L’horreur peut-elle anesthésier notre mémoire, l’ignoble et le fanatisme doivent-ils nous faire oublier l’Histoire ?
L’assassinat d’un professeur à Arras nous impose des questions et l’émotion (légitime) ne saurait nous en détourner ; à commencer par celle du manque de respect grandissant envers tous les enseignants (y compris de la part du gouvernement et des parents), du rejet grandissant de l’autre (surtout s’il est Arabe, musulman ou à la peau noire), de la gangrène des esprits inoculée par le Front national et désormais le Rassemblement national (un patronyme qui n’a jamais été aussi inadapté à son idéologie), etc.
Au-delà des frontières, c’est la question palestinienne qui ne peut plus être éludée.
A ce propos, Charles Enderlin débute son remarquable essai ‘’Israël. L’agonie d’une démocratie’’ (Seuil Libelle) par un rappel historique prémonitoire :
« Que dirait aujourd’hui Hannah Arendt en apprenant que Benjamin Netanyahu a créé une agence gouvernementale de ‘’l’identité nationale juive’’ ? Dès 1951, elle alertait des dangers qui guettaient l’Etat-nation Israël à sa création : « Cette solution de la question juive n’avait réussi qu’à produire une nouvelle catégorie de réfugiés, les Arabes, accroissant ainsi le nombre des apatrides et des sans-droits de quelques 700 à 800 000 personnes (…) Réfugiés et apatrides sont, telle une malédiction, le lot de tous les nouveaux Etats qui ont été créés à l’image de l’Etat-nation. Pour ces nouveaux Etats, ce fléau porte les germes d’une maladie incurable. Car l’Etat-nation ne saurait exister une fois que son principe d’égalité devant la loi a cédé. Sans cette égalité juridique, qui avait été prévue à l’origine pour remplacer les lois et l’ordre de l’ancienne société féodale, la nation se dissout en une masse anarchique d’individus et sous-privilégiés (Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, 2002) ».
Que dirait Hannah Arendt, quand de trop nombreux Etats, dont la France, ont une attitude insupportable en acquittant Israël de ses crimes de guerre ? Quand l’Organisation des Nations Unies (ONU) bien mal nommée en l’occurrence, se contente d’une déclaration minimale ne nommant pas ouvertement les choses ?
Se taire aujourd’hui c’est être complice des actions répressives et criminelles du gouvernement Netanyahu et de ses prédécesseurs. Le peuple israélien a droit à vivre en paix ; le même droit doit être reconnu au peuple palestinien. Aucun peuple ne doit martyriser un autre avec cette violence aveugle, cette humiliationpermanente qui fait dire à Netanyahu que les Gazaouis sont des animaux. A quand le génocide assumé ?L’évacuation de Gaza et le déplacement d’un million de personnes sur des routes encombrées, avec des Palestiniens hagards, effarés, allant sans but, montre une population poussée au dernier désespoir et à l’ultime exaspération.
Le Hamas a prospéré sur la politique d’apartheid d’Israël et d’une classe politique de plus en plus proche de la théologie du messianisme et des lois fascistes. Mais, le peuple de Gaza n’est pas le Hamas ; il souffre du manque de tout : de liberté, de travail et des denrées de première nécessité et même de tout ce qui fait culture.
José Saramago, pour sa part, estimait en 2008 que « le processus d’extorsion violente des droits fondamentaux du peuple palestinien et de son territoire par Israël s’est poursuivi imparable face à la complicité ou à l’indifférence de la mal nommée communauté internationale. »
Le décompte macabre de tous les morts, ici ou là-bas, est devenu trop insupportable ; les citoyens ont le devoir de contraindre Israël à reconnaître les innombrables résolutions de l’ONU et à revenir à la table de négociation, quand les instances dirigeantes ne le font pas. Le conflit embrase le Moyen-Orient et au-delà et pervertit le légitime débat public ; il est devenu quasiment impossible de critiquer le gouvernement israéliensans être taxé d’antisémitisme. Il est également hasardeux de faire entendre la voix de la paix à Jérusalem, à Tel-Aviv, à Gaza et dans toute la Cisjordanie.
Vivre en paix est une revendication légitime, après tant de guerres monstrueuses, mondiales et régionales ; aujourd’hui, c’est la planète qui brûle et nous emmène à la catastrophe.
L’Homme de 2023 a-t-il rayé les mots sagesse, paix et respect de son vocabulaire ?