Pourquoi la fable de Jean de La Fontaine, Le savetier et le Financier, me fait-elle penser à la grève des salariés de TotalEnergies ? Sans doute parce que l’homme de finance est le sosie de Patrick Pouyanné et le savetier l’archétype du salarié qui « n’entasse guère ».

Patrick Pouyanné, lui, entasse : sa rémunération a atteint près de 6 millions d’euros en 2021, 5 944 129 euros exactement, soit une augmentation de 51,7 % (plus quelques avantages en nature de plus de 65 000 euros, une confortable retraite-chapeau et un bon paquet d’actions).

Bref, le patron de TotalEnergies vit confortablement et l’inflation ne le touche guère.

Ceux qui ont accordé un tel niveau de rémunération à celui qu’ils ont installé dans le fauteuil présidentiel, ne se sont pas oubliés. Le montant du dividende, l’un des éléments de ‘’l’allocation du cash flow’’, est identique à celui de 2020, à savoir 2,64 euros, mais, compte tenu des superprofits (dont le gouvernement ne veut pas entendre parler et encore moins taxer) a permis de verser un dividende exceptionnel de 1 euro, pour un total de 2,62 milliards attribué à tous les actionnaires. Le rapport annuel parle pudiquement de ‘’politique de retour à l’actionnaire’’.

Les 14 administrateurs n’ont pas été oubliés non plus : ils se sont répartis 1 745 863 euros en 2021.

Bref, tout le monde des nantis se goberge quand les salariés se serrent la ceinture. Et comme le financier de la fable, ils rient de la naïveté du savetier !

La CGT a calculé que l’augmentation qu’elle revendique pour les 35 000 salariés de TotalEnergies en France représenterait un coût de 200 millions d’euros par an. Une goutte d’eau (ou plutôt un baril de pétrole) pour le groupe, quand on sait que le principal actionnaire de TotalEnergies, le fonds d’investissement américain BlackRock ne possède que 6 % du capital et qu’avec ces 6 % il a touché environ 430 millions d’euros au titre du dividende de 2021 et environ 163 millions d’euros au titre du dividende exceptionnel. Les agioteurs actionnaires de BlackRock, le gratin mondial, de la finance, se frottent les mains ; ils se répartissent plus de 500 millions d’euros en quelques mois, c’est-à-dire 2,5 fois le coût de l’augmentation revendiquée par les grévistes.

La situation est suffocante ; les dividendes reçus par BlackRock, présent dans la quasi totalité du CAC40, est énorme, environ 1,7 milliard, en 2021 pour notre seul pays ; comme les autres fonds, il ne sait plus quoi faire de tout son argent et celui-ci dort sur des comptes bancaires, sans doute off shore. La fameuse poudre sèche atteint des sommes vertigineuses (elle a quadruplé depuis 2010 quand les investissements ont stagné) et oscille entre 600 et 1000 milliards de dollars, somme suffisante pour satisfaire toutes les revendications et éradiquer la pauvreté sur l’ensemble de la planète.

Le savetier (ou l’opérateur de raffinerie) et le financier (Pouyanné ou BlackRock) n’habitent pas sur la même planète ; peut-être faudrait-il ramener les monstres de la ‘’Finance’’ sur notre vieille terre, bien malade elle aussi.