Il n’y a pas de hasard ; le même jour, Arte programme deux documentaires terriblement accusateurs, ‘’Médicaments, les profits de la pénurie’’ (‘’Fruit d’une enquête menée sur trois continents, une plongée édifiante dans les arcanes complexes de l’économie du médicament, mise à mal par la course aux profits des laboratoires’’), puis ‘’Votre santé, un trésor très convoité’’ (‘’En investissant le secteur médical, les géants du Web se positionnent comme une alternative à des systèmes de santé publics et privés à bout de souffle. Enquête sur les dessous d’un modèle galopant, qui mobilise technologie et collecte de données’’), et le Monde publie deux articles aussi accusateurs, ‘’A Pierrelatte, le privé s’offre la médecine générale’’ (‘’Le groupe Ramsay Santé, numéro un du secteur privé, a inauguré un centre de santé dans la Drôme’’), et ‘’Les centres de santé franciliens de la Croix-Rouge bientôt vendus’’ (‘’La filiale française du géant australien Ramsay Health Care veut racheter ces six établissements d’Ile-de-France déficitaires’’).
Il n’y a pas de hasard parce que le sujet est d’actualité et que de grandes manœuvres de concentration et de privatisation sont en cours.
Notre santé est la cible des fonds d’investissement qui contrôlent toute l’économie capitaliste ; les gouvernements sont complices de ce hold-up qui fait passer tout le secteur de la santé dans la seule logique marchande avec bientôt une médecine à deux vitesses, l’une pour les riches, bien dotée, et l’autre, pour les pauvres, où les soins seront réduits au strict minimum.
Les profits et dividendes en jeu à court terme sont énormes.
L’industrie du médicament dégage déjà des profits supérieurs à ceux des autres secteurs et organise la pénurie pour augmenter encore les marges. Les gouvernements européens, dont celui d’Emmanuel Macron, restent des spectateurs impassibles ; alors que l’abandon des brevets sur les vaccins aurait permis de vacciner tous les pays, les politiques ont cédé aux pressions des grands laboratoires en reniant leurs engagements.
Les GAFAM, de leur côté, voient dans la santé un moyen de gagner toujours plus d’argent, tout en ayant accès à de nouvelles données, dont la commercialisation est plus rentable que le pétrole.
Les deux documentaires d’Arte ont parfaitement mis au jour les politiques de financiers sans morale et sans respect pour les citoyens.
Le Monde, lui, a permis de donner un éclairage sur un aspect du scandale en France. Le groupe australien Ramsay Santé continue d’étendre son emprise sur notre système de santé. Après avoir pris le contrôle de la Générale de santé et de ses cliniques, il s’intéresse désormais à la médecine généraliste en ouvrant des centres de soins dits primaires largement subventionnés par l’assurance-maladie qui lui verse un forfait, calculé en fonction du nombre et du profil des patients. Les médecins sont salariés et assistés par des infirmières ; le partage des tâches devant permettre, selon un dirigeant du groupe, de « soigner 50 % de patients de plus par médecin ». Profit oblige.
L’expérience de Pierrelatte décrite dans le Monde est tout à fait légale puisqu’elle s’appuie sur l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale. Merci M. Macron et félicitations aux députés de la République en marche pour avoir voté la loi.
Pour aller plus vite dans l’implantation de centre de santé (profitant des déserts médicaux aggravés par la politique gouvernementale depuis la présidence de Sarkozy et poursuivie par Hollande et Macron), le groupe Ramsay s’est porté acquéreur des six centres déficitaires de la Croix-Rouge en Ile-de-France, dont les patients sont majoritairement des pauvres et des personnes bénéficiant de la CMU. Les personnels sont inquiets et s’interrogent : comment un groupe privé dont le modèle économique n’est pas de gérer des centres déficitaires va-t-il s’y prendre pour les rendre rentables.
Poser la question, c’est déjà donner la réponse : le personnel redoute ce qu’il appelle une optimisation des soins.
Les articles du Monde nous permettent d’apprendre qu’un fonds américain parmi les plus gros, KKR, a lancé une OPA sur la maison-mère de Ramsay pour 13 milliards. Ce fonds est déjà le premier actionnaire de l’autre leader des hôpitaux privés en France, le groupe Elsan, qui s’apprête, lui aussi, à ouvrir des centres de soins, notamment à Saint-Denis. Cette concentration honteuse n’est même pas évoquée dans les journaux télévisés du service public.
KKR, présents dans le capital de 65 % des 500 plus grosses sociétés mondiales, voit loin avec ses investissements dans la santé. Et nous avons toutes les raisons d’être inquiets : la moyenne des profits annuels des sociétés contrôlées par KKR est de 27 %. C’est ce qui sera demandé demain à ses hôpitaux et centres de soins, donc à ses personnels et, en particulier, à ses médecins.
On comprend mieux pourquoi notre santé intéresse tant fonds d’investissement mondialisés et industriels du numérique et pourquoi notre santé est en danger.