Ce matin, la honte de voir que le pays de la Révolution, de la Commune, du Conseil national de la Résistance a placé la candidate de la droite fasciste à un niveau aussi élevé, est largement partagée. Plus de 13 millions de Français ont voté pour Marine Le Pen qui gagne plus de 5 millions d’électeurs entre les deux tours, c’est-à-dire bien plus que le total des voix de Zemmour et Dupont-Aignan réunis.

Pour essayer de comprendre, on peut triturer les chiffres. Marine Le Pen ne représente après tout que 27 % des inscrits et Macron 38,5 %. Mais quelle honte, la fille du tortionnaire en Algérie fait mieux que l’extrême droite italienne de la Ligue du Nord, mieux que l’AfD en Allemagne. Il faut mesurer le danger qui nous guette. La gymnastique n’est pas satisfaisante.

Comment 13 millions de citoyens ont pu opter pour le bulletin de Marine Le Pen ? Y aurait-il 13 millions de gens tentés par le fascisme et prêts à lui confier les clés de l’Elysée ? On n’ose y croire !

Emmanuel Macron, son gouvernement et son entourage portent la lourde responsabilité d’un spectacle politique aussi dévasté et, surtout, d’un échec : n’avait-il pas affirmé en 2017 qu’il s’était fixé l’objectif de faire baisser le Rassemblement national ! Le résultat, comme dans d’autres domaines, est affligeant.

Le président sortant a réussi à se faire détester par une majorité de Français attachés à leur socle social (même affaibli), à la démocratie (même âbimée) et au respect de l’autre (même combattu). Son ‘’triomphe’’ doit être relativisé, même s’il a réussi à quasiment doubler le nombre de ses électeurs entre les deux tours.

Optimiste invétéré, on ose espérer que la gauche va enfin se réveiller et se réunir. Et, aujourd’hui, Jean-Luc Mélenchon n’a plus aucun prétexte pour imposer sa stratégie et sa personne. Le quinquennat de Macron a permis de clarifier beaucoup de choses et à dessiller les yeux ; en premier lieu, Macron applique une politique de droite, dure à ceux qui n’ont rien et il prévoit de durcir encore certaines dispositions (âge de départ à la retraite, RSA, indemnisation du chômage, etc.) ; les socialistes qui se sont ralliés à lui comme Ferrand, Le Drian, Rebsamen et d’autres, ont permis d’épurer (on peut le penser) le Parti socialiste ; les revendications débouchant sur des grèves s’amplifient pour s’opposer à l’ultralibéralisme ; la soif d’unité a gagné en vigueur (on l’a vu avec le résultat de Mélenchon qui a capté le vote dit utile).

Les motifs d’espérer sont nombreux. La gauche (toute la gauche) a une énorme responsabilité, celle de répondre aux véritables aspirations de millions de citoyens qui aspirent à vivre mieux, dans la paix.

Ce matin, cette phrase de Gramsci me revient à l’esprit : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Nous avons évité un drame ; mais le danger de le voir se réaliser prochainement n’est pas écarté. Alors, surmontons la honte, par la lutte politique, pour retrouver le sourire et la dignité de ceux qui nous ont légué l’esprit des Lumières.