La question enflamme le débat. A la droite, qui, pour s’exonérer de ses responsabilités, incrimine les parents et fustige les ‘’étrangers’’ (tous délinquants et voyous), les éducateurs (qui connaissent, eux, les protagonistes), les intellectuels et une partie de la gauche mettent en cause la politique oubliée des banlieues (Où est le rapport Borloo, par exemple ?).

La droite et la minorité présidentielle qui ont la mémoire sélective (et souvent très courte), devraient relire Victor Hugo et plus particulièrement ‘’L’année terrible’’, recueil de 97 poèmes écrits en exil en 1872, peu après la guerre contre la Prusse et l’insurrection de la Commune de Paris. Dans l’un d’eux, ‘’A qui la faute ?’’, le poète a une réponse qui résonne encore aujourd’hui :

« Tu viens d’incendier la Bibliothèque ? — Oui. 
J’ai mis le feu là. — Mais c’est un crime inouï ! 
Crime commis par toi contre toi-même, infâme ! 
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme ! 
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler ! 
Ce que ta rage impie et folle ose brûler, 
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage ! 
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage. 
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi. 
Une bibliothèque est un acte de foi 
Des générations ténébreuses encore 
Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore. 
Quoi ! dans ce vénérable amas des vérités, 
Dans ces chefs-d’œuvre pleins de foudre et de clartés,


Dans ce tombeau des temps devenu répertoire, 
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire, 
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir, 
Dans ce qui commença pour ne jamais finir, 
Dans les poètes ! quoi, dans ce gouffre des bibles, 
Dans le divin monceau des Eschyles terribles, 
Des Homères, des Jobs, debout sur l’horizon, 
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison, 
Tu jettes, misérable, une torche enflammée ! 
De tout l’esprit humain tu fais de la fumée ! 
As-tu donc oublié que ton libérateur, 
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur ; 
Il luit ; parce qu’il brille et qu’il les illumine, 
Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine 
Il parle, plus d’esclave et plus de paria. 
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria. 
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille 
L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ; 
Ebloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ; 
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ; 
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître, 
Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître 
A mesure qu’il plonge en ton cœur plus avant, 
Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ; 
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ; 
Tu te reconnais bon, puis meilleur ; tu sens fondre, 
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs, 
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !


Car la science en l’homme arrive la première. 
Puis vient la liberté. Toute cette lumière, 
C’est à toi, comprends donc, et c’est toi qui l’éteins ! 
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints. 
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle 
Les liens que l’erreur à la vérité mêle, 
Car toute conscience est un nœud gordien. 
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien. 
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte. 
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute ! 
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir, 
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir, 
Le progrès, la raison dissipant tout délire. 
Et tu détruis cela, toi ! 
— Je ne sais pas lire. »