gdansk, le 31 mars dernier. Le curé, Rafal Jarosiewicz, avait appelé ses ouailles à apporter des objets porteurs, selon cet illuminé de Dieu, « de forces perverses et diaboliques ». Les paroissiens avaient donc apporté des livres dont la saga d’Harry Potter, le Twilight de Stephenie Meyer, mais aussi une figurine boudhiste, des masques africains, etc.

Très fière de l’initiative de Rafal Jarosiewicz, la fondation catholique SMS z Nieba (qui signifie paraît-il SMS du Ciel) avait publié des photos de l’autodafé sur son compte Facebook.

Le curé obscurantiste a récolté une volée de bois vert de nombreux Polonais ; il s’est donc excusé sur le même compte Facebook : « Le fait de brûler des livres et d’autres objets a été un acte malheureux. Cependant, cet acte n’avait aucunement vocation à pointer du doigt un groupe social, ou une religion. Ce n’était pas non plus un acte de haine contre les livres en tant que tels, ou contre la culture. » Mais il ajoutait aussitôt qu’il rêve d’un monde où « les gens protesteront contre le meurtre d’enfants à naître et réagiront au moins autant que lors de la mise aux flammes de livres magiques ».

S’excuser en proférant une nouvelle provocation (contre l’avortement), le curé persiste dans l’ignominie ! Il est le digne héritier des soldats de Dieu au service d’un catholicisme rétrograde et agressif qui excommuniait et brûlait les infidèles et les impies.

Ce Rafal Jarosiewicz me rappelle ces autres soldats de Dieu qui, le 23 décembre 1951, avaient brûlé le Père Noël, usurpateur et hérétique devant la cathédrale de Dijon et justifié leur geste dans un communiqué aussi ignoble que celui du curé polonais d’aujourd’hui : « Représentants tous les foyers chrétiens de la paroisse désireux de lutter contre le mensonge, 250 enfants, groupés devant la porte principale de la cathédrale de Dijon, ont brûlé le Père Noël. Il ne s’agissait pas d’une attraction, mais d’un geste symbolique. Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. À la vérité, le mensonge ne peut éveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation. Que d’autres disent et écrivent ce qu’ils veulent et fassent du Père Noël le contrepoids du Père Fouettard. Pour nous, chrétiens, la fête de Noël doit rester la fête anniversaire de la naissance du Sauveur. »

Dans un texte célèbre, Dieu comme problème, José Saramago dénonçait ce « Dieu comme prétexte à la haine, Dieu comme agent de discorde ». Le prix Nobel portugais dénonçait aussi bien le Dieu des chrétiens que le Dieu des musulmans et il terminait son appel à la tolérance par des mots qui mériteraient d’être lus par le curé polonais (s’il n’a pas brûlé les œuvres de l’auteur athée) : « Pour ceux qui tuent au nom de Dieu, Dieu n’est pas seulement le juge qui leur donnera l’absolution, il est le père tout-puissant qui, dans leur tête, a rassemblé auparavant le bois pour l’autodafé, et qui prépare et ordonne maintenant de poser la bombe. Discutons cette intervention, résolvons le problème, reconnaissons au moins qu’il existe. Avant que nous ne devenions tous fous. Et alors, qui sait ? C’est peut-être le moyen de ne pas continuer à nous entretuer. »

Ou de brûler des livres !

Pauvre service public

Le Conseil d’Etat a osé contredire le tribunal administratif de Paris à propos du débat organisé ce jeudi par France 2 sur une question essentielle, le pluralisme.

Le Conseil d’Etat a jugé que les textes en vigueur ne peuvent imposer à France Télévisions « hors période électorale, le respect d’une stricte égalité de traitement entre toutes les personnalités politiques » et que, en conséquence, « il appartient à France Télévisions, dont la politique éditoriale est libre et indépendante, sous le contrôle du CSA, de concevoir et d’organiser des émissions participant au débat démocratique dans le respect d’un traitement équitable de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion. »

Pour le Conseil d’Etat, la stricte égalité de temps de parole ne s’appliquera que du 15 avril au 26 mai.

Voilà qui est clair. En dehors des périodes électorales, France Télévisions, service public, peut ne pas respecter le pluralisme et s’abandonner, comme les chaînes privées, à la dictature de l’Audimat.

France 2 avait dénoncé une grave atteinte à la liberté éditoriale et à la liberté de la presse et même l’inénarrable Sonia Devillers qui présente chaque jour L’Edito M à 8h50, puis à 9h40 L’instant M sur France Inter, y était allé de son indignation : « Un média ne serait donc plus maître de ses invités, donc de son contenu éditorial ? »

La spécialiste des médias sur une chaîne publique avait posé une question pertinente : « Comment faire entrer la démocratie dans la télé ? » Bonne question, mais réponse affligeante et consternante d’une journaliste de service public de s’émouvoir d’un jugement rappelant le service public à ses missions.

Il est dommageable pour France Inter que la bonne réponse soit apportée par un enseignant de Sciences Po, Philippe Moreau-Chevrolet : « C’est bien le rôle du service public de donner à voir la palette des nuances politiques. »

Quant à la lourdeur d’un débat à 12, Philippe Moreau-Chevrolet fait remarquer que, avec les débats pour les primaires « les chaînes ont appris à mettre en scène le débat choral » et, avec les chaînes tout info « habitué le téléspectateur à disposer de points de vue variés autour de la table ».

Quant aux positions adoptées par le Conseil d’Etat et le CSA, on se gardera bien de les qualifier, sinon pour condamner des instances volant au secours du libéralisme (qui n’a que faire du pluralisme) et d’une télévision publique qui devrait calquer sa politique éditoriale sur celle des chaînes privées, entre les mains de milliardaires suppôts de l’ultralibéralisme.

Alors, on attend des journalistes du service public un peu plus de décence et, surtout, plus de respect pour le pluralisme et les téléspectateurs.

Immense Agnès Varda, censurée

Photographe, réalisatrice au cinéma et à la télévision, plasticienne, écrivain, Agnès Varda laisse une œuvre immense et particulière.

Au moment de ses obsèques, les hommages ne manquent pas. Mérités. Mais un pan de la personnalité de cette grande dame est quasiment passé sous silence, son engagement. Pour l’avortement, pour toutes les causes féminines et humanistes, et pour la démocratie.

En 1970, elle a connu la censure, bête et méchante qui régnait alors à l’ORTF. Trois ans plus tôt, le service public lui avait passé commande d’un téléfilm. Ce fut Nausicaa, moitié fiction, moitié documentaire qui, à partir de la liaison d’une étudiante française et d’un intellectuel grec, donne la parole à des réfugiés politiques qui ont fui la Grèce après le putsch des colonels le 21 avril 1967 et la dictature. Avec une musique de Mikis Theodorakis. Somptueux.

Agnès Varda avait douloureusement ressenti la tragédie qui se jouait à Athènes, elle dont le père était grec et qui était si démocrate.

Le film (avec le jeune Gérard Depardieu) n’avait pas été terminé et avait disparu de la salle de montage. Agnès Varda avait néanmoins réussi à en sauvegarder une copie confiée à la Cinémathèque de Belgique. Il a fallu néanmoins plus de 40 ans pour le voir au festival Entrevues de Belfort dans une rétrospective ‘’Histoire secrète du cinéma à la télévision française’’.

Le ministre des affaires étrangères, Maurice Schumann, et le ministre de l’économie, Valéry Giscard d’Estaing, du gouvernement de Jacques Chaban-Delmas (Georges Pompidou étant président de la République), avaient refusé un film qui osait critiquer la dictature des colonels et dénonçait les tortures.

Cet épisode en dit long sur la prétendue ouverture de la ‘’Nouvelle Société’’ de Chaban-Delmas et sur l’amour des arts de Pompidou.

Pourquoi taire aujourd’hui encore un épisode dont Agnès Varda fut la victime ?

De l’art du mensonge (suite)

Je n’ose y croire : mon précédent billet sur le mensonge d’Etat connaît une suite extravagante et inattendue par sa rapidité.

Dimanche, le président de la startup nation a nommé Sibeth Ndiaye secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre, porte-parole du gouvernement. Chargée de communication d’Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle, elle s’était distinguée en déclarant à L’Express du 12 juillet 2017 : « J’assume parfaitement de mentir pour protéger le président. »

Elle aura de nombreuses occasions de mettre ses talents de menteuse au service non seulement du président, mais de l’ensemble du gouvernement, puisque le mensonge est érigé en mode de gouvernance.

Elle aurait pu débuter dès la fin de la semaine. Le procureur de la République de Nice, hiérarchiquement lié au ministère de la justice, et le préfet des Alpes-Maritimes avaient osé affirmer en chœur que Geneviève Legay n’avait pas été « touchée par des policiers » au cours de la manifestation des gilets jaunes du 23 mars. Macron avait repris cette version (et insulté la victime).

Or, un policier a fini par reconnaître qu’il avait bousculé Geneviève Legay et a fait part de ses sincères regrets. Le procureur, penaud, a dû faire volte-face.

Où il est prouvé que le mensonge d’Etat n’est pas l’apanage du seul Donald Trump !