L’OPA de Vivendi sur le groupe Lagardère ébranle le monde de l’édition en France et Vincent Bolloré a esquivé un possible veto de la Commission européenne à la fusion Editis-Hachette en annonçant la vente de sa filiale Editis. L’homme d’affaires breton est rusé et on peut imaginer qu’il va trouver ‘’la’’ solution lui permettant de ne pas perdre les maisons d’édition d’Editis, en évitant un débat sur la règlementation antitrust. Dans l’attente de jours meilleurs pour concentrer encore, sans entrave !
Aux Etats-Unis, le rachat de l’éditeur Simon & Schuster par Penguin Random House, filiale du groupe Bertelsmann et premier éditeur mondial, fait l’objet d’un procès très médiatisé à la suite de la réquisition du gouvernement américain qui s’oppose à cette méga-fusion. Le département de la justice a avancé le risque d’une « influence démesurée sur la nature des livres publiés et la rémunération de leurs auteurs ». Le gouvernement de Macron n’a pas cru bon de publier un communiqué en termes identiques en ce qui concerne la situation française.
Curieusement, Hachette Book Group, filiale américaine, a dénoncé la fusion après avoir longtemps espéré racheter Simon & Schuster. Plus curieux encore, les arguments de Penguin Random House devant le tribunal de Washington étaient parfaitement identiques à ceux de Vincent Bolloré devant la commission d’enquête du Sénat, minimisant la taille du groupe issu d’une fusion Editis-Hachette comparée à celle d’Amazon et arguant qu’il s’agissait d’une question de survie nécessaire face aux GAFAM. Le PDG de Simon & Schuster ajoutant qu’Amazon est sous-estimé en tant qu’éditeur, Vincent Bolloré déclarant, lui, que le géant Vivendi est un nain à côté des plateformes américaines.
Les industriels de la culture justifient ainsi, de chaque côté de l’Atlantique, la loi naturelle des concentrations, jugées nécessaires, et désignent un même danger, les GAFAM, selon la même logique d’un capitalisme où règne la loi de la jungle.
Dans les débats qui agitent le monde de l’édition, rares sont ceux qui parlent de liberté d’expression et de création, d’originalité et diversité, de pluralisme et, enfin, des auteurs.
A les croire, le monde l’édition, ici ou là-bas, est merveilleux ; ils nient la triste réalité de la paupérisation des auteurs, et le niveau des concentrations qui ont entraîné la disparition de nombreux ‘’petits’’ éditeurs osant faire paraître des livres que les grands groupes refusaient.
Un récent article publié par le site Actualitté a relayé la mésaventure des Contes italiens d’Italo Calvino, livre massacré par une traduction de piètre qualité en France ; le titre de l’article est sans ambiguïté : « Italo Calvino, victime de la financiarisation de l’édition ». Difficile dans ce cas de prétendre qu’Amazon est responsable.
Dans leur livre ‘’Dialektik der Aufklärung’’, paru en 1947, Theodor Adorno et Max Horkheimer avaient vu juste : « Les productions de l’esprit dans le style de l’industrie culturelle ne sont plus aussi des marchandises, mais le sont intégralement. »