Antoine, Karim, Kylian et Paul, vous êtes quatre des meilleurs joueurs de football du monde aujourd’hui. D’ailleurs, ce soir, il est possible que Paul reçoive le Ballon d’or, la récompense suprême du football (qui me semble incongrue pour un sport collectif). Vous allez participer à la Coupe du monde au Qatar avec l’équipe de France et vous en êtes fier, à juste titre.
La Coupe du monde est la plus belle des compétitions sportives avec les Jeux olympiques ; vous êtes fier et plein d’espoir. C’est à la fois une récompense pour un footballeur et un honneur de porter le maillot de l’équipe nationale (sans tomber dans le chauvinisme étroit). Vous allez être les représentants d’une multitude de joueurs qui, comme vous, en ont rêvé et les représentants d’une France pluriculturelle qui fait éructer la droite et l’extrême droite. Vous êtes les plus beaux exemples de cette immigration qui a bâti le pays ; vos parents ou grands-parents sont venus d’Algérie, du Cameroun, d’Allemagne, du Portugal, de Guinée, parce que dans leur pays d’origine, la puissance coloniale avait tout pillé et rien laissé. Leur seul espoir, c’était la France qu’ils croyaient accueillante et fraternelle ; ils ont peut-être connu la misère, été victime du racisme, mais ils vous ont permis d’être là où vous êtes aujourd’hui, c’est-à-dire de merveilleux footballeurs de haut niveau.
Tous les enfants de l’immigration n’ont pas votre chance de gagner de somptueux salaires comme vous. C’est pour cela que vous avez aussi une responsabilité.
Footballeurs adulés et en pleine lumière, vous ne pouvez pas rester insensibles à la situation des travailleurs immigrés qui ont bâti les stades et autres équipements pour la Coupe du monde au Qatar. Plusieurs milliers peut-être sont morts, d’autres sont blessés dans leur chair et dans leur âme, pour que des émirs moyenâgeux se pavanent dans les tribunes pour leur seule gloire personnelle et pour rendre plus présentable leur régime féodal, basé sur les discriminations sociales et ethniques.
Mais, dans la France d’aujourd’hui aussi, on peut voir les effets des inégalités et des discriminations basées sur la couleur de peau. Vos grands-parents ont lutté contre les régimes corrompus et peut-être contre le fascisme. Ne l’oubliez pas, au moment où le fascisme est arrivé au pouvoir en Italie et rêve d’en faire de même en Franxce, après avoir envoyé 89 députés à l’Assemblée nationale.
A ce stade, je voudrais vous parler d’un jeune footballeur de talent ; il s’appelait Rino Della Negra. Il était, comme vous, un enfant de l’immigration ; ses parents avaient quitté l’Italie de Mussolini. Né en France en 1923, il était, comme vous, un footballeur prometteur ; il avait été recruté par l’équipe-phare de l’époque, le Red Star.
La guerre contre le nazisme et Hitler l’a rattrapé et, tout en continuant à jouer au football, il s’est enrôlé dans la Résistance dans le groupe Manouchian des FTP-MOI sous le nom de Robin, refusant le Service du travail obligatoire (STO) réquisitionnant les ouvriers pour participer à l’effort de guerre en Allemagne.
Il a été blessé et arrêté après un attentat contre les Nazis en novembre 1943 ; il a été fusillé le 21 février 1944 avec les autres membres du Groupe Manouchian, ceux de l’Affiche rouge, au Mont-Valérien. A 20 ans.
Rino Della Negra n’a jamais eu le bonheur de jouer une Coupe du Monde. Dans sa dernière lettre, avant son assassinat, il s’est excusé auprès de ses parents de leur avoir caché son engagement dans la Résistance au fascisme et ajouté : « Il le fallait ».
Aujourd’hui, il faut dénoncer le régime du Qatar, son exploitation de la main d’œuvre immigrée, avec son lot de morts et de blessés, pour la seule gloire d’émirs cruels. Vous ne pouvez plus vous contenter de vous cacher derrière votre statut de footballeur. Comme Rino, vous êtes aussi des citoyens et vous ne jouez pas sur une autre planète. La nôtre est malade ; le fascisme y rôde quand il n’est pas au pouvoir.
Antoine, Karim, Kylian et Paul, parlez. Il le faut.