Charles Baudelaire a écrit cinq poèmes admirables, réunis dans le chapitre des Fleurs du Mal dédié au Vin, L’Âme du vin, Le Vin des chiffonniers, Le Vin de l’assassin, Le Vin du solitaire et Le Vin des amants. 

Dans L’âme du vin, il écrit :

Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :

« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,

Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,

Un chant plein de lumière et de fraternité ! »

Aujourd’hui, il manquerait Le Vin des riches à son recueil, car les riches et même les super-riches s’intéressent au vin et y consacrent des sommes folles ; ils font main basse sur le vin comme sur tout ce qui peut les distinguer des manants ; surtout ils accaparent les grands crus, abandonnant la piquette des chiffonniers ou de l’assassin aux pauvres. Il s’agit pour eux de marquer leur territoire, qui, ici, se mesure en hectares de vins d’exception, œuvres de générations de vignerons humbles et pas toujours riches, mais artisans aux mains d’or, sachant sans cesse améliorer leur ‘’climat’’ pour en tirer le meilleur et le plus sublime nectar de la vigne.

Parmi les super-riches, Bernard Arnault et François Pinault rivalisent pour savoir qui a les plus beaux domaines. François Pinault vient de marquer des points avec sa filiale Artémis Domaines, qui faisait piètre figure comparée aux marques détenues par l’autre milliardaire du luxe, LVMH.

Pinault, déjà propriétaire de Château Latour à Pauillac, du Clos de Tart à Morey-Saint-Denis et du domaine Eugénie à Vosne-Romanée, a fait main basse sur la société Maisons & Domaines Henriot, producteur de champagne, de crus à Chablis et jusque dans l’Oregon, mais aussi et surtout, du domaine Bouchard Père et Fils à Beaune, qui, comme le souligne un communiqué, détient « un fabuleux patrimoine viticole de près de 130 hectares en Côte d’Or », à savoir « le Montrachet, le Chevalier Montrachet, la Vigne de l’Enfant Jésus, le Corton Charlemagne, les Bonnes Mares, le Chambertin ou le Meursault Genevrières ».

La crise de l’énergie n’a pas atteint les super-riches ; ils continuent à boire des bouteilles des crus les plus prestigieux sans une pensée pour les victimes de l’inflation. Sans perdre de vue que leur commerce va leur permettre d’améliorer les dividendes de leurs filiales. Les flacons précieux dont le prix représente une part trop importante du SMIC ne seront jamais à la portée des portemonnaies vides dès le 15 du mois.

 Le luxe est brandi comme un défi par les super-riches aux classes qu’ils exploitent et qui font leur fortune, notamment aux vendangeurs, saisonniers venus de pays où les hommes sont affamés. Le déshérité de Baudelaire n’aura jamais droit à la dégustation d’un montrachet, dont le chant, s’il est plein de lumière, ne glorifie pas la fraternité !