Le 30 mars 2020, Annie Ernaux avait adressé une lettre au vitriol à Emmanuel Macron lue sur France Inter par Augustin Trapenard dans le cadre de l’émission ‘’Lettres d’intérieur’’ ; on a pu entendre à l’antenne, puis lire dans la collection Tracts de Gallimard : « Depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé qui depuis des mois réclamait des moyens et ce qu’on pouvait lire sur la banderole d’une manif en novembre dernier – L’Etat compte ses sous, on comptera les morts – résonne tragiquement aujourd’hui. » Plus loin, celle qui n’était pas encore couronnée du Prix Nobel, écrivait encore : « Nous sommes nombreux à ne plus vouloir de ce monde dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, le gouffre qui existe entre le confinement d’une famille de 7 personnes dans 60m2 et celui de résidents secondaires à la campagne ou à la mer (…) Il se dit que vous avez été élu par les puissances d’argent, les grands groupes et les lobbies, que par conséquent vous ne ferez jamais que la politique qui les favorise (…) Mais sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons pas nous voler notre vie, nous n’avons qu’elle, et ‘’rien ne vaut la vie’’ – chanson, encore, d’Alain Souchon. Ni bâillonner les libertés démocratiques, comme celle qui permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite à la radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale. »

Aujourd’hui, Annie Ernaux est récompensée du prix Nobel de littérature. Quel bonheur ! Son œuvre est à l’image de cette lettre (ou l’inverse), engagée. Annie Ernaux a ausculté dans ses livres l’âme du petit peuple et mis au jour les inégalités.

Emmanuel Macron s’est fendu d’un communiqué qui rend hommage à l’autrice, mais qu’il sonne faux ! Oser écrire que « sa voix est celle de la liberté des femmes et des oubliés du siècle » quand on mesure les écarts de salaires entre les hommes et les femmes, les effets de la réforme des retraites qui pénalisent en premier lieu les femmes, le mépris affiché par le président pour les ‘’analphabètes’’ du peuple ou des fainéants qui ne veulent pas traverser la rue pour travailler, est une nouvelle insulte.

Annie Ernaux, elle, a choisi son camp, ne reniant rien. Elle a lu, beaucoup, écrit, encore plus et avec quel talent et quel enthousiasme pour combattre l’ordre établi.

L’œuvre d’Annie Ernaux parle du peuple et particulièrement des femmes ; son œuvre parle au peuple.