Albert Camus est une conscience. Et, particulièrement, en ces moments que nous traversons où l’information est malmenée.

Que les faits divers, omniprésents, soient traités sous l’angle du seul factuel et jamais sous l’angle sociétal, que la météo et la cuisine occupent une place de choix, que les journalistes de télévision soient contraints de se montrer devant la caméra les pieds dans l’eau à chaque inondation ou en faisant le pied de grue devant l’Elysée, que, en matière politique, une seule pensée ait accès aux autoproclamés « grands médias », ce n’est pas un hasard. 

Le néo-libéralisme (la guerre sémantique a imposé ce néologisme pour bannir le « gros mot » de capitalisme !) a besoin d’une société aseptisée et consensuelle, dont la façade a été ripolinée, dans laquelle la peur est omniprésente.

Albert Camus est aux antipodes de ce journalisme-là !

Et le Journal imaginaire d’Esopea eu raison de rappeler qu’Albert Camus a été aussi un très grand journaliste et une conscience du journalisme.

Je me suis souvent référé à lui quand, aux responsabilités du SNJ-CGT, j’en appelais à la profession pour refuser cette information qu’on lui demandait de vendre non à des citoyens mais à des consommateurs consentants, à la limite de la débilité.

J’étais souvent renvoyé aux quatre volumes de la Pléiade, aux Actuelles (assez admirables), aux articles de Combat(sans concession) et autres écrits informationnels. J’avais besoin de Camus ! Mais pas que de lui.

Les faiseurs d’opinion (toujours autoproclamés) comme Joffrin, Barbier, Giesbert, Lenglet, et autres, sont des nains, comparés à Camus. Mais, surtout, ils sont d’un parti pris insupportable et d’une outrecuidance inouïe quand Camus, lui, demande à ses lecteurs un effort de réflexion pour se forger une opinion par eux-mêmes. Bref, tout le contraire des individus cités ci-dessus.

En revanche, je crois qu’il aurait été nécessaire dans ce Journal imaginaire d’Esoped’aller au-delà de ces deux articles.

Pourquoi ?

Albert Camus est resté jusqu’au bout fidèle à ses origines populaires. Et s’il a adhéré (brièvement) au Parti communiste, il a été avant tout un libertaire, opposé aux fascismes, aux mensonges institutionnels, défenseur des libertés et des gens de peu. Mais, en tant que créateur, toujours seul devant la page blanche et sa conscience.

Curieusement (mais, là encore, sans doute pas par hasard) on a oublié qu’Albert Camus a collaboré avec de nombreuses publications libertaires en France, en Italie, en Espagne, en Argentine aussi. Il a beaucoup fréquenté les pacifistes et antimilitaristes dans un siècle particulièrement troublé.

Ses engagements libertaires sont présents dans toute son œuvre, littéraire et journalistique Et on ne peut pas faire l’économie de lire ses articles si l’on veut comprendre sa pensée.

Face aux mensonges et aux turpitudes des politiques, Camus oppose sa rigueur éthique. Sans concession.

J’ai un certain nombre de désaccords avec Albert Camus, mais je me reconnais dans sa position éthique et dans sa rigueur journalistique.

Reste la question algérienne. S’est-il trompé ? Sans aucun doute.

C’est à la lumière de son engagement libertaire qu’il croit à une société plurielle dans laquelle Algériens et Français pourront vivre en harmonie. Mais n’oublions pas qu’il a dénoncé le système colonial dès 1930 en des termes vigoureux. Qu’il a dénoncé, aussi, la torture par l’armée française et les politiques qui ont fermé les yeux (pour ne pas avoir à la justifier et à se justifier) dans ses Chroniques algériennes.

Il avait écrit : « Je crois que la violence est inévitable, les années de l’Occupation me l’ont appris. », mais c’était aussitôt pour dénoncer les attentats aveugles.

Albert Camus craignait une Algérie dirigée par un FLN monolithique, soutenant certains « rebelles » contre les « terroristes ».

Comprendre la position de Camus sur la question algérienne ne signifie pas la partager. Elle est en harmonie avec sa pensée philosophique et elle mérite d’être étudiée avec empathie et non d’être condamnée comme l’ont fait certains à l’époque ou encore aujourd’hui pour dénoncer ou « récupérer » l’homme.

Albert Camus, les yeux grands ouverts et la pensée en perpétuel mouvement.

La France d’aujourd’hui a un besoin pressant de retour sur sa conscience.

Publié dans Le Journal imaginaire d’Esope, publié sur Internet par Jean-Hélios Grandjean, 2013