Mon Aragon ? J’avoue que j’ai découvert l’immense poète, l’admirable écrivain, avec Jean Ferrat. Je ne suis pas le seul, sans doute. L’interprète formidable qu’il était a réussi de sa voix chaude à briser le mur du silence dressé autour de Louis Aragon, censuré parce que communiste.

Ferrat, de sa voix chaude, m’a fait aimer Aragon, dès 1961 avec J’entends J’entends, puis Nous dormirons ensemble, Que serais-je sans toi, Au bout de mon âge, Aimer à perdre la raison, jusqu’au sublime et cependant dramatique Epilogue.

La beauté des mots explose ; les vers et les rimes retiennent l’attention ; l’intelligence et la chaleur humaine éclaboussent tout. Ferrat avouait ne pas chanter pour tuer le temps et Aragon écrivait pour la vie, les joies et les traumatismes, mais aussi les tragédies politiques.

Combien de consciences politiques Aragon a-t-il forgé ? Combien de sentiments a-t-il permis de s’exprimer ?

Quand on a découvert Aragon, on peut plus s’en défaire. On y revient toujours pour en savourer les mots, les vers et la pensée ; pour prolonger ses réflexions politiques après avoir écouté Epilogue et se départir des illusions de ceux qui nous ont fait croire à « la victoire des anges ».

Aragon était plus fort que le désespoir ; il a contribué à m’aider à surmonter le drame pour continuer à lutter :

« Songez qu’on n’arrête jamais de se battre et qu’avoir vaincu n’est trois fois rien

Et que tout est remise en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable

Nous avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d’épouvantables

Car il n’est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien »

Mon Aragon ? Un inséparable ami !

Et pour cet anniversaire de son départ, je relis ces vers admirables :

« C’est une chose étrange à la fin que le monde

Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit

Ces moments de bonheur ces midis d’incendie

La nuit immense et noire aux déchirures blondes

Rien n’est si précieux peut-être qu’on le croit

D’autres viennent Ils ont le cœur que j’ai moi-même

Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime

Et rêver dans le soir où s’éteignent les voix

Il y aura toujours un couple frémissant

Pour qui ce matin-là sera l’aube première

Il y aura toujours l’eau le vent la lumière

Rien ne passe après tout si ce n’est le passant

C’est une chose au fond que je ne puis comprendre

Cette peur de mourir que les gens ont chez eux

Comme si ce n’était pas assez merveilleux

Que le ciel un moment nous ait paru si tendre…

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle

Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici

N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci

Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. »