La Chouette qui hioque

Mois : août 2022 (Page 1 of 2)

Jaurès, reviens !

Olivier Dussopt est jeune ; il n’affiche que 44 ans. Issu d’une famille ouvrière de l’Ardèche, il navigue cependant dans les partis politiques depuis plus de vingt années.

Il a été élu conseiller régional de Rhône-Alpes en 2000, puis maire d’Annonay en 2008 sous l’étiquette du Parti socialiste. Soutien d’Emmanuel Valls pour la primaire socialiste de 2016, il est réélu député le 18 juin 2017 contre une candidate de la République en marche.

Il s’est distingué par ses prises de position contre les déclarations d’Emmanuel Macron traitant les ouvrières de l’abattoir Gad d’illettrées ; il s’est abstenu lors du vote de confiance du gouvernement et contre les projets de loi de financement de la Sécurité sociale, ainsi que contre la loi travail.

Bref, Olivier Dussopt se comportait comme un socialiste, pas révolutionnaire, certes, mais fidèle à un certain nombre de principes puisés dans ses origines prolétariennes.

L’homme a surpris lorsque, tournant le dos à ses origines et à ses principes, il est nommé secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’action et des comptes publics dans le gouvernement d’Edouard Philippe le 24 novembre 2017 après avoir voté contre le budget. Le jour même il est radié du Parti socialiste.

Depuis, le petit député socialiste a été choyé par Emmanuel Macron et il gravit les marches à une allure folle : le 20 mai dernier, il est nommé ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion dans le gouvernement d’Elisabeth Borne. Ce qui lui a valu d’être invité à l’université d’été du MEDEF. Les patrons n’ont pas été déçu par cet invité de marque qui leur a présenté en exclusivité le projet de loi portant réforme de l’assurance-chômage, insistant sur la modulation des indemnités, osant déclarer que les mesures incitatives permettront d’atteindre le plein-emploi, ajoutant : « C’est aujourd’hui inacceptable d’avoir ce taux de chômage avec autant de difficultés de recrutement ». On connaît l’argument, fallacieux ; l’histoire a prouvé que la régression sociale ne solutionnait aucun problème.

Olivier Dussopt est encore jeune, mais ses idées sont celles des vieux routiers de la politique, qui, comme Emmanuel Macron, défendent avec une rare énergie une gouvernance du monde, l’ultralibéralisme, qui a échoué et qui a accru les inégalités et jetés des millions de citoyens, sous tous les continents, dans la pauvreté et la faim.

Il a comme son mentor une curieuse conception des relations avec les organisations syndicales : il dévoile le contenu final de la réforme de l’assurance-chômage devant un parterre de patrons et son adoption avant la fin de l’année tout en sollicitant le dialogue social.

Olivier Dussopt vient ainsi de prouver qu’une certaine conception du socialisme est soluble dans le macronisme, pour le plus grand bonheur des Républicains, de Bayrou et du Rassemblement national.

Jean Jaurès, reviens, ils sont devenus fous !

Le final cut des milliardaires

Les milliardaires ne partagent pas. Pas un soupçon de pouvoir, pas un centime de dividende. Rien.

Comme je l’ai rapporté dans mon essai, Journalistes, brisez vos menottes de l’esprit (Editions Maia), Vincent Bolloré avait déclaré à un journaliste de La Tribune, en 2007 : « Dans mes médias, j’ai le ‘’final cut’’ ».

Voilà qui avait le mérite de la franchise et du culot.

Aujourd’hui, dans un entretien avec Télérama, Nicolas de Tavernost, le patron du groupe M6, emprunte la formule à Bolloré, avec le même culot.

Richard Sénéjoux, journaliste de l’hebdomadaire, l’interpelle en ces termes : « En mai 2015, vous avez déclaré sur Canal+ que vous ne supportiez pas qu’on dise du mal de vos clients sur M6, c’est-à-dire les annonceurs. Cela s’appliquerait-il aussi à TF1 ? » Celui qui doit diriger le groupe né de la fusion de TF1 et de M6 si elle s’opère, répond sans fard : « J’ai dit qu’il ne faut pas être contraire à l’intérêt de sa boîte. Quand on fait un sujet sur l’islamisme à Roubaix, qui a fait polémique, c’est moi qui donne le final cut car je suis pénalement responsable. J’ai demandé à avoir des garanties, à pouvoir être sûr que les témoins interrogés soient de vrais témoins… Concernant nos clients, c’est vrai qu’il y a un sujet de Capital sur Free Mobile que je n’ai pas voulu passer en 2012. À l’époque, nous étions actionnaires de M6 Mobile et je me suis dit que si on disait du bien de Free, les gens penseraient que c’était pour emmerder Orange ; et si on en disait du mal, d’autres diraient que c’était logique, vu que M6 Mobile travaille avec Orange… Je prendrais la même décision aujourd’hui. »

Moins brutal que Bolloré, au moins dans son expression publique, et conscient des réactions d’un tel aveu, de Tavernost tente de se justifier : « Amazon, qui est pourtant un client important. Eh bien Amazon est resté car nos informations étaient objectives. Ça nous est peut-être arrivé deux fois en trente-cinq ans de ne pas être « objectifs » [un reportage de Zone interdite consacré aux coulisses de la restauration rapide a été déprogrammé en 2009, Télérama en avait parlé à l’époque. J’accepte les critiques sur nos programmes, Télérama ne s’en est d’ailleurs pas privé au moment du Loft. Vous pouvez trouver que telle émission est nulle, qu’il n’y a pas assez de fictions françaises, etc., mais personne ne peut nous faire de reproches au niveau déontologique. »

Dans un curieux mélange des genres, Nicolas de Tavernost confond le ‘’final cut’ des milliardaires’’ et la ‘’déontologie’’ des journalistes. Car, jusqu’à preuve du contraire, le patron de M6 n’est pas journaliste, ne peut être juge depuis son bureau directorial de la qualité de l’enquête, du recoupement des informations et des vérifications sur le terrain de ceux dont c’est le métier, même s’ils sont ‘’ses’’ salariés.

Il est de plus en plus urgent, face aux Bolloré et de Tavernost, que les journalistes s’affranchissent des censures patronales quotidiennes et que les rédactions soient protégées des intrusions avérées et pointilleuses des milliardaires ou de leurs sbires.

Le gang des riches

Dans la touffeur de l’été, marquée par une crise climatique sans précédent, une crise énergétique et une crise sanitaire (avec la pandémie de Covid) et une inflation record, les grandes entreprises se vautrent dans l’abondance, si l’on en croit une étude publiée ces jours derniers par une société de gestion anglo-américaine, Janus Henderson.

L’étude portant sur les résultats des grandes sociétés mondialisées n’a pas fait l’objet de la médiatisation qu’elle mérite ; dans le monde des affaires, il faut savoir rester discret et cultiver l’entre-soi, non pas par pudeur mais pour éviter de donner des idées à ces salauds de pauvres qui ne cessent de quémander des augmentations de salaires, des crédits pour l’école, la santé et même pour la culture.

Il est temps d’en venir aux conclusions de l’étude en question, à savoir le versement de dividendes intervenus au deuxième trimestre de cette année 2020.

L’abondance chère à Emmanuel Macron se calcule en milliards. La France se positionne parmi les champions avec 44,3 milliards d’euros versés entre avril et juin, une augmentation record de 32,7 % (supérieure à la moyenne européenne) et parmi les 20 entreprises qui ont été les plus généreuses, on trouve 4 sociétés françaises : BNP Paribas (6e), Sanofi (10e), Axa (12e) et LVMH (14e).

Janus Henderson révèle que les 1200 entreprises étudiées dans le monde ont versés 544,8 milliards de dollars de dividendes entres avril et juin (11 % de plus qu’en 2021). Le fonds de gestion ne fait que constater les effets du libéralisme et il s’en réjouit, même s’il annonce qu’il est peu probable que le reste de l’année bénéficie d’une croissance aussi forte. Mais ce sera à vérifier.

En France, une banque, un laboratoire pharmaceutique, un assureur et un groupe industriel du luxe affichent une santé insolente ; on partage les bénéfices exorbitants entre soi et on pratique l’évitement fiscal pendant que les citoyens voient les prix de l’énergie ou de l’alimentation flamber et les politiques en direction des services publics soumises à l’austérité.

Les riches continuent à voyager en jets privés ou à naviguer dans des yachts démesurés ; les fonds d’investissement n’ont jamais eu autant d’argent disponible à ne plus savoir où le placer. Mais les millions de pauvres se privent de l’essentiel et, de plus en plus nombreux, de manger.

Ce monde-là n’est plus inégalitaire (il l’a toujours été), il est devenu insupportable. Il confisque les richesses produites par les pauvres et confisque le pouvoir. José Saramago (l’un de mes auteurs préférés, on le sait), a parlé de crime (financier) contre l’humanité. Pour lui, « on connaît les criminels, ils ont des prénoms et des noms, ils se déplacent en limousine pour aller jouer au golf, si sûrs d’eux qu’ils ne pensent même pas à se cacher. Ils sont faciles à attraper. Qui osera porter ce gang devant les tribunaux ? Même s’il n’y arrive pas, au moins nous lui en serons tous reconnaissants. Ce serait signe que tout n’est pas perdu pour les honnêtes gens. »

Propos d’une chronique

Après la lecture de la chronique hebdomadaire (sur Internet) du directeur de la rédaction du quotidien La Tribune, Philippe Mabille, on tire la conclusion que les milieux économiques et patronaux sont à la fois inquiets pour les entreprises et dépités par la politique d’Emmanuel Macron.

Sous le titre « Un président devrait-il parler de fin de l’abondance ? », Philippe Mabille attaque sa chronique par une phrase tonitruante : « Emmanuel Macron a trouvé sa nouvelle ligne politique : nous pourrir la vie ». Au sujet du discours présidentiel devant le conseil des ministres de rentrée qu’il qualifie de « glaçants », le journaliste dénonce « des propos étonnants de la part d’un président champion estival du jet ski quand le ministre des transports, Clément Beaune, dénonce l’usage abusif des jets privés par les milliardaires. Quand on appelle chacun à ne pas céder à la démagogie, peut-être faut-il commencer par se l’appliquer à soi-même ». Merci de l’avoir écrit !

Philippe Mabille assume ses propos et ajoute : « L’objectif, on le mesure bien, n’est pas de casser le moral des troupes : le chef de l’Etat use et abuse comme à son habitude de la dramatisation (souvenons-nous du martial ‘’nous sommes en guerre’’ de mars 2020) pour appeler à la mobilisation : la solution est en toi, peuple de France, il va juste falloir travailler plus, pas forcément pour gagner plus, mais pour avoir un toit bien chauffé cet hiver ». Et d’asséner : « Bref, on l’aura compris, la fin de l’abondance a bon dos, elle prépare surtout un changement de braquet vers plus de rigueur, l’austérité n’est pas loin de la sobriété comme on le verra fin septembre lors de la présentation du budget lorsqu’il faudra payer la facture de la douce négligence des dernières années ».

Philippe Mabille invite à la lecture d’une analyse d’une journaliste, Marine Godelier, de La Tribune sur les augmentations vertigineuses des prix de l’énergie ; il en évoque les causes et conséquences en quelques mots : « entre arbitrage sur l’ARENH, revente de l’électricité à prix fort, couverture peu sérieuse et offres mensongères, certains fournisseurs auraient multiplié les combines, au détriment du consommateur ». On s’en doutait, mais que La Tribune le révèle est symptomatique de la montée d’un climat délétère.

Quant à la chute de la chronique du directeur de la rédaction, elle est sans ambiguïté : « Le pic d’inflation n’interviendra pas avant Noël prochain. De là à promettre qu’il faudra manger des patates en grelottant de froid sous des couvertures avec des chaussettes de laine, il ne faut pas pousser l’abondance dans les orties de peur qu’elle ne se retourne contre son promoteur. »

Cette chronique m’a plongé dans de profondes réflexions. A la lire on se prend à rêver à un automne (et sans doute un hiver) agité socialement si Emmanuel Macron ne change pas sa feuille de route et s’il n’abandonne pas son arrogance. Et on se prend à rêver également à une presse qui ne serait plus entre les mains de quelques milliardaires et qui informerait vraiment et complètement.

Le CDD le plus long

Le service public prend souvent des aises avec le droit du travail, usant et abusant des contrats précaires pour ses salariés, appliquant une politique de l‘emploi qu’il est censé interdire dans le privé. Les contractuels pullulent dans tous les ministères, dans l’enseignement, dans le monde culturel, etc.

Parce que l’émission Des chiffres et des lettres passera d’une diffusion quotidienne à une diffusion le week-end seulement, on vient d’apprendre que les deux arbitres ‘’historiques’’, Bertrand Renard (40 ans d’ancienneté) et Arielle Boulin-Prat (36 ans seulement !) ont été évincés sans ménagement.

On peut comprendre que la chaîne, France 3, veuillent modifier sa grille et ‘’rajeunir’’ son audience ; on peut aussi comprendre que des animateurs soient atteints par la limité d’âge ; on peut même admettre que l’émission qui est apparue sur les écrans le 19 septembre 1965, sous le titre Le mot le plus long, avant de devenir Des chiffres et des lettres le 4 janvier 1972, soit remplacée par un autre jeu plus ‘’moderne’’, mais la fidélité des animateurs de l’émission la plus ancienne de la télévision vaut mieux qu’une fin aussi conflictuelle.

Le conflit a d’ailleurs permis de savoir que les deux animateurs ont été en CDD pendant 40 et 36 ans. On peine à croire l’information ! Quand la direction du service public leur a proposé une diminution de salaire de 60 %, ces dangereux révolutionnaires ont eu l’outrecuidance de demander de modifier leur contrat et de bénéficier d’un CDI. Le refus a été net et la direction ose répondre à un journaliste de Télérama qu’ils n’ont pas « collaboré dans les conditions d’un CDI à temps plein » et que les modalités de leurs contrats ont été « reconduites d’année en année d’un accord commun ». Une reconduite en toute illégalité, sur laquelle les services juridiques ont fermé les yeux. 

Eléments de langage d’énarques indigents du cerveau !

Les arguments de la direction d’un service public, avec des éléments de langage d’énarques indigents du cerveau, ont été dénoncés par les deux intéressés en termes acerbes et amers. Non estampillés ENA.

Il semble que l’attitude de France Télévisions soit à géométrie variable, comme on dit. Car Michel Drucker (80 ans le 12 septembre prochain) sera, lui, toujours à l’antenne, malgré quelques infidélités avec les chaînes publiques dans les années 1990.

Le service public de l’audiovisuel use et abuse des contrats courts, très précaires. Même appliqués pendant 40 et 36 ans à des salariés qui travaillent quotidiennement. Cette politique est encouragée par un Emmanuel Macron, dont les aides à Uber pour s’installer en France ne font même pas scandale. Soulcié, dessinateur de Télérama, a fait dire au président dans la lettre du soir aux abonnés d’hier, une phrase tout à fait de circonstances à propos du plein emploi : « Attention, je n’ai jamais dit que ce ne seraient pas des emplois de merde ! »

Les prolos du début du 20e siècle se sont mobilisés et ont payé parfois cher leur lutte pour conquérir le code du travail. Alors, on recommence ? Et on renvoie Macron de l’Elysée ?

Quelle arrogance !

Son séjour au Fort de Brégançon ne semble pas avoir été bénéfique au président de la République ; il est revenu tel qu’en lui-même, ‘’droit dans ses bottes’’ pour plagier un autre politicien qui a mal fini sa carrière.

Marcon le superbe, toujours les lèvres pincées, a cru utile de demander que son discours de rentrée devant ‘’ses’’ ministres aux ordres soit retransmis en direct. On ne niera pas que la situation est grave, après un été désastreux ponctué par une série de drames climatiques (sécheresse et feux de forêt, orages) qui viennent compliquer, si c’est possible, une crise systémique où le prix de l’énergie s’envole et où l’inflation galope. Et une guerre dramatique en Ukraine se surajoutant à des conflits interminables un peu partout.

Mais tout cela était prévisible ; le libéralisme a atteint son niveau d’incompétence pour gérer une planète qu’il a largement contribué à détériorer.

C’est dans ce contexte où les riches se gobergent, font la fête dans des lieux idylliques en utilisant leurs jets privés qu’Emmanuel Macron a osé parler de la fin de l’abondance et de l’insouciance.

Une fois encore, il insulte les Français qui ne mange plus à leur faim aujourd’hui en raison des hausses vertigineuses des prix des aliments de première nécessité. Il a également parlé de grande bascule et d’un grand bouleversement, tout en précisant qu’il maintient le cap des réformes antisociales, dénonçant ceux qui osent prôner une autre politique : « Il est facile de promettre tout et n’importe quoi, parfois de dire tout et n’importe quoi. Ne cédons pas à ces tentations, c’est celle de la démagogie. Elles fleurissent dans toutes les démocraties aujourd’hui, dans un monde complexe qui fait peur. Ça peut toujours sembler séduisant de dire ce que les gens veulent entendre (…) mais il faut d’abord raisonner en se demandant si c’est efficace et utile ».

Quelle honte !

Je renvoie Macron à la lecture des Caractères de La Bruyère quand il écrivait : « A quelques-uns l’arrogance tient lieu de grandeur ; l’inhumanité de fermeté ; et la fourberie, d’esprit. »

Sans autre commentaire.

Oh, my God 

Les Britanniques avaient perdu le recours à la grève comme moyen d’expression de leur mécontentement. La dame de fer, Margaret Thatcher, puis David Cameron avaient réussi à briser le mouvement syndical par une série de lois, toutes attentatoires aux droits sociaux les plus élémentaires.

Au total, il apparaît qu’il n’y a plus de droit fondamental de grève de l’autre côté de la Manche.

Aujourd’hui, les ultralibéraux se réveillent avec la gueule de bois : chaque jour de nouvelles professions et de nouvelles entreprises se mettent en grève : dockers, employés du métro londonien, employés des entreprises privées des chemins de fer, éboueurs, etc. Les Anglais parlent de ‘’l’été du mécontentement’’.

Mouvement dur et qui marque réellement le réveil de la classe ouvrière britannique ; en effet, les dockers du port de Felixstowe, par exemple, n’avaient pas connu la grève depuis trente ans. Et, à leur tour, les infirmières qui n’ont jamais cessé le travail de toute l’histoire du Royaume-Uni se consultent. Les enseignants et les employés des collectivités territoriales, eux, se préparent pour la rentrée.

Bref, Boris Johnson laisse une situation incroyable au futur gouvernement.

Quelques succès locaux retentissants donnent des idées aux autres salariés. Les employés de la société d’autobus Stagecoach ont obtenu des hausses de salaires de 13 %, quand les fonds qui contrôlent le port de Felixstowe ne proposent que 7 % après être entré en négociation avec un petit 3 %.  

Et au train où vont les choses, on peut s’attendre à un effet boule de neige : les avocats font entendre leurs voix et les journalistes aussi ; à commencer par ceux du groupe Reach, éditeur du Daily Mirror, de Sunday Mirror, de magazines et de quelques 200 journaux régionaux ou locaux. Ils sont plus de 1000 journalistes à avoir refusé une augmentation de 3 % et à se prononcer pour la grève.

Le mouvement, s’il est salarial à l’origine, est le signe d’un refus global des effets du libéralisme, amplifiés par le Brexit. Le désir de retrouver un socle social digne du XXIe siècle, à commencer par la reconnaissance du droit de grève sans entrave, n’a jamais été aussi puissant.

On peut espérer que les salariés français prendront modèle sur leurs collègues britanniques, dès la rentrée, et s’inscriront dans la même démarche de contestation d’un ultralibéralisme, qui, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, a déjà annoncé une série de mesures de régression sociale comme le rachat des RTT, la révision des droits des chômeurs, etc., et prépare un nouveau train de prétendues réformes encore plus régressives, comme la réforme des retraites, dans un pays miné par une crise systémique inédite et une inflation record.

Le traitement des informations en provenance de Londres devrait inciter les journalistes français à s’interroger au moment où le service public de l’audiovisuel est menacé par la suppression de la redevance, où les sénateurs se penchent sur l’avenir de la presse régionale, où les concentrations (TF1-M6 et autres) perdurent, où Vincent Bolloré ‘’normalise’’ l’information, etc.

Emmanuel Macron parle parfaitement la langue de Shakespeare (il l’utilise à chaque occasion qui lui est offerte) et on rêve d’un large mouvement revendicatif en France où le président de l’ultralibéralisme serait contraint de s’exclamer : « Oh, my God ! » devant le déferlement des manifestants.

Le retour du Ku Klux Klan ?

L’obscurantisme sous toutes ses formes fait rage dans de nombreux pays de notre planète. Aux Etats-Unis, chaque jour, les citoyens épris de liberté et de progrès dénoncent des tentatives de censure de livres, d’ouvrages déclarés hors-la-loi dans des bibliothèques d’établissement scolaires, de pressions et de menaces physiques à l’encontre des bibliothécaires (les démissions se multiplient), de financements remis en cause, etc.

Les opposants à l’avortement et au mariage pour tous triomphent dans quelques états, notamment du Sud. Et le mouvement s’étend. Le racisme s’exprime haut et fort et la population noire souffre de voir remis en causes ses acquis dans la société.

Les organisations réactionnaires ont des moyens d’expression avec des chaînes comme Fox News ; elles sont encouragées par les déclarations de l’ex-président Donald Trump.

Toute ressemblance avec la situation en France est-elle exagérée ?

J’enrage en entendant le ministre de l’intérieur ou le député Eric Ciotti (parmi les plus virulents), en prenant connaissance des tombereaux de propos dégradants sur BFM TV, CNews et d’autres chaînes entre les mains de quelques milliardaires, et en lisant les remises en cause de subventions aux organisations culturelles de la région Auvergne-Rhône-Alpes par un président aux agissements dictatoriaux.

Certes, ce n’est pas le retour du Ku Klux Klan aux Etats-Unis ou le retour des autodafés en France, mais obscurantismes et remises en cause des libertés fondamentales sont en danger. Le suprémacisme blanc, lui, est de retour et le rejet de l’autre, du pauvre, du réfugié retrouve ses thuriféraires.

Maudit soit l’obscurantisme. Retrouvons le chemin de la Résistance et le combat pour l’intelligence.

On tue

Ils avaient 20 et 26 ans et ils sont morts par balles dans la nuit de jeudi à vendredi à Vénissieux. Les deux victimes étaient des ‘’petits voyous’’, connus des services de police, comme il est coutume de les qualifier. Mais des ‘’petits voyous’’ ne sont pas des condamnés à mort.

De plus en plus d’affrontements entre des jeunes habitants des banlieues et des policiers se terminent par l’usage de leurs armes par les représentants de l’ordre (qui n’a plus rien de républicain).

Les médias, principalement les chaînes de télévision, se contentent de recueillir les paroles des représentants des syndicats de policiers, qui n’ont pas été témoins des faits mais qui en parlent comme s’ils avaient eux-mêmes participé à la répression sanglante de leurs collègues.

Ici, à Vénissieux, on ne pourra jamais recueillir le témoignage des deux fugitifs ; ils sont morts et muets à jamais. On devra donc se contenter des paroles des policiers, de leurs syndicats et des conclusions d’une enquête de l’IGPN, composée de policiers.

Ici, à Vénissieux, le parquet a ouvert une enquête pour « refus d’obtempérer aggravé et violence avec armes sur agents de la force publique ». La voiture des fugitifs, volée, est-elle considérée comme une arme ? Qui pourra dire que les voyous ont délibérément foncé sur les policiers ?

Les médias se contentent de rapporter les scénarios ‘’selon la police’’ et aucun d’entre eux ne fait le rapprochement avec le nombre de plus en plus important de petits délinquants tués par des armes policières, comme aux Etats-Unis. Nous ne sommes pas encore au Far West, mais le glissement sécuritaire justifiant l’usage de leurs armes par les policiers est inquiétant. Très inquiétant. Surtout quand le ministre de l’intérieur est prêt à tout justifier en volant au secours des policiers et en voyant des voyous dangereux partout.

La police, aujourd’hui, n’éradique plus la racaille avec un Karcher, mais avec des Sig Sauer semi-automatiques d’origine suisse ; silence, on tue !

Les lanceurs de grenade et les matraques sont réservés aux manifestants ; silence, on éborgne et on mutile !

Quelques chiffres étonnants

Le gaz et l’électricité sont, avec l’eau, essentielles à la vie quotidienne et des services d’utilité publique. Lire une facture est un vrai casse-tête ; non seulement, l’usager paie sa consommation mais aussi et surtout des taxes. Aujourd’hui, les prix de ces produits de première nécessité s’envolent. Et l’Etat se frotte les mains en facturant des taxes.

Sur les factures d’électricité, quatre taxes et contributions sont appliquées sur l’abonnement et sur la consommation. La contribution tarifaire d’acheminement (CTA) est de 21,93 % de la partie fixe d’acheminement appliqué par le gestionnaire des réseaux ; la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) est de 0,001 euro par kilowattheure ; les taxes sur la consommation finale d’électricité (TCFE) est votée par le conseil municipal ; elle est plafonnée à 0,00663 euro par kilowattheure. Enfin, il y a deux valeurs pour la TVA, 5,5 % sur le montant de l’abonnement et 20 % sur le montant de la consommation.

Il n’existe que trois taxes pour le gaz ; la contribution tarifaire d’acheminement, fixée à 20,80 % de la partie fixe d’acheminement appliqué par le gestionnaire ; la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN) est de 0,00841 euro par kilowattheure. Comme pour l’électricité, la TVA est double, 5,50 % sur le montant de l’abonnement et de 20 % sur le montant de la consommation.

Trop souvent, le montant de la facture est disproportionné : l’usager paie plus de taxes que de consommation ! Autrement dit, les services d’utilité publique (ex-services publics, avant leur prétendue mise en concurrence) rapportent gros et sont frappés du système le plus inégalitaire qui soit.

En Allemagne, le gouvernement vient de décider de baisser la TVA sur le gaz de 19 à 7 % « pour aider les consommateurs », dit-il. Il aurait souhaité supprimer totalement cette TVA, mais la Commission européenne a refusé la mesure d’aide aux foyers les plus impactés par les hausses des prix de l’énergie. Au nom de quel dogme, Bruxelles peut-elle s’opposer à des décisions bienvenues en période crise ?

Le gouvernement tchèque, lui, a renoncé à la TVA sur les deux énergies en novembre et décembre 2021 (elle était de 21 %)

Qu’attend donc le gouvernement français pour adopter une attitude identique à celle de l’Allemagne ? La réponse est dans ce qui précède.

L’autre guerre (du blé)

Pauvres Ukrainiens ; la guerre déclenchée par Poutine fait des victimes innocentes chaque jour qui passe et tout le pays souffre. Mais condamner Poutine et son régime de plus en plus dictatorial et sanguinaire ne suffit plus à la compréhension de la terrible situation faite au peuple ukrainien.

Il y a la guerre menée par les militaires, mais de nombreux conflits d’intérêts viennent s’y ajouter, comme le marché des terres et, par voie de conséquence, le marché du blé et du maïs.

Les études de Frédéric Mousseau, directeur des politiques à l’Institut d’Oakland, ont le mérite d’avoir attiré l’attention depuis de nombreuses années sur la création d’un marché des terres en Ukraine, sous la pression de la Banque mondiale et du FMI (les gardiens scrupuleux du libéralisme), dès la chute de l’URSS, poursuivie depuis et ‘’légalisée’’ par une loi très controversée adoptée en mars 2020 et entrée en application le 1er juillet 2021.

Dans un article de novembre 2021, Frédéric Mouseau note que « Dans le pays connu comme la ‘’grenier à blé de l’Europe’’, l’agriculture est dominée par des oligarchies et des multinationales depuis la privatisation des terres publiques qui a suivi l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991. Ces 30 dernières années, aucun gouvernement n’a réussi à remettre en question cet ordre établi. Cela va-t-il changer, maintenant qu’une loi controversée créant un marché des terres est entrée en application le 1er juillet 2021 ? »

Le chercheur avait répondu par avance dans un article de février 2015 : « Le secteur agricole ukrainien a été la première cible des investissements étrangers privés, et il est évidemment considéré par le FMI et la Banque mondiale comme le secteur prioritaire de la réforme. Ces deux institutions louent l’empressement du nouveau gouvernement à suivre leurs conseils. Par exemple, la feuille de route fournie à l’Ukraine pour la réforme – largement inspirée des expériences étrangères – facilite l’acquisition de terres agricoles, allège la réglementation et les contrôles des usines agro-alimentaires, et réduit les impôts des entreprises ainsi que les droits de douane.

L’enjeu autour du vaste secteur agricole ukrainien est immense : troisième exportateur de maïs et cinquième exportateur de blé au monde, l’Ukraine est connue pour ses immenses étendues de riches terres noires, et se targue de posséder plus de 32 millions d’hectares de terres arables et fertiles – soit l’équivalent d’un tiers des terres arables de l’Union européenne. Les stratégies en vue de contrôler le système agricole du pays sont un élément essentiel dans la bataille qui a opposé l’Est et l’Ouest l’an dernier, dans ce qui a été leur plus grand affrontement depuis la Guerre Froide. »

Aujourd’hui, d’après une étude de la ‘’Australian national review’’, les conglomérats Monsanto, Cargill et DuPont et les fonds d’investissement BlackRock, Vanguard et Blackstone, tous américains, sont propriétaires de 17 millions d’hectares (28 %) de l’Ukraine. Si la société UkrLandFarming reste la plus grande entreprise agricole du pays, il faut noter que Cargill est entré dans son capital.

Le président Zelensky, une marionnette entre les mains des oligarques, est allé au-devant de leurs intérêts, sans s’émouvoir de l’utilisation forcenée de pesticides et de semences génétiquement modifiées, rentabilité oblige. Frédéric Mousseau a pu écrire à ce propos qu’il « faut y voir une brèche pour faire pénétrer les OGM en Europe ».

En conclusion d’un article, le chercheur s’interroge : « Une fois qu’ils ne seront plus obnubilés par le conflit de la région Est « pro-Russe » de leur pays, les Ukrainiens se demanderont peut-être ce qu’il reste de leur capacité à contrôler l’approvisionnement en nourriture et à gérer l’économie pour leur propre bénéfice. En ce qui concerne les citoyens américains et européens, vont-ils un jour réagir face aux grands titres et aux grands discours qu’on leur sert sur l’agressivité russe et les violations des droits humains, et s’interroger sur l’implication de leurs gouvernements respectifs dans le conflit ukrainien ? » L’article date de février 2015.

Aujourd’hui, politiques et médias occultent cette guerre de la terre. Curieusement.

Productions de l’esprit en danger

Comment Vincent Bolloré va-t-il intégrer le groupe Lagardère dans Vivendi ? Quel sort réserve-t-il aux quelques 200 marques d’édition (littérature, éducation, livres illustrés, littérature jeunesse, dictionnaires et encyclopédies, fascicules, bandes dessinées, mangas) quand on sait comment il a agi dans les médias ?

L’annonce de la cession d’Editis pour contourner les règles anti-concentrations n’a pas rassuré auteurs, éditeurs et libraires.

Dans un communiqué, un collectif prend acte de cette décision et les signataires « se félicitent à ce stade d’avoir été en partie entendus ». Néanmoins, les craintes du monde du livre restent vives :

« Ils restent néanmoins mobilisés et extrêmement vigilants, d’une part, quant aux conditions dans lesquelles le groupe Editis, que Vincent Bolloré a indiqué vouloir revendre, serait cédé ; d’autre part, quant au risque d’un accroissement de la position dominante du groupe Hachette après son intégration au groupe Vivendi. En effet, cette intégration, si elle était confirmée, pourrait conduire à renforcer la position déjà largement dominante de Hachette, grâce aux moyens financiers décuplés dont disposerait le groupe, ce qui risquerait d’accélérer sa politique de rachat d’éditeurs indépendants, aggravant ainsi le phénomène de concentration dans l’édition. Il conviendra notamment de s’assurer qu’existeront bien demain sur le marché du livre les conditions d’une concurrence véritable et équilibrée entre les groupes Hachette et Editis. L’identité du repreneur d’Editis devra également faire l’objet d’une très grande attention. La vente du deuxième groupe français d’édition à une entité ou une personnalité qui nourrirait des espoirs de retour sur investissement à court terme pourrait conduire — par la recherche de profits immédiats, par une politique éditoriale tournée exclusivement vers les meilleures ventes, par l’attraction des auteurs à succès au détriment de la diversité éditoriale, par des politiques commerciales agressives vis-à-vis des libraires — à transformer notre industrie culturelle en une industrie du divertissement. »

Les signataires connaissent trop les roueries, les coups tordus, l’interventionnisme dans ses médias (à Canal+ et à iTélé, notamment) et les positions idéologiques de Vincent Bolloré pour être pleinement sereins. Et, mieux que d’autres, ils savent ce qu’est devenue la culture (et le livre) sous l’emprise des milieux financiers, un produit comme un autre. Ils ont lu le livre de Theodor Adorno et Max Horkheimer, ‘’Dialetktik des Aufklärung’’, dans lequel on peut lire cette phrase : « Les productions de l’esprit dans le style de l’industrie culturelle ne sont plus aussi des marchandises, mais le sont intégralement. »

Le livre date de 1947 et, depuis, financiers, sans autre horizon que celui de la création de valeur pour l’actionnaire, et industriels réactionnaires, comme Vincent Bolloré, n’ont pas cessé d’accroître leur influence sur les productions de l’esprit.

Intolérance

Voltaire a écrit des phrases admirables même s’il ne fut pas aussi admirable, ni dans ses pensées, ni dans ses actes, qu’on le prétend encore.

Son Traité sur la tolérance a connu un grand succès après la tuerie atroce dans la rédaction de Charlie Hebdo, pas suffisamment néanmoins pour éradiquer l’intolérance.

Aujourd’hui, Salman Rushdie, les femmes afghanes (quelques hommes aussi), le peuple kurde de Turquie, les Palestiniens et combien d’autres sont encore les pauvres victimes de l’intolérance bestiale d’esprits égarés. Voltaire a mal apprécié l’évolution des mœurs en soutenant que : « La philosophie, la seule philosophie, cette sœur de la religion, a désarmé des mains que la superstition avait si longtemps ensanglantées ; et l’esprit humain, au réveil de son ivresse, s’est étonné des excès où l’avait emporté le fanatisme. »

Combien de religions tuent encore : la catholique, la juive ou l’islamiste ont encore des mains ensanglantées. Ce que Voltaire nomme la « rouille de tant de superstitions » subsiste encore et se répand pour le plus grand bénéfice du libéralisme et de ses « grands maîtres (…) si longtemps payés et honorés pour abrutir l’espèce humaine ».

Le châtelain de Ferney appelait, toujours dans son Traité sur la tolérance, à « regarder tous les hommes comme nos frères » ; il condamnerait avec fermeté, on peut le croire aujourd’hui, un ministre de l’intérieur qui expulse de plus en plus d’hommes, de femmes et même d’enfants qu’il déclare comme n’étant pas nos frères et considère comme des délinquants. Il est également tenté d’extrader une dizaine de réfugiés italiens, installés en France depuis une trentaine d’années.

Voltaire n’a pas été aussi pur qu’on a pu l’écrire, mais au moins avait-il compris que la terre, « ce petit globe, qui n’est qu’un point, roule dans l’espace, ainsi que tant d’autres globes ; nous sommes perdus dans cette immensité ».

Le petit livre de Voltaire, qu’a-t-il changé ? Ceux, innombrables, qui ont traité du même sujet au fil des siècles, qu’ont-ils changé ? Combien en faudra-t-il encore pour que tous les hommes partagent la même tolérance quand on observe la montée inexorable de l’intolérance ici et là-bas, maintenant ? Quand les lois elles-mêmes, au service de quelques nouvelles églises dédiées au Dieu Fric font reculer l’esprit de tolérance !

Effervescence dans l’édition

L’OPA de Vivendi sur le groupe Lagardère ébranle le monde de l’édition en France et Vincent Bolloré a esquivé un possible veto de la Commission européenne à la fusion Editis-Hachette en annonçant la vente de sa filiale Editis. L’homme d’affaires breton est rusé et on peut imaginer qu’il va trouver ‘’la’’ solution lui permettant de ne pas perdre les maisons d’édition d’Editis, en évitant un débat sur la règlementation antitrust. Dans l’attente de jours meilleurs pour concentrer encore, sans entrave !

Aux Etats-Unis, le rachat de l’éditeur Simon & Schuster par Penguin Random House, filiale du groupe Bertelsmann et premier éditeur mondial, fait l’objet d’un procès très médiatisé à la suite de la réquisition du gouvernement américain qui s’oppose à cette méga-fusion. Le département de la justice a avancé le risque d’une « influence démesurée sur la nature des livres publiés et la rémunération de leurs auteurs ». Le gouvernement de Macron n’a pas cru bon de publier un communiqué en termes identiques en ce qui concerne la situation française.

Curieusement, Hachette Book Group, filiale américaine, a dénoncé la fusion après avoir longtemps espéré racheter Simon & Schuster. Plus curieux encore, les arguments de Penguin Random House devant le tribunal de Washington étaient parfaitement identiques à ceux de Vincent Bolloré devant la commission d’enquête du Sénat, minimisant la taille du groupe issu d’une fusion Editis-Hachette comparée à celle d’Amazon et arguant qu’il s’agissait d’une question de survie nécessaire face aux GAFAM. Le PDG de Simon & Schuster ajoutant qu’Amazon est sous-estimé en tant qu’éditeur, Vincent Bolloré déclarant, lui, que le géant Vivendi est un nain à côté des plateformes américaines.

Les industriels de la culture justifient ainsi, de chaque côté de l’Atlantique, la loi naturelle des concentrations, jugées nécessaires, et désignent un même danger, les GAFAM, selon la même logique d’un capitalisme où règne la loi de la jungle.

Dans les débats qui agitent le monde de l’édition, rares sont ceux qui parlent de liberté d’expression et de création, d’originalité et diversité, de pluralisme et, enfin, des auteurs.

A les croire, le monde l’édition, ici ou là-bas, est merveilleux ; ils nient la triste réalité de la paupérisation des auteurs, et le niveau des concentrations qui ont entraîné la disparition de nombreux ‘’petits’’ éditeurs osant faire paraître des livres que les grands groupes refusaient.

Un récent article publié par le site Actualitté a relayé la mésaventure des Contes italiens d’Italo Calvino, livre massacré par une traduction de piètre qualité en France ; le titre de l’article est sans ambiguïté : « Italo Calvino, victime de la financiarisation de l’édition ». Difficile dans ce cas de prétendre qu’Amazon est responsable.

Dans leur livre ‘’Dialektik der Aufklärung’’, paru en 1947, Theodor Adorno et Max Horkheimer avaient vu juste : « Les productions de l’esprit dans le style de l’industrie culturelle ne sont plus aussi des marchandises, mais le sont intégralement. »

Le cadre de Jean Cocteau

Une autre œuvre est incontournable à Milly-la-Forêt, la chapelle Saint-Blaise des Simples, modeste, plantée au milieu d’un petit jardin, à l’angle de plusieurs rues, elle se cache. Mais quelle petite merveille !

Jean Cocteau, génie de l’imaginaire, à la fois poète, écrivain, homme de théâtre, cinéaste (réalisateur de films sublimes comme La Belle et la Bête ou Orphée), peintre et dessinateur, avait découvert le charmant village de Milly-la-Forêt et vint y trouver refuge pour écrire en toute tranquillité (sa maison vaut aussi le détour).

Comme d’autres artistes, il a décoré la petite chapelle, seul témoignage d’une Maladrerie érigée par les Templiers au XIIe siècle. Il en a fait un vrai lieu de spiritualité ; il se dégage du minuscule bâtiment une quiétude et un calme favorable à une profonde réflexion.

Sur les murs, Cocteau a peint avec délicatesse les plantes médicinales qu’on peut retrouver dans le jardin qui l’entoure, à la manière d’un herbier ; tout ici respire l’humilité pour rappeler la mémoire des Simples. A côté du bénitier, il a apposé sa signature sous la célèbre silhouette du chat, symbole du diable et des sorcières.

Les vitraux, épurés, sont d’une rare beauté, de même que la résurrection du Christ, flanqués des soldats romains avachis qui l’avaient mis sur la croix.

Jean Cocteau a demandé à reposer dans ce modeste lieu qu’il avait magnifié et sur sa pierre tombale, il a fait graver ces simples mots : « Je reste avec vous », dignes du poète modeste, réservé, mais chaleureux qu’il était.

Un commentaire dit par Jean Marais accompagne très intelligemment la visite, rappelant que Cocteau avait trouvé là un cadre pour exprimer son talent créateur.

Bref, la chapelle de Cocteau réserve un moment de grâce.

Le Cyclop, art total

22,50 mètres de haut et 350 tonnes d’acier, un monstre monumental, qui emprunte à tous les arts, à toutes les écoles contemporaines irrévérencieuses et bourré de symboles pour contribuer à la critique de la société contemporaine ; voilà qui résume mal l’œuvre extravagante de l’inénarrable artiste suisse Jean Tinguely, érigée, clandestinement à l’origine, en plein milieu des arbres altiers, dans le bois dit des pauvres, sur le territoire de la commune de Milly-la-Forêt.

Jean Tinguely touchait au génie et son monstre de métal baptisé le Cyclop est génial. Il se regarde, on écoute ses bruitsmétalliques et on reste ébahi ; puis on l’admire et on veut comprendre ce qui revient au mouvement dada, à l’art brut, à l’art cinétique, au nouveau réalisme. Les guides ne sont pas de trop pour aider le visiteur à ‘’pénétrer’’ le grand œuvre de Tinguely, mais aussi d’une bande de copains, à commencer son épouse, Niki de Saint-Phalle, Daniel Spoerri, Bernhard Luginbühl, Rico Weber, car le Cyclop est aussi le fruit d’une grandiose œuvre collective d’artistes soucieux de bousculer les esprits, la société et ses travers, débutée en 1969, au sortir des grandes grèves de 1968.

Réalisé uniquement avec des matériaux de récupération, rebuts de notre société industrielle, y compris par un morceau de manche à air du Centre Pompidou ‘’volé’’ sur le chantier de sa construction (ces artistes-là osaient tout), le Cyclop n’a reçu l’aide d’aucun sponsor et il a fallu des années (25 au total) de persévérance pour venir à bout d’un projet fou, conçu au jour le jour, après des discussions qu’on imagine interminables entre tous les protagonistes.

Le monstre de ferraille (de béton et de verre sur le toboggan) interroge, provoque, surprend ; son oeil nous épie et nous oblige à pénétrer plus avant dans l’œuvre, unique en son genre dans le monde de la sculpture.

Il émane de cet oeil l’esprit de dérision de ses concepteurs ; il force à sourire et à rire. Mais il ne s’agit pas d’un rire gratuit ; il entraîne une profonde réflexion, absolument nécessaire sur la place de l’art dans la société quand la financiarisation tend vers l’uniformisation des toutes les formes de l’expression artistique. Aucun détail n’est gratuit ; un wagon de marchandise, hissé au troisième étage, a pris place dans l’œuvre pour accueillir un hommage aux déportés d’une autre artiste suisse, Eva Aeppli, la première épouse de Tinguely. Arman, Soto ou encore César ont trouvé également une place dans ce qu’on peut voir aussi comme un musée, sans oublier un hommage à Yves Klein, l’ami de toujours, au sommet de l’œuvre.

Ultime pied de nez de Jean Tinguely, une fois terminé, le Cyclop a été cédé à l’Etat et c’est François Mitterrand qui en fera l’inauguration le 24 mai 1994. Hélas, le génial suisse n’assista pas à la scène qui n’a sans doute pas manqué pas de piquant, il était mort trois ans plus tôt. Nul doute qu’il aurait apprécié.

Gabriel Attal nous embrouille

Gabriel Attal est un jeune homme bien né, comme il est coutume de dire pour les enfants des classes aisées. Son parcours politique est paraît-il sans faute ; à 33 ans, il a été successivement conseiller municipal de Vanves, député, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’éducation nationale, puis du premier ministre (porte-parole du gouvernement) et, aujourd’hui, ministre délégué chargé des comptes publics.

Où s’arrêtera donc celui qui a trahi la gauche, passant du parti socialiste (tendance Dominique Strauss-Kahn) à la République en marche sans état d’âme ?

Il vient de donner une interview au quotidien économique Les Echos, dans laquelle il fait l’étalage à la fois de son obéissance sans borne aux dogmes de celui qui l’a fait ministre et de son manque d’humour. L’exercice n’y prêtait guère quand il s’agissait de commenter les grandes lignes d’un budget d’un Etat lourdement affecté par la crise sanitaire et les effets de la guerre en Ukraine. 

On ne s’étonne pas si ses réponses sont 100 % pur jus macronien, mais elles sont un peu nébuleuses et à la limite du grotesque. Le jeune ministre n’hésite pas à prétendre que le projet de budget pour 2023 connaîtra une diminution de 2,5 % (une façon de suggérer qu’on gère bien le pays et qu’on reste soucieux de satisfaire les dogmes européens) tout en permettant une hausse inédite de 11,4 % des ministères de l’éducation, du travail et des solidarités, puis une augmentation de 6,1 milliards des budgets de la défense, de l’intérieur, de la justice et des affaires étrangères. Quant aux ministères de la transition environnementale, de la cohésion des territoires et de l’agriculture, ils verront, eux, leur enveloppe augmenter de 3,3 milliards.

Si je sais encore compter, le total des augmentations atteindra le montant rondelet de 20,8 milliards. Gabriel Attal se moque-t-il du monde ? Comment concilier baisse du budget de 2,5 % et augmentations conséquentes pour la dizaine de ministères les plus importants ?

Quand le journaliste des Echos demande où seront les chantiers d’économies, Gabriel Attal répond sans vergogne : réforme des retraites et assurance-chômage, alors que les dotations de l’Etat aux collectivités territoriales seront ‘’stabilisées’’. Ou le ministre des comptes publics ne sait pas compter et se permet de dire n’importe quoi, ou retraités et chômeurs seront réduits à la mendicité. Le roi Ubu règne-t-il à l’Elysée ?

Gabriel Attal embrouille le débat en affirmant que la santé (et notamment l’hôpital) sera prioritaire mais que les dépenses (votées dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, PLFSS) doivent baisser de 0,4 % par an pendant tout le quinquennat au nom du pacte de stabilité ! Etrange !

Bref, le discours de Gabriel Attal est incompréhensible ; peut-être que le jeune homme bien né qui n’a pas fréquenté l’ENA comme Emmanuel Macron et ses conseillers, n’a pas bien intégrés leurs subtilités et leurs mensonges.

Le ministre des comptes publics a encore besoin des quelques leçons d’économie que Strauss-Kahn n’a pas eu le temps de lui donner. Le jeune Rastignac de la macronie a encore beaucoup à apprendre ; on attend avec impatience les mises au point de l’omniprésent Bruno Le Maire, qui ne tardera pas à réagir pour montrer qui est le vrai (et seul) ministre des finances.

Sauver le cinéma !

Le 3 juin dernier, en recevant les organisateurs de la Trackmania Cup, compétition de jeu vidéo (ou e-sport), Emmanuel Macron a prononcé un discours qui a rempli d’effroi le monde du cinéma en quelques phrases : 

 « Vous avez dit, on veut des salles, on veut des stades, etc. Banco ! Mais il y a des tas de synergies à avoir avec le sport, avec la culture. On a des stades qui existent. On a des salles de cinéma qu’il faut réinventer ; complètement parce que le modèle est en train de changer. Les usages changent. Et donc, il ne faut pas rester tous bloqués en se disant, on va toujours aller voir un film, ce n’est pas à vos générations que je vais dire qu’on ne regarde plus le cinéma, les séries de la même façon qu’il y a même 5 ans, ou avant le Covid. On a des structures qui existent, qu’il faut complètement réinventer avec l’e-sport. »

Les salles de cinéma se sont vidées après leur fermeture pour cause de crise sanitaire et, depuis la levée des contraintes, elles n’ont pas retrouvé tout leur public. Le cinéma traverse une crise sans précédent dont les nouveaux investisseurs et les plateformes numériques sont largement responsables. Assurément, les compétitions de e-sport ne sauveront pas le cinéma ; le président de la République vient de condamner la fréquentation des salles et de renvoyer les jeunes devant leurs mobiles.

La recherche du ‘’blockbuster’’, film d’action à grand spectacle, précédée d’une campagne ‘’marketing’’ démesurée et accompagnée du lancement de produits dérivés, menace le cinéma d’auteur ou de genre, dont la France peut s’enorgueillir d’être le dernier producteur (au moins en Europe).

Les financiers ont pris le pouvoir dans l’industrie du cinéma et imposent leurs lois, celles du retour sur investissement, où l’art compte peu.

C’est dans ce contexte qu’on apprend que la Warner a décidé de ne pas distribuer une superproduction réalisée par les Belges Billal Fallah et Adil El Arbi, Batgirl.

Sa réalisation a déjà coûté entre 70 et 90 millions de dollars et le film restera dans sa boîte. Il ne sera ni visible en salle, ni diffusé sur les plateformes de streaming (par abonnement) de la Warner, HBO Max.

Les deux réalisateurs sont désespérés et une pétition est lancée.

Les raisons de cette ‘’censure’’ restent mystérieuses et incompréhensibles ; les dirigeants de Warner s’écharpent autour de la question de l’avenir du cinéma en salle ou en streaming. Mais cela n’explique pas tout.

Le magazine américain Variety a avancé une hypothèse plausible, rapportée par Télérama ; la raison de la non distribution serait purement financière : « L’abandon en rase campagne de Batgirl, mais aussi celui du long métrage d’animation Scoob ! : Holiday Haunt annoncé également en début de semaine alors qu’il était quasi terminé, pourrait permettre à Warner Bros Discovery de bénéficier d’une déduction fiscale importante, finalement plus avantageuse que l’exploitation commerciale des deux films. Il n’y a pas de petit profit… »

Aujourd’hui, il est une tâche urgente de sauver le cinéma en l’extirpant des griffes des purs financiers et de lui rendre toute sa dimension de 7e art. En revanche démontrer à Emmanuel Macron que l’e-sport ne doit pas prendre la place du cinéma dans les salles sera ardu ! Quant à lui faire admettre qu’il faut absolument maintenir le système d’aides qui a permis au cinéma français d’être ce qu’il est encore, sera une tâche titanesque.

Sauver le cinéma en vaut la peine !

Déroutants Etats-Unis

L’image que l’on peut avoir des Etats-Unis se brouille.

A observer Joe Biden (bientôt 80 ans) marchant à petits pas, un peu chancelant, et se satisfaisant de la mort du chef d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, à Kaboul, puis à regarder l’arrivée à Taïwan de Nancy Pelosi (82 ans), un peu ridicule avec son tailleur rose et ses talons de 10 centimètres, on est éberlué. La première économie mondiale, qui se veut résolument moderne, ne peut-elle s’affranchir de la gérontocratie ?

Il faut ajouter que les deux dirigeants démocrates ne sont pas les représentants du progrès social ou de la coexistence pacifique entre les peuples. Avec eux les Etats-Unis restent les ‘’gendarmes du monde’’, avec tout ce que cela suppose comme interventions hasardeuses, voire criminelles, dans les affaires intérieures de nombreux pays. Ils semblent figés dans leurs dogmes.

On sait aussi que Biden a été choisi par les démocrates pour faire barrage aux authentiques progressistes autour de Bernie Sanders lors des dernières élections présidentielles et que le vieux routier de la politique n’apporterait aucune amélioration au sort des laissés pour compte du pays du business.

Il y a de fortes probabilités que les élections de mi-mandat en novembre prochain se solderont pas une défaite pour Biden et Pelosi.

Et ce pays qui irrite, souvent, n’en finit pas de nous surprendre : le référendum proposé aux électeurs du très réactionnaire état du Midwest, le Kansas (Le droit à l’avortement devrait-il être supprimé au Kansas ?), a vu la très large victoire des partisans du droit à l’IVG. Alors que cet Etat de 3 millions d’habitants avait voté à plus de 56 % en faveur de Trump en 2020, les électeurs ont approuvé à plus de 59 % le maintien du droit à l’avortement.

Le résultat est un signe fort adressé par la population du Kansas aux électeurs des autres états qui sont appelés, eux aussi, à s’exprimer dans les prochaines semaines sur la même question.

Les femmes américaines, au moins sur la question de leur droit fondamental à disposer de leur corps, viennent de prouver qu’elles sont moins réactionnaires que les politiques et que les hommes. Ont-elles lu le poète, Louis Aragon, affirmant que la femme est l’avenir de l’homme ?

L’évitement du salaire (suite)

Bruno Le Maire nie la réalité ; il serait préférable de dire qu’il la travestit. Quand les bénéfices des grands groupes explosent et rendent possible les augmentations de salaires et les contributions exceptionnelles, le ministre de l’économie s’oppose à toutes les mesures qui pourraient relancer la consommation et, par voie de conséquence, l’économie.

Devant le Sénat, avec suffisance, il a déclaré que « quand on est le pays le plus taxé de tous les pays européens, on ne rajoute pas une taxe supplémentaire à toutes les taxes qui existent déjà ». Remarque osée quand on sait que Total et d’autres ont vu leurs chiffres d’affaires doubler.

Mais Le Maire manie l’insulte en qualifiant la proposition de taxer les superprofits de « réflexe pavlovien de la taxe ». L’insulte est l’expression des réflexes de classe des ministres de droite !

Bruno Le Maire ne brille pas par son intelligence, mais il a des conseillers (l’Elysée aussi) qui ont des idées diaboliques. On peut les mesurer au travers de la proposition (adoptée par toute la droite et l’extrême droite) d’abandon des RTT par les salariés.

La mesure revient à s’affranchir de la durée légale du travail jusqu’à fin 2023 (avant son abandon total ensuite ?) ; en outre, avec le dispositif actuel, un salarié outrepassant la durée légale du travail voit ses heures supplémentaires majorées de 25 %, mais les heures de RTT vendues ne le seront qu’à hauteur de 10 %. 

Travailler plus pour gagner plus, le slogan n’est plus d’actualité ; il est remplacé, sans l’avouer par travailler plus pour gagner moins.

Hier, un salarié appelé à travailler et à abandonner un ou plusieurs jours de RTT voyait ses heures supplémentaires soumises aux cotisations sociales ; désormais le rachat des RTT n’est plus soumis à cotisations.

Au total, les patrons sont les seuls bénéficiaires de ce qui a été présenté comme un coup de pouce au pouvoir d’achat. Le gouvernement renforce l’évitement du salaire et la nécessaire réforme de la Sécurité sociale avec la bénédiction de toute la droite réunie.

L’opération est diabolique et n’a pu naître que dans des esprits pervers. Diabolique, vous dis-je !

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