Comment peut-on dire et écrire que « la Commission européenne a donc approuvé, conformément aux règles de l’Union européenne sur les fusions et acquisitions, le projet d’achat de Lagardère par Vivendi » (ActuaLitté) ? Ou encore (dans Le Monde) que « les rêves de grandeur de Bolloré (sont) envolés », au prétexte qu’il est dans l’obligation de céder Editis et le magazine Gala ?

Les règles de l’Union européenne sont étrangement permissives ; on le savait : elles ont été établies pour ne pas entraver les lois du marché où la concurrence doit être libre et non faussée. Affirmer que la décision de Bruxelles interrompt les rêves de grandeur du milliardaire breton est une ineptie : Hachette est troisième éditeur mondial de livres, présent sur tous les continents ; son chiffre d’affaires est de trois fois celui d’Editis, présent seulement en France. Bolloré n’a donc rien abdiqué de son rêve de grandeur et on ne l’a pas entendu parler de sacrifice.

Curieusement, la Commission ne s’oppose pas à la prise de contrôle d’Hachette, mais ordonne de céder le magazine Gala, au prétexte qu’il entraînerait un risque de monopole dans le secteur de la presse ‘’people’’, alors que Bolloré fait peser de lourdes menaces sur l’ensemble des productions de l’esprit : édition, télévision, radio, presse écrite, publicité, culture, etc.

‘’Conformément aux règles de l’Union européenne’’, toute la politique du vieux continent est contenue dans cette formule ! Elle confirme que rien ne s’oppose aux concentrations et fusions à quelques détails près ; elle les encourage.

Vincent Bolloré peut posséder le troisième éditeur mondial de livres, des chaînes de télévision, des radios, la première agence de publicité et de communication, Havas, des studios de production et de distribution de contenus audiovisuels et de musique, des jeux vidéo, des salles de spectacle et une société de billetterie, des sociétés de production de festivals, des titres de presse magazine, etc. Bref, Bolloré a pu constituer un incroyable empire médiatique sans entrave ; la Commission européenne le permet, même si tout le nouveau groupe Vivendi-Lagardère fait peser des menaces sur la liberté d’expression, la liberté de création et sur la culture. Son patron peut poursuivre sa Croisade réactionnaire et censurer ceux dont il considère qu’ils contreviennent aux valeurs chrétiennes et traditionnelles. Vincent Bolloré est le meilleur défenseur de l’Occident chrétien, un traditionnaliste pure eau bénite.

On ne peut pas trouver de référence à la culture, agitatrice d’idées, élevant le citoyen et aiguisant sa capacité de réflexion et de prise de conscience politique, dans les déclarations de Bolloré ; son empire ne sera jamais au service des créateurs et du public, mais de ses seuls intérêts financiers et moraux.

Vivendi (Vivendi Village) pourrait-il aujourd’hui programmer Richard II de Shakespeare dans son théâtre de L’œuvre comme Jean Vilar l’avait fait à Avignon quand cette pièce interroge l’exercice du pouvoir corrompu et déconnecté du peuple ?

Vivendi (Editis) pourrait-il éditer la collection Tracts de Gallimard quand il obtient le départ de Sophie de Closets pour avoir osé publier ‘’Les fossoyeurs’’ sur le scandale des Ehpad de Victor Castanet chez Fayard ?

Vivendi (Canal+) pourrait-il accueillir sur ses chaînes de télévision et ses radios, mais aussi programmer à l’Olympia les chansons de Ferrat, Ferré et d’autres chanteurs dits engagés ?

Vivendi (Studio Canal) pourrait-il produire des émissions comme Cash Investigation ou les films de Justine Triet ? 

Vivendi (CNews) pourrait-il accepter d’interroger les représentants politiques les plus progressistes quand il multiplie les retransmissions de messes dites par les plus intégristes de l’Eglise catholique sur ses chaînes ?

Bolloré a marqué ses préférences : pour le divertissement le plus grossier, pour les tribunes offertes sans entraves à Hanouna (pour la grossièreté) ou à Aymeric Pourbaix (pour les valeurs chrétiennes). Au moment où les plateformes américaines, les GAFAM et autres Netflix, font peser un danger pour imposer une autre façon de ‘’consommer’’ information et divertissement, Bolloré se rapproche d’elles pour participer au partage des bénéfices de l’impérialisme des industries du numérique en s’alignant sur les mêmes choix éditoriaux et les mêmes processus de fabrication des contenus. Bruxelles et Paris, soucieuses de préserver l’ultra-libéralisme, participent de cette offensive contre la culture et l’information et contre la liberté d’expression et d’information des peuples.

Jamais culture et information n’avaient été autant confisquées depuis la fin de la Seconde guerre mondiale par la caste des ultra-riches, qui ont remis en cause toutes les structures technologiques et industrielles pour imposer de nouvelles normes. 

On peut considérer la Commission européenne comme un allié objectif de tous les Bolloré. Elle se contente de se conformer à des règles obsolètes qui ne prennent pas en compte le mouvement de concentration en cours, où des milliardaires prennent le contrôle de tout ce qui touche aux affaires de l’esprit et de la conscience humaine et citoyenne. La politique ultra-libérale de Bruxelles est l’ennemi de la culture et de la démocratie et Bolloré son chevalier servant.

Si le rapport de force est aujourd’hui clairement du côté des GAFAM, Netflix et Bolloré, celui-ci n’est pas immuable et c’est lui qu’il s’agit de faire basculer du côté des citoyens.