La Chouette qui hioque

Mois : avril 2022

Le chœur des libéraux effarouchés

Les directeurs des quotidiens économiques, Les Echos (propriété de Bernard Arnault) et La Tribune (dont le premier actionnaire est le groupe de services aux entreprises, Atalian) partagent les mêmes angoisses au lendemain de la réélection d’Emmanuel Macron. Ils font des cauchemars à l’idée de voir la gauche unie obtenir la majorité à l’Assemblée nationale et ils inondent leurs pages d’articles fielleux.

Dans leur billet hebdomadaire du samedi, ils ont des phrases étonnamment identiques. Nicolas Barré écrit dans les Echos :

« Plus c’est gros, plus ça passe : Cécile Cornudet s’interroge sur le mystère Mélenchon, cette capacité à proférer des énormités pourtant reprises dans le débat… Pour sauver sa peau, le PS va-t-il perdre ce qui lui reste, son âme, et s’allier aux Insoumis ? C’est le dilemme du moment. »

Philippe Mabille, lui, éructe dans la Tribune :

« Une victoire déjà éclipsée par les Législatives aussi, note Marc Endeweld, alors que dès le 24 avril, Marine Le Pen s’est posée en principale opposante et en chef du rassemblement des « républicains patriotes », au nom desquels elle va mener la bataille du troisième tour au Parlement. Surtout, le vote utile en faveur de Jean-Luc Mélenchon a donné des ailes au leader de l’Union Républicaine qui espère réussir l’absorption de toute la gauche jusqu’à ses franges écologiques. Les appareils du PS et d’EELV vont à la soupe, au risque d’achever ce qui restait de cohérence et de dignité à leurs convictions. Imagine-t-on Jean-Luc Mélenchon en Premier ministre de cohabitation après le 19 juin si une majorité de Français qui n’ont pas voté pour Emmanuel Macron ou bien seulement par défaut décidaient de se venger dans les urnes en juin ? Les deux projets étant incompatibles, sur l’Europe, le nucléaire et la vision de la République, le scénario est improbable mais maintient une pression sur le président réélu à la recherche d’une voie de passage bien étroite, y compris avec ses propres alliés. »

Dans un cas, le Parti socialiste est invité à ne pas perdre son âme de gestionnaire d’une France ultralibérale, comme l’avait fait François Hollande ; dans l’autre, le même PS, mais aussi les écologistes d’EELV, sont accusés d‘aller à la soupe.

Philippe Mabille ne fait pas dans la nuance, car s’il se réjouit de la victoire de Macron et de la défaite de Marine Le Pen, il considère que le plus grave danger pour l’Etat ultralibéral est SURTOUT le projet de la gauche unie.  Plus grave que celui de Le Pen ?

La Tribune exhorte le président de la République à mener la réforme des retraites à son terme et brandit la menace d’une quasi faillite de la France en cas d’échec : « Sans le report de 4 mois par an de l’âge légal de départ pour le porter à 64 ans en 2027, le château de cartes s’effondre ». N’attendons pas le grand soir de 2027 ; les dégâts seraient trop lourds à porter !

Quand Les Echos et La Tribune en arrivent à ce niveau d’argumentation, on se dit que l’ultralibéralisme est en difficulté et que la gauche doit s’unir pour sortir le pays d’une crise sans précédent avec le retour de l’inflation, une dette abyssale, un déficit énergétique, la hausse des taux d’intérêt, etc.

Les libéraux, qu’ils soient patrons ou politiciens, ont une peur bleue d’un embrasement social. Ne serait-ce pas un encouragement supplémentaire à faire taire le chœur des libéraux effarouchés. 

Notre santé en danger

Il n’y a pas de hasard ; le même jour, Arte programme deux documentaires terriblement accusateurs, ‘’Médicaments, les profits de la pénurie’’ (‘’Fruit d’une enquête menée sur trois continents, une plongée édifiante dans les arcanes complexes de l’économie du médicament, mise à mal par la course aux profits des laboratoires’’), puis ‘’Votre santé, un trésor très convoité’’ (‘’En investissant le secteur médical, les géants du Web se positionnent comme une alternative à des systèmes de santé publics et privés à bout de souffle. Enquête sur les dessous d’un modèle galopant, qui mobilise technologie et collecte de données’’), et le Monde publie deux articles aussi accusateurs, ‘’A Pierrelatte, le privé s’offre la médecine générale’’ (‘’Le groupe Ramsay Santé, numéro un du secteur privé, a inauguré un centre de santé dans la Drôme’’), et ‘’Les centres de santé franciliens de la Croix-Rouge bientôt vendus’’ (‘’La filiale française du géant australien Ramsay Health Care veut racheter ces six établissements d’Ile-de-France déficitaires’’).

Il n’y a pas de hasard parce que le sujet est d’actualité et que de grandes manœuvres de concentration et de privatisation sont en cours.

Notre santé est la cible des fonds d’investissement qui contrôlent toute l’économie capitaliste ; les gouvernements sont complices de ce hold-up qui fait passer tout le secteur de la santé dans la seule logique marchande avec bientôt une médecine à deux vitesses, l’une pour les riches, bien dotée, et l’autre, pour les pauvres, où les soins seront réduits au strict minimum.

Les profits et dividendes en jeu à court terme sont énormes.

L’industrie du médicament dégage déjà des profits supérieurs à ceux des autres secteurs et organise la pénurie pour augmenter encore les marges. Les gouvernements européens, dont celui d’Emmanuel Macron, restent des spectateurs impassibles ; alors que l’abandon des brevets sur les vaccins aurait permis de vacciner tous les pays, les politiques ont cédé aux pressions des grands laboratoires en reniant leurs engagements.

Les GAFAM, de leur côté, voient dans la santé un moyen de gagner toujours plus d’argent, tout en ayant accès à de nouvelles données, dont la commercialisation est plus rentable que le pétrole.

Les deux documentaires d’Arte ont parfaitement mis au jour les politiques de financiers sans morale et sans respect pour les citoyens.

Le Monde, lui, a permis de donner un éclairage sur un aspect du scandale en France. Le groupe australien Ramsay Santé continue d’étendre son emprise sur notre système de santé. Après avoir pris le contrôle de la Générale de santé et de ses cliniques, il s’intéresse désormais à la médecine généraliste en ouvrant des centres de soins dits primaires largement subventionnés par l’assurance-maladie qui lui verse un forfait, calculé en fonction du nombre et du profil des patients. Les médecins sont salariés et assistés par des infirmières ; le partage des tâches devant permettre, selon un dirigeant du groupe, de « soigner 50 % de patients de plus par médecin ». Profit oblige.

L’expérience de Pierrelatte décrite dans le Monde est tout à fait légale puisqu’elle s’appuie sur l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale. Merci M. Macron et félicitations aux députés de la République en marche pour avoir voté la loi.

Pour aller plus vite dans l’implantation de centre de santé (profitant des déserts médicaux aggravés par la politique gouvernementale depuis la présidence de Sarkozy et poursuivie par Hollande et Macron), le groupe Ramsay s’est porté acquéreur des six centres déficitaires de la Croix-Rouge en Ile-de-France, dont les patients sont majoritairement des pauvres et des personnes bénéficiant de la CMU. Les personnels sont inquiets et s’interrogent : comment un groupe privé dont le modèle économique n’est pas de gérer des centres déficitaires va-t-il s’y prendre pour les rendre rentables.

Poser la question, c’est déjà donner la réponse : le personnel redoute ce qu’il appelle une optimisation des soins.

Les articles du Monde nous permettent d’apprendre qu’un fonds américain parmi les plus gros, KKR, a lancé une OPA sur la maison-mère de Ramsay pour 13 milliards. Ce fonds est déjà le premier actionnaire de l’autre leader des hôpitaux privés en France, le groupe Elsan, qui s’apprête, lui aussi, à ouvrir des centres de soins, notamment à Saint-Denis. Cette concentration honteuse n’est même pas évoquée dans les journaux télévisés du service public.

KKR, présents dans le capital de 65 % des 500 plus grosses sociétés mondiales, voit loin avec ses investissements dans la santé. Et nous avons toutes les raisons d’être inquiets : la moyenne des profits annuels des sociétés contrôlées par KKR est de 27 %. C’est ce qui sera demandé demain à ses hôpitaux et centres de soins, donc à ses personnels et, en particulier, à ses médecins.

On comprend mieux pourquoi notre santé intéresse tant fonds d’investissement mondialisés et industriels du numérique et pourquoi notre santé est en danger.

Caprice de milliardaire

Elon Musk a des caprices de milliardaires. L’ex-fondateur de PayPal veut ‘’se payer’’ Twitter. Un caprice de 44 milliards de dollars, non dénué d’arrière-pensée politique.

Les actionnaires ont très vite approuvé la proposition de Musk ; ils ont appelé le conseil d’administration du réseau social à réviser son attitude de refus et à accepter une offre aussi mirobolante. L’appât du gain immédiat ne pouvait laisser indifférents des actionnaires tels que les fonds Vanguard, Morgan Stanley, BlackRock ou Fidelity Management (qu’on retrouve parmi les détenteurs du capital de tous les méga-groupes du numérique, entre autres).

Vanguard, qui possède 10 % du capital va encaisser plus de 4 milliards de dollars et BlackRock environ 850 millions. Les investisseurs qui ont placé leurs fortunes dans ces fonds se frottent déjà les mains et vont pouvoir imaginer renouveler une même opération ailleurs.

Elon Musk est un ami de Donald Trump ; même morgue, même mépris pour les pauvres, même dédain pour la démocratie ; et il se pose en « absolutiste de la liberté d’expression » en ajoutant que « Twitter est la place publique numérique où sont débattues des questions vitales pour l’avenir de l’humanité. » On a pu observer avec Trump à quel niveau se situent les débats en 180 signes !

Dans un tel contexte qui apparaît vraiment surréaliste, deux banques françaises ont cru bon de participer au consortium bancaire qui va financer le caprice de Musk : la BNP Paribas va apporter un prêt de 1,4 milliard de dollars et la Société Générale, elle, va contribuer à hauteur de 875 millions.

Au moment où la France a besoin de crédits pour relancer son économie et relocaliser l’industrie, il s’agit de la part des deux banques d’un vrai scandale, qui semble laisser sans réaction le nouveau président de la République et son gouvernement (même en instance de départ). 

Une nouvelle illustration du slogan, ‘’Macron, président des riches’’, qui préfère Elon Musk aux ouvriers licenciés après les fermetures de fonderies, comme Alu à Ingrandes, MBF de Saint-Claude, SAM de Decazeville et les 800 licenciés du sous-traitant d’Orange pour la fibre, Scopelec basée à Sorèze dans le Tarn.

Le choix des banques françaises est éminemment politique ; c’est la raison pour laquelle Macron n’interviendra pas pour le condamner et pour réorienter l’argent disponible vers des activités industrielles stratégiques plutôt que vers un réseau social dont on a pu mesurer le rôle néfaste.

La honte

Ce matin, la honte de voir que le pays de la Révolution, de la Commune, du Conseil national de la Résistance a placé la candidate de la droite fasciste à un niveau aussi élevé, est largement partagée. Plus de 13 millions de Français ont voté pour Marine Le Pen qui gagne plus de 5 millions d’électeurs entre les deux tours, c’est-à-dire bien plus que le total des voix de Zemmour et Dupont-Aignan réunis.

Pour essayer de comprendre, on peut triturer les chiffres. Marine Le Pen ne représente après tout que 27 % des inscrits et Macron 38,5 %. Mais quelle honte, la fille du tortionnaire en Algérie fait mieux que l’extrême droite italienne de la Ligue du Nord, mieux que l’AfD en Allemagne. Il faut mesurer le danger qui nous guette. La gymnastique n’est pas satisfaisante.

Comment 13 millions de citoyens ont pu opter pour le bulletin de Marine Le Pen ? Y aurait-il 13 millions de gens tentés par le fascisme et prêts à lui confier les clés de l’Elysée ? On n’ose y croire !

Emmanuel Macron, son gouvernement et son entourage portent la lourde responsabilité d’un spectacle politique aussi dévasté et, surtout, d’un échec : n’avait-il pas affirmé en 2017 qu’il s’était fixé l’objectif de faire baisser le Rassemblement national ! Le résultat, comme dans d’autres domaines, est affligeant.

Le président sortant a réussi à se faire détester par une majorité de Français attachés à leur socle social (même affaibli), à la démocratie (même âbimée) et au respect de l’autre (même combattu). Son ‘’triomphe’’ doit être relativisé, même s’il a réussi à quasiment doubler le nombre de ses électeurs entre les deux tours.

Optimiste invétéré, on ose espérer que la gauche va enfin se réveiller et se réunir. Et, aujourd’hui, Jean-Luc Mélenchon n’a plus aucun prétexte pour imposer sa stratégie et sa personne. Le quinquennat de Macron a permis de clarifier beaucoup de choses et à dessiller les yeux ; en premier lieu, Macron applique une politique de droite, dure à ceux qui n’ont rien et il prévoit de durcir encore certaines dispositions (âge de départ à la retraite, RSA, indemnisation du chômage, etc.) ; les socialistes qui se sont ralliés à lui comme Ferrand, Le Drian, Rebsamen et d’autres, ont permis d’épurer (on peut le penser) le Parti socialiste ; les revendications débouchant sur des grèves s’amplifient pour s’opposer à l’ultralibéralisme ; la soif d’unité a gagné en vigueur (on l’a vu avec le résultat de Mélenchon qui a capté le vote dit utile).

Les motifs d’espérer sont nombreux. La gauche (toute la gauche) a une énorme responsabilité, celle de répondre aux véritables aspirations de millions de citoyens qui aspirent à vivre mieux, dans la paix.

Ce matin, cette phrase de Gramsci me revient à l’esprit : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Nous avons évité un drame ; mais le danger de le voir se réaliser prochainement n’est pas écarté. Alors, surmontons la honte, par la lutte politique, pour retrouver le sourire et la dignité de ceux qui nous ont légué l’esprit des Lumières.

Le capitalisme, c’est la guerre

J’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, de reprendre Jacques Prévert et sa célèbre apostrophe : « Quelle connerie la guerre ». Et de fustiger Poutine et ceux qui se livrent à une course aux armements, partout dans le monde.

Il se trouve que je viens de lire une excellente critique du dernier livre de Nils Andersson, Le capitalisme, c’est la guerre (Terrasses Editions, 148 pages), par Marine Miquel, maîtresse de conférence, dans la dernière livraison de la très belle revue Cause commune.

Ecrit avant l’invasion de l’Ukraine par Poutine, ce petit essai d’un pacifiste invétéré, est prémonitoire. Pour l’auteur, une seule cause à cette guerre, le capitalisme.

Marine Miquel relève : « Alors que ce dernier se prétend porteur d’un monde de paix, qui serait rendu possible par l’avènement d’une économie de marché mondialisée, le constat est sans appel : non seulement la guerre n’a jamais cessé – depuis 1990, on décompte entre trente-cinq et cinquante conflits armés actifs chaque année – mais en plus le risque d’un retour aux guerres de haute intensité, menées avec des moyens de destruction et de tuerie démultipliés par les progrès technologiques tels que la robotisation, les réseaux de l’intelligence artificielle, s’étendant à des champs de bataille autrefois préservés, le cyber espace et le domaine exo-atmosphérique, ou encore le corps humain (avec les ‘’soldats augmentés’’, à l’aide technologies) ».

Un chiffre est effarant : en 2018, les dépenses militaires se sont élevées à 1774 milliards de dollars. Et, avec la guerre en Ukraine, on assiste à une recrudescence de la course aux armements, comme en Allemagne. La France, l’un des plus gros ‘’fournisseurs’’ d’armes, participe largement à cette militarisation du monde. Où s’arrêteront-ils si nous ne les arrêtons pas ?

Marine Miquel note les causes de cette folie listées par Nils Andersson : nécessaire contrôle de l’accès aux ressources naturelles, préservation des zones d’influence et la prévention de l’émergence d’un éventuel futur concurrent, par exemple par le biais de la reproduction de l’ancien ordre colonialiste, avec l’établissement de protectorats, etc.

Le capitalisme porte en lui tous ferments de la guerre, malgré les discours de paix proférés par les dirigeants, y compris Emmanuel Macron, qui, note Marine Miquel, « annonce vouloir créer une Europe militaire » et la présente comme une nécessité.

Si le constat est terrible, Nils Andersson note (et cela n’a pas échappé à Marine Miquel) la vivacité et l’obstination d’une utopie, « en finir avec la guerre, son coût humain mais aussi écologique ». Rets à passer de la nécessaire utopie à l’action !

Lectures nécessaires et obligatoires

La collection Tracts de Gallimard s’est enrichie de deux numéros (36 et 37) qu’il faut absolument lire en cette période où règnent la confusion, le mensonge, les promesses. Deux numéros, pour faire bref, qui rendent intelligents et éclairés.

Le numéro 36, passionnant, est l’œuvre d’un magistrat, Eric Alt, et d’une avocate, Elise Van Beneden respectivement vice-président et présidente de l’association Anticor ; son titre : Résister à la corruption.

Très argumenté, cet essai démonte toutes les facettes de ces abus de pouvoir qui gangrènent la démocratie. C’est en même temps un appel vibrant à la Résistance (Rendre le pouvoir aux citoyens, titre du chapitre de conclusion) pour lutter contre un fléau qui coûte cher à tous.

Anticor a été menacée de perdre son agrément qui « permet d’exercer une prérogative qui dérange souvent le pouvoir », parce qu’elle dénonce les ‘’petites affaires’’ des corrupteurs et des corrompus et constitue « un remède aux entraves de la justice ».

Lire l’essai est un acte citoyen.

Le numéro 37 est tout autant passionnant et instructif ; son titre est sans ambiguïté : Santé publique, année zéro. Il est l’œuvre de Barbara Stiegler (déjà auteur du numéro 23, De la démocratie en pandémie) et de François Alla. Barbara Stiegler est professeure en philosophie politique et François Alla, praticien hospitalier et professeur de santé publique.

Les deux auteurs s’étaient rencontrés lors d’une conférence, avant la pandémie, sur le thème dont ils écrivent qu’il était prémonitoire : « La prévention en santé menace-t-elle nos libertés ? »

Eux qui ont « pris le parti de la santé publique », ont uni leurs savoirs et leurs études pour analyser avec une rare clarté le mécanisme d’une idée fausse : « Si nos libertés publiques avaient bien été remises en cause et si notre démocratie avait bien été suspendue, c’était pour notre bien, car c’était pour notre santé. »

La démonstration, chronologique, est brillante et sans appel. Les deux auteurs constatent que le dispositif de santé publique n’est plus qu’un « grand champ de ruines » et ils appellent les lecteurs à conclure, et donc à agir, à quitter l’état de sidération pour se « mettre en mouvement » et relever les ruines.

Leur essai est une condamnation sans concession des mesures prises par Emmanuel Macron et son gouvernement pour sortir de la pandémie. Les faits sont rappelés et éclairent nos raisons. Là aussi, il s’agit d’un essai que tous les citoyens devraient avoir lu pour sortir de l’opposition entre deux camps, les défenseurs de la santé publique et les partisans des libertés et de la démocratie.

Les deux essais se font écho en mettant en accusation un système ultralibéral où les services publics sont sacrifiés et les riches trouvent justifiés leurs privilèges, y compris celui de corrompre et d’être corrompus.

Où est la gauche ?

Ce qui a été présenté comme un débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen a confirmé que nous vivons dans une société violente et agressive parce qu’antisociale.

Les deux chaînes de télévision diffusant le triste spectacle d’un monde en décomposition avaient fait assaut de superlatifs pour persuader les citoyens que, oui, ce moment était un élément de la démocratie et qu’il allait déterminer le choix des électeurs encore indécis. De cela, rien n’est advenu.

Le président jupitérien et arrogant ne s’est pas départi de son arrogance (sans convaincre qu’il allait changer) ; la digne descendante de la famille réactionnaire n’a pas pu s’empêcher de revenir au discours raciste du patriarche (sans convaincre qu’elle était le meilleur défenseur de la veuve et de l’orphelin).

Mais, diable, comment a-t-on pu en arriver là ? Comment le pays des Lumières a-t-il pu engendrer un personnel politique aussi médiocre ?

Macron a pu invoquer ces Lumières quand le débat s’est porté sur la laïcité, ses paroles sonnaient faux ! Rousseau, Voltaire, Diderot et les autres ne maniaient pas le mépris pour ceux qui n’ont rien : ils voulaient les émanciper et leur faire quitter leur état de tutelle. Un autre monde !

Aucun des deux candidats n’a eu l’audace de dénoncer la corruption intrinsèque de la société dont ils prétendent être les plus brillants représentants, trop soucieux de défendre ‘’leur’’ monde, celui des riches, de la finance et des passe-droits.

Hier, Deliveroo était condamné pour travail dissimulé, aujourd’hui c’est la baron Ernest-Antoine Seillière, ancien président du Medef et du groupe Wendel, devenu société d’investissement après avoir abandonné la sidérurgie lorraine, qui se voit infliger une peine de trois ans de prison avec sursis pour fraude fiscale, avec onze autres cadres. Ils avaient imaginé un programme pour faire échapper un bénéfice de 315 millions d’euros à une taxation de 30 %. Un simple détail pour ces milliardaires.

Ni Macron, qui était allé ‘’pantoufler’’ à la banque Rothschild, ni Le Pen, qui a quelques ennuis financiers avec le Parlement européen, n’avaient choisi ce thème de débat. Dans leur monde, il y a des sujets tabous, des secrets de famille et des secrets d’Etat. On sait rester discret, très discret.

Face à ce triste spectacle, il est urgent de se poser la question : où est la gauche ? Elle se déchire encore à propos des élections législatives quand la maison brûle et que les citoyens se détournent des urnes.

Cinq ans encore !

Le monde de Marine Le Pen est abject, mais les résultats de l’élection présidentielle posent d’innombrables questions. Par exemple, comment a-t-elle pu arriver en tête du scrutin dans plus de 20 000 communes alors que son parti n’a des élus que dans 0,8 % d’entre elles ?

Comment ceux qui n’ont rien ont-ils pu lui apporter leurs voix alors que son programme est avant tout anti-social ? Son activité à l’Assemblée nationale traduit son ancrage à la droite : elle a soutenu 57 propositions de loi visant les étrangers vivant en France ou à renforcer l’arsenal répressif, en votant par exemple la loi dite ‘’sécurité globale’’.

Elle a réussi à capter un électorat populaire sur la base d’un mensonge éhonté : elle se propose de sauver l’Etat-providence, sans impôts supplémentaires, par les économies faites en supprimant toutes les lois sociales en direction des travailleurs étrangers.

Son monde est abject, répugnant, mais il l’a placée en position d’être élue présidente de la République !

Peut-être a-t-elle capté de nombreux bulletins déposés par des ‘’travailleurs du click’’, c’est-à-dire les surexploités des plateformes. Peut-être seulement, car certains d’entre eux viennent d’enregistrer une victoire juridique historique grâce à la lutte collective pour laquelle le clan Le Pen n’a que mépris.

Le tribunal correctionnel de Paris, en effet, a lourdement condamné la plateforme de livraison de repas Deliveroo pour travail dissimulé, estimant que ses livreurs avaient un ‘’lien de subordination permanent’’.

La société Deliveroo France a été condamnée à l’amende maximum de 375 000 euros, ses dirigeants à des amendes allant de 30 000 à 10 000 euros et à de la prison avec sursis. Les 150 livreurs dans l’instance recevront des dommages et intérêts pour préjudice moral allant de 500 à 3 000 euros et leurs six syndicats recevront chacun 50 000 euros. Quant à l’Urssaf, qui a chiffré son préjudice d’arriérés de cotisations à 9,7 millions d’euros, elle sera indemnisée.

L’addition est sévère pour Deliveroo.

La décision du tribunal correctionnel sera suivie d’une procédure pour faire reconnaître le statut de salariés aux livreurs.

Les deux candidats à l’élection présidentielle n’évoqueront certainement pas cette décision au cours du débat télévisé de ce soir. Car c’est leur monde qui est condamné, celui de Marine Le Pen, la châtelaine du Parc de Montretout à Saint-Cloud (la résidence très fermée de quelques milliardaires), mais aussi celui d’Emmanuel Macron, le chantre de la start-up nation.

Ce monde-là, les citoyens n’en veulent plus ; cependant c’est ce monde-là qui va gouverner la France pendant cinq ans encore. « Putain, cinq ans! » comme s’esclaffait Jacques Chirac dans les Guignols de l’info sur Canal+.

Malaise

Le malaise est profond dans le peuple de France aujourd’hui ; le spectacle est désolant : l’extrême droite est aux portes du pouvoir et le président sortant n’y est pas étranger. Mais rien ne doit nous faire perdre notre lucidité.

Les indécis sont nombreux et on se déchire pour savoir s’il faut voter pour Macron au deuxième tour de la présidentielle pour faire barrage à Marine Le Pen.

Ariane Mnouchkine tire le signe d’alarme et crie à tue-tête : « On n’essaie par Marine Le Pen ! On n’essaie pas le fascisme, aussi déguisé, aussi masqué soit-il. »

Brandir la menace en faisant référence aux dégâts provoqués par Trump, Bolsonaro, Orban, Salvini ou Kaczynski ne suffit plus. La tentation de l’abstention est forte.

Le bilan de cinq ans de macronisme est terrible, humainement (son mépris est insondable), socialement (avec des reculs législatifs au profit des riches et d’eux seuls), économiquement (avec un recul de l’industrialisation du pays), écologiquement (avec le refus de respecter les conclusions de la consultation citoyenne).

La liste est longue des griefs adressés à Emmanuel Macron. Aujourd’hui, il doit changer radicalement et se faire humble devant les Français qu’il a tant méprisés. Son bilan est si catastrophique que le front républicain ne lui assurera pas sa réélection. Les citoyens connaissent son programme pour les cinq ans à venir et ils n’en veulent pas ; alors, il doit convaincre qu’il est capable de changer pour que, demain, ceux qui croient à la devise de la République, Liberté, Egalité, Fraternité, puissent choisir le bulletin à son nom pour éviter de se réveiller le 25 avril dans une France au fascisme ripoliné.

Journalistes passe-plats

L’Humanité d’aujourd’hui pose la question de façon sournoise : à quoi sert un journaliste ? Le journaliste perfide qui ose s’interroger de la sorte, rit en fait sous cape (mais s’indigne, serait plutôt approprié). Il écrit donc :

« Pour les deux candidats encore en lice à l’élection présidentielle, la réponse est simple : passer les plats ».

Cela demande explication. Le confrère dévoile les raisons de son indignation, traitée sur le ton de la plaisanterie :

« Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont, tous les deux, refusé que la présentatrice du JT de 20 heures de France 2, Anne-Sophie Lapix, coprésente le débat de l’entre-deux-tours. »

Voilà un point sur lequel les deux protagonistes sont d’accord (ils en ont d’autres). Mais qui en dit plus long que certaines thèses sur le mépris affiché par les deux candidats pour la profession, et, au bout du compte, pour le débat démocratique.

Dit autrement : on veut bien débattre entre nous, mais ne venez pas nous ennuyer avec des questions qui fâchent et qui risqueraient d’éclairer le citoyen.

Cette situation est inimaginable dans d’autres pays que la France. On le dit et on le répète à chaque élection ou à chaque intervention présidentielle. Elle est une nouvelle preuve que notre démocratie est bien malade et le débat réduit à quelques invectives pour mieux éviter les grandes questions.

Cela dit, Anne-Sophie Lapix est certes pugnace, mais elle n’est pas une dangereuse révolutionnaire. Elle ne travaille pas à L’Humanité, au Canard enchaîné ou à Médiapart. Mais elle n’est pas suffisamment docile ; elle ne passe pas les plats tels que les aiment Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

L’épisode est cruel pour les deux ‘’journalistes’’ qui ont été retenus par le duo des deux candidats : Léa Salamé et Gilles Bouleau. Ils sont condamnés a priori. On ne s’en étonnera pas tant ils ont déjà apporté la preuve de leur conception du journalisme. Aux ordres des puissants.

On n’attendra donc rien du fameux débat d’entre-deux-tours et on pourra s’éviter de le regarder. Un bon livre fera l’affaire ce soir-là.

Des armes et des urnes

Parler de l’élection présidentielle en France sans avoir à l’esprit que la guerre fait des centaines de morts chaque jour ? Impossible.

La guerre fait rage en Ukraine, mais hier c’était en Yougoslavie (pendant dix ans). Puis, un peu plus loin, il y a eu des milliers de morts en Syrie, en Libye, en Irak, en Turquie même (où Erdogan bombarde les Kurdes, trop démocrates à ses yeux), en Afghanistan ; aujourd’hui encore, on compte les morts au Yémen et en Afrique sub-saharienne, etc. Des milliers de morts de trop !

La guerre n’est plus froide, même si on retrouve les mêmes belligérants et si leur nom a changé ; elle n’oppose plus deux blocs, l’un capitaliste, l’autre socialiste, deux idéologies surarmées, y compris avec la terrifiante arme nucléaire. Elle oppose des états capitalistes, mais aux visions du monde antagonistes et aux intérêts territoriaux divergents.

Le risque d’embrasement mondial est toujours présent ; les marchands d’armes n’ont jamais fait d’aussi bonnes affaires. Par exemple, l’Allemagne trouve 100 milliards pour, prétend le chancelier, moderniser son armée. La belliqueuse OTAN s’est brusquement réveillée et étend sa sphère d’influence, attirant, par exemple, des Nordiques, comme la Suède et la Finlande.

Le danger de guerre mondiale est là. Une étincelle suffirait à la déclencher.

Alors, comment parler du duel Macron – Le Pen sans avoir ce danger en tête. Les deux candidats, j’allais écrire les deux belligérants, sont deux représentants de ces états qui poussent au réarmement mondial, tout en déclarant, la main sur le cœur, qu’ils sont à ranger dans le camp des défenseurs de la paix.

Pour employer des expressions triviales, ils jouent avec le feu et soufflent sur les braises. Ici ou là. Ils nous mentent encore.

Ils prétendent ne pas intervenir mais ils fournissent des armes à quelques dictatures peu scrupuleuses du respect de la vie, comme l’Egypte ou l’Arabie saoudite, déploient des troupes, des navires à proximité du champ de bataille actuel, à quelques kilomètres des champs de ruines voulus par Poutine.

Ce sont les peuples qui paient le prix fort de cette politique de la tension permanente sur un fond de contrôle de matières premières, de produits agricoles que l’on a abandonné, mondialisation oblige, pour le plus grand profit des oligarques (qui ne sont pas tous russes).

Macron ne se démarque pas ; Le Pen non plus. Même si l’un et l’autre ne se situent pas vraiment du même côté.

On n’a pas beaucoup parlé de la guerre pendant la campagne électorale du premier tour ; on n’en parlera pas plus durant les quinze prochains jours. Mais on n’a pas parlé non plus de la paix, du rôle que devrait jouer l’ONU, de l’arrêt des ventes d’armes, etc.

Le pouvoir est confisqué par les hérauts d’un ultralibéralisme liberticide et sous pression permanente des va-t’en-guerre et des marchands d’armes. Voilà qui ne va pas faciliter le choix du 24 avril, malgré les appels à faire barrage à l’extrême droite.

Bien-manger, enjeu de gauche

Fabien Roussel a déclenché un débat qui, hélas, a vite dérapé en déclarant : « « Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française. Le meilleur moyen de la défendre, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès ». 

Sandrine Rousseau, candidate malheureuse de la primaire écologiste s’est étranglée et a caricaturé les propos ; Jean-Luc Mélenchon, lui, a été rejoint par Aymeric Caron, un ‘’vegan’’ et un ‘’décliniste’’ assumé qui s’est indigné.

Le débat vaut mieux que quelques petites phrases politiciennes de la part des anti-communistes primaires.

L’Humanité du jour s’entretient longuement avec Paul Ariès, un politologue, militant de la décroissance, un moment proche de Mélenchon, qui a développé l’idée de ‘’socialisme gourmand’’. Il n’excommunie pas Fabien Roussel et développe quelques idées qui permettent d’élever le débat.

Par exemple, quand il lui est demandé si la lutte des classes se joue aussi à table, il a cette réponse argumentée : « Manger a toujours été un fait social total qui engage toute notre personne individuelle et toute la société. Car manger n’est jamais simple. D’un point de vue anthropologique, c’est introduire dans notre corps quelque chose qui lui est étranger, faire du moi avec de l’autre. La crainte d’une contamination, bactériologique ou culturelle, est omniprésente : si je mange quelque chose qui ne m’est pas destiné, je risque de devenir un autre. Cela s’illustre par d’anciennes peurs, comme celle de faire manger du lapin aux femmes enceintes au risque de rendre leur enfant peureux. Finalement, cela concerne notre corps biologique, notre corps religieux, notre corps social et même notre corps culturel. Enfin, cela concerne notre corps politique. Dès ses prémices, la gauche a eu quelque chose à dire sur l’alimentation, bien au-delà de la seule question de manger à sa faim. »

Puis il évoque le moine Tommaso Campanella qui, dans La Cité du soleil, « définit une sorte de république idéale. Pour la première fois dans l’histoire, il pense un droit à l’alimentation. Pas uniquement celui de recevoir les nutriments nécessaires : pour lui, ce droit inclut celui à la bonne chère. On considère souvent qu’il est l’un des ancêtres de l’idée communiste : non seulement, Campanella soutient l’idée que cette alimentation idéale est strictement collective – il évoque les banquets spartiates –, mais il plaide pour une alimentation biologique. »

Paul Ariès évoque ensuite la place importante prise par les banquets au XIXe siècle, puis l’enjeu alimentaire aujourd’hui : « La gauche au XX e siècle a conservé cette centralité de la table, mais a cessé de la théoriser. Un des symptômes en est l’échec du mouvement Slow Food en France – dont le président-fondateur vient pourtant du Parti communiste italien. Pourquoi cela n’a-t-il pas pris de notre côté ? Parce que la gauche a oublié de penser politiquement ces questions. Elle a laissé, de ce fait, la place aux identitaires et à la droite. Cela fait vingt ans que j’appelle la gauche à redéfinir des politiques alimentaires parallèlement aux politiques agricoles. C’est une attente des milieux populaires. L’importance du repas familial, amical, militant continue d’exister. »

Il termine l’entretien par un appel à l’engagement militant pour la bonne bouffe pour tous : « Le libéralisme est justement ce qui détruit le bien-manger. Le système voudrait faire des cultures gastronomiques populaires un sous-produit. Il faut riposter. L’agriculture paysanne et biologique n’est pas une niche réservée à quelques-uns, mais le modèle à développer pour tous. En France, nous disposons d’un vrai levier : la restauration collective. Un repas sur deux y est consommé. C’est une formidable façon de faire que la table redevienne un espace commun. »

Merci, donc, à Fabien Roussel d’avoir réintroduit la question du bien-manger dans la campagne électorale et d’avoir rappelé qu’il s’agit d’un enjeu de gauche.

Heureusement, les historiens…

Certains historiens sont heureusement là pour dénoncer les déformations de l’Histoire dans une époque où l’extrême droite s’empare d’un prétendu ‘’roman national’’ pour justifier un discours de plus en plus réactionnaire et raciste.

On peut se féliciter que le travail d’un collectif de seize chercheurs, publié par Gallimard dans la collection Tracts, Zemmour contre l’histoire, ait connu un formidable succès, avec 60 000 exemplaires vendus à ce jour. Leur travail est remarquable.

On peut souhaiter le même succès à un ouvrage (Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire, Editions Les Arènes) qui s’attaque au révisionnisme de Philippe de Villiers dans son parc d’attraction du Puy du Fou. Quatre historiens, Florian Besson, Mathilde Larrère, Guillaume Lancereau et Pauline Ducret, chacun étant spécialiste d’une époque différente, ont passé trois jours à relever pour les dénoncer les erreurs historiques, les contre-vérités et une vision de l’histoire réactionnaire, identitaire, ultra-catholique, anti-universaliste et antirépublicaine du parc, selon les termes du site Streetpress.

Sur le même site, l’une des auteurs, Mathilde Larrère, relève : « Il y a, au Puy du Fou, l’idée d’une France éternelle qui n’aurait jamais bougé, une France catholique. Une idée qu’on peut retrouver chez De Villiers et Zemmour. Il y a dans les spectacles ou dans les décors des instrumentalisations, des erreurs et des travestissements historiques. C’est un discours qui valorise la royauté, l’aristocratie française, le catholicisme. Et qui, par ailleurs, est peu républicain, excluant des étrangers, et laisse peu de place aux femmes. »

Guillaume Lancereau, autre auteur, a été frappé par « la vision de l’histoire (…) très favorable au catholicisme, très conservatrice, traditionaliste sur les rapports de genre. Une lecture qui idéalise la nation française, le peuple français qui aurait toujours été identitaire à travers les âges. On retrouve les ingrédients d’un discours antimoderne, anti-Lumières, contre-révolutionnaire, anti-intellectualiste. »

Les quatre auteurs sont insultés et menacés sur les réseaux sociaux par le ‘’fachosphère’’, par exemple sur CNews. Sous couvert d’anonymat il est aisé de dénoncer des historiens qui font un véritable travail scientifique plutôt que de reconnaître qu’on a pris quelques libertés avec la vérité et avec les faits historiques.

Raison de plus pour lire une enquête aussi argumentée et solide que celle-là. Tout doit être entrepris pour dénoncer les discours faux et haineux de Philippe de Villiers (sur nommé le Fou du Puy par le Canard enchaîné), qui, rappelons-le, a rejoint Eric Zemmour dans sa campagne.

Raison de plus, également, d’éviter de se rendre au Puy du Fou.

Incontournable et insupportable

Léa Salamé est-elle incontournable ? N’y aurait-il qu’elle pour intervenir dans les émissions politiques du service public ? Qu’en pensent les journalistes du service politique de Radio France et ceux de France Télévisions réduits à un rôle secondaire ?

Elle est présente tous les matins sur France Inter pour le 7/9 (elle n’arrive pas cinq minutes avant la prise d’antenne) et a présenté mardi une émission spéciale, Elysée 2022, de 20h45 à 23h au moins. (Auparavant, quand elle présentait l’émission politique du jeudi sur France 2, elle était absente des antennes de France Inter !)

Quelle santé !

Incontournable, mais insupportable par son obséquiosité envers les grands candidats autoproclamés (notamment ceux de droite) et d’une agressivité rare envers les petits candidats. Elle sait être mielleuse avec ceux de son milieu et détestable et méprisante avec les gens qui n’ont rien.

Ses questions sont primaires et ne dérangent pas les libéraux. Bref, elle sert la soupe, selon l’expression triviale. Elle parle beaucoup et laisse peu de temps pour les réponses.

Ses entretiens sont à montrer dans les écoles de journalisme pour en faire une critique acerbe. Hélas, elle est l’exemple.

Léa Salamé est insupportable, certes, la faute à ceux qui en ont fait une star, ‘’la’’ grande professionnelle qu’elle n’est pas et qui ont largement contribué à lui faire enfler la tête. 

Dans cette société du spectacle, Léa Salamé remplit bien son rôle et contribue au désintérêt des citoyens pour la chose politique.

Les journalistes de France 2 se sont émus de l’absence d’Emmanuel Macron dans les émissions d’avant le premier tour de la présidentielle ; on aurait aimé qu’ils dénoncent l’omniprésence de Léa Salamé à la radio et à la télévision de service public, où il ne manque pas de très bons journalistes, aptes à remplacer Léa Salamé.

Voter à gauche

Ils étaient 120 au départ, en janvier, à créer une Coordination nationale du boycott de la présidentielle (CNBP). Tous de gauche, ils sont adhérents de partis politiques, syndicalistes, artistes, gilets jaunes, « des femmes et des hommes qui, comme des millions d’autres en France, ne veulent plus de la Ve République et qui refusent ce système antidémocratique. L’élection présidentielle ne sert qu’à désigner un monarque disposant de pouvoirs considérables en particulier quand majorité présidentielle et législative coïncident. »

Ils crient leur désespoir, haut et fort : « Nous voulons que ça change. Vraiment. Alors, nous refusons de donner notre caution à l’élection présidentielle. Nous serons dans le camp des abstentionnistes que nous souhaitons allier à celui des votes blancs et des votes nuls. Nous ne voulons pas que nos voix soient réduites au silence. Nous voulons nous faire entendre et faire valoir nos droits de citoyens. Pour cela nous appelons au boycott actif de l’élection présidentielle 2022 : un acte politique, citoyen et collectif. »

Leurs arguments sont recevables ; ils sont largement partagés par une bonne partie du vrai peuple de gauche. Ils dénoncent le système présidentialiste qui ronge la démocratie et qui est incompatible avec la souveraineté du peuple.

Gérard Mordillat, cinéaste et écrivain, à l’origine de cette coordination, a confié à Regards : « Il faut rompre avec l’illusion démocratique. Dans les dernières élections, il y a eu plus de 60% d’abstention : il faut lui donner un sens politique. Il faut transformer l’abstention en boycott, c’est-à-dire une prise de position publique contre ce que l’on nous propose. Si un président est élu avec une participation extrêmement faible, sa présidence pourra être remise en cause. En revanche, les élections législatives sont gagnables : il faut tout investir dessus. »

Pour autant, faut-il boycotter le premier tour ? Je ne le crois pas et ne le souhaite pas, malgré l’argument de Gérard Mordillat : « La gauche me désespère parce que l’on a vu comment François Hollande avait réussi l’exploit d’éradiquer le Parti socialiste – ce qui n’était pas gagné d’avance – mais les autres, que ce soit Jean-Luc Mélenchon ou Fabien Roussel, s’intoxiquent en pensant qu’ils vont y arriver. C’est une erreur totale. La seule chance, c’était l’union. Mais est entré en scène le bal des égos qui fait que tout le monde est d’accord que si c’est derrière untel ou unetelle. »

Le désarroi est fort ; ceux qui n’ont rien ne veulent plus de Macron, ce président qui « est aussi Premier ministre, chef de parti, chef de la majorité parlementaire omniprésent, et Monsieur je-sais-tout! ». Le peuple de gauche se méfie aussi des candidats de gauche, y compris Jean-Luc Mélenchon, qui, pourtant, propose une constituante. Charlie Hebdo relève que les membres de la coordination veulent « inverser la machine et, comme au Chili, voir émerger des mouvements sociaux monstres, s’organiser en convention populaire et ensuite faire élire un parti porteur de ce projet politique. »

Un défi à relever, certes, mais qui va s’avérer difficile et long.

Alors, faut-il boycotter la présidentielle ou plutôt convaincre tous les déçus et abstentionnistes d’aller remplir les urnes de bulletins de gauche ? J’opte pour la seconde option comme première étape pour faire grandir la nécessaire émergence de mouvements sociaux monstres.

Vive l’audiovisuel public !

Patrick Eveno est professeur émérite en histoire des médias et un pourfendeur des syndicats, tous taxés de corporatisme étroit. Il a des avis sur tout ce qui touche à la presse, à l’audiovisuel et, généralement, à l’information.

Dans un article publié par The Conversation, il s’interroge : « La redevance rempart pour le service public ou totem idéologique ? ». Et, tout de go, se croit autorisé à affirmer que « la redevance est une taxe impopulaire » et à fustiger ceux qui ont osé s’opposer vertement à l’annonce du candidat-président.

Il vole au secours de Macron en reprenant les déclarations de Gabriel Attal ou de Marc Dumontet, qui affirment péremptoirement qu’un « service public fort et indépendant (est) nécessaire ». Au passage l’ineffable Eveno oublie de mentionner les mauvais coups portés à l’audiovisuel public depuis Giscard d’Estaing et jusqu’à Macron. Il oublie de rappeler que France O a été supprimée et que France 4 a été sauvée de justesse par la pandémie du coronavirus. Il ne mentionne pas les coupes budgétaires qui ne cessent d’appauvrir les sociétés de radio et de télévision.

Alors, oui, la redevance est un totem idéologique pour ceux qui veulent défendre un service public de qualité face aux Bouygues, Bolloré, de Tavernost, Drahi, Niel et Kretinsky. Supprimer la redevance sans aborder, auparavant les modalités de son remplacement, est lourd de signification. 

Invoquer, comme le fait Eveno, l’importance d’un pacte démocratique est illusoire quand on sait que le Parlement est, aujourd’hui, d’une droite qui ne cesse de réduire des impôts et taxes prétendument pour redonner du pouvoir d’achat aux Français. Mais en sacrifiant chaque année davantage tous les services publics.

Patrick Eveno est le frère de Bertrand Eveno qui fut un président directeur général de l’AFP ; il ne peut donc pas ignorer que l’agence voit les contributions de l’Etat diminuer chaque année. Prendre cet exemple pour justifier la réforme de la redevance a quelque chose d’osé et d’inconvenant.

Bref, Eveno montre son vrai visage d’ultralibéral. Et la pérennité du service public de l’audiovisuel n’a rien à attendre de lui. Devant la commission d’enquête du Sénat, il n’a pas hésité à affirmer « qu’il n’y a pas de lien entre concentration et pluralisme (…) L’enjeu est de savoir comment concilier la nécessaire recomposition du marché des médias avec la non moins nécessaire préservation du pluralisme qui fait vivre la démocratie. La concentration n’est pas une question démocratique, c’est un problème économique (…) Deux concentrations se déroulent en même temps, mais relèvent de problématiques différentes. La concentration entre TF1 et M6 est classique, défensive, pour faire face aux Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – et endiguer l’érosion des revenus publicitaires. Comme dans tout secteur vieillissant, des concentrations et des recompositions ont lieu dans les médias. C’est inévitable, à l’image de ce qui s’est passé par exemple dans la sidérurgie et l’automobile (…) Considérer que les concentrations sont néfastes relève donc d’une vision archaïque, anti-libérale, qui s’inscrit dans un vieux débat. Pourquoi est-ce mal ? On ne sait pas ! Est-ce en raison de l’aspect monopolistique ? Mais il suffit d’appliquer le droit de la concurrence, comme ce sera le cas pour une éventuelle fusion entre Editis et Hachette… »

Que d’ineptie ! De tels propos suffisent à discréditer leur auteur et à renforcer la détermination de ceux qui veulent absolument défendre le service public.

A quelle page ?

Orhan Pamuk est l’un des écrivains majeurs du siècle. La littérature lui doit énormément. Engagé dans la défense des droits de l’homme, il même refusé le titre « d’artiste d’Etat » en 1998, après avoir dénoncé la fatwa lancée contre Salman Rushdie en 1989 ou encore la reconnaissance du génocide arménien. Autant dire qu’il n’est guère apprécié de Recep Tayyip Erdogan, qui avait réussi à le faire mettre en examen en 2005 pour insulte délibérée à l’identité turque. Aujourd’hui encore, il est menacé, mais son prix Nobel attribué en 2006 lui a sans doute permis d’échapper au sort que connaissent d’autres écrivains comme Asli Erdogan, par exemple.

Je n’ai pas encore lu son dernier livre, Les Nuits de la Peste (Gallimard), mais les entretiens qu’il accorde en ce moment pour la publication de la traduction française, donnent vraiment envie de dévorer ses 680 pages.

Dans L’Humanité d’aujourd’hui, il avoue : « Il n’y a pas de liberté de parole en Turquie. Lors de l’ouverture du procès qui a été attenté contre ce livre, mes avocats m’ont mis en garde, tout en m’assurant que ça allait passer. Je ne finirai pas en prison. Donc, dites aux lecteurs de l’Humanité de ne pas s’inquiéter pour moi. J’ai eu peur. Lorsque j’ai été convoqué dans le bureau du juge d’instruction, il m’a demandé si j’avais insulté Atatürk. J’ai demandé : « À quelle page ? » Il m’a répondu qu’il ne savait pas, mais énormément de lecteurs s’étaient plaints par lettres… »

Puis, il a ajouté : « Dans notre démocratie, seules les élections comptent, mais pas la liberté de parole. Or, une démocratie sans liberté de parole n’est plus une démocratie. »

Le président turc ne va pas apprécier ces déclarations ; mais peu importe à Pamuk. Il continue et continuera à défendre la liberté d’expression. Quoi qu’il en coûte. Avec une bonne dose d’humour, une arme terrible contre les dictateurs.