Pauvres Ukrainiens ; la guerre déclenchée par Poutine fait des victimes innocentes chaque jour qui passe et tout le pays souffre. Mais condamner Poutine et son régime de plus en plus dictatorial et sanguinaire ne suffit plus à la compréhension de la terrible situation faite au peuple ukrainien.

Il y a la guerre menée par les militaires, mais de nombreux conflits d’intérêts viennent s’y ajouter, comme le marché des terres et, par voie de conséquence, le marché du blé et du maïs.

Les études de Frédéric Mousseau, directeur des politiques à l’Institut d’Oakland, ont le mérite d’avoir attiré l’attention depuis de nombreuses années sur la création d’un marché des terres en Ukraine, sous la pression de la Banque mondiale et du FMI (les gardiens scrupuleux du libéralisme), dès la chute de l’URSS, poursuivie depuis et ‘’légalisée’’ par une loi très controversée adoptée en mars 2020 et entrée en application le 1er juillet 2021.

Dans un article de novembre 2021, Frédéric Mouseau note que « Dans le pays connu comme la ‘’grenier à blé de l’Europe’’, l’agriculture est dominée par des oligarchies et des multinationales depuis la privatisation des terres publiques qui a suivi l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991. Ces 30 dernières années, aucun gouvernement n’a réussi à remettre en question cet ordre établi. Cela va-t-il changer, maintenant qu’une loi controversée créant un marché des terres est entrée en application le 1er juillet 2021 ? »

Le chercheur avait répondu par avance dans un article de février 2015 : « Le secteur agricole ukrainien a été la première cible des investissements étrangers privés, et il est évidemment considéré par le FMI et la Banque mondiale comme le secteur prioritaire de la réforme. Ces deux institutions louent l’empressement du nouveau gouvernement à suivre leurs conseils. Par exemple, la feuille de route fournie à l’Ukraine pour la réforme – largement inspirée des expériences étrangères – facilite l’acquisition de terres agricoles, allège la réglementation et les contrôles des usines agro-alimentaires, et réduit les impôts des entreprises ainsi que les droits de douane.

L’enjeu autour du vaste secteur agricole ukrainien est immense : troisième exportateur de maïs et cinquième exportateur de blé au monde, l’Ukraine est connue pour ses immenses étendues de riches terres noires, et se targue de posséder plus de 32 millions d’hectares de terres arables et fertiles – soit l’équivalent d’un tiers des terres arables de l’Union européenne. Les stratégies en vue de contrôler le système agricole du pays sont un élément essentiel dans la bataille qui a opposé l’Est et l’Ouest l’an dernier, dans ce qui a été leur plus grand affrontement depuis la Guerre Froide. »

Aujourd’hui, d’après une étude de la ‘’Australian national review’’, les conglomérats Monsanto, Cargill et DuPont et les fonds d’investissement BlackRock, Vanguard et Blackstone, tous américains, sont propriétaires de 17 millions d’hectares (28 %) de l’Ukraine. Si la société UkrLandFarming reste la plus grande entreprise agricole du pays, il faut noter que Cargill est entré dans son capital.

Le président Zelensky, une marionnette entre les mains des oligarques, est allé au-devant de leurs intérêts, sans s’émouvoir de l’utilisation forcenée de pesticides et de semences génétiquement modifiées, rentabilité oblige. Frédéric Mousseau a pu écrire à ce propos qu’il « faut y voir une brèche pour faire pénétrer les OGM en Europe ».

En conclusion d’un article, le chercheur s’interroge : « Une fois qu’ils ne seront plus obnubilés par le conflit de la région Est « pro-Russe » de leur pays, les Ukrainiens se demanderont peut-être ce qu’il reste de leur capacité à contrôler l’approvisionnement en nourriture et à gérer l’économie pour leur propre bénéfice. En ce qui concerne les citoyens américains et européens, vont-ils un jour réagir face aux grands titres et aux grands discours qu’on leur sert sur l’agressivité russe et les violations des droits humains, et s’interroger sur l’implication de leurs gouvernements respectifs dans le conflit ukrainien ? » L’article date de février 2015.

Aujourd’hui, politiques et médias occultent cette guerre de la terre. Curieusement.