L’UNICEF France et le Samu social viennent de publier un rapport alarmant sous le titre « Grandir sans chez soi – Quand l’absence de domicile met en péril la santé mentale des enfants ».
Leur enquête met en lumière une réalité qu’on ne veut pas voir : « En France, le 22 août 2022, plus de 42 000 enfants vivaient dans des hébergements d’urgence, des abris de fortune ou dans la rue (…) Ces enfants connaissent des réalités très différentes mais sont tous confrontés à la précarité inhérente à l’exclusion liée au logement. »
Selon les auteurs, « cette précarité qui se décline au pluriel (précarité des conditions de vie, économique, sociale, administrative, etc.) engendre des conséquences graves sur la santé mentale des enfants ».
Ce constat honteux concerne la France, 5e puissance mondiale, dit-on.
En 1946, un grand cinéaste (hélas oublié), Eli Lotar, avait filmé la misère des enfants d’Aubervilliers. Jacques Prévert avait écrit un très beau texte pour son documentaire, interprété magnifiquement par Germaine Montero sur une musique de Kosma :
« Gentils enfants d’Aubervilliers
Vous plongez la tête la première
Dans les eaux grasses de la misère
Où flottent les vieux morceaux de liège
Avec les pauvres vieux chats crevés
Mais votre jeunesse vous protège
Et vous êtes les privilégiés
D’un monde hostile et sans pitié
Le triste monde d’Aubervilliers
Où sans cesse vos pères et mères
Ont toujours toujours travaillé
Pour échapper à la misère
À la misère d’Aubervilliers
À la misère du monde entier
Gentils enfants d’Aubervilliers
Gentils enfants des prolétaires
Gentils enfants de la misère
Gentils enfants du monde entier
Gentils enfants d’Aubervilliers
C’est les vacances et c’est l’été
Mais pour vous le bord de la mer
La Côte d’Azur et le grand air
C’est la poussière d’Aubervilliers
Et vous jetez sur le pavé
Les pauvres dés de la misère
Et de l’enfance désœuvrée
Et qui pourrait vous en blâmer
Gentils enfants d’Aubervilliers
Gentils enfants des prolétaires
Gentils enfants de la misère
Gentils enfants d’Aubervilliers. »
Soixante-quinze ans plus tard, les gentils enfants de la misère sont partout : 1500 dorment dans la rue et 42 000 dans des hôtels ou des foyers.
Les gentils enfants d‘Aubervilliers sont de retour ; Eli Lotar n’est plus là pour témoigner de leur misère. Jacques Prévert non plus. L’UNICEF a publié un rapport que le président de la République et son gouvernement ne liront sans doute jamais ; le libéralisme secrète la misère comme le foie secrète la bile. Ce serait naturel, dans l’ordre des choses.
Quand les droits humains les plus élémentaires ne sont plus assurés pour tous, c’est la démocratie qui est malade. Les gentils enfants nous accusent tous d’accepter ce monde rongé par la misère.