Le hasard a voulu que deux publications du même groupe publient les interviews de deux grandes dames d’exception.

Télérama a conversé longuement avec Esther Duflo, la plus jeune lauréate du prix Nobel d’économie. Elle consacre toute sa vie à la lutte contre l’extrême pauvreté. Le Monde, lui, a rencontre Henriette Steinberg, la secrétaire générale du Secours populaire, dans le cadre de la rubrique « Je ne serais pas arrivée là si… ». Elle aussi participe à la lutte contre la pauvreté. Depuis l’enfance. De tout son être !

Deux engagements totaux, profonds, de conviction. Les deux trajectoires sont parallèles au fond et finissent par se ressembler, même si l’une est enseignante-chercheuse et l’autre bénévole.

Les deux entretiens sont passionnants.

Mais il existe une différence essentielle entre ces deux femmes. Quand Télérama demande à Esther Duflo s’il faudrait remettre en question le système capitaliste, elle réponde très franchement : « Je ne sais pas. C’est très bien que des gens réfléchissent au système, mais ce n’est pas mon sujet. » Henriette Steinberg, elle, milite au Parti communiste et veut changer le système qui secrète la pauvreté. En revanche, elle ne voit pas de contradiction dans son action d’aider les pauvres : « Avant de faire la révolution, il faut savoir ce qu’on va manger le lendemain ». Et, pour se faire bien comprendre, elle ajoute : « Quand quelqu’un se noie, on ne lui demande pas pourquoi il n’a pas appris à nager, on lui jette une gaffe ou on plonge pour le sortir de l’eau. J’ai toujours adhéré à cette démarche. » 

Une chose est sûre, ces deux grandes dames (modestes) ont, hélas, des motifs de lutter. A la question de savoir si la situation s’est améliorée sur le front de la pauvreté, Henriette Steinberg est catégorique : « Non, c’est de pire en pire. Et ça se dégrade de plus en plus vite. La casse profonde du service public est une véritable catastrophe pour le pays, notamment dans l’éducation nationale. »

Esther Duflo la rejoint quand elle déclare : « Moi, ce que j’essaye de dire, c’est que dans le monde actuel tel qu’il est, il existe énormément de marges d’action. À condition d’adopter la bonne attitude — c’est-à-dire à la fois de ne pas compter sur le système capitaliste pour naturellement prendre soin des plus vulnérables, mais aussi de ne pas compter sur nos intuitions pour comprendre ce dont les gens ont besoin et ce qui va marcher pour résoudre leurs problèmes —, quel que soit le système dans lequel on vit, on se rend compte qu’il y a déjà énormément à faire là, tout de suite, maintenant, sans attendre le grand soir d’une révolution. »

Leur détermination est totale ; malgré de telles femmes, la pauvreté gagne du terrain. Saloperie de système capitaliste.