Il y a des faits divers anodins et d’autres sordides, interpellant la société ; celui qui a été rappelé devant la cour de révision du palais de justice de Paris est trop sordide pour laisser indifférent.
Il se déroule dans le Nord, une terre de souffrance après la fermeture des mines et des usines de l’industrie textile et débute en 1998 : une jeune fille de 15 ans accuse un jeune garçon de 17 ans de l’avoir violée.
Il se trouve que le jeune garçon est Arabe et s’appelle Farid ; il a arrêté l’école à 16 ans et a déjà eu de petits problèmes avec la justice. Il est nécessairement coupable ; il est même un coupable idéal.
La sanction tombe à l’issue d’un procès devant le tribunal de Douai : cinq ans d’emprisonnement, dont quatre ans et deux mois avec sursis pour couvrir la prison préventive et ses parents sont condamnés à 17 000 euros de dommages et intérêts à la jeune accusatrice.
En octobre 2017, il est marqué par un rebondissement stupéfiant : la jeune accusatrice, âgée de 34 ans, adresse une lettre au procureur de la République de Douai dans laquelle elle reconnaît avoir menti ; elle n’a pas été violée, mais avoue l’avoir été par son frère aîné pendant quatre ans, entre 1991 et 1995. Une expérience qu’elle a tu à la famille mais qui lui a permis de donner des détails rendant son récit crédible.
Farid a dû attendre cinq longues années pour comparaître, en 2022, devant la cour de révision et entendre une avocate générale demander l’annulation, sans renvoi devant une nouvelle juridiction, de sa condamnation, l’effacement de la mention de son casier judiciaire et de la suppression de son nom dans le fichier des délinquants sexuels. La justice ne peut pas être expéditive, mais quand même, cinq ans pour réhabiliter un innocent semble un délai beaucoup trop long. Farid n’a prononcé que quelques mots devant les juges pour dire : « Je vais arrêter là parce que je ne me sens pas bien. »
Farid retrouvera-t-il une vie simple de citoyen innocent ? On peut en douter, tant le traumatisme est profond. Mais, au moins, son innocence sera reconnue.
Le fait divers pose de multiples questions, comme le poids de la famille dans le déni d’inceste (pour protéger la famille, a déclaré la jeune fille dans sa lettre de dénonciation), comme le poids de la parole de l’enfant dans les affaires de viol, comme l’enquête qu’on peut qualifier aujourd’hui de bâclée, etc. Mais, surtout, l’enquête n’aurait-elle pas été différente si l’accusé n’avait pas été Arabe ?
On ne parlera pas de racisme ordinaire, mais, pour le moins, de préjugés tenaces, comme ceux qui valent aux jeunes des banlieues s’ils sont basanés ou noirs, d’être systématiquement contrôlés par les policiers.
Farid ou l’exemple parmi tant d’autres du banal destin des jeunes de banlieues déclarées sensibles par les tenants de l’ordre !