Fabien Roussel a déclenché un débat qui, hélas, a vite dérapé en déclarant : « « Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française. Le meilleur moyen de la défendre, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès ».
Sandrine Rousseau, candidate malheureuse de la primaire écologiste s’est étranglée et a caricaturé les propos ; Jean-Luc Mélenchon, lui, a été rejoint par Aymeric Caron, un ‘’vegan’’ et un ‘’décliniste’’ assumé qui s’est indigné.
Le débat vaut mieux que quelques petites phrases politiciennes de la part des anti-communistes primaires.
L’Humanité du jour s’entretient longuement avec Paul Ariès, un politologue, militant de la décroissance, un moment proche de Mélenchon, qui a développé l’idée de ‘’socialisme gourmand’’. Il n’excommunie pas Fabien Roussel et développe quelques idées qui permettent d’élever le débat.
Par exemple, quand il lui est demandé si la lutte des classes se joue aussi à table, il a cette réponse argumentée : « Manger a toujours été un fait social total qui engage toute notre personne individuelle et toute la société. Car manger n’est jamais simple. D’un point de vue anthropologique, c’est introduire dans notre corps quelque chose qui lui est étranger, faire du moi avec de l’autre. La crainte d’une contamination, bactériologique ou culturelle, est omniprésente : si je mange quelque chose qui ne m’est pas destiné, je risque de devenir un autre. Cela s’illustre par d’anciennes peurs, comme celle de faire manger du lapin aux femmes enceintes au risque de rendre leur enfant peureux. Finalement, cela concerne notre corps biologique, notre corps religieux, notre corps social et même notre corps culturel. Enfin, cela concerne notre corps politique. Dès ses prémices, la gauche a eu quelque chose à dire sur l’alimentation, bien au-delà de la seule question de manger à sa faim. »
Puis il évoque le moine Tommaso Campanella qui, dans La Cité du soleil, « définit une sorte de république idéale. Pour la première fois dans l’histoire, il pense un droit à l’alimentation. Pas uniquement celui de recevoir les nutriments nécessaires : pour lui, ce droit inclut celui à la bonne chère. On considère souvent qu’il est l’un des ancêtres de l’idée communiste : non seulement, Campanella soutient l’idée que cette alimentation idéale est strictement collective – il évoque les banquets spartiates –, mais il plaide pour une alimentation biologique. »
Paul Ariès évoque ensuite la place importante prise par les banquets au XIXe siècle, puis l’enjeu alimentaire aujourd’hui : « La gauche au XX e siècle a conservé cette centralité de la table, mais a cessé de la théoriser. Un des symptômes en est l’échec du mouvement Slow Food en France – dont le président-fondateur vient pourtant du Parti communiste italien. Pourquoi cela n’a-t-il pas pris de notre côté ? Parce que la gauche a oublié de penser politiquement ces questions. Elle a laissé, de ce fait, la place aux identitaires et à la droite. Cela fait vingt ans que j’appelle la gauche à redéfinir des politiques alimentaires parallèlement aux politiques agricoles. C’est une attente des milieux populaires. L’importance du repas familial, amical, militant continue d’exister. »
Il termine l’entretien par un appel à l’engagement militant pour la bonne bouffe pour tous : « Le libéralisme est justement ce qui détruit le bien-manger. Le système voudrait faire des cultures gastronomiques populaires un sous-produit. Il faut riposter. L’agriculture paysanne et biologique n’est pas une niche réservée à quelques-uns, mais le modèle à développer pour tous. En France, nous disposons d’un vrai levier : la restauration collective. Un repas sur deux y est consommé. C’est une formidable façon de faire que la table redevienne un espace commun. »
Merci, donc, à Fabien Roussel d’avoir réintroduit la question du bien-manger dans la campagne électorale et d’avoir rappelé qu’il s’agit d’un enjeu de gauche.